Imprimerie A. Coté Et Cie, Québec, Québec (p. -lx).

JOURNAL HISTORIQUE, &c.


Dimanche 26 novembre. — C’est au 26 novembre 1837 que l’on peut fixer le commencement des troubles sérieux ; jusqu’à cette époque il n’y avait eu que des bruits vagues, des menaces sourdes et des essais inutiles de soulèvement. Ce jour-là, pendant la grand’messe, des courriers arrivés en toute hâte de Ste-Scholastique vinrent jeter l’épouvante parmi les constitutionnels de St-Eustache, dont plusieurs prirent la fuite à l’instant même et allèrent se réfugier à Montréal, où ils semèrent l’épouvante qui s’était emparée d’eux et où ils répandirent les bruits les plus effrayans. Plusieurs d’entre eux assurèrent qu’une armée considérable de rebelles s’avançait sur la Rivière du Chêne pour s’emparer du village et de là marcher sur Montréal. Ces nouvelles qui recevaient une teinte assez forte de probabilité de la conduite des gens du sud et de la disposition bien connue des habitans de St-Benoît et des environs, portèrent le trouble dans la ville alors peu rassurée, et tinrent ses habitans dans des alertes continuelles.

Les 27 et 28. — Pendant ces deux journées, les insurgés s’occupèrent à parcourir les côtes de Ste-Scholastique et St-Eustache, pour épouvanter ceux qui n’étaient point de leur parti, désarmer les uns et forcer les autres par la crainte à marcher avec eux. Le village de St-Eustache fut pendant ces deux journées dans des alarmes continuelles ; à chaque instant quelqu’un venait annoncer que les rebelles, nombreux et en armes, arrivaient au village pour en prendre possession et forcer et piller les maisons de ceux qui leur étaient opposés.

Le 29. — Le mercredi, pendant que M. le curé de St-Eustache était à table dans son presbytère où M. Turcette, curé de Ste-Rose, venait d’arriver, plusieurs personnes se précipitèrent toutes effarées dans la maison, pour prévenir les prêtres qu’un courrier venait d’arriver à toute bride, et qu’il assurait que les rebelles le suivaient de près, se dirigeant sur le village et désarmant sur leur route tous ceux qu’ils soupçonnaient de n’être pas favorables à leurs projets. Ce courrier était M. Eustache M’Kay, du Petit Chicot, concession de St-Eustache. Partout sur son passage il avait donné l’alarme et il jeta une telle épouvante dans le village que dans un instant les rues se remplirent d’une foule curieuse et effrayée ; chacun s’interrogeait, se consultait, se questionnait, et au milieu de ce trouble et de cette confusion ; les nouvelles grossissaient rapidement et avec elles la terreur. Dans l’instant même plusieurs familles entières partirent pour la ville, fermant leurs maisons et les abandonnant toutes meublées, pour mettre leurs personnes en sûreté. D’autres constitutionnels allèrent se cacher dans les paroisses voisines.

Au milieu de la confusion qui régnait dans le village, arrivèrent deux émissaires du Grand Brûlé, et leur arrivée augmenta encore le désordre. Ces deux émissaires étaient MM. Féréol Peltier, avocat, de Montréal, et Camille Dumouchel, de St-Benoît. Ils ne parurent faire aucune attention au mouvement qui se faisait dans le village ; cet état de choses leur semblait sans doute naturel ; ils s’arrêtèrent un instant chez M. W. H. Scott, M. P. P., et de là gagnèrent tranquillement la demeure du Dr. Chénier. M. Eustache M’Kay se rendit bientôt au presbytère et vint y répéter lui-même les nouvelles qu’il avait déjà répandues dans le village. Il était pâle et agité. Sa figure témoignait une violente colère. Il était armé d’un sabre et de deux pistolets, qu’il nous montra en disant qu’avec ces amis-là il se souciait peu des patriotes ; il partit aussitôt pour Montréal où il entra dans les rangs des volontaires qui plus tard accompagnèrent les troupes à St-Eustache, dans l’expédition du nord.

Sur le soir, en effet, une partie des bandes dont M. M’Kay avait annoncé l’arrivée, entra dans le village et se répandit dans les tavernes. Les insurgés s’y enivrèrent bruyamment, et cette nuit-là même, suivis des gens de St-Eustache qui partageaient leurs opinions, ils se rendirent dans les diverses côtes de la paroisse de St-Eustache, frappèrent à toutes les portes, et arrachèrent les habitans à leur sommeil paisible et les forcèrent à les suivre sans leur dire même où ils voulaient les conduire.

Le 30. — Le lendemain, à la pointe du jour, ils se trouvèrent ainsi réunis auprès de la montagne du Lac, au nombre de trois ou quatre cents, la plupart d’entre eux tous déconcertés et se demandant mutuellement ce qu’on voulait faire d’eux.

Les chefs principaux de ces premiers mouvemens étaient le Dr. Chénier, du village de St-Eustache, depuis longtemps bien connu par son patriotisme outré, par ses emportemens et la véhémence extraordinaire des harangues révolutionnaires qu’il prononçait à chaque assemblée, et un M. Girod, venu de l’isle Ste-Thérèse, vis-à-vis Varennes, au comté du Lac des Deux-Montagnes pour travailler au soulèvement. C’est ici peut-être le lieu de dire quelques mots sur cet individu. Amury Girod, se disant né en Suisse, arriva dans le pays, il y a environ dix ans. Il prétendait avoir passé une partie de sa jeunesse dans une école modèle d’agriculture, et être ensuite entré au service mexicain où il avait, dit-il, occupé le grade de lieutenant-colonel de cavalerie. Il parlait assez couramment l’espagnol, l’anglais, l’italien, le français et l’allemand. À Québec, il fut accueilli par M. Perrault, protonotaire, qui lui confia une de ses terres pour y établir une ferme modèle : Girod n’y fit rien que des dettes et en partit bientôt débiteur insolvable et ingrat de son bienfaiteur. En sortant de Québec, il chercha à s’établir sur les propriétés de M. Debartzch, à St-Charles ; mais celui-ci ne se soucia pas d’un pareil hôte. Girod se rendit à Varennes, y fut accueilli comme patriote par le Dr. Duchesnois, et après quelque temps de séjour, épousa la belle-sœur de celui-ci, fille de M. Ainse, seigneur de l’Isle de Ste-Thérèse. Depuis lors, il a toujours vécu sur la terre de son beau-père, située dans l’isle. Là, il s’est occupé continuellement à travailler à divers ouvrages politiques, à composer des discours pour les assemblées du comité central, etc. Il s’était imposé comme un fardeau à tous les chefs patriotes qui le haïssaient, mais n’osaient le brusquer. Lui-même haïssait cordialement Papineau et la plupart de ses amis ; souvent en secret il écrivit contre eux ; mais il les flattait au dehors parce qu’il espérait qu’ils feraient une révolution et qu’il comptait alors se procurer une place avantageuse. Il était d’un caractère à la fois haut et rampant, dur, brutal même dans ses paroles ; sans cesse en querelle avec tous ses voisins, et n’ayant aucun ami. Dans les derniers temps il prit une part fort active dans les troubles. Voyant qu’il ne pouvait soulever Varennes où il n’avait aucune influence, il entreprit de soulever la paroisse de la Pointe-aux-Trembles où il se rendait régulièrement deux fois par semaine pour haranguer les jeunes gens et les dresser aux exercices militaires. Il se trouvait à Montréal le jour du conflit entre les enfans de la Liberté et le Doric Club. Il fut un des auteurs de l’assemblée et un des plus prompts à se sauver lorsqu’on en vint aux coups. Lorsque les arrestations commencèrent, et que Papineau quitta Montréal, pour se sauver dans le sud, il passa par l’isle Ste-Thérèse et y vit Girod. Sans doute il le chargea d’aller dans le nord seconder les efforts que d’autres allaient faire dans le sud, car immédiatement Girod se rendit au comté du Lac des Deux-Montagnes, y prit le titre de général en chef, et contribua beaucoup par son audace et ses mensonges à décider les mouvemens qui eurent lieu. Les lecteurs excuseront sans doute cette courte digression sur le génl. Girod ; l’auteur a cru devoir tracer cette petite esquisse, quoique bien imparfaite, sur un homme qui a joué un rôle important dans cette histoire. Revenons aux faits du 30 novembre.

Girod et Chénier conduisirent les individus qu’ils avaient ainsi ramassés jusqu’au fort des sauvages, à la mission du lac. Là ils visitèrent les magasins du gouvernement, en enlevèrent de force des munitions et des fusils. Ensuite ils se rendirent à la maison de la mission, entrèrent dans la cour et les appartemens, et malgré la vive résistance de Messire Dufresne, supérieur de la mission, ils enlevèrent un canon appartenant aux missionnaires, et transportèrent toutes leurs prises à St-Benoît.

Girod et Chénier firent de vains efforts pour engager les sauvages à prendre parti pour eux et à leur livrer deux canons et d’autres armes qui se trouvaient en leur possession et qui leur appartiennent ; les sauvages se montrèrent si bien déterminés à défendre leurs propriétés que les insurgés n’osèrent les attaquer. Girod eut une longue entrevue avec le chef sauvage, et il s’établit entre eux un dialogue fort curieux, dans lequel le sang-froid et le bon sens de l’enfant de la nature triomphèrent des ruses et de la violence du chef rebelle.

Le Ier décembre. — Le vendredi, premier jour de décembre, le Dr. Chénier, accompagné d’un nommé François Guérin, se rendit au presbytère de St-Eustache et demanda hardiment à Messire Paquin, curé de la paroisse, s’il voulait lui livrer les clefs du couvent nouvellement construit auprès de l’église, et qui n’était pas encore occupé par les sœurs. M. Paquin s’y refusa, en disant que l’honneur et son devoir lui défendaient également de le faire ; le Dr. s’emporta alors, s’empara par violence des clefs du couvent et y établit le camp des insurgés composé de quelques individus de la paroisse et d’un grand nombre d’étrangers.

Le 2 déc. — Pendant toute cette journée et celle du lendemain, les insurgés s’occupèrent à visiter et à fouiller les maisons du village et des environs, et en enlevèrent tout ce qu’ils purent y trouver de munitions, d’armes et de provisions pour nourrir les individus du camp. Dans la soirée du 2, il pouvait se trouver au camp environ 60 personnes ; W. H. Scott, M. P. P., s’y rendit, accompagné de M. Emery Féré Depuis long temps M. Scott cherchait à s’éloigner du parti de la violence, et à ramener les individus à un patriotisme plus modéré ; il parla ce jour-là avec tant de sens et de vérité que presque tous ceux qui se trouvaient au camp, les armes à la main, se retirèrent. Il n’y resta que les plus violens, et ceux-ci étaient tellement irrités contre M. Scott parce qu’il avait occasionné cette désertion, qu’ils le menaçèrent de le tuer s’il ne voulait pas se mettre à leur tête. M. Scott s’y refusa absolument. Les insurgés envoyèrent alors chercher du secours au Grand Brûlé et s’emparèrent, cette nuit même, de M. Emery Féré, qu’ils constituèrent leur prisonnier ; ils lui permirent cependant de se retirer au presbytère jusqu’au lendemain,

Le 3. — Le trois décembre, après la grand’messe, on convoqua une assemblée au couvent ; M. Scott y fut amené de force ; on l’obligea de se prononcer sur ses opinions et ses intentions ; quoiqu’il fût effrayé par les menaces qu’on lui avait déjà faites et celles qu’il entendait murmurer autour de lui, il persista avec fermeté dans ses sentimens de la veille. Quelques personnes de l’assemblée vinrent au presbytère demander des conseils. Elles reçurent celui de suivre l’avis de M. Scott, de se retirer paisiblement chez elles et d’obéir à un ordre du commandant général Sir John Colborne, dont on venait d’afficher la proclamation à la porte de l’église, promettant protection à tous ceux qui ne prendraient pas les armes et qui demeureraient paisibles chez eux. M. Desèves, vicaire de St-Eustache, fit la lecture de cette proclamation à quelques habitans qui se trouvaient à la porte de l’église. Tous ces divers incidens firent une grande sensation sur les esprits. Il se trouvait alors à St-Eustache quelques jeunes gens venus de Montréal pour soulever les habitans du nord, et qui y travaillaient de toutes leurs forces ; ces agitateurs étaient messieurs Richard Hubert et Féréol Peltier, Jean Baptiste Brien et deux frères du nom de Lorimier. Les deux premiers étaient venus aussitôt après la première affaire qui eut lieu dans le sud entre les troupes et les insurgés, annoncer que les patriotes étaient vainqueurs, que les troupes étaient en déroute sur tous les points et presque entièrement détruites, et qu’il n’en restait aucune pour venir attaquer le nord.

Ces quatre jeunes gens firent tous leurs efforts pour dissiper l’impression produite par la lecture de la proclamation, les conseils du curé et le discours de M. Scott, et pour retenir dans le camp tous ceux qu’ils y avaient réunis. Mais ils ne purent y réussir ; malgré tous leurs efforts, tous leurs discours incendiaires, le camp se vida si bien que le soir il n’y restait pour le garder qu’un jeune homme de seize à dix-sept ans. On voulut le faire sortir du couvent pour en fermer les portes, mais il s’y refusa, en disant que les gens du Grand-Brûlé devaient venir ce soir-là même occuper le camp, ce qui eut lieu en effet ainsi qu’il l’avait annoncé.

Le soir, après vêpres, M. Turcotte, curé de Ste-Rose, vint souper au presbytère. Il y donna des nouvelles du massacre et de la dispersion des rebelles dans le sud. MM. Faquin et Desèves, de concert avec M. Turcotte, croyant cette occasion favorable pour engager le Dr. Chénier à se désister de son entreprise, le firent prier de se rendre au presbytère. Il y vint aussitôt. Dans ce moment s’y trouvaient aussi M. W. H. Scott, son frère, M. Neil Scott, de Ste-Thérèse, et M. Emery Féré, beau-frère de Messire Paquin.

Lorsque le Dr. Chénier fut entré, Messire Paquin lui annonça la nouvelle de la défaite de ses partisans dans le sud ; il le pressa de renoncer à ses desseins dangereux ; tous les messieurs présens, ecclésiastiques et séculiers, se joignirent à M. Paquin pour lui faire la même prière, mais il demeura inébranlable. Il prétendit que les nouvelles apportées par M. Turcotte étaient fausses, qu’il venait d’apprendre par un courrier arrivé du Grand Brûlé que les patriotes étaient vainqueurs dans le sud. Il ajouta que pour lui, sa résolution était invariable, qu’il était déterminé à mourir les armes à la main plutôt que de se rendre ; il alla jusqu’à dire : « qu’autant valait essayer de prendre la lune avec les dents que de chercher à ébranler sa résolution. » Malgré toute son opiniâtreté, cependant le Dr. Chénier ne put surmonter une profonde émotion qui s’empara de lui, car de temps en temps de grosses larmes s’échappaient de ses yeux et coulaient malgré ses efforts pour les retenir.

M. Paquin s’étant convaincu qu’il n’y avait rien à gagner avec le Dr. Chénier, prit la résolution de se rendre à Montréal le lendemain avec son beau-frère M. Féré, afin de faire connaître aux autorités les dispositions actuelles des habitans dont le premier feu s’était ralenti et afin de prévenir s’il se pouvait les désordres inévitables, si on en venait à une bataille,

4 décembre. — D’après cette résolution, le lendemain matin, Messire Paquin se disposa à se mettre en route pour Montréal, mais au moment même de son départ on vint lui dire qu’il lui serait impossible de sortir du village. Le Dr. Chénier avait employé toute la nuit à envoyer des émissaires dans les différentes côtes et à ramasser les plus déterminés de ses partisans pour garder le camp qu’il avait établi dans le village. Il avait établi des sentinelles à tous les passages, en sorte que personne ne pouvait sortir du village ni des environs sans un permis signé de sa main. M. Paquin lui demanda un permis de ce genre ; mais il lui fut nettement refusé. Le Dr. se rendit au presbytère, l’épée à la main, pour accompagner son refus de quelques explications, et dit qu’il se croyait obligé de s’opposer à ce voyage qu’il croyait devoir être nuisible à sa cause. M. Paquin eut alors avec lui une conversation longue et animée dans laquelle il insista fortement sur la folie de la conduite du Docteur ; il lui représenta tous les malheurs qu’il allait attirer sur la paroisse : le village serait brûlé et pillé, toute la paroisse saccagée, etc, etc. Après avoir fait une peinture touchante des maux qui allaient fondre sur St-Eustache M. Paquin ajouta avec émotion : « Je vous accuse devant Dieu et devant les hommes de tous ces malheurs ! » « C’est vous, M. le curé, que j’en accuse à mon tour (répondit le Docteur), vous nous avez nui extraordinairement ; vous êtes la cause du refroidissement qu’éprouve la paroisse en ce moment-ci. Vous devriez être à notre tête quand nous irons combattre, pour nous donner l’absolution. »

« Nous, faire une semblable action (reprit M. Paquin), non jamais, ne l’espérez pas ; ce serait agir contre notre propre conscience, contre les décisions de l’église, et contre les intérêts du gouvernement et du pays. Cette absolution vous damnerait en nous perdant nous-mêmes. »

Cette conversation eut lieu en présence de M. Desèves, du Dr. Brien, de St-Martin, et de plusieurs habitans de la paroisse. M. le curé finit en disant qu’il saurait bien se rendre à Montréal et que personne ne l’arrêterait. « Eh bien, répondit le Dr. Chénier, s’il n’y a personne d’assez brave pour le faire, moi-même je vous arrêterai. »

Il fallut bien alors renoncer au voyage de Montréal, et se résigner à attendre au milieu de la plus vive inquiétude ce qu’il plairait à la providence d’ordonner sur le sort de St-Eustache. Le Dr. Chénier alla immédiatement rejoindre ses gens et les aider dans leurs efforts pour réunir des partisans et ramasser des provisions pour les attirer.

Il ne sera peut-être pas hors de propos de donner ici une copie des passes ou permis donnés par le Dr. Chénier à ceux qui voulaient sortir de la paroisse. En voici une qui fut donnée à un honnête homme, menuisier du village, lorsqu’il se retira à Montréal pour se dérober aux vexations journalières que sa loyauté connue lui faisait éprouver. Elle est mot à mot conforme à l’original

« Passe à Fleury Tison.
« 4 décembre 1837.
« J. O. Chénier, commandant. »

Le 5. — Le lendemain 5 décembre on annonça que des troupes étaient en marche pour venir attaquer les rebelles à la Rivière du Chêne, et qu’elles étaient déjà arrivées à St-Martin. Cette nouvelle jeta l’alarme et ceux qui tenaient le camp au village mirent tout en œuvre pour réunir des partisans. L’on reçut au presbytère la visite de Messire Ducharme, curé de Ste-Thérèse, dans le moment où tout était bouleversé dans la maison et où l’on essayait de sauver tout ce qu’il était possible de sauver.

À une heure après midi, les trois prêtres étaient à table, lorsqu’on sonna le tocsin d’alarme pour avertir tous les insurgés de se réunir. Le bruit s’était répandu que les troupes allaient arriver. Il n’y avait alors dans le camp de la Rivière du Chêne guère plus de 60 hommes, qui se réunirent sur la place qui est devant l’église. Tous ces hommes étaient horriblement pâles et leur figure annonçait une crainte profonde. Messire Ducharme reprit aussitôt le chemin de sa paroisse ; MM. Paquin et Desèves montèrent en voiture pour s’éloigner aussi. En traversant la place devant l’église, ils furent arrêtés, mais cependant on leur permit de continuer leur route lorsqu’ils eurent donné leur parole qu’ils ne sortiraient pas des limites de la paroisse. Ces messieurs se retirèrent alors dans une ferme de M. Paquin située au domaine de M. Dumont, à 40 arpens du village.

L’alarme qu’avaient donnée les cloches avait fait réunir un assez bon nombre d’hommes. M. Girod était arrivé du Grand Brûlé et avait pris le commandement en chef. Il parut fort irrité de ce que l’on avait permis aux deux prêtres de quitter le presbytère, et il députa immédiatement trois de ses gens pour les ramener, leur enjoignant expressément de les tuer s’ils refusaient de revenir. Ces trois hommes étaient le fils de Jean-Baptiste Traversis, de la Grande Frenière, et François et Benjamin Cabanna, ses voisins. Ils arrivèrent au domaine, vers neuf heures et demie du soir, armés de fusils et de faulx qu’ils avaient transformées en épées. Ils se présentèrent hardiment devant MM. Paquin et Desèves, et leur transmirent impérieusement les ordres du général Girod. M. Paquin à qui cette visite était loin d’être agréable, répondit qu’il ne reconnaissait pas l’autorité de M. Girod et ne se rendrait pas à des ordres ; les émissaires insistèrent fortement pour emmener ces messieurs ; mais ils se refusèrent absolument à les suivre, et les gendarmes de Girod furent obligés de retourner seuls auprès de leur général, qui les reçut fort mal, les accabla de reproches et d’injures et leur ordonna de repartir sur le champ et de tuer les deux prêtres s’ils refusaient de venir. Les trois émissaires refusèrent d’obéir à cet ordre.

5 décembre. — La visite des gendarmes de Girod causa aux deux prêtres une forte impression de terreur, et sans la parole qu’ils avaient donnée, ils se seraient éloignés d’un lieu où ils ne se croyaient pas en sûreté. Ils se rassurèrent cependant un peu en pensant que ces hommes armés n’étaient venus à la ferme que pour chercher M. Féré son beau-frère qu’on y croyait caché. Mais le lendemain leurs inquiétudes devinrent bien plus fortes lorsqu’ils apprirent de source certaine que les émissaires de Girod avaient ordre de les tuer s’ils refusaient de marcher, et qu’ils ne devaient leur vie qu’à un reste de respect que ces hommes conservaient pour leur caractère de prêtre. MM. Paquin et Desèves firent alors demander la permission de passer à Ste-Rose ; mais elle leur fut refusée durement et absolument, et ils durent se résoudre à demeurer dans la ferme du domaine.

Le 6. — Ce jour fut marqué par l’expédition des insurgés qui coupèrent le pont qui se trouve sur la rivière des Mille-Isles, près Ste-Rose, et qui appartient à M. Porteous. Ce pont fut coupé par vingt-cinq hommes envoyés par Girod ; l’intention de ce chef de rebelles, en commettant cet acte de violence, était d’empêcher ou de retarder au moins le passage des troupes qui se trouvaient à St-Martin et qu’on disait devoir marcher immédiatement sur St-Eustache. Le bruit courut aussi à St-Eustache et dans les environs que les émissaires de Girod avaient aussi coupé le beau pont de l’Abord à Plouffe, appartenant à M. Lachapelle, mais ce bruit était semé à dessein par Girod pour rassurer ses partisans. Il eut bien désiré sans doute couper cette voie de communication, mais ses gens n’osèrent avancer jusques-là ; car ils surent que le pont était gardé par des troupes de Montréal et que les habitans de St-Martin prêteraient main forte à ces troupes. Ce jour-là, un nommé Xavier Grignon, habitant du Grand-Brûlé, concession de St-Eustache, se rendit à la ferme de M. Paquin et rassura les deux prêtres sur ce qui les concernait personnellement.

Le 7 déc. — Le sept, M. Paquin qui avait été fortement indisposé la veille, ne se trouva pas encore en état de se rendre au village. M. Désèves y alla seul pour dire la Ste. messe ; il fut surpris de voir que les gens, loin de l’insulter ou de chercher à le mortifier aucunement, se rendaient en foule à l’église pour y assister au St. Office. Il y avait alors grand nombre de personnes réunies au village. À l’issue de la messe, M. Desèves s’étant rendu au presbytère y reçut la visite de M. Girod, qu’il ne connaissait pas encore et auquel, par conséquent, il fit peu d’attention alors. Le presbytère était rempli d’individus qui venaient sans cérémonie s’y faire servir à manger aux dépens de M. le curé dont on avait saisi toutes les provisions. Quelqu’un des habitans avertit M. Desèves qu’il avait devant lui le général Girod ; celui-ci s’avança alors, et se présentant avec toute la politesse dont il était capable, engagea la conversation avec M. Desèves. Il s’informa de la santé de M. Paquin et annonça son intention de lui rendre visite.

En effet, quelques instans après, il se rendit à la ferme de M. Paquin avec M. Desèves et le Dr Masson, de St-Benoît. Il s’y présenta fort poliment et commença par faire des excuses sur la grossièreté de quelques-uns de ses gens qui étaient venus chercher MM. Paquin et Desèves pendant la nuit. Il ignorait sans doute que les deux prêtres étaient informés qu’en cette occasion l’on avait agi d’après ses ordres, et qu’il avait même ordonné de tirer sur eux s’ils faisaient résistance ; car il rejeta cette violence sur la confusion inséparable d’un rassemblement d’hommes indisciplinés et assura qu’il n’y avait pris aucune part. Cette visite eut pour effet cependant de rassurer parfaitement M. Paquin et son vicaire.

Le 8. — Le lendemain, jour de la conception de la Vierge et fête d’obligation parmi les catholiques, M. Paquin se trouvant mieux, les deux prêtres se rendirent ensemble au presbytère. La grand’messe fut chantée, comme à l’ordinaire, et un grand nombre de personnes y assistèrent. Depuis la veille, il y avait au moins 1500 hommes au village, et à chaque instant il en arrivait de nouveaux, de tous côtés. L’office de l’après-midi eut lieu aussi à l’heure accoutumée et un nombre considérable remplissait l’église. À partir de ce jour-là, les deux prêtres se rendirent régulièrement au village, y dirent la messe, y passèrent la journée sans être nullement inquiétés, et le soir ils quittaient le village pour se rendre à la ferme de M. Paquin.

Le 9. — Les insurgés faisaient alors du pillage leur principale occupation ; ils allaient dans toutes les fermes, mettaient à contribution tous ceux qui ne marchaient pas avec eux, et de gré ou de force, s’emparaient de ce qu’ils avaient de mieux en bétail, chevaux, voitures, etc. Le neuf décembre, ils prirent vingt-six bœufs chez un seul habitant, M. Kempton, de Ste-Thérèse. En allant à cette expédition, ils s’arrêtèrent chez un habitant de la Grande Côte de la Rivière du Chêne et exigèrent qu’il leur prêtât ses chevaux pour amener leur butin ; cet homme, nommé Benjamin Lefebvre, craignant que ses chevaux ne fussent maltraités, voulut les suivre et les conduire lui-même. Sa présence à cet acte de pillage fut la cause que plus tard il fut emprisonné.

Le 10. — Le dix était un dimanche ; les offices Divins eurent lieu comme à l’ordinaire ; l’église et ses ministres ne reçurent aucune insulte, mais on ne vit guère aux offices que les individus qui formaient le camp de St-Eustache ; les autres n’osaient paraître au village, car dès qu’ils y paraissaient, ils étaient saisis et retenus de force pour augmenter le camp. Déjà, à cette époque, un grand nombre d’habitans de la paroisse de la Rivière du Chêne avaient pris la fuite et s’étaient retirés dans les bois où ils restaient de peur d’être emmenés de force au camp de St-Eustache. En certains endroits, ils étaient jusqu’à 50 ou 60 réunis ensemble, et se cachant des insurgés pour ne pas prendre part à leurs excès.

Ce dimanche-là, à l’issue de la messe, Girod fit à ses gens un discours véhément dans lequel il s’éleva avec beaucoup de force contre les désordres que commettaient ses troupes. Ces désordres étaient en effet extrêmes. La plupart de ces soldats de nouvelle fabrique ne reconnaissaient d’autre loi que leurs désirs, s’emparaient des boissons fortes qu’ils trouvaient chez les marchands et s’enivraient du matin au soir ; souvent même ils ne se contentaient point de piller des boissons, ils enlevaient les meubles et tout ce qu’ils trouvaient à leur convenance, et lorsqu’ils étaient dans l’ivresse, ils accompagnaient le pillage des insultes les plus grossières. Le Général Girod s’éleva avec fureur contre ces désordres ; il fit emprisonner trois des plus coupables, les menaça de les faire fusiller et les livra à une cour martiale. Il défendit expressément de rien prendre sans son ordre. Comme quelques-uns de ses gens murmuraient et semblaient dire qu’ils avaient le même droit de piller que lui, il entreprit de justifier les pillages qu’il ordonnait lui-même ; il dit que ce qu’il faisait était nécessaire dans les circonstances actuelles, que sa situation de général l’autorisait à prendre ce que le service exigeait, mais que tout serait payé par la suite. Il défendit de rien prendre à l’avenir sans un billet signé par les autorités patriotiques. En effet, depuis cette époque, lorsque les chefs envoyaient piller, ils avaient coutume de donner un reçu ou reconnaissance, valable lorsque le gouvernement provisoire serait définitivement établi.

Les efforts du général Girod pour établir la discipline parmi ses soldats de nouvelle fabrique eurent peu d’effets. Ces hommes ne reconnaissaient aucune règle, et se croyaient maîtres de faire tout ce qui leur plaisait. C’est ainsi qu’ils entendaient la liberté du patriotisme ; souvent on les voyait passer dans le village en petites bandes de cinq ou six, portant sur l’épaule de vieux fusils rouillés et en mauvais ordre, coiffés d’un bonnet bleu qui leur tombait au milieu du dos, ayant à la bouche un vieux tronçon de pipe noir et enfumé et jetant d’énormes bouffées de tabac. Ils avaient ordinairement de grosses mitaines de cuir, étaient habillés d’étoffe et marchaient lourdement, et souvent chancelaient par l’effet de la boisson. Jamais leurs chefs ne cherchèrent à leur apprendre aucune évolution militaire, jamais ils ne leur firent faire aucun exercice pendant qu’ils restèrent au camp de St-Eustache. Ces gens étaient toujours dans l’oisiveté et ne s’occupaient qu’à piller, boire, manger, danser et se quereller. Les chefs, sachant que l’abondance et la bonne chair étaient les seuls moyens de les retenir, avaient amassé des provisions considérables, et l’on assure que ces provisions étaient suffisantes pour les nourrir pendant tout l’hyver.

Tous ces malheureux étaient dans la sécurité la plus complète et ne s’attendaient nullement à être attaqués dans leur camp. Les chefs avaient soin de les entretenir dans leur erreur, en leur assurant qu’on n’oserait venir leur faire la guerre, que les insurgés du sud étaient victorieux sur tous les points, et que ces soldats de St-Martin n’étaient que des volontaires auxquels on avait fait endosser l’habit militaire pour effrayer les habitans. Ils leur disaient chaque jour que, dès que les insurgés se montreraient, ils remporteraient la victoire et prendraient Montréal sans tirer un seul coup de fusil. Par ces contes et mille autres semblables, ils attiraient à leur camp un grand nombre d’habitans, qui, ne redoutant aucun danger, venaient jouir de la bonne vie que le camp leur offrait ; car pour les garder à St-Eustache on les gorgeait de viandes et de boissons, et en outre on donnait tous les jours à chaque homme une livre de bœuf qu’il pouvait envoyer à sa famille. Les soldats du nouveau camp s’habillaient et se chaussaient aussi par le pillage, dévastant pour cela les magasins de tous les marchands et en enlevant tout ce qui pouvait leur être utile. Outre tous ces avantages, les chefs promettaient encore à leurs soldats de leur donner bientôt le choix des plus belles terres ; ils leur promettaient aussi l’abolition des dîmes et des rentes seigneuriales.

Ces promesses et la vie que l’on menait au camp avaient attiré un grand nombre d’habitans de Ste-Thérèse et de St-Jérôme ; il n’y en avait là qu’un très petit nombre de St-Eustache, et ceux de St-Benoît n’y venaient qu’en passant, ayant chez eux aussi un autre camp qu’ils gardaient ; ils n’étaient restés à St-Eustache que le temps nécessaire pour forcer les habitans des environs à se mettre sous les ordres de Girod, et dès qu’ils virent celui-ci entouré d’un nombre suffisant de soldats ils retournèrent chez eux. La politique des chefs du Grand Brûlé en engageant leurs co-paroissiens à ne point rester à St-Eustache était aussi égoïste que cruelle ; ils avaient calculé que cette paroisse d’après sa position entre la ville et St-Benoît recevrait le premier choc de l’armée du gouvernement, et ils se dirent alors qu’il fallait envoyer les habitans des paroisses voisines se battre à St-Eustache, que les gens de St-Benoît verraient quel serait leur succès et agiraient ensuite en conséquence. Leur affreux calcul n’était que trop juste et la malheureuse paroisse de St-Eustache où l’on comptait un grand nombre de loyaux a été le théâtre des plus affreux massacres.

Ce soir-là, dix décembre, M. Turcotte, curé de Ste-Rose, vint rendre visite à M. Paquin ; il passa au milieu des avant-postes et de tous les patriotes sans être arrêté ni insulté. Les prêtres de St-Eustache étaient depuis plusieurs jours privés de toutes nouvelles, toutes le communications étant interceptées. M. Turcotte leur apprit que le nombre de troupes stationnées à St-Martin se grossissait, qu’il s’y faisait de grands préparatifs et que tout annonçait que bientôt on allait marcher sur les rebelles. M. Turcotte retourna chez lui le même soir sans difficulté, vu qu’il était porteur d’un permis d’un des chefs patriotes.

Le 11. — Le lundi, sur les trois heures après midi, l’alarme fut donnée pour la seconde fois. Quelques-uns des insurgés vinrent annoncer que l’on apercevait de l’autre côté de la rivière à l’endroit où se trouve la traverse, des troupes arrivant de St-Martin. C’était un petit détachement commandé par le capt. Glascow, de l’artillerie royale, et envoyé vis-à-vis St-Eustache pour examiner la glace et voir s’il était possible de faire traverser les troupes.

Dès que les rebelles aperçurent ce détachement, ils s’imaginèrent que c’était l’armée royale qui venait les attaquer, et ils crurent que le moment décisif était venu. Il se fit parmi eux un grand mouvement, le tocsin sonna pour appeler tous les habitans, et les guerriers de M. Girod se rassemblèrent devant l’église, autour de la maison de M. Dumont qui domine la rivière et fait face au presbytère. Les insurgés poussèrent de grands cris et voyant enfin que le détachement n’était que de quelques hommes, une partie d’entr’eux se mit à leur poursuite ; mais les éclaireurs du capt. Glascow disparurent promptement et retournèrent à St-Martin. MM. Paquin et Desèves qui étaient au presbytère lorsque l’alarme fut donnée, se hâtèrent de se rendre à la ferme du domaine. En passant devant l’église, ils ne purent s’empêcher de remarquer tout le ridicule de la défense que voulaient tenter ces soldats de nouvelle date. Grand nombre d’entr’eux étaient là sans armes, ayant à la main des pierres et des bâtons, d’autres de petits morceaux de bois ferrés, quelques-uns des fusils sans batterie ; presque tous manquaient de munitions et on les entendait demander de la poudre et se plaindre de n’en pas avoir.

Lorsque cette seconde alarme fut donnée, il pouvait y avoir au village environ 400 hommes ; car leurs forces avaient considérablement diminué depuis que la glace était prise. Tous les jours des bandes considérables d’entre eux traversaient pour aller à St-Martin ou ailleurs se mettre à l’abri de l’attaque sur St-Eustache qu’ils commençaient à prévoir. M. Girod ne voulut plus permettre à MM. Paquin et DeSèves de sortir du village. Il est difficile de dire quels étaient en cela ses motifs, mais il est certain qu’il eut bien mieux valu pour lui de laisser éloigner ces messieurs, car leur présence ne faisait que nuire à sa cause ; grand nombre d’habitans qui venaient au village, voyant combien leurs prêtres réprouvaient toutes les démarches des chefs patriotes, et s’apercevant des violences commises sur ces messieurs, se hâtaient de retourner chez eux aussitôt qu’ils en trouvaient l’occasion. Plusieurs habitans allaient se plaindre à ces messieurs de ce qu’ils étaient amenés au camp malgré eux, et voici la réponse qu’ils recevaient invariablement : « Souvenez vous qu’il y a un proverbe anglais qui dit qu’on peut bien conduire un cheval jusqu’au bord de la rivière, mais qu’on ne peut le faire boire malgré lui. » Il est certain cependant qu’un grand nombre de ceux qui étaient au camp y avaient été amenés de force. Lorsque ces pauvres habitans refusaient de se rendre au village de bon gré, on les menaçait de les piller, de brûler leurs propriétés et même de les tuer ; plus d’une fois une partie de ces menaces ont été mises à exécution. Plusieurs habitans riches qui ne voulaient pas se joindre à eux, voyaient leurs maisons pillées et saccagées : les insurgés allèrent jusqu’à tirer sur quelques-uns plusieurs décharges de coup de fusils, et ils en retinrent d’autres prisonniers au milieu d’eux ; parmi ces derniers on peut citer le neveu de M. le curé de St-Eustache, M. Félix Paquin, et M. Montigny, marchand de St-Jérôme. Il y en a eu nombre d’autres, mais ceux-ci ont été gardés plus longtemps et plus étroitement et n’ont pu s’évader qu’au moment de la bataille.

Le 12. — Le mardi matin, on reçut au presbytère de St.-Eustache la visite de M. Chartier, curé de St-Benoît, et un des plus violens chefs d’insurgés dans sa paroisse. C’était la première fois qu’il se montrait à la Rivière du Chêne, depuis que la sédition y avait éclaté. M. Paquin lui montra une lettre qu’il avait reçue de l’évêque de Montréal, dans laquelle ce supérieur ecclésiastique blâmait fortement la conduite de M. Chartier ; celui-ci lut la lettre, mais cette lettre n’abattit en rien son enthousiasme patriotique. M. Chartier prit sa part du petit repas du presbytère qui, grâce aux fréquentes visites des patriotes, était loin d’être somptueux.

M. le curé de St-Benoît se rendit ensuite au camp visiter ses braves et après leur avoir donné des encouramens, il repartit pour sa paroisse.

Ce jour-là même, quelques-uns du camp eurent une nouvelle alerte un peu vive dans le village de Ste-Rose. Vingt-cinq d’entr’eux, comptant sur la réputation de patriotisme des habitans de Ste-Rose, partirent armés pour aller faire une assemblée dans cette paroisse et y recruter des forces. Ils avaient été engagés à cette mesure par un ou deux exaltés de Ste-Rose. Mais les habitans ayant été informés de leur prochaine arrivée et craignant qu’ils ne commissent dans leur paroisse les excès qu’ils avaient commis ailleurs, se réunirent environ 40, armés pour les repousser. Ils les laissèrent avancer jusqu’à l’église et dépêchèrent un courrier à St-Martin, pour prévenir les troupes, qui se mirent aussitôt en marche avec de l’artillerie, pensant trouver à Ste-Rose le corps de l’armée rebelle. Les insurgés de St-Eustache reçurent avis de l’arrivée des troupes à temps pour s’esquiver, et ils commencèrent à détaler sans trompettes et avec toute la rapidité possible. Une quarantaine d’hommes de Ste-Rose se mirent à leur poursuite, résolus de les arrêter ; mais les fugitifs avaient trop d’avance sur eux, et ils ne purent les atteindre. Ils se pressèrent tellement que plusieurs se heurtèrent et se blessèrent même en sautant à la hâte et tous ensemble dans leurs voitures ; ils ne ralentirent leur course que quand ils furent au milieu des leurs à St-Eustache, et là même ils croyaient encore avoir l’ennemi à leurs trousses.

La conduite des habitans de Ste-Rose, qui avaient toujours cependant suivi le parti patriote, prouve assez que tous les patriotes canadiens n’approuvaient pas l’insurrection. Les habitans de Ste-Rose et de St-Eustache avaient toujours vécu ensemble dans la plus grande harmonie et jusqu’au moment où ceux de St-Eustache levèrent l’étendard de la rébellion, ils avaient toujours marché ensemble en politique.

Cependant les chefs du camp de St-Eustache parlaient de faire une attaque sur St-Martin ; on assurait même que cette attaque devait avoir lieu dès la nuit suivante ; mais une assemblée d’état-major décida que les préparatifs n’étaient pas suffisans et que l’expédition serait remise. Il y avait long-temps cependant que les insurgés demandaient à leurs chefs de les faire marcher sur St-Martin. Un jour qu’ils étaient réunis au nombre de près de 1,500, ils voulaient absolument se mettre en marche et furent sur le point de partir malgré leurs chefs ; heureusement cependant pour les habitans de St-Martin, Girod et ses officiers vinrent à bout de les contenir, en leur promettant de les y conduire bientôt ; nous disons heureusement, car il n’y avait alors à St-Martin qu’un faible détachement de troupes, dont la majeure partie était occupée à garder le pont de M. Lachapelle.

On a tout lieu de s’étonner de l’insouciance et de l’incroyable sécurité dans laquelle les insurgés réunis à St-Eustache, continuaient à vivre. Malgré l’alarme du lundi, ils n’avaient pris aucune précaution et n’avaient élevé aucune fortification pour défendre l’approche de leur village. Tout ce qu’ils firent fut d’envoyer une garde de 50 hommes se poster de l’autre côté de la rivière, à l’entrée du bois, à l’endroit où se croisent les deux chemins qui mènent à Ste-Rose et à St-Martin. Ils s’emparèrent d’une auberge appartenant à un nommé Misac Cyr, située aux quatre fourches du chemin, et y établirent leur corps de garde.

Le lendemain, vers midi, ces cinquante braves revinrent au village sous la conduite de leur chef le Dr. Chénier qui marchait en tête, le sabre à la main.

Leur retour et le rapport qu’ils firent que tout était parfaitement tranquille de l’autre côté de la rivière, augmentèrent la sécurité du camp. Les gardes dans tous les postes se firent avec moins d’exactitude que par le passé ; ils conservèrent cependant leur corps de garde dans l’auberge de Cyr, mais les hommes y restaient à peine la nuit, et revenaient dès le matin. Girod, plus que tous les autres, semblait être assuré du succès immanquable de la révolution ; il se vantait hautement d’être maître de Montréal avant trois jours et disait souvent : « Je serais content qu’on vint nous attaquer ici, car je suis certain que douze heures après le premier boulet lancé contre nous, Montréal serait pris. » Dans cette confiance, ils ne faisaient aucun préparatif, et au lieu d’employer leur temps à se mettre en état de défense, ils le passaient dans l’oisiveté et l’ivresse ; il semblait que plus ils approchaient du dénouement de ce drame, plus les chefs et les soldats s’aveuglaient et perdaient le bon sens et la prudence nécessaires à leur entreprise ou à leur conservation.

13 décembre. — Le lendemain, de fort bonne heure, Messire Chartier était de retour au camp de St-Eustache ; ce jour-là M. Paquin était indisposé et demeura au domaine ; M. Desèves se rendit seul au village pour y dire la messe. M. Chartier déjeuna au camp avec l’état-major ; puis, sur les onze heures, il se rendit au presbytère avec le général Girod, sous prétexte de rendre visite à M. Desèves, mais dans le vrai but de l’espionner et de l’inquiéter ; de là ils se rendirent à la ferme où se trouvait M. Paquin, et où, malgré ses répugnances, il dut recevoir ces hôtes importuns, qui ce jour-là lui refusèrent encore expressément la permission de se rendre ni à Ste-Thérèse ni à Ste-Rose.

Lorsque MM. Girod et Chartier furent de retour de la ferme de M. Paquin, tous les insurgés furent rassemblés sur la place de l’église avec leurs armes, comme s’il se fût agi d’une revue ou du départ pour une expédition. Ils étaient au nombre de huit cents, ou environ, armés et équipés de la manière la plus pitoyable et la plus grotesque, tel que nous l’avons dit plus haut. Girod se présenta et leur adressa la parole avec sa violence et son effronterie ordinaires ; il leur répéta tous les mensonges qu’il leur avait déjà faits si souvent et les excita à s’enflammer d’une nouvelle ardeur. Après qu’il eut terminé sa harangue, M. Chartier monta sur la galerie et parla pendant une vingtaine de minutes ; ses paroles se ressentaient peu de son ministère. Nous n’entrerons dans aucun détail sur ce discours et nous jetterons un voile sur cette circonstance bien déplorable, sans droit en elle-même, mais qui ne peut faire aucun tort au clergé canadien ; car M. Chartier n’a pas eu d’imitateur parmi ses confrères.

Pendant que M. Chartier prononçait sa bouillante harangue, M. Girod s’apercevant que M. Desèves cherchait à s’éloigner par crainte de se compromettre, il se hâta d’entamer avec lui la conversation. En la terminant il lui dit : « J’espère, monsieur, que vous prierez pour nous pendant que nous irons combattre pour la patrie ; vous n’êtes pas nos ennemis, sans doute. » « Vous ne devez pas ignorer, monsieur, lui dit M. Désèves, que les prêtres ne sont ennemis de personne. » « Oh ! répondit le général, je connais bien votre politique à vous autres, messieurs, vous ne me ferez pas prendre un X pour un U. »

Comme M. Desèves se disposait à répondre, M. Chartier entra tout essoufflé des efforts qu’il avait faits en prononçant son discours : « Eh bien, dit-il en entrant, me voilà maintenant en butte à l’autorité ecclésiastique ; il me faudra donc double courage. »

Tous les soldats avaient quitté la place et s’étaient retirés dans le camp ; M. Chartier et le général Girod repartirent pour St-Benoît. On apprit alors qu’il s’était tenu un conseil de guerre où tout l’état-major avait été appelé. Il s’y était agi de décider si l’on avancerait sur St-Martin ce jour-là, ou si l’on attendrait encore quelques jours. Une partie de l’état-major opinait pour faire l’attaque dès la nuit suivante ; mais la majorité s’opposa à ce projet, et il fut résolu que l’on attendrait jusqu’à la nuit du lendemain. Des courriers furent immédiatement expédiés dans toutes les directions pour réunir le plus de monde possible pour cette expédition. Sur le soir, toutes les forces furent réunies de nouveau et l’armée entière, forte de mile hommes environ, parada dans les rues du village, au son des tambours et des violons, sans doute pour faire montre de sa force. Les rebelles n’avaient aucune connaissance de ce qui se passait à St-Martin, et ne se doutaient nullement que les troupes s’y réunissaient pour venir les attaquer le lendemain.

M. Chartier revint sur le soir à la ferme de M. Paquin, où sa visite était peu agréable. Le curé de St-Eustache eut avec lui une longue discussion, dans laquelle il chercha à lui faire sentir toute la responsabilité dont il se chargeait ; il lui reprocha de prendre part aux excès commis par les rebelles, etc. M. Chartier termina la discussion en disant à MM. Paquin et Desèves : « Consolez-vous, messieurs, ces gens-là (les insurgés) vous incommodent grandement, mais vous en serez bientôt délivrés. » Il était bien loin, sans doute, de prévoir qu’il prophétisait aussi juste.

14 décembre. — Le lendemain, de bonne heure, les trois prêtres se rendirent au presbytère ; M. Desèves fut le seul qui dit la messe. Quelques personnes ont avancé que ce jour-là et d’autres jours, on avait chanté une grand’messe pour les rebelles, mais cela est faux ; il y eut effectivement deux messes solennelles chantées une quinzaine de jours auparavant, mais c’était pour le rétablissement de la paix et de la tranquillité.

À onze heures et un quart, on vint donner l’alarme ; c’était la troisième alarme depuis quelques jours. Les sentinelles placées de l’autre côté de la rivière se replièrent sur le village et vinrent annoncer l’arrivée des troupes. Aussitôt tout le village fut en émoi, on sonna le tocsin et les guerriers se rassemblèrent au nombre de cinq ou six cents, pour se préparer au combat. Il y avait alors la moitié de l’armée absente, car ne s’attendant nullement à être attaqués ce jour-là, les soldats de Girod s’étaient répandus dans les diverses côtes pour aller piller ou chercher des renforts, pour l’attaque projetée sur St-Martin, pour la nuit suivante.

C’est ici le lieu de dire que, dans les paroisses voisines et à Montréal, on avait toujours évalué les forces des insurgés bien au-dessus de ce qu’elles étaient réellement ; on les portait parfois jusqu’à six mille hommes, et jamais il n’y eut au camp plus de mille hommes. On se trompait fort aussi sur leurs moyens de défense ; on les croyait bien armés, fournis de munitions, et même munis de nombre de canons de bois de chêne cerclés en fer. Tout cela était faux ou grossièrement exagéré ; il n’y eut jamais qu’un canon de bois commencé à St-Benoît, et il ne put être achevé. Le seul canon qu’eussent les rebelles était celui qu’ils avaient volé à la mission du lac, et ce canon resta toujours à St-Benoît. Quant aux armes des insurgés, on a vu plus haut ce que c’était. Ces fausses idées venaient sans doute des précautions que les patriotes insurgés avaient prises pour intercepter toutes les communications, et pour ne laisser sortir de la paroisse de St-Eustache personne qui pût donner des renseignemens exacts.

L’alarme donnée cette fois n’était pas une fausse alarme. Les troupes s’avançaient en effet, sous le commandement de sir John Colborne lui-même. L’armée royale se composait de deux mille hommes au moins. Elle avait huit pièces d’artillerie de campagne, et une pièce à rockets ; il y avait environ 120 hommes de cavalerie, des dragons légers de la reine, ou de la cavalerie de Montréal. À la suite de l’armée venaient un nombre immense de voitures chargées de munitions, de bagages, de provisions, de bois, d’outils et d’ouvriers de toute sorte, pour construire au besoin des ponts, couper ou abattre des obstacles, etc. Tout avait été organisé avec une prévoyance et une sagesse dignes d’un général expérimenté. Outre les volontaires de Montréal, il y avait avec l’armée royale une compagnie de volontaires de St-Eustache, forte de 83 hommes et commandée par le Capt. Maxime Globenski, de la Rivière du Chêne.

MM. Paquin et Desèves se trouvaient au village lorsque l’alarme fut donnée ; ils aperçurent les bayonettes qui brillaient au soleil, à une assez grande distance encore, et firent de derniers efforts pour essayer de détourner les insurgés d’aller au devant des troupes ou de les attendre ; mais on ne les écouta point, et lorsqu’ils se furent convaincus qu’ils ne pouvaient être d’aucune utilité, ils demandèrent une voiture et s’éloignèrent aussi promptement que possible, et gagnèrent la ferme, en répétant une chanson d’à-propos qu’on leur avait apprise dernièrement ; la voici :

Air de Cara : Rien de mieux que cela, etc.

Coco, prends ta lunette,
Ne vois-tu pas, dis-moi,
L’orage qui s’apprête
Et qui gronde sur toi !
Abandonnons Paris,
Et gagnons du pays.
Mettons notre ménage
À l’abri de l’orage
Dans un petit village
Ou dans quelque hameau.
Coco, coco, sauvons-nous au plustôt.

Les prêtres se rendirent tranquillement à la ferme, pensant que cette alarme ne serait pas plus sérieuse que les autres et que les troupes que l’on voyait au loin, venaient seulement à la découverte ; mais à peine furent-ils arrivés qu’ils entendirent gronder le canon, et un fuyard vint leur apprendre que l’attaque était commencée.

Avant de raconter l’attaque et la prise du village, il est bon de dire quelque chose de la marche des troupes et de la manière dont elles se distribuèrent. Partie de St-Martin à six heures et demie, l’armée ne prit point le chemin droit de St-Martin à St-Eustache. Le général savait que ses forces étaient attendues par cette route, que les ponts étaient coupés et le chemin obstrué de plusieurs embarras. En outre, il craignait d’exposer ses hommes à être inutilement massacrés, sans qu’ils pussent se défendre, en traversant le long bois de St-Martin à St-Eustache. L’armée se dirigea donc par la concession appelée le Petit Ste-Rose. Les troupes arrivèrent à la rivière, environ à mi-chemin entre St-Eustache et Ste-Rose, et traversèrent dans un endroit où la rivière est fort large et s’étend entre nombre de petites isles. La glace n’était pas forte ; une pièce d’artillerie et plusieurs chevaux passèrent à travers, mais on parvint à les retirer ; on fut obligé de dételer les chevaux qui traînaient les canons et de les tirer de loin à force de bras. La cavalerie marchait en file simple, les chevaux à 10 pieds de distance l’un de l’autre, et l’infanterie prit aussi de grandes précautions ; enfin les troupes gagnèrent heureusement l’autre bord, et s’étant reformées en bon ordre, se mirent en marche sur le village en suivant le côté nord de la rivière.

La compagnie de volontaires de M. Globensky avait pris un chemin plus court de St-Martin à St-Eustache et arriva vis-à-vis St-Eustache avant les troupes dont la traverse avait beaucoup retardé la marche. M. Globensky fit arrêter ses hommes aux quatre fourches du chemin, résolu d’attendre que le reste de l’armée fût en vue avant de se mettre en marche pour traverser.

C’était cette compagnie seulement que les insurgés avaient aperçue d’abord ; plusieurs rebelles s’approchèrent d’eux assez pour les reconnaître. Le gén. Girod partit lui-même à cheval pour aller les examiner : il revint et rapporta qu’ils ne pouvaient être plus de 80. Il fit alors appel aux plus braves de ses guerriers et demanda qui voulait aller les attaquer. 150 hommes se présentèrent sous le commandement du docteur Chénier ; ils partirent pour aller les attaquer, croyant de bonne foi que c’était là toute la force dirigée contre eux. Mais ils furent bientôt tirés de leur erreur. Un coup de canon chargé à mitraille, tiré sur eux du côté nord de la rivière leur fit jeter les yeux de ce côté-là, et ils aperçurent l’armée, infanterie, cavalerie et artillerie, s’avançant en ordre et occupant un espace de deux milles au moins. À cette vue, leur courage les abandonna, le désordre se mit dans leurs rangs, et ils se sauvèrent à toutes jambes, les uns chez eux à travers les bois, les autres du côté du village, repassant sur la glace au travers de la mitraille qui en blessa quelques-uns.

L’artillerie s’était alors arrêtée avec le reste de l’armée sur la Grande Côte, dans une position qui domine entièrement le village, et commençait à en foudroyer les principaux édifices. En ce moment où les boulets se suivaient sans interruption, un jeune homme de dix-sept ans au service de M. Paquin, était resté seul devant le presbytère qui était vivement exposé et frappé à chaque instant. Son père l’ayant vu, lui cria : « Que fais tu donc là, malheureux, pourquoi ne te sauves-tu pas ? ne vois-tu pas les boulets passer autour de ta tête ? » « Je ne puis partir, repartit le simple jeune homme, M. le curé m’a dit de garder le presbytère. » Son père le décida pourtant à fuir, et tous deux se rendirent à leur demeure où ils furent arrêtés plus tard ; mais le lendemain ils furent mis en liberté sur la recommandation du capt. Globensky et de M. Desèves, qui affirmèrent que ni l’un ni l’autre n’avaient pris aucune part à la rébellion.

Cependant le général Girod et le major Chénier ramassèrent le plus de monde qu’ils purent dans le village, et les engagèrent ou les forcèrent l’épée à la main à entrer dans l’église ; ils barricadèrent les portes avec les poëles et les bancs, et firent briser les vitres afin que leurs soldats pussent tirer par les fenêtres. Le Dr. Chénier se renferma dans l’église avec 60 ou 80 hommes. D’autres troupes furent postées dans le presbytère, dans le couvent, dans la maison de M. Dumont et dans celle de M. W. H. Scott M. P. P. Mais le plus grand nombre prit la fuite à travers les champs et les bois. D’après les informations les plus exactes, il paraît certain qu’il n’en resta pas plus de 200 à 250 pour se défendre, et encore parmi ce nombre plusieurs avaient voulu fuir, mais ne l’avaient pu, parce qu’ils étaient enfermés dans l’église. Plusieurs de ceux qui étaient ainsi enfermés n’avaient pas d’armes, et comme ils s’en plaignaient, le Dr. Chénier leur répondit bien froidement : « Soyez tranquilles, il y en aura de tués et vous prendrez leurs fusils. »

M. Chartier qui se trouvait alors au village, fut tellement pressé de se sauver dès qu’il eut entendu quelques coups de canon, qu’il n’eut pas le temps de prendre sa voiture qui était chez le Dr. Chénier, et qu’il se sauva à pied. À quelque distance du village il se jeta dans une traîne qui passait avec deux femmes et cinq ou six enfants en bas âge ; mais bientôt, trouvant que cette traîne n’allait pas assez vite, il se remit à courir de plus belle et courut ainsi pendant une demi-heure au moins avec une foule de fuyards, ne le cédant à personne en agilité. Enfin, à la concession du Petit Chicot, il prit une voiture et se rendit en toute hâte au Grand Brûlé porter la nouvelle de ce qui se passait à Saint-Eustache.[1]

Le brave général Girod, après avoir fait tout son possible pour placer ses guerriers dans les divers postes, et en avoir même frappé plusieurs du plat de son sabre pour les empêcher de fuir, crut qu’il était temps de songer à sa propre sûreté. Sans doute il avait donné toute sa dose de courage à ses troupes, car il ne lui en resta pas assez pour demeurer avec elles. Girod qui avait eu des renseignemens positifs sur le nombre des troupes qui s’avançaient, savait très-bien qu’il ne pouvait leur résister. Abandonnant donc les malheureux qu’il avait soulevés à leur sort, il s’empara d’un fort bon cheval appartenant à un riche habitant de la petite rivière du Chêne (Jean-Bte Proulx dit Clément), et se mit en devoir de se sauver à toute bride. Il s’arrêta un instant à la maison de M. Eugène Globensky, où il avait eu son logement, pour y prendre quelque chose qu’il avait oublié. Dans ce moment un habitant de la côte St Joseph de St-Eustache voulut le tuer ; mais ceux qui étaient là l’empêchèrent. Cet homme fut tellement irrité de ne pouvoir mettre son projet à exécution que, de rage, il brisa son fusil contre la maison, en disant que, puisque les chefs se sauvaient ainsi, il ne tirerait pas un coup et que son fusil ne servirait à personne. Un autre habitant nommé Marcel Charbonneau, du Petit Brûlé, concession de St-Benoît, brûla trois amorces en voulant faire feu sur le général fuyard. « Il faut que je lui flambe la cervelle, disait-il, car il nous a dit assez souvent de faire feu sur lui, s’il reculait d’un seul pas et s’il n’était pas toujours à notre tête. » Le fusil partit avec la quatrième amorce, mais le coup avait été mal dirigé. Girod tournait en ce moment l’extrémité du village pour prendre la route qui conduit à St-Benoît. Il se sauva à toute bride et sans laisser prendre haleine à son cheval, jusqu’à trois lieues de St-Eustache. Là, son coursier n’en pouvant plus et refusant d’avancer, il fut forcé de s’arrêter à une auberge tenue par un M. Inglis. M. Inglis était absent. Girod dit à sa dame que ses gens étaient victorieux, et qu’il allait à St-Benoît chercher du renfort pour achever de détruire les troupes. « Mais, lui dit la dame, si vous êtes vainqueurs, pourquoi donc le feu a-t-il été mis au village ? » Car alors la clarté de l’incendie se montrait clairement. « Ce n’est rien, dit l’intrépide général, nous avons été obligés pendant la bataille, en repoussant les troupes, de mettre le feu à quelques maisons. » Il se fit donner un énorme verre de boisson forte, puis reprit à toute bride le chemin du Grand-Brûlé.

Féréol Peltier, Hubert, les Lorimier et les autres chefs, suivirent l’exemple du vaillant Girod et se sauvèrent aussi rapidement que possible.

Les troupes s’avançaient par le côté nord de la rivière ; à onze heures et trois-quarts, elles étaient environ à un mille du village, en face de la demeure de Pierre Lefèvre, habitant de la Grande Côte, sur le bord de la rivière des Mille-Isles. Ce fut de là que partit le premier coup de canon, tiré sur Chénier et sa troupe lorsqu’ils traversaient pour aller à la rencontre des volontaires de M. Globensky. Quelques coups de canon furent ensuite tirés vis-a-vis la maison de J.-Bte. Poirier, voisin de Pierre Lefèvre ; enfin l’artillerie vint se poster devant la maison de M. Félix Paquin, neveu du curé, qui est la troisième terre hors du village, et de là elle canonna longtemps le village. Pendant que l’artillerie assiégeait les forts des rebelles, la cavalerie et infanterie s’étendaient autour du village pour les cerner. Quelques-uns des régimens volontaires et la cavalerie passèrent derrière le village, du côté nord, hors la portée du fusil, et remontèrent jusqu’au point où la petite rivière du Chêne partage le village en deux ; là, les troupes se divisèrent en plusieurs pelotons, descendirent dans le village, sʼemparèrent à la fois de toutes les issues et se portèrent jusque dans le centre du village. Les volontaires de M. Globensky s’étaient avancés sur la glace, les carabiniers volontaires s’y étaient rendus aussi, et une autre partie des troupes entrait dans le village par le côté sud. En sorte que les insurgés se trouvèrent entièrement cernés et hors d’état de s’échapper.

Lorsque le village fut ainsi cerné, un détachement d’artillerie vint se placer vis-a-vis la maison de M. Scott, en face de l’église, et très près de cet édifice, qu’il commença à battre. Mais un feu bien nourri des insurgés qui se trouvaient dans l’église, ayant blessé quelques canonniers, ils se retirèrent à une position plus éloignée, et allèrent se mettre vis-à-vis du bureau de poste, à l’endroit où la grande rue fait un coude. Dans le même moment, l’artillerie qui grondait devant la maison de M. Félix Paquin, vint se placer à l’entrée du village et tous les canons ensemble commencèrent à foudroyer l’église avec une étonnante rapidité. L’ouvrage de maçonnerie était extrêmement solide et résista à un immense nombre de boulets qui furent tirés sans interruption. Les portes seulement furent brisées.

Après une canonnade de deux heures environ la fusillade commença ; les carabiniers volontaires commandés par le capit. Leclère, le 32e régiment et les royaux s’étaient approchés et commencèrent sur tous les édifices occupés par les rebelles un feu terrible, auquel ceux-ci répondirent d’abord assez vigoureusement. Bientôt toutes les maisons occupées par les insurgés furent prises par les troupes. Un nombre considérable de rebelles fut tué. Le presbytère fut enfoncé, et tout fut mis en pièces. Un gros poële qui se trouvait au milieu de la grande salle ayant été renversé, le feu qu’il contenait se communiqua à des paillasses étendues au milieu de la place : dans un instant tout fut en flamme. Le presbytère fut immédiatement consumé : plusieurs individus qui s’étaient cachés dans les caves furent brûlés ou étouffés. M. Félix Paquin, neveu du curé, s’était échappé des mains des insurgés au commencement de la fusillade et s’était sauvé au presbytère et caché dans une cave où il se croyait bien en sûreté. Il eut le bonheur de pouvoir sortir, à moitié grillé ; mais dès qu’il fut dehors il reçut une décharge de balles dont une le blessa et le renversa ; il fut fait prisonnier, mais il fut relâché bientôt après, lorsque les volontaires l’eurent reconnu. Sa blessure était à la jambe. M. De Montigny qui se trouvait prisonnier avec lui eut le bonheur de s’échapper sans accident.

Les soldats s’emparèrent successivement de la maison seigneuriale et du couvent qui bientôt se trouvèrent embrasés aussi, et dont tous les insurgés furent délogés par la fusillade ou par le feu, puis ils entourèrent l’église et se resserrèrent autour d’elle pour achever d’en déloger Chénier et ceux de ses gens qui étaient enfermés avec lui. Ce fut alors que M. B. Gugy fut dangereusement blessé, en entrant dans le chemin couvert qui conduit à l’église.[2]

Cependant la position des insurgés dans l’église était des plus critiques et de moment en moment devenait plus affreuse. De leur poste ils avaient pu voir prendre les divers postes où s’étaient placés leurs amis ; ils avaient vu la défaite de tous ceux-ci, la mort de plusieurs d’entr’eux ; ils voyaient la maison de M. Scott, le presbytère, le couvent et la maison seigneuriale, dévorés par les flammes qui s’approchaient d’eux aussi, et menaçaient de consumer leur dernière forteresse. Ils songèrent alors à la fuite ; mais elle n’était plus possible ; les troupes avaient entièrement cerné l’église et ne leur laissaient aucune issue pour se dérober à leur malheureux sort. Quelques-uns tentèrent de s’évader par derrière ; mais à peine se montrèrent-ils qu’ils furent frappés à mort. Plusieurs d’entr’eux s’étaient cachés dans les jubés et y demeurèrent quelque temps, témoins de tout ce qui se passait dans l’église ; mais bientôt les flammes vinrent les obliger de fuir ; la fuite était difficile pour eux, car les escaliers des jubés étaient coupés, et ils n’eurent d’autre ressource que de sauter par les fenêtres pour éviter d’être brûlés ; quelques-uns d’entr’eux même ne purent le faire, et plus tard on trouva leurs corps entièrement brûlés et calcinés.

Le Dr. Chénier, voyant que tout espoir était perdu et qu’il ne pouvait plus songer à se défendre dans l’église, qui était devenue entièrement la proie des flammes, réunit quelques-uns de ses gens et sauta avec eux par les fenêtres du côté du couvent. Il voulait essayer de se faire jour au travers des assaillans et de s’enfuir, mais il ne put sortir du cimetière, et bientôt atteint d’un coup de feu, il tomba et expira presque immédiatement. Ce ne fut plus alors qu’une scène horrible de massacres ; les malheureux soldats de Chénier sautaient par les fenêtres pour échapper aux flammes et tombaient bientôt sous le plomb meurtrier. Quelques-uns d’entre eux parvinrent, quoiqu’à demi brûlés, à se sauver assez loin, mais les carabiniers ou les détachemens postés en dehors du village, les atteignirent et les tuèrent. On vit quelques-uns de ces malheureux sautant par le derrière de l’église, se sauver à toutes jambes sur la glace, passer au travers de plusieurs centaines de balles dirigées sur eux par un gros de troupes qui étaient postées sur le pont, puis au moment d’échapper aux vainqueurs, tomber sous un dernier coup.

À quatre heures et demie, les troupes avaient pris pleine possession du village ; le bruit terrible de la canonnade et de la fusillade avait cessé ; de temps en temps seulement on entendait au loin le bruit de quelques coups de feu dirigés sur un fuyard, eu de l’écroulement de quelque édifice consumé par l’incendie, qui faisait d’horrible progrès dans le village. La fumée épaisse qui s’élevait de l’église, du couvent, du presbytère, et que le vent chassait du côté de la glace, fut favorable à plusieurs des infortunés insurgés, qu’elle déroba dans leur fuite à la vue des soldats ; quelques-uns de ceux qui avaient échappé au massacre furent faits prisonniers à une certaine distance du village par les volontaires qui s’y étaient répandus. Parmi eux, on en saisit un dont l’histoire mérite d’être citée et fera connaître la simplicité de ces pauvres gens qu’en avait voulu forcer à se battre. Lorsque ce malheureux fut atteint à une assez grande distance du village, il avait les armes à la main. Il se jeta à genoux et conjura ceux qui l’arrêtaient d’épargner sa vie, leur jurant qu’il n’avait fait aucun mal à personne, et qu’il n’avait été parmi les rebelles que par force. On n’eut pas de peine à se persuader qu’il n’avait fait aucun mal, car en examinant son fusil, on s’aperçut qu’il n’avait pas de platine. Le canon était plein de cartouches jusqu’a la bouche, et le prisonnier dit qu’il avait été forcé de faire semblant de tirer et de mettre à chaque fois une « cartouche dans son fusil, sans quoi les rebelles eussent tiré sur lui ; le pauvre diable fut immédiatement relâché par ceux qui l’avaient pris et qui rirent de bon cœur de sa simplicité.

Le nombre des morts tués ou brûlés du côté des insurgés n’a pas été moindre que 70, dans cette journée. Celui des troupes a été de trois morts et quelques blessés. Presque tous ceux qui ont été tués étaient des habitans de Ste-Scholastique et de St-Jérôme. Plusieurs de ceux qui furent retrouvés morts n’avaient reçu aucune blessure et avaient péri étouffés ou brûlés. D’autres étaient entièrement calcinés.

Après la fin de la bataille, les troupes se répandirent dans le village et le pillèrent presque entièrement. Dans la maison de M. Dorion, vis-a-vis l’église, on trouva une énorme quantité de bœuf et de porc fraîchement tué et mis en dépôt en cet endroit pour la provision du camp des insurgés. Les soldats et les volontaires en prirent ce qu’il leur fallait pour leur dîner du jour, et le reste fut plus tard conduit à Montréal.

Le corps du Dr. Chénier fut trouvé vers six heures, et porté dans l’auberge de M. Addison. Les docteurs l’ouvrirent pour s’assurer de la cause de sa mort, mais il est faux qu’on lui ait arraché le cœur, et qu’on en ait fait un objet de curiosité. La plus grande décence fut observée par les officiers de santé. Ce fut aussi dans cette maison que furent apportés les blessés au nombre de 15, et ce fut là qu’ils reçurent des divers chirurgiens des troupes les soins les plus empressés. L’incendie continuait toujours et dura toute la nuit ; il consuma la plus belle partie du village. C’est ici le lieu de dire quelque chose de ce village. St-Eustache ou la Rivière du Chêne passait pour un des plus beaux villages du district de Montréal, et méritait cette réputation par son site et sa construction. Le village était considérable et bien mieux bâti que ne le sont ordinairement les villages de campagne. Séparé en deux parties par la petite rivière du Chêne qui le traversait en serpentant et venait se perdre dans la rivière des Mille-Isles, le village s’étendait en partie sur les belles rives de cette dernière rivière. Le presbytère, grande et belle bâtisse de 72 pieds de long, se trouvait précisément au confluent des deux rivières ; l’église placée près du presbytère, sur une belle pointe qui s’avançait dans la rivière des Mille-Isles, offrait un beau coup-d’œil, soit de la rive opposée, soit du village dont elle terminait la grande et belle rue à laquelle elle offrait son imposante façade de pierres de taille d’une construction élevée, solide et dégagée des ordres Dorique et Ionique ; de chaque côté de la façade s’élevaient deux superbes clochers à deux lanternes, couverts en fer-blanc, et dont les flèches hardies et brillantes annonçaient au loin le temple du Seigneur. Une de ces tours était décorée d’un bel et bon cadran en bois, ouvrage de M. Vaillancourt, excellent ouvrier de Ste-Scholastique. L’intérieur de l’église était très bien orné de riches sculptures et de beaux tableaux. La sculpture et les colonnades étaient richement dorées. Lorsque l’on entrait dans l’église, on était d’abord frappé par l’aspect d’une statue de St-Eustache, de grandeur d’homme, placée derrière le maître autel qu’elle dominait. Le coup d’œil qu’offrait cette statue dorée à l’antique, la colonnade qui entourait le chœur, et les tableaux qui l’ornaient, firent une profonde impression sur les premières personnes de l’armée qui entrèrent dans cette église. Plusieurs officiers s’arrêtèrent frappés d’étonnement et saisis à la vue du contraste de ce beau travail, que les boulets semblaient avoir épargné ; car ils avaient frappé tous les murs à l’entour et s’étaient abattus près de l’autel. Un d’entre eux, M. Ormeby, des royaux, a exprimé lui-même la profonde sensation qu’il avait éprouvée à cette vue.

M. Paquin avait beaucoup contribué à l’ornement et à l’embellissement de l’église ; c’est lui qui avait fait construire les deux tours et le portail et qui en avait conduit et surveillé les travaux.

À quatre-vingt-dix pieds de l’église s’élevait le couvent, qu’un mur de pierres haut de six pieds y joignait. Ce couvent construit aux frais de M. Paquin, avait 55 pieds de long sur 36 de profondeur. La bâtisse était en pierres piquées. Il venait justement d’être achevé et allait être ouvert à l’éducation de la jeunesse du sexe. Les appartemens étaient prêts à recevoir les institutrices qui devaient être des sœurs de la congrégation. Cet édifice avait deux étages très bien disposés, des mansardes propres à former un troisième étage, et des dépendances fort commodes.

À quelque distance de là, faisant face au presbytère, se trouvait la maison seigneuriale, bâtie en pierres de taille, à deux étages et très élevée par sa position. Elle dominait la rivière des Mille-Isles, ainsi que le couvent et l’église. Devant cette maison se trouvait un joli parterre. Tout le terrain qui se trouvait entre ce parterre et le presbytère, devant l’église et le couvent, formait une jolie promenade fort bien pavée et toujours propre. En face de l’église, à l’un des angles de la grande rue, se trouvait la demeure de M. Dorion. Cette maison et les dépendances, en bois, mais fort bien peintes et remarquables par leur propreté, ne déparaient en rien cette jolie place. À l’angle opposé de la rue était l’ancienne maison seigneuriale devant laquelle se trouvaient de fort beaux arbres. Dans la grande rue qui traverse tout le village se trouvaient, surtout dans la partie qui avoisine l’église et qui a été consumée, un grand nombre de fort jolies bâtisses, parmi lesquelles se distinguait surtout celle de W. H. Scott, M.P.P., belle maison en pierres, à deux étages, ornée d’un superbe portique, construite il y a quelques années par le Dr. Labrie. Sur une pointe parallèle à celle où l’église est construite, en face du jardin du presbytère, se trouvait la maison du Dr Chénier, autrefois le pensionnat de demoiselles si célèbre, établi par le Docteur Labrie ; c’était une vaste construction en bois, environnée d’une galerie couverte et placée dans un site fort agréable ; le confluent des deux rivières est précisément à quelques pas de la porte.

Un beau pont très solide, à deux arches, joint ensemble la partie du village où se trouve l’église et celle où était la maison du Dr. Chénier.

Le lendemain, toute la belle partie du village dont nous venons de parler, n’était plus qu’un amas de ruines fumantes, parmi lesquelles on trouvait çà et là des cadavres défigurés, sanglans, à demi brûlés. On trouvait dans les bâtisses des lambeaux des cadavres à demi brûlés, des ossemens de crânes attestant que quelque malheureux avait péri. L’église était entièrement réduite en cendres, et la pierre de sa bâtisse était calcinée par le feu et criblée par les boulets sans nombre qu’on trouvait devant la porte ou dans l’intérieur. Une grande partie des meubles de M. Paquin périt dans l’incendie du presbytère, avec ceux de M. Scott, M. P. P., que ce monsieur y avait fait transporter quelques jours auparavant lorsqu’il se sauva à Ste-Rose, et qui étaient des meubles fort riches. Le curé de St-Eustache perdit aussi ses animaux et ses grains qui furent brûlés et ses voitures qui furent volées. La perte de M. Dumont, le seigneur, a été fort considérable aussi.

Le nombre des maisons brûlées dans le village s’élève à environ 60, et c’étaient à peu près les plus belles. Ceux-qui avaient vu quelques jours auparavant ce riche et joli village, ne pouvaient retenir leurs larmes, en n’y trouvant plus que des ruines saccagées et des décombres sanglans. Les maisons même que le feu n’avait pas détruites, offraient un pitoyable spectacle, car elles avaient presque toutes été pillées et plus ou moins endommagées. Tout dans cette scène de désolation rappelait le carnage et la vengeance.

L’incendie n’avait pas été entièrement restreint au village ; à un mille de l’église, sur les bords de la rivière, la belle maison de M. Bellanger avait été aussi réduite en cendres avec toutes ses dépendances. M. Bellanger était un riche habitant ; toutes ses récoltes furent brûlées dans ses bâtimens, et lui-même expie en prison le tort d’avoir été un des plus chauds partisans du Dr. Chénier.

St-Eustache était tout en ruines, et ses cendres fumaient encore, et cependant il y avait des gens assez barbares pour achever de détruire ce que le feu avait épargné. D’autres s’occupaient à piller avec une incroyable activité. Non seulement ils dépouillaient les morts et les laissaient entièrement nus, mais ils enlevaient tout ce qu’ils pouvaient déterrer dans les décombres. Des morceaux même de la cloche devinrent la proie de ces ravisseurs.

Le 15. — Le lendemain matin, un nombre considérable de personnes de la ville et des villages voisins était accouru à St-Eustache pour contempler le tableau de la vengeance terrible d’un gouvernement justement irrité. MM. Paquin et Desèves vinrent aussi au village. M. Desèves y vint le premier. Le spectacle qui s’offrit à ses yeux le navra de douleur ; il se rendit immédiatement au presbytère et à l’église, et il eut le bonheur d’y trouver, avec le secours de quelques habitans, et de retirer du milieu des cendres, deux coffres-forts encore tout rouges ; l’un était ouvert et on en tira un grand nombre de sous et de pièces d’argent à moitié fondues ou rougies. L’autre de fonte et extrêmement fort n’était nullement endommagé ; il renfermait en espèces £250 déposés au coffre de la paroisse par une riche veuve de la paroisse.

On fit de vaines recherches dans la sacristie et ailleurs pour retrouver les vases sacrés et l’argenterie ; tout avait disparu. Plus tard on retrouva quelques ornemens d’église ; mais c’étaient les moins bons et on en avait enlevé tout ce qu’ils pouvaient avoir de précieux. Par la suite, quelques pièces d’argenterie ont été rendues par des volontaires, mais en bien petit nombre.

Un des premiers soins de M. Desèves fut de s’informer du lieu où étaient les blessés pour les visiter. Ayant obtenu la permission de les confesser, il les entendit avec patience et se fit un plaisir de se pencher sur leurs grabats au milieu des cris de douleur et des larmes de ces infortunés pour leur donner les saintes consolations du ministère évangélique.

Déjà, la veille, M. Turcotte, curé de Ste-Rose, avait rendu ce service à quelques-uns d’entre eux. M. Turcotte avait suivi les troupes, et dès le soir de la bataille, il se rendit dans les divers endroits où se trouvaient des blessés et jusque sur la glace pour entendre la confession de quelques-uns d’entre eux qui n’auraient pu supporter d’être transportés. Le zèle de M. Turcotte fut bien utile et ses secours arrivèrent bien à propos, car le matin quelques-uns de ces hommes étaient morts.

Lorsque M. Paquin se rendit au village, il y trouva MM. Desèves et Turcotte. Les officiers reçurent ces messieurs avec politesse et bonté. Les trois prêtres eurent la permission de visiter les prisonniers, et M. Paquin leur adressa quelques paroles de consolation ; il obtint aussi l’élargissement de quelques-uns d’entre eux. MM. Turcotte et Desèves prirent leurs noms ; ils étaient 112, des différentes paroisses de St-Eustache, St-Benoît, St-Jérôme et Ste-Scholastique. Plusieurs d’entre eux avaient été arrêtés la veille dans leurs demeures.

Cependant le général vainqueur avait résolu de ne point se borner à la conquête de St-Eustache et de marcher immédiatement sur St-Benoit. À neuf heures, Sir John Colborne fit sonner la trompette du départ, et les troupes royales se mirent en marche pour le Grand Brûlé, laissant la garde du village de St-Eustache aux volontaires du capt. Globensky.

St-Benoît avait toujours été considéré comme le fort imprenable des rebelles ; c’est là qu’on disait qu’ils avaient concentré toutes leurs forces ; c’est là que se trouvaient presque tous les chefs les plus violens, et d’ailleurs St-Benoît s’était fait de tout temps remarquer par emportement patriotique de tous ses habitans et les violences commises contre les loyaux sujets du gouvernement.

La renommée avait rapporté que le village de St-Benoit était entouré d’excellentes fortifications, qu’il s’y trouvait une garnison de plusieurs milliers d’hommes et qu’il y avait des vivres et des munitions pour plusieurs mois ; aussi s’attendait-on à trouver à St-Benoît la résistance la plus opiniâtre. Mais la renommée avait beaucoup exagéré tous ces bruits, et il n’y avait rien de vrai dans tout cela. St-Benoît n’avait presque aucune sorte de fortifications, il n’avait pas plus de munitions que St-Eustache, et les événemens de la veille avaient produit un terrible effet sur sa vaillante garnison.

Dès que la première nouvelle des désastres de St-Eustache y était parvenue, tous les chefs avaient pris la fuite et avaient songé à se mettre en sûreté. Le général Girod donna l’exemple en se sauvant le premier. Sa mauvaise étoile semblait le poursuivre, car plusieurs fois dans sa fuite il fut sur le point d’être arrêté par ses ex-partisans qui voulaient le livrer à Son Excellence ; mais sa facilité à improviser des mensonges de toute sorte le tira d’affaires et lui permit de s’évader. Tous ses aides-de-camp et officiers de toute classe suivirent son exemple. MM. Girouard, Dumouchelle père et fils, Dr. Masson, Ferréol Peltier, Hubert, deux Lorimier, Benjamin Papineau, M. P. P., et Dr. Brien, ces deux derniers de St-Martin, prirent la fuite en toute hâte dans la nuit qui suivit la bataille de St.-Eustache. Nous donnerons plus tard quelques détails sur ce que devinrent ces différens individus.

Les troupes avançaient vers St-Benoît ; toutes les difficultés qu’elles rencontrèrent sur leur route furent, en un endroit, quelques branches d’arbres entassées, dans un autre, une espèce de retranchement de branches sèches de la hauteur de 3 à 4 pieds et de 2 de large, et un ou deux fossés qui furent pontés en quelques minutes. Mais avant que les troupes eussent rencontré tous ces obstacles, au moment même où elles sortaient de St-Eustache, une députation de St-Benoît vint au devant de l’armée. Elle se composait de 14 habitans de St-Benoît qui étaient venus, d’après le conseil de M. Dufresne, supérieur de la Mission du Lac, faire leur soumission et demander la paix. Sir John Colborne les reçut au milieu de la rue, en présence des troupes, et leur demanda où étaient leurs chefs. Lorsqu’il eut appris que tous avaient pris la fuite, il renvoya les députés à St-Benoît, leur ordonnant de faire déposer les armes à tous leurs concitoyens, et les prévenant que tout serait mis à feu et à sang s’il y avait un seul coup de fusil tiré de leur côté, puis les troupes continuèrent tranquillement leur marche vers le Grand Brûlé.

Les députés retournèrent en toute hâte porter à leurs amis les ordres du général. Ils retrouvèrent au village environ trois cents hommes qui ne demandaient pas mieux que de se rendre à discrétion ; la fuite des chefs avait découragé leur parti, le plus grand nombre s’était enfui et les trois cents qui restaient ne demandaient que d’avoir la vie sauve. Lorsque les troupes arrivèrent, ils rendirent tous leurs armes et se remirent à la discrétion de sir John Colborne, qui bientôt après les renvoya chez eux, contrits et tremblans à la vue des forces immenses qui s’étaient avancées contre eux.

Les troupes furent renforcées au Grand Brûlé par un fort détachement de troupes régulières et volontaires commandées par le major Townshend, qui avait reçu ordre du général en chef de marcher sur St-Benoît et de venir opérer sa jonction avec lui dans ce village le 15 au matin. Toutes ces troupes se logèrent dans le village. Sir John prit pour logement la maison de J. J. Girouard, M. P. P. Dans la soirée et la nuit on arrêta diverses personnes qui s’étaient cachées aux environs du village et qui furent mises sous garde.

Le 16. — Le lendemain, de grand matin, le général partit pour Montréal, après avoir, dit-on, donné ordre de brûler seulement les maisons des chefs, et d’épargner le reste du village. Les maisons désignées étaient celles de MM. Girouard, Dumouchelle et Masson. Malheureusement ces ordres ne furent point respectés et tout le village fut réduit en cendres. L’église, le presbytère et toutes les maisons du village furent consumés avec leurs dépendances ; il ne resta debout que trois ou quatre chétives masures qu’on ne trouva pas dignes d’être incendiées.

L’incendie ne se borna pas au village de St-Benoît ; trois ou quatre maisons des fermes de M. Dumouchelle dans la Grande Frenière furent aussi brûlées, ainsi que la belle maison de pierre d’un nommé Perrier, habitant riche et respectable : cet homme avait toujours été paisible et n’avait pris aucune part à la révolte ; mais il fut victime de la noirceur d’une femme de mauvais caractère, qui, pour assouvir une haine qu’elle avait contre lui, indiqua aux volontaires sa maison comme appartenant à M. Dumouchelle.

M. Dumouchelle s’était sauvé de la montagne du Lac ; mais il n’échappa pas longtemps aux recherches ; il fut arrêté chez un habitant de la côte St-Joseph, de autre côté de la montagne, et vint immédiatement se remettre entre les mains de la garde de St-Eustache. Il est bon, peut-être, de dire ici quelques mots des autres chefs : Dans la nuit du 14 au 15, dès que la nouvelle du désastre de St-Eustache leur était parvenue, tous ces braves avaient pris la fuite. MM. Girouard, Dumouchelle père et fils, le Dr. Masson, Féréol Peltier, Hubert, les Lorimier, O. Brien, B. Papineau et le révérend Messire Chartier s’étaient sauvés en toute hâte, chacun du côté qui lui semblait le plus sûr. Le général Girod ne fut pas le dernier à faire usage de ses jambes, mais sa mauvaise étoile semblait le poursuivre ; plusieurs fois il fut sur le point d’être arrêté par des habitans irrités de la lâcheté de celui qui les avait trompés ; mais sa facilité à improviser des mensonges le sauva et le tira des mains de ceux qui voulaient en faire justice et le livrer à Sir John Colborne. Girod, après avoir erré toute la journée du vendredi et du samedi, se rendit le dimanche chez un de ses ex-amis et partisans de la rivière des Prairies nommé Turcotte. Celui-ci ne se souciant point de le recevoir, crainte de se compromettre, Girod s’aperçut de sa froideur et partit de sa maison pour se rendre à la Pointe-aux-Trembles chez un ami intime nommé Laporte. Turcotte partit aussitôt pour Montréal dans l’intention de dénoncer l’endroit où se trouvait Girod ; il fut rencontré par les volontaires de la Longue Pointe, qui obtinrent de lui les renseignemens qu’il portait en ville, et se mirent à la recherche du fugitif pour l’arrestation duquel £500 étaient offerts. La maison de M. Laporte fut fouillée, mais Girod en était parti ; les volontaires le trouvèrent cependant à quelque distance du village, et Girod se voyant cerné et sur le point d’être pris, se fit sauter la cervelle avec un pistolet qu’il avait en main. Son corps fut transporté en ville et enterré sur la côte à Barron, à l’endroit où les 4 chemins se croisent. Ainsi périt cet homme dont les antécédens sont encore une énigme, et dont la vie en Canada fut une suite d’intrigues, d’agitation et de forfaits politiques.

Le révérend Chartier, les Lorimier et le Dr. O. Brien, prirent leur route par les concessions éloignées, se dirigeant sur Berthier. Ils traversèrent le fleuve à Sorel, ils se rendirent dans le Township du côté de Drummondville, et après bien des traverses, après avoir été même arrêtés trois fois et s’être heureusement évadés, ils parvinrent à se rendre sur le sol américain. Féréol Peltier s’y rendit aussi ; mais on ne sait par quelle voie. Tous les autres chefs furent arrêtés et conduits dans les prisons de Montréal.

Presque toute la paroisse de St-Benoît eut à souffrir considérablement du pillage ; les ornemens de l’église étaient riches et nombreux ; ils furent tous enlevés ; par la suite cependant on en a retrouvé quelques-uns ; mais la majeure partie est demeurée en mains étrangères. On a accusé les volontaires de St-André de la plus grande partie des désastres ; on dit qu’ils conservaient rancune aux habitans de St-Benoît, à cause de leurs querelles réitérées dans toutes les élections et surtout dans celle de 1834. Quoi qu’il en soit, il est un fait certain, c’est que le village de St-Benoît n’est plus qu’un amas de ruines.

Après la destruction de St-Benoît, la grande partie des troupes revint immédiatement à St-Eustache, et un détachement se rendit à Ste-Scholastique avec les volontaires de St-André. Sur la route ils réduisirent en cendres la maison de M. Jacob Barsallou et celles de M. Major, de la Belle Rivière.

Le village de Ste-Scholastique était dans la terreur, tous les habitans étaient dans des angoisses difficiles à peindre ; ils s’attendaient à voir leur village éprouver le sort de St-Benoît, car ils n’avaient que trop secondé les vues des chefs rebelles de celui-ci. Cependant le village fut épargné, à la sollicitation des loyaux de l’endroit, et les troupes, après s’être bien assurées que rien n’était plus à craindre de la part des rebelles, retournèrent à Montréal, laissant le comté du Lac des Deux Montagnes aussi calme et aussi épouvanté que, trois jours avant, il était agité et audacieux.

Son Excellence Sir John Colborne, à son retour du Grand Brûlé, ne s’arrêta qu’un instant à la Rivière du Chêne et se rendit immédiatement à St-Martin ; là se reposa quelque temps chez le curé, où MM. Paquin et Desèves eurent l’honneur de lui parler. Son Excellence les reçut très cordialement, et comme ces messieurs lui exposèrent qu’on menaçait de commettre de nouvelles violences à St-Eustache et de mettre le feu à de nouveaux édifices, Son Excellence eut la bonté de dépêcher des cavaliers avec des ordres exprès pour empêcher toute violence quelconque. Son Excellence eut même la complaisance de laisser un ordre semblable entre les mains de M. Desèves qui devait le montrer au commandant de chaque nouvelle troupe qui viendrait successivement à St-Eustache. La conduite de Sir John Colborne pendant toute cette campagne a été remplie d’une douceur admirable, et ses troupes, officiers et soldats, méritent de grands éloges ; il est malheureux que l’on ne puisse adresser les mêmes complimens à certains de volontaires.

Le 17. — Ce jour-là était un dimanche. La messe fut célébrée, mais bien tristement, dans une maison d’école ; le curé de Ste-Rose avait eu la complaisance de prêter les ornemens et tout ce qui était nécessaire pour le St-Sacrifice. La messe se dit au même lieu pendant quelque tems, après quoi on prépara la maison de M. [{{{1}}}]. Laviolette, de Montréal, qui l’avait généreusement offerte à M. Paquin. C’est encore le bas de cette maison qui sert de chapelle à St-Eustache ; le haut devait servir de presbytère, mais le frère de M. Laviolette qui l’occupait et devait aller s’établir à St-Jérôme, n’ayant pu s’y fixer, M. Paquin dut se pourvoir d’un autre presbytère et eut plusieurs fois à changer de maison, jusqu’à ce qu’enfin il alla s’établir dans la maison d’école.

On s’occupe maintenant à réparer le couvent de manière à ce qu’il puisse servir de chapelle en attendant que la libéralité du gouvernement mette à même de reconstruire l’église. Une partie de ces réparations s’est faite par souscriptions volontaires ; mais les habitans ruinés et épuisés par la guerre civile ne souscrivent que froidement ; M. Paquin est obligé de faire la majeure partie des frais.

La messe se disait pareillement dans une petite maison au Grand-Brûlé. M. Paquin et M. Desèves étaient chargés de la desserte de cette paroisse et ils étaient obligés de s’y rendre tour à tour, de la Rivière du Chêne, tous les dimanches et fêtes pour y faire l’office. Ce fardeau demeura sur leurs épaules pendant environ deux mois, jusque vers le milieu de février dernier ; alors M. Ménard, ci-devant vicaire à Berthier, se rendit à St-Benoît comme curé.

18. — Ce même jour dans l’après-midi, une requête fut dressée à la hâte, et le lendemain elle fut présentée par M. Paquin lui-même ; elle était conçue en ces termes : —

« À Son Excellence sir John Colborne, K. C. B. C. H., Commandant des Forces de Sa Majesté, en cette Province :
« Qu’il Plaise à Votre Excellence,

« L’humble requête des curés, vicaires et habitants de la Paroisse de St-Eustache, Rivière du Chêne expose respectueusement à Votre Excellence : Que la majorité des habitans de cette paroisse a toujours été loyale et attachée au gouvernement de la mère patrie. Que la presque totalité de ceux qui se sont trouvés dans la malheureuse émeute qu’ils déplorent et qu’ils détestent n’y ont été engagés que par contrainte, par menaces et par violence.

« Que le camp tenu par le Dr. Chénier a été totalement abandonné Dimanche, le trois du courant, sur l’injonction qui en avait été faite la veille par Wm. H. Scott, M. P. P., et Emery Féré, écuyer, lesquels, au péril de leur vie, avaient réussi à faire retirer chez eux tous ceux qui s’y trouvaient, de manière que le lendemain il n’était occupé que par un jeune homme de seize à dix-sept ans.

« Que ce n’est que par un rassemblement de personnes factieuses, étrangères à leur paroisse qu’ils ont pu y réunir, de nouveau, certain nombre de leurs co-paroissiens pour tenir leur position hostile au gouvernement : Qu’il est notoire que la presque totalité de leur village a toujours été regardée comme très loyale et pour cela maltraitée du parti factieux ; qu'à l’approche des rebelles, les citoyens ont été forcés de prendre la fuite, et qu’à leur retour ils ont à déplorer la ruine de leurs propriétés et qu’ils ne peuvent pas même en jouir encore pour la plupart, d’autres en ayant pris possession ; qu’en conséquence ils se trouvent dans le chemin sans aucun moyen de subsister.

« Qu’enfin ils prient Votre Excellence de recevoir l’assurance et la protestation de leur fidélité et de la faire agréer à Sa Très Gracieuse Majesté leur Reine, Victoria.

« Et les soussignés ne cesseront de prier pour la conservation des jours de Votre Excellence. »

Cette requête était couverte d’un grand nombre de signatures, quoique recueillies dans un seul jour. Son Excellence Sir John Colborne la reçut avec bonté, en parut très-satisfait, et donna immédiatement un ordre à M. Paquin pour faire rentrer les gens dans leurs propriétés, les engageant à s’y tenir paisibles et tranquilles et leur garantissant la protection des lois.

Les corps des malheureuses victimes de la rébellion étaient encore étendus dans les différens endroits où ils avaient reçu le coup de mort ; ce même jour ils furent ramassés et enterrés hors du cimetière ordinaire et sans cercueil. On en trouva 25 ; quelques-uns avaient été emportés par leurs parens. Trois autres corps furent enterrés tout dernièrement, le vingt-deux mars ; deux furent trouvés dans les décombres du presbytère et l’autre dans la maison seigneuriale ; il était impossible de les reconnaître, ils étaient presque entièrement brûlés.

Le 19. — La terreur régnait encore parmi les habitans de la Rivière du Chêne et plusieurs n’osaient encore rentrer dans leurs demeures. Son Excellence Sir John Colborne en ayant eu connaissance par M. Paquin, députa à St-Eustache deux magistrats de Montréal, M. de Rocheblave et M. Laframboise, qui s’y rendirent aussitôt. Ils arrivèrent à la ferme du domaine pour rendre visite à M. le curé Paquin, pendant qu’il était encore à Montréal ; M. Desèves était seul. Il les reçut du mieux qu’il lui fut possible dans la petite demeure où il était et se rendit avec eux au village. Ces deux messieurs écoutèrent avec patience les demandes qui leur furent faites, arrêtèrent la fougue de quelques volontaires de St-Eustache même, qui paraissaient un peu trop ardents et qui semblaient peut-être vouloir profiter des circonstances pour assouvir leurs animosités personnelles, commencèrent à faire renaître la confiance dans le gouvernement ; après cette visite, les habitans furent un peu rassurés et commencèrent à rentrer dans leurs demeures. Les deux magistrats s’en retournèrent le lendemain, emportant avec eux les bénédictions d’un grand nombre de personnes de St-Eustache. Ils se rendirent jusqu’à St-Benoît pour y rendre les mêmes services.

Le 20. — Deux officiers, M. Griffin, lieutenant du 32e régiment, et M. Ormsby, lieutenant des royaux, avec trente-deux hommes de troupe sous son commandement, furent envoyés à St-Eustache pour faire observer la paix et la tranquillité, désarmer les habitans, et faire remettre tous les effets qui avaient été enlevés dans le pillage. Ces deux Messieurs pendant leur séjour à la Rivière du Chêne remplirent leur devoir avec exactitude et gagnèrent l’affection de tout le monde, par leur patience et leur facilité à écouter les demandes et les raisons de tous ceux qui vinrent s’adresser à eux. Une annonce fut faite pour avertir les habitans de remettre leurs armes, en leur promettant que ces armes leur seraient rendues, sitôt que la paix et la tranquillité seraient rétablies et que la crise présente serait passée. Aussitôt après cette annonce, les armes furent apportées en grand nombre. On demanda aussi le serment de fidélité et tout le monde, sans exception, s’empressa de le prêter entre les mains de M. Eugène Globensky, magistrat et juge de paix de St-Eustache.

M. Griffin et M. Ormsby, pendant leur séjour à la Rivière du Chêne, reçurent plusieurs fois des marques de l’estime qu’on leur portait. Ils en partirent vers le milieu du mois de février dernier. Les citoyens du village ayant appris la nouvelle de leur départ, firent aussitôt signer des adresses pour leur témoigner le regret qu’ils avaient de les voir obligés de quitter St-Eustache, les féliciter de l’exactitude avec laquelle ils avaient rempli leur devoir, et pour les remercier des services importants qu’ils avaient rendus à la paroisse. Beaucoup d’effets pris et enlevés pendant les désordres qui avaient eu lieu, furent rendus aux véritables propriétaires par les ordres et les soins de M. le lieut. Griffin. Il est vrai qu’il en est resté encore beaucoup entre des mains étrangères, mais c’est parce que les pillards prirent des mesures pour les soustraire aux recherches qui en furent faites. M. Griffin se rendit jusqu’à St-Benoît, Ste-Scholastique et St-Jérôme pour y rendre les mêmes services qu'à St-Eustache, et mérita partout les mêmes éloges. Lorsque ces deux officiers quittèrent St-Eustache, la tranquillité y était parfaitement rétablie.

Nous ne devons pas oublier ici de parler de M. Chs. L. Dumont, seigneur et juge de paix, ainsi que de M. Eugène Globensky, aussi magistrat et juge de paix de la Rivière du Chêne. Ces deux messieurs contribuèrent à rétablir l’ordre et la tranquillité, et méritent certainement des éloges pour tous les services qu’ils ont rendus à leurs compatriotes dans cette occasion. M. Leclère, magistrat de Montréal, doit aussi avoir sa part de la gratitude des habitans de St-Eustache.

On a souvent prétendu que la majorité des habitans de la paroisse de St-Eustache avait toujours été loyale et attachée au gouvernement de Sa Majesté, c’est ce qui était marqué surtout dans une requête adressée à Son Excellence Sir John Colborne ; c’est pourquoi avant de terminer ce petit journal, nous allons donner quelques certificats authentiques qui le prouvent bien clairement. Le premier vient de M. Griffin, lieutenant du 32e régiment, qui a résidé assez longtemps à la Rivière du Chêne, où il a eu toutes sortes de renseignements, pour en parler avec connaissance de cause, dans les relations fréquentes qu’il a été obligé d’avoir avec les habitans. Nous produisons d’abord la lettre qu’il écrivit en réponse à M. Paquin à cette occasion, puis le certificat lui-même :


« Mon cher monsieur le curé,

« J’ai eu le plaisir de recevoir votre lettre du 16 courant, et je vous envoie ci-inclus le certificat de ce que je me trouve autorisé de déclarer de la loyauté de vos paroissiens.

« Je me souviendrai toujours avec beaucoup de reconnaissance des marques d’amitié et de civilité que j’ai reçues de mes amis de St-Eustache, pendant tout le temps de mon séjour dans ce village, et particulièrement de leur adresse au moment de mon départ ; et si mes devoirs me rappelaient jamais dans cette paroisse, je serais bien heureux.

« Ayez la bonté de saluer tous mes amis de ma part et croyez-moi,

« Mon cher curé,
« Votre ami,
« F. E. Griffin,
« Lieut. 32e Rég
« Montréal, 17 février 1838. »

« P. S. — J’ai écrit le certificat en anglais, si vous l’aimez mieux en français, écrivez-moi.

« F. E. G. »

«  After a residence of nearly two months in the Village of St-Eustache, during which time I had every opportunity of learning the political opinion and conduct of the people of the Village and Parish, it is my firm opinion and belief that a large proportion of the inhabitants (particularly those of the Village) have ever been loyal ; and that the Village was taken possession of by the Rebels of St-Benoit, Ste-Scholastique and St-Jérôme, and made the seat of their operations, as much te punish the loyal inhabitants of it, as from other causes.

(Signed) “ F. E. Griffin, 
“ Lieut. 32d Regt.

“ Montreal, 17th February 1838.”

Le second certificat que nous avons à produire est de M. Mercier, curé de St.-Martin, du capitaine Bélanger, de deux Messieurs Parizeau de la même paroisse, très connus par leur loyauté. Il est conçu en ces termes : —

« Nous soussignés, certifions que nous avons vu un grand nombre d’habitans de St-Eustache, au moins trois cents cinquante à quatre cents, répandus dans notre paroisse, fuyant la rébellion, que les gens de St-Jérôme, de St-Benoît, de Ste-Scholastique et quelques rebelles de St-Eustache exerçaient dans le village de St-Eustache. Outre un certain nombre de citoyens de cette paroisse retirés à Montréal, nous avons vu les capitaines Eustache Cheval, Julien Choquet, Maxime Globensky et Gabriel Lefebvre commandant des volontaires de leur paroisse et d’autre part.


(Signé) F. R. Mercier, ptre
F. P. Parizeau,
Louis Bélanger capt.
Joseph Parizeau.

«  St-Martin, 18 Mars 1838. »

Nous pourrions citer encore plusieurs autres certifi, cats sur la même matière, mais nous nous bornons à ceux-ci, parce que nous les croyons plus que suffisants. Nous ne nous permettrons aucune réflexion après des preuves aussi claires : il suffit de dire que la loyauté de la majorité des habitans de St-Eustache est suffisamment prouvée pour qu’on ne la révoque pas en doute. Néanmoins nous allons ajouter à ces preuves, en donnant le retour des capitaines de milice de St-Eustache.

RETOURS DES CAPITAINES DE MILICES.

La compagnie de M. Gabriel Lefebvre, capt. du Sud de la Petite Rivière du Chêne, contient 73 miliciens répartis ainsi : —

49 loyaux, dont 17 volontaires, — 26 rebelles, — 25 majorité de loyaux,

La compagnie de M. Basile Julien Choquet, capt. du Nord de la Petite Rivière du Chêne et de la Petite côte St-Louis, renferme 97 miliciens, répartis comme suit :

83 loyaux, dont 19 volontaires, — 14 rebelles, — 69 majorité de loyaux.

La compagnie de M. G. Phillips, du village, capt. de la Côte des Anges, Côte St-Jean, Côte St-Augustin et du Petit Chicot, contient 122 miliciens, ainsi répartis :

103 loyaux, dont un volontaire, — 19 rebelles, — 84 majorité des loyaux.

La compagnie de M. Gentle, marchand du village, capt. du Grand Chicot et de la côte St-Charles, est composée de 126 miliciens répartis comme suit :

66 loyaux, dont un volontaire, — 21 rebelles, — 45 majorité des loyaux auxquels on peut ajouter 38 patriotes modérés qui ont pris la fuite pour ne point prendre part à la révolte.

La compagnie de M. Dorion, capt. de la Grande Côte et de la partie sur le Lac, renferme 92 miliciens dont :

72 loyaux, parmi lesquels 1 volontaire, — 20 rebelles, — 52 majorité des loyaux.

La compagnie dont M. W. H. Scott, M. P. P., était capt., est composée de 132 miliciens ainsi répartis :

87 loyaux, dont 20 volontaires, — 30 rebelles, — 57 majorité des loyaux auxquels on peut ajouter 15 patriotes modérés qui ont pris la fuite pour ne point prendre part à la rébellion.

La compagnie de M. Eustache Cheval dit St-Jacques, capt. du Petit Brûlé, de la Côte St-Louis, des Corbeilles et des Bouchards, renferme 137 miliciens, ainsi répartis :

78 rebelles — 59 loyaux, dont 17 volontaires — 19 majorité des rebelles.

Dans cette partie du Petit Brûlé il n’y avait, au mois de juin dernier, sur le retour du capt. Cheval, que trois reconnus comme tels ; mais comme les habitans de ces Côtes sont proches de St-Benoît et de Ste-Scholastique, ils eurent à essuyer beaucoup de persécutions et d’avanies de la part de leurs voisins : on se porta même jusqu’à tirer plusieurs coups de fusil dans les maisons de deux habitans respectables[3] en haine de leur politique ; on brisa des granges et des clôtures ; on faisait presque continuellement des processions nocturnes pour inquiéter les loyaux ; on mutilait leurs animaux ; enfin on les persécuta tellement que plusieurs furent assez intimidés par les menaces et les exemples qu’ils avaient sous les yeux, qu'à la fin ils se rangèrent du côté des rebelles.

De tous ces retours il résulte qu’il y a à St-Eustache 479 miliciens, parmi lesquels 520 loyaux, dont 76 volontaires qui accompagnèrent les troupes dans leur expédition, 206 rebelles, 53 patriotes modérés ; ce qui laisse en faveur des loyaux une majorité de 314. Comme on prétend dans quelques papiers publics et certaines conversations que tous les patriotes soient des rebelles, accordons leur pour un instant ce qu’ils désirent et réunissons dans ce calcul, avec les rebelles, les patriotes modérés qui ont pris la fuite pour ne point prendre part à la rébellion, il restera toujours à la Rivière du Chêne en faveur des loyaux une majorité de 261. Les retours que nous donnons ici nous ont été livrés par les capitaines eux-mêmes, et c’est d’après leur propre témoignage et celui de plusieurs personnes loyales et respectables qu’on y a fait la distinction des loyaux et des rebelles.

Depuis assez longtemps on disait que le gouvernement indemniserait les loyaux sujets qui avaient souffert des pertes pendant la rébellion ; plusieurs même s’étaient adressés aux autorités pour avoir des informations à cet effet ; on leur avait toujours donné à espérer. Enfin tout dernièrement est sorti un avertissement par ordre de Son Excellence l’Administrateur de la province qui donne beaucoup à espérer. Nous le donnons ici mot pour mot.

“ Government House,
“ Montreal, 7th March 1838.

“ Persons desirous of applying for indemnification for losses they may have sustained during the Revolt in the District of Montreal, are required te furnish detailed statements of the property lost — correct estimates of its value and certificates of the manner in which it was destroyed — with proofs verifying the whole, and respectable references as to their conduct and character.

“ On these documents being forwarded te the Civil Secretary, the cases of the claimants will be taken into consideration by the Executive Government.

“ By command of His Ex., &c.,
“ W. A. Rowan,
“ Civil Sec.”

Aussitôt qu’on eut connaissance de cet avertissement à la Rivière du Chêne, tous les loyaux sujets qui avaient souffert des pertes pendant la rébellion firent leurs comptes et se procurèrent des certificats de leur loyauté et de leur bonne conduite. Ils prirent des estimateurs qu’ils payèrent à leurs frais et remirent leur estimation entre les mains du secrétaire civil. Enfin, dans ce moment-ci, tout le monde se repose sur la générosité du gouvernement et sur la bienveillance de Son Excellence, et l’on dit ouvertement que c’est probablement l’intention des autorités d’employer une partie des fonds disponibles de la province pour réparer les pertes qu’ont encourues les loyaux sujets, en conséquence d’une rébellion à laquelle ils ont résisté de tout leur pouvoir et en récompense de leur fidélité au gouvernement de S. M.

On a aussi fait une estimation de l’église de St-Eustache, de la sacristie, du presbytère et des dépendances, des ornements et des vases sacrés, ainsi que du couvent des sœurs, et une requête a été adressée à Son Excellence l’administrateur de la province ; elle est conçue en ces termes :

« À Son Excellence Sir John Colborne, administrateur du Bas-Canada et commandant des forces de Sa Majesté dans les deux provinces, etc.
« Qu’il plaise à Votre Excellence :

« L’humble requête des curés et marguilliers de l’œuvre et fabrique de la paroisse de St-Eustache, comté du Lac des Deux Montagnes, district de Montréal, expose respectueusement à Votre Excellence :

« Que leur église, sacristie, presbytère, couvent et leurs dépendances, sont devenus la proie des flammes dans la rébellion du 14 décembre dernier.

«  Que leur paroisse se trouve maintenant sans temple et sans édifices paroissiaux, et dans l’impossibilité de les relever seule, ruinée qu’elle est par le pillage et par la perte de temps que la plus grande partie des habitans ont soufferte en se tenant cachés loin de leurs demeures pour mettre leur loyauté à l’abri de la révolte.

« Que la grande majorité de leurs co-paroissiens a toujours été loyale et que c’est à cause de cette loyauté qu’ils ont souffert depuis mil huit cent trente-quatre bien des persécutions et des avanies, comme l’attestent les papiers publics. Que c’est pour cette raison que des rebelles étrangers à cette paroisse sont venus s’emparer de ce village, disant qu’il valait mieux exposer des loyaux que des patriotes.

« Que pour écraser la rébellion dans ce comté, les troupes de Sa Majesté ont été accompagnées d’un grand nombre de volontaires de cette paroisse.

« Les humbles pétitionnaires en appellent à la justice de Son Excellence pour qu’elle décide s’il est raisonnable qu’une paroisse porte à elle seule tout le poids des malheurs, tandis qu’il y en avait tant de plus coupables. Ils sollicitent de plus son attention pour qu’elle examine si une indemnité accordée sur les fonds disponibles de la province ne serait pas un moyen équitable de soulager les malheureux, sans nuire à ceux qui n’ont rien souffert.

« Pourquoi, vos suppliants prient Votre Excellence de vouloir bien prendre leur requête en considération ; ils reposent la plus grande confiance dans la bonté de Votre Excellence, et ils osent espérer de sa générosité qu’elle leur accordera une indemnité suffisante pour remettre ce qu’ils ont perdu dans sa première splendeur, et, dans ce temple relevé par votre générosité bienveillante, votre nom y sera béni, on y fera des vœux pour la conservation des jours précieux de Votre Excellence, et pour la prospérité du gouvernement de notre très gracieuse Reine Victoria.

(Signé) C. L. Dumont, J. P.
témoins.
F. E. Globensky, J. P.
C. G. O’Doherty, médecin,
sa
Jérôme X Latoure,
marque
sa
Jean-B X Proulx,
marque
sa
Pierre X Filion,
marque
J. Paquin, Ptre. »

Cette requête était suivie du certificat suivant :

« Nous soussignés certifions de la loyauté et de la probité intègre des signataires de la requête ci-annexée.

« St-Eustache, 5 avril 1838.

Chs. L. Dumont, J. P.
Chs. G. O’Doherty, médecin.
J. Bowie, médecin.
James Gentle, merchant.
F. E. Globensky, J. P.
F. Q. Desèves, Ptre.
S. Mackay, major et notaire."

On dit aussi que l’église du Grand Brûlé sera bâtie par la générosité du gouvernement, et dans ce moment-ci des ouvriers sont occupés à St-Benoît à faire l’estimation de l’église, sacristie, presbytère et dépendances.

 
FIN.
  1. M. Chartier fut interdit par Mgr Lartigue, év. de Montréal, après une enquête en forme faite publiquement à St-Benoît par Mgr Bourget, év. de Telmesse et coadjuteur. Il fut ensuite proscrit par lord Durham, et se réfugia aux États-Unis, où il exerça le ministère dans le diocèse de Vincennes. Il avait alors 71 ans. Il parlait bien, dit l’abbé Paquin dans ses mémoires inédits, et accompagnait souvent les évêques dans leurs visites pastorales. — C. A. M. G.
  2. C’est cet incident qui a fart dire tant de fois que M. Gugy était entré à cheval dans l’église de St-Eustache. — C. A. M. G.
  3. Joseph et Eustache Cheval dit St-Jacques. Tout le monde se rappelle encore de ce qui était rapporté de ces désordres dans les papiers publics, et on se souvient bien que ces coureurs de nuit poussèrent leurs fureurs politiques jusqu’à démolir la grange de M. Paquin qui se trouve dans le Petit Brûlé.