Éditions Édouard Garand (p. 53-58).

XIII

MYSTÉRIEUSE MISSIVE


D’Aubières, en rentrant dans la cuisine des Ledoux, dit vivement à Lambruche :

— Mon cher ami, vous avez entendu Montgomery : « que Cardel et Lady Sylvia à la tête de leurs partisans pourraient, demain, être armés contre nous » ? Eh bien ! Lambruche, il faut arrêter Cardel et Lady Sylvia.

— C’est bien, monsieur, je vais les arrêter ! répondit le capitaine. Et sans plus, il sortit.

Maurice se tourna vers Mirabelle.

— Et vous, mon aimée, il faut retourner au domicile de votre père où je vais vous accompagner. Vous avez besoin de repos. Quant à moi, je me rendrai ensuite chez le major Harrisson qui, avec quelques soldats de la garnison, nous demeure fidèle, et je m’entendrai avec lui sur les dispositions à prendre demain matin. Je veux aussi l’informer de la présence de Montgomery dans nos murs.

Mirabelle acquiesça aux désirs du jeune chef, et tous deux, ayant souhaité bonne nuit à Ledoux et à sa femme, s’en allèrent.

— Tout de même, balbutia la mère Ledoux une fois qu’elle se vit seule avec son époux, si l’on n’a point fait un rêve, Sévère, on n’en était guère loin !

— Rêve ou pas, Arménie, répliqua le père Ledoux encore tout ahuri par la scène qui venait de se dérouler, faut avouer que ce Monsieur Montgomery a de la moelle dans les os !

— Quel homme ! fit admirativement la mère Ledoux. Et quand je le compare à Monsieur Maurice et Monsieur Maurice à l’autre, je ne peux pas faire autrement que de me dire qu’ils sont bien faits tous les deux pour se tenir tête !

— Oui, mais à présent, comme tu le vois, l’Américain n’est pas sur un lit de roses. Demain, quand son armée apprendra qu’il est prisonnier dans la ville, ça va faire un drôle d’effet, et le général le sait bien. Ça me dit que toute son armée va se trouver découragée.

— Faut pas s’y fier. Ça pourrait être le contraire qui arrive, et les Américains ne voudraient pas s’en retourner chez eux sans avoir délivré leur général.

Le père Ledoux branla la tête sans répliquer. Depuis un moment, tout en bâillant à pleine bouche, il retirait ses bottes. La mère Ledoux remettait la pièce à l’ordre.

Une heure de nuit sonna.

— Ah !… une heure… fit l’ouvrier en consultant une pendule. Je crois bien qu’on va se coucher, si l’on veut être solides sur pieds demain matin.

— Oui, approuva sa femme. Avec ça qu’il va falloir nous lever de bonne heure. Il va falloir faire le fricot des enfants, aller à la messe, et puis… Bon ! grogna-t-elle, on a oublié de verrouiller la porte.

— Vas-y dit l’homme en pénétrant dans une pièce voisine qui était la chambre à coucher des deux époux.

La mère Ledoux avait prit un bougeoir et s’engagea dans le passage. Elle s’arrêta aussitôt en découvrant un papier sur le plancher. Elle releva ce papier et le considéra avec surprise.

— Qui aurait bien pu perdre ça ? se demanda-t-elle.

Pensive, elle alla verrouiller la porte extérieure et revint dans sa cuisine.

— Sévère, cria-t-elle, viens voir ce que j’ai trouvé !

Elle dépliait le papier et y apercevait une grosse écriture tracée en langue anglaise.

Le père Ledoux parut dans la cuisine en camisole de nuit, pantoufles aux pieds, bonnet rouge sur la tête.

— Eh bien ? fit-il interrogativement en s’approchant.

— Regarde !

— Un papier ? Ah ! ah !

Il l’examina. Mais comme il ne pouvait, pas plus que sa femme, déchiffrer cette langue qui lui était étrangère, il lui vint cette idée qu’il exprima ainsi :

— Ce qu’il y a de clair dans tout ça, Arménie, c’est que ce papier n’a pu être perdu que par le général anglais.

— Je le pense aussi.

— Et moi je le crois, parce que je lis ces deux lettres majuscules R. M.

— Richard Montgomery ! s’écria la mère Ledoux. Ah ! dis-moi donc, Sévère, si c’était un secret que cette épître ?

— Ça doit en être un !

— Faut alors porter ça à Monsieur Maurice, Sévère. Rhabille-toi au plus vite et cours autant que tu pourras !

L’ouvrier n’hésita pas. L’instant d’après il partait à la recherche de Maurice. Sa femme lui avait dit :

— Monsieur Maurice est allé reconduire sa fiancée, tu arriveras peut-être à temps pour le rejoindre là !

En effet, l’ouvrier trouva Maurice au moment où il allait se séparer de Mirabelle à la demeure de celle-ci.

Le jeune homme prit vivement le papier que lui tendait le père Ledoux et se mit à le parcourir du regard en le traduisant au fur et à mesure :


« Au Brigadier
James Livingston. »

« Je suis prisonnier dans la ville. J’ai trouvé la place bien armée, bien défendue et largement approvisionnée. Inutile d’attaquer. Ordre de retraiter demain et de regagner les frontières où je vous rejoindrai… »

R. M.

— Nous sommes sauvés ! cria Mirabelle avec joie.

— Oui, nous l’aurions été si Montgomery avait eu l’opportunité de faire parvenir ce message à son brigadier.

— Mais qui nous empêche de lui rendre ce service ? suggéra Mirabelle.

— Bien, c’est vrai.

— Je me charge de cette mission, Maurice.

— Toi ?

— Pourquoi pas ?

Un moment Maurice demeura songeur. En y pensant bien, ce message trouvé chez Ledoux présentait quelque chose de bizarre. Avait-il réellement perdu ou échappé par mégarde. Ou avait-il été laissé là par exprès ? Était-ce un piège ? Non, pensait le jeune homme, car le piège était trop apparent. Montgomery avait probablement l’espoir d’envoyer cette dépêche cette nuit. Oui, ce papier a dû tomber d’une de ses poches à son insu. Il est trop intelligent pour avoir omis qu’un tel papier laissé ici par exprès n’aurait pas manqué de nous mettre sur nos gardes. Je serais donc étonné qu’il y eût là un stratagème de sa part. Cet ordre à son armée de retraiter est tout à fait logique, car il n’ose pas attaquer notre ville. Il n’a pas les forces suffisantes et il redoute un honteux et désastreux échec. J’en suis d’autant plus certain qu’il a tout tenté pour nous rallier à lui. Je suis sûr qu’il ne se serait pas donné tant de peines s’il avait été en état de faire le siège.

Maurice décida donc, après cette réflexion, de faire parvenir le billet à son destinataire, quoi qu’il dût arriver.

— Soit, Mirabelle, tu vas porter ce message au brigadier Livingston, mais je vais t’accompagner.

— Bravo, Maurice ! s’écria joyeusement la jeune fille.

— Mademoiselle, dit le père Ledoux, je suis un ancien batelier, je conduirai la barque, si vous voulez ?

— Certainement, consentit D’Aubières. Allons, une lanterne, et partons !

Ce fut après avoir franchi la poterne de la rue St-Pierre que les trois personnages se dirigèrent rapidement vers une embarcation qui se balançait sur les eaux sombres dont on entendait le clapotis. Le vent était tombé, mais le fleuve demeurait encore légèrement moutonneux.

Disons que le camp principal des Américains se trouvait sur la rive opposée et en partie masqué par l’île Sainte-Hélène. Les feux de l’ennemi étaient éteints, et le ciel, toujours couvert, faisait la nuit très noir, de sorte qu’on ne pouvait voir ni la rive opposée ni l’île. On allait dans une noirceur d’encre que la lanterne trouait bien faiblement. À la vérité, il était impossible de se diriger sûrement. Le père Ledoux maniait les avirons, et Maurice tenait le falot, essayant de percer de ses yeux l’obscurité.

— Il vaut mieux éteindre cette lanterne ! s’écria le père Ledoux. Nos yeux pourront peu à peu s’habituer à la noirceur.

— Vous avez raison, dit Maurice.

Il souffla le falot.

Peu après l’écume des eaux moutonneuses jetait dans un certain rayon une blancheur diffuse. Au bout de dix minutes Maurice et le père Ledoux purent découvrir à une certaine distance une ligne sombre à l’effleurement de l’eau.

— Voilà l’île Sainte-Hélène ! dit le père Ledoux. Nous allons tirer par la droite, raser l’extrémité de l’île, puis filer autant que possible tout droit. Nous allons certainement atterrir tout proche du camp ennemi.

— Vous vous y connaissez, acquiesça Maurice, allez !

Mirabelle gardait le silence, et s’abandonnait avec confiance contre l’épaule de Maurice qui l’enserrait tendrement de son bras gauche.

Ce fut sans encombre qu’une demi-heure après leur départ nos trois personnages mirent pied à terre sur la rive opposée.

Alors seulement le falot fut rallumé pour permettre à nos amis de chercher un chemin ou un sentier qui les conduirait vers le camp.

Mais tout à coup un qui-vive partit de fourrés voisins.

— Ordre du général Montgomery ! cria aussitôt D’Aubières en excellent anglais.

Et en même temps il élevait sa lanterne pour essayer de voir devant lui.

Une sentinelle s’approcha avec précaution et s’arrêta à quelque distance.

— Que voulez-vous ? demanda-t-elle avec défiance.

— Voici, répondit Maurice, mademoiselle que le général a chargée d’un message pour le brigadier Livingston… si vous voulez nous conduire ?

— C’est bien, dit la sentinelle. Donnez-moi votre lanterne, mais mademoiselle me suivra seule ; vous et votre compagnon demeurerez ici !

— Parfait ! consentit D’Aubières.

Il savait fort bien, comme Mirabelle elle-même, que la jeune fille ne courait aucun risque.

Mirabelle s’engagea donc dans un sentier étroit et tortueux sur les pas de son guide.

Un quart d’heure se passa. Puis Maurice vit la lueur de la lanterne s’agiter au travers des fourrés, et l’instant d’après Mirabelle revenait avec la sentinelle.

De suite nos trois amis sautèrent dans leur embarcation et s’éloignèrent de la rive.

— Eh bien ? fit alors D’Aubières interrogativement.

— Tu dois deviner, répondit Mirabelle souriante, que j’ai en tous points rempli la mission que m’avait confiée Monsieur Montgomery.

— Mais le brigadier… l’as-tu vu ?

— Si je l’ai vu… mais il a été même très aimable. Seulement, il a paru fort désappointé après avoir lu la missive. Il a même marmotté un ou deux jurons.

D’Aubières se mit à rire.

— Décidément, dit-il, Monsieur Montgomery se sera joué un bon tour sans l’avoir voulu. N’ayant pu faire parvenir son message et ayant découvert qu’il l’a perdu, il va tout bonnement s’attendre à l’attaque de la ville par ses troupes.

— Tiens ! fit tout à coup le père Ledoux qui faisait face à la rive qu’on venait de quitter, qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ?

Instinctivement, Maurice et Mirabelle se retournèrent et de suite ils aperçurent la rive illuminée par les feux de bivouac que rallumait l’ennemi.

— Allons ! s’écria D’Aubières avec ironie, il faut reconnaître que monsieur Livingston est un fidèle soldat. Il exécute les ordres reçus. Il ordonne la retraite, et pour voir clair il fait rallumer les feux. Bravo ! Monsieur Montgomery est joué !…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Pendant ce temps-là, Lambruche suivant l’ordre qu’il avait reçu de son chef, entourait la maison de Lady Sylvia d’un bataillon de volontaires et lui-même allait frapper à la porte.

Tout était silence et obscurité.

Il fallut que le capitaine frappât trois fois et plus fort chaque fois pour obtenir une réponse.

À la fin une craintive soubrette vint ouvrir.

— Je désire parler à Lady Sylvia, dit Lambruche.

— Elle n’est pas ici, répondit la soubrette.

— Non ? N’importe ! j’entre, je m’étends sur un canapé et je l’attends tout en dormant un somme.

Et Lambruche fit comme il disait. De sorte que la soubrette avait à peine eu le temps de refermer la porte que le capitaine s’était déjà allongé sur un divan dans le vestiaire.

La soubrette se retira, amusée ou stupéfaite.

Lambruche somnolait béatement, ou du moins il en avait l’air.

Une lampe suspendue au plafond éclairait faiblement le lieu. Au bout de quelques minutes, une porte fut ouverte sans bruit, un homme s’avança de trois pas sur la pointe des pieds, tendit un bras armé d’un pistolet dans la direction du milicien et fit feu.

Lambruche sauta en l’air, retira son feutre et l’examina ; une balle l’avait percé.

Mais l’homme jetait un juron, lançait son pistolet fumant au loin, et armé d’une épée se ruait contre le capitaine.

Et cet homme était Cardel.

Lambruche éclata de rire, et de suite sa rapière heurta avec violence l’épée de l’émissaire. Cardel n’était certainement pas de force à tenir devant la rapière agile de Lambruche, aussi fut-il contraint, pour ne pas se voir percé de part en part, de reculer.

Dehors, un bruit terrible se faisait entendre. En effet, les volontaires de Lambruche, ayant entendu le coup de feu, assiégeaient la maison et tentaient d’enfoncer les portes de chêne fortement verrouillées.

Cardel, après avoir attaqué, se tenait à présent sur la défensive, et Lambruche ferraillait avec une telle rapidité que son adversaire était déjà hors d’haleine. Lambruche le poussait contre un mur où il allait à coup sûr l’y clouer. En effet, peu après Cardel se voyait acculé au mur…

À ce moment précis, la porte par laquelle l’émissaire était venu encadra la silhouette livide de Lady Sylvia. Mais c’était aussi une terrible Lady Sylvia, à voir l’éclat fulgurant de ses yeux, mais à voir surtout le pistolet qu’elle tenait dans sa fine main. Et elle ajusta Lambruche…

Celui-ci du coin de l’œil venait d’entrevoir la jeune femme. Il comprit que sa vie était au bout du pistolet qui le menaçait. Il fit une feinte, puis un bon en arrière, un autre bond de côté… Cardel, qui n’avait pas paru voir la jeune femme, essaya un coup mortel contre le capitaine… Mais à cette seconde le coup de pistolet partait, et Cardel, et non Lambruche, atteint d’une balle dans la nuque s’affaissait dans une mare de sang. Cardel était mort.

Les volontaires venaient d’enfoncer la porte extérieure et se précipitaient dans le vestiaire en poussant des cris. À la vue de Lambruche, sain et sauf, ils se calmèrent…

Alors le capitaine voulut leur désigner Lady Sylvia… La jeune femme n’était plus là !

— Fouillez la maison ! commanda Lambruche.

Les volontaires se dispersèrent par toute la maison.

Devant le cadavre de Cardel, le capitaine se disait :

— Voilà une mort à laquelle il ne s’attendait certainement pas, le pauvre diable : se faire tuer par sa maîtresse qui voulait le défendre ! C’est égal… voilà bien une histoire qui me fera rire le reste de ma vie !

Et il se mit à ricaner sourdement en bourrant son calumet.

Lorsque dix minutes plus tard ses hommes vinrent l’informer que toutes les pièces de la maison étaient désertes, Lambruche esquissa une grimace de désappointement et dit, sur un ton bourru :

— C’est clair comme le jour que Lady Sylvia avait une porte secrète pour sortir. Allons ! plus rien à faire… marche !

Le bataillon quitta les lieux sans s’occuper du cadavre de Cardel.

Il était deux heures et demie.

La ville reposait depuis plus d’une heure et partout s’était fait le silence. Mais voilà qu’au moment où Lambruche avec son bataillon quittait la maison de Lady Sylvia s’élevait un grand brouhaha du côté des fortifications, puis des cris de joie envahissaient l’espace, et des coups de feu éclataient. En moins de cinq minutes toute la cité se retrouvait sur pied, et à nouveau la nuit s’emplissait de clameurs. Mais ni colère ni effroi dans ces clameurs… de la joie !

Qu’est-ce que cela voulait dire encore ?

Lambruche commanda le pas accéléré. Mais peu après des citadins annonçaient à tue-tête que les troupes américaines avaient abandonné leur campement et, avec armes et bagages, reprenaient la route de leur pays. La ville était sauvée !…

Lambruche n’en pouvait croire ses oreilles.

Sur la Place du Marché le peuple, réuni pour la cinquième ou la sixième fois ce jour-là, venait de rallumer le bûcher, et tout autour l’on criait, riait et dansait. Les miliciens se mêlaient au peuple. Tous les postes des remparts avaient été abandonnés, on avait même défait quelques barricades dont les pièces servaient à alimenter le feu du marché. Les miliciens jetaient leurs fusils devenus inutiles. À quoi bon s’encombrer du flingot, les Américains s’en allaient !

Lorsque Lambruche arriva sur la Place, la foule y était si compacte qu’il dût s’arrêter. Le franchir eût été impossible, car cette foule formait un véritable mur que le canon eût eu peine à démolir. Plus loin, et trop loin de lui, sur une estrade élevée à la hâte et autour de laquelle s’agitait bruyamment la populace, on découvrait les silhouettes de Maurice et de Mirabelle… Mirabelle toute radieuse. Maurice faisait de grands gestes pour commander le silence. Enfin, le peuple se calmait.

— Amis canadiens, criait D’Aubières, le général Montgomery, prisonnier en nos murs, a donné ordre à son armée de reprendre le chemin de la frontière !

Des hourras éclataient.

Puis Maurice pouvait encore se faire entendre pour narrer en peu de mots comment Mirabelle avait porté la dépêche de Montgomery au brigadier Livingston.

La population se mit à acclamer Mirabelle à grands cris. Puis elle acclama D’Aubières… le Canada… le roi Georges… l’Angleterre.

Quelqu’un ayant prononcé trop haut le nom de Montgomery, toute la masse hua le nom.

— Qu’on trouve le général américain, cria un artisan d’une voix de stentor et qu’on le jette par-dessus les remparts afin qu’il aille rejoindre ses fuyards !

Maurice parvint à calmer une fois encore le peuple pour lui dire :

— Canadiens, maintenant que tout danger est disparu, il n’est que juste que nous prenions un peu de repos. Mais demain, après la sainte messe, nous célébrerons dignement cet événement !

On approuva ces paroles en tempête.

Malgré les explications données par Maurice, Lambruche ne semblait encore rien y comprendre.

— Je pense que tout ce monde est fou, grommelait-il à part lui, et Monsieur Maurice aussi. Les Américains partis… repartis pour leur pays… ça, quand on est venu de si loin pour prendre des villes et un pays ?

Il aurait bien voulu pouvoir approcher de l’estrade, mais c’eût été folie que d’essayer. Du reste, peu après Maurice et Mirabelle quittaient cette estrade et disparaissaient.

À son tour et peu à peu, le peuple quitta la place pour rentrer dans ses foyers, et une demi-heure après il ne restait plus autour du feu mourant que quelques groupes épars et peu bruyants.

Alors Lambruche, qui était demeuré abîmé dans une profonde méditation, cria à son bataillon :

— Plus rien à faire, les amis… chacun à son caboulot !

Et, sans s’inquiéter, il se mit à descendre de son pas traînant la rue Notre-Dame. Il se disait :

— Le père Ledoux va me dire, lui, ce qui en est !

La ville retombait dans le silence. Les réverbères s’éteignaient faute d’huile. La nuit devenait de plus en plus noire. Là-bas vers la rive Sud l’on ne découvrait plus les lueurs des feux de bivouac du campement ennemi, ni au sud-est ni à l’est, comme si déjà les troupes américaines s’en étaient allées armes et bagages et sans tambour ni trompette. Mais leur général ?

Oui, le général Montgomery… qu’était-il devenu ?

Il se trouvait à ce moment en compagnie de Lady Sylvia, chez le major Harrison qui venait de passer brusquement du parti de D’Aubières à celui de Montgomery.

Et voici ce que disait Montgomery d’une voix douce et pleine de conviction et de triomphe :

— Donc, demain nous serons les maîtres de cette cité !

Et son sourire se fit si ironique, si humoristique, que Lady Sylvia ne put empêcher le plus beau rire d’éclater sur ses lèvres…