La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky/Préface

Bibliothèque Communiste (p. 7-10).

Préface



La brochure de Kautsky la Dictature du prolétariat, parue récemment à Vienne (Wien, 1918, Ignaz Brand, Éditeur), offre l’exemple le plus frappant de la banqueroute totale et honteuse de la II° Internationale, banqueroute dont parlent depuis longtemps tous les socialistes honnêtes de tous les pays. La question de la révolution prolétarienne est entrée pratiquement, à l’ordre du jour dans toute une série d’États. C’est pourquoi il est indispensable d’analyser les sophismes de Kautsky et son reniement complet du marxisme.

Il faut d’abord rappeler que, depuis le début de la guerre, celui qui écrit ces lignes dut à maintes reprises attirer l’attention sur la rupture de Kautsky avec le marxisme. J’ai consacré à ce sujet en 1914-1916, une série d’articles dans le Social Démocrate, paraissant à l’étranger et le Communiste. Ces articles ont été réunis dans le volume de G. Zinoviev et N. Lénine : Contre le courant, Pétrograd 1918 (550 pages) édité par le Soviet de Pétrograd. J’ai encore parlé du « Kautskysme » dans une brochure publiée à Genève en 1915 et qui a été traduite, la même année, en allemand et en français.

« Kautsky, l’autorité suprême autorité de la IIe Internationale montre de la façon la plus typique et la plus éclatante comment, chez certains, le marxisme, reconnu en parole, s’est transformé en réalité en un « struvisme » ou en un « brentanisme », c’est-à-dire en cette doctrine libérale bourgeoise qui admet la lutte « de classe » du prolétariat pourvu qu’elle n’aille pas jusqu’à la révolution et qui est représentée surtout par l’écrivain russe Struve et l’économiste allemand Brentano.

Nous en voyons un autre exemple chez Plekhanov.

Grâce à une suite de sophismes évidents, on extirpe du marxisme son âme révolutionnaire vivante, on admet tout dans le marxisme excepté les méthodes de lutte révolutionnaire, la propagande, la préparation de cette lutte et l’éducation des masses dans ce sens.

Kautsky « concilie », avec un beau mépris des idées, la pensée fondamentale du social-chauvinisme, c’est-à-dire le principe de la défense nationale dans la guerre actuelle, avec une concession diplomatique et illusoire aux gauches, telle que l’abstention lors du vote des crédits de guerre ou une déclaration verbale d’opposition, etc. ; Kautsky, qui écrivait en 1909 tout un livre sur l’approche de l’ère des révolutions et sur les liens indissolubles de la guerre et de la révolution, Kautsky, qui signa en 1912 le Manifeste de Bâle sur l’utilisation révolutionnaire de la guerre prochaine, se donne à tâche aujourd’hui de justifier et d’embellir le social-chauvinisme. Comme Plekhanov, il se joint à la bourgeoisie pour ridiculiser toute idée de révolution, toute action visant à la lutte proprement révolutionnaire.

La classe ouvrière ne peut pas réaliser son idéal de révolution mondiale sans déclarer une guerre impitoyable à ces renégats sans caractère, à ces valets complaisants de l’opportunisme qui avilissent à un degré inouï la théorie marxiste. Le kautskysme n’est pas un enfant du hasard, c’est le produit social des contradictions de la IIe Internationale, qui unit une fidélité verbale au marxisme à une soumission réelle à l’opportunisme. (G. Zinoviev et N. Lénine : Le Socialisme et la Guerre, Genève 1915, pages 13-14).

Dans un livre écrit en 1916, L’Impérialisme comme Étape dernière du Capitalisme, paru à Pétrograd en1917, j’ai analysé en détail l’inconsistance théorique de tous les raisonnements de Kautsky sur l’impérialisme. J’y citais la définition que Kautsky donne de l’impérialisme : « L’impérialisme est un produit du capitalisme industriel à son plus haut point de développement. Il consiste dans la tendance de chaque nation capitaliste industrielle à s’annexer ou à se soumettre toutes les grandes régions agricoles (souligné par Kautsky) sans tenir compte des nations qui les habitent ». J’ai démontré que cette définition était absolument fausse et « adaptée » aux besoins de la cause, pour laisser dans l’ombre les contradictions internes les plus profondes du capitalisme, afin de trouver ensuite un terrain de conciliation avec l’opportunisme. Je donnais ma propre définition de l’impérialisme : « L’impérialisme est le capitalisme parvenu à un stade de son développement où est établie la domination des monopoles et du capital financier, où a pris une importance hors ligne l’exportation des capitaux, où est commencé le partage du monde entre les trusts internationaux et terminé le partage de toute la surface de la terre entre les pays capitalistes les plus importants ». Je démontrais que la critique de l’impérialisme est encore plus faible chez Kautsky que chez les auteurs bourgeois.

Enfin, en août et septembre 1917, c’est-à-dire avant la révolution prolétarienne russe (25 octobre-7 novembre 1917) j’ai écrit : L’État et la Révolution. Doctrine du marxisme sur l’État et Rôle du Prolétariat dans la Révolution, brochure parue à Pétrograd au début de 1918 ; et là, dans le chapitre VI sur la « Déformation du marxisme par les Opportunistes », j’ai accordé une attention spéciale à Kautsky, démontrant qu’il a absolument dénaturé la doctrine de Marx, qu’il la travestie en opportunisme et qu’il a « renié en fait la révolution, tout en la reconnaissant en paroles ».

Au fond, l’erreur théorique fondamentale de Kautsky, dans sa brochure sur la dictature du prolétariat, réside justement dans un déguisement opportuniste de la doctrine de Marx sur l’État, déformation que j’ai dénoncée point par point dans ma brochure sur L’État et la Révolution.

Il était nécessaire de faire ces remarques préliminaires, parce qu’elles prouvent que j’ai accusé ouvertement Kautsky d’être un renégat, longtemps avant que les bolchéviks aient pris le pouvoir et que Kautsky les ait condamnés pour cela.

N. L.