La pomme de terre, considérations sur les propriétés médicamenteuses, nutritives et chimiques de cette plante/3
CHAPITRE IIIL.
PROPRIÉTÉS MÉDICAMENTEUSES DE LA POMME DE TERRE.
L’aspect sinistre de cette plante, son odeur noseuse dans l’état frais, et surtout lorsqu’on la froisse, semblent d’abord y dénoter des propriétés délétaires, analogues à celles de la plupart des solanées ; mais cette odeur qui se fait fortement sentir dans les fruits lorsqu’on les écrase, et que les tubercules conservent avec un caractère particulier, surtout lorsqu’ils sont réunis en certaine quantité dans un même Lieu, devient presque insensible dans ces derniers si on les considère isolément, et finit même par presque totalement disparaître par la coction ou la dessication qui ne leur laisse plus qu’une saveur purement farineuse ; il a été reconnu, en chimie, qu’une matière animale et une substance résineuse sont les seules parties de la pomme de terre qui soient odorantes. Ce sont elles qui donnent à ce tubercule l’odeur et la saveur qui le caractérisent ; et je ne crois pas qu’il soit possible de déterminer, par des expériences cliniques, la manière dont elles pourraient agir sur l’économie animale.
Son odeur vireuse et son analogie avec plusieurs autres plantes de la même famille avaient d’abord donné lieu de croire, qu’à l’exemple de la plupart de ses congénères, cette solanée possédait des propriétés narcotiques ou stupéfiantes, et que par conséquent elle était anodine, calmante, répercussive ; mais ces propriétés, si toutefois elle les possède, y sont si faiblement prononcées, que chaque jour une quantité d’animaux, tels que les vaches et plusieurs autres, dévorent, sous nos yeux et même avec une espèce d’avidité, ses feuilles et ses tubercules, sans en ressentir le moindre inconvénient.
On a pourtant recommandé l’usage de ses sommités et même de ses feuilles, comme calmantes et stupéfiantes, en applications extérieures, soit en décoction, soit sous forme de cataplasme, contre les contusions, les diastases, les entorses, les luxations et autres lésions locales accompagnées de douleur ; on s’en est de même servi, dans certaines circonstances, contre la brûlure, les chancres et les cancers ; mais on n’est pas encore assez certain de leurs effets narcotiques, et leurs succès dans les affections que je viens d’indiquer ne sont pas prouvés par des témoignages basés sur un assez grand nombre d’observations pour qu’on puisse y recourir avec confiance, de préférence à la morelle, à la belladone, et à plusieurs autres solanées dont les propriétés narcotiques ne sont point contestées.
Je passerai sous silence la prétendue vertu lithontriptique que plusieurs personnes attribuent à cette plante, parce qu’elle n’a jamais été prouvée par aucune expérience clinique ; mais si mon témoignage pouvait être de quelque considération auprès de mes concitoyens, j’oserais certifier que la gomme transparente que l’on obtient par la dessication de la gelée que forme la fécule de pomme de terre avec l’eau bouillante, offre toutes les propriétés de la gomme arabique, et peut être employée aux mêmes usages économiques, médicaux et pharmaceutiques ; et que le sirop de la même fécule, obtenu par l’acide sulfurique, est un excellent dépuratif du sang ; car je l’ai vu, administré à des doses convenables, faire disparaître entièrement et en peu de jours des maladies syphilitiques, même très-invétérées. Ce sirop, fabriqué par le gluten, ne produit pourtant point le même effet : ce qui porterait à croire que cette vertu lui vient moins des propriétés du végétal, que de l’acide sulfurique employé pour la décomposition de la fécule.