La photographie aérienne par cerf-volant/4

IV.

Moyen d’atteindre une plus grande hauteur en associant un second cerf-volant à celui qui porte l’appareil.

Nous avons indiqué la manière de construire le cerf-volant, de lui associer une chambre noire à obturateur automatique, enfin de le faire monter dans l’espace. Quelle hauteur un cerf-volant peut-il atteindre ? Telle est la question que nous voudrions étudier maintenant.

Un cerf-volant d’une dimension connue ne peut enlever qu’un poids donné. Ce poids sera indifféremment réparti sur sa charpente, sur les appareils qu’il emporte ou sur la corde qui le retient, mais il ne pourra être dépassé. Cela est si vrai que, si nous lançons un cerf-volant, nous le verrons monter jusqu’au moment où la corde que nous lui aurons donnée atteindra le poids qui représente sa charge maxima. À partir de ce moment, il pourra bien s’éloigner, mais ce sera horizontalement, il aura cessé de monter. Il ne faudrait pas croire qu’avec un cerf-volant de très grande dimension il fût possible d’atteindre une plus grande hauteur. La résistance de la corde à la traction doit être proportionnelle à la surface du cerf-volant. Le rapport entre son poids et la dimension du cerf-volant ne pourra donc varier que dans des limites très étroites. Heureusement que l’on a trouvé un moyen ingénieux de tourner la difficulté. Le journal la Nature, du 16 juillet 1887, contient un article sur les cerfs-volants, de M. Colladon, qui donne ce moyen. On lance un premier cerf-volant ; lorsqu’il a entraîné la quantité de corde qu’il peut porter, on attache l’extrémité de celle-ci au dos d’un second cerf-volant, qui s’élève à son tour et qui augmente la hauteur du premier de toute celle qu’il peut atteindre lui-même. On continue ainsi pour un troisième, pour un quatrième cerf-volant. M. Colladon, qui se livrait à des expériences sur l’électricité atmosphérique, affirme avoir atteint, avec trois cerfs-volants, trois cents mètres d’élévation. Nous avons répété nous-même ces expériences, et nous pouvons pleinement confirmer les résultats obtenus par M. Colladon. Le moyen d’attache le plus convenable de la corde au dos du cerf-volant, et que M. Colladon a négligé de mentionner, nous a semblé devoir être une bride simple, placée symétriquement à celle qui sert à sa manœuvre. Nous ferons observer qu’en usant d’un tel système de cerfs-volants, il est nécessaire de veiller avec le plus grand soin à la bonne construction de chacun d’eux, et surtout à la solidité absolue de leur queue. Si l’un des cerfs-volants vient à pirouetter, tout le système est compromis. Ajoutons que le plus sûr moyen de choisir des cordes proportionnées à la traction qu’elles devront subir, consiste à construire des cerfs-volants de mêmes dimensions et à donner une corde simple au premier, double au second, triple au troisième, en diminuant les longueurs, de façon à ne faire porter à chacun d’eux qu’un poids uniforme. Prenons, par exemple, trois cerfs-volants de 1m,50 de haut. Nous donnons au premier 200m de fil de fouet pesant environ 500gr ; au second, 100m du même fil, mais double, pesant aussi 500gr ; au troisième, 67m du même fil triple, représentant un même poids de 500gr.

Ici quelques explications pour la manœuvre ne seront peut-être pas inutiles. Reprenons l’exemple cité plus haut, et supposons que l’espace dont nous pouvons disposer ne soit que de 100m en longueur. L’aide déroulera 100m seulement du fil de fouet de 200m porté sur le premier dévidoir. Parallèlement à ce fil étendu sur le sol, il déroulera le second dévidoir (100m de fil double). Enfin, il agira de même à l’égard du troisième (67m de fil triple). Chaque cerf-volant couché à terre sera attaché à sa corde de manœuvre. Après avoir fixé l’appareil photographique au premier, l’opérateur allume la mèche (qui devra être d’une longueur suffisante pour donner le temps nécessaire aux diverses manœuvres) et l’aide, saisissant le premier dévidoir, l’enlèvera comme d’habitude et lui donnera aussi rapidement que possible toute la corde. Puis il marchera dans le sens du vent pour se porter auprès du second cerf-volant et remettre le premier dévidoir à l’opérateur. Celui-ci en détachera la corde (en retirant l’olive qui la termine de la boucle de corde qui l’y retient) et passera cette olive dans la boucle de la bride de dos du second cerf-volant. Pendant cette opération, l’aide sera revenu au second dévidoir qu’il saisira, et il enlèvera le second cerf-volant, aidé, du reste, par la traction qu’exercera sur lui le premier. Il se rapprochera du troisième, et la manœuvre se poursuivra comme pour le second. L’abatage s’exécutera de même, mais en sens inverse.

Avant d’aborder l’étude des moyens pratiques propres à nous faire connaître la hauteur du cerf-volant et les longueurs de corde qui doivent y correspondre, nous allons exposer un procédé très simple que nous avons imaginé pour prendre une vue cavalière en pays plat, même par temps calme.


Procédé pour enlever un cerf-volant par temps calme. — Que le cerf-volant demeure immobile au sein d’une masse d’air en mouvement ou bien qu’il coure lui-même au milieu de couches d’air calme, le résultat ne changera pas. L’expérience montre qu’un vent animé d’une vitesse de 20 kilomètres à l’heure suffit très bien à enlever un cerf-volant. Cette vitesse, qui permet de parcourir un kilomètre en trois minutes, s’obtient facilement de la plupart des chevaux au trot. Si, par un temps calme, nous faisons emporter par un cavalier au trot l’extrémité inférieure de notre corde de manœuvre entièrement déroulée, nous ne tarderons pas à voir le cerf-volant atteindre la hauteur normale que lui permet sa corde. Un champ considérable n’est pas nécessaire au cavalier ; on peut facilement le calculer en multipliant par 3 la longueur de la corde. La photographie obtenue, le cavalier doit s’arrêter sans abandonner l’extrémité de la corde, et l’on voit le cerf-volant descendre avec une lenteur et une régularité telles que les appareils qu’il porte n’ont rien à redouter. En mer, une chaloupe à vapeur peut facilement remplacer le cavalier pour une semblable opération.

De cette façon, il est sans doute facile d’obtenir des vues en plan. Avec l’obturateur que nous avons décrit, la vitesse de translation de l’appareil n’est pas telle que l’épreuve manque de netteté. Mais, dans beaucoup de cas, cette vue verticale ne présentera aucun intérêt, puisqu’elle embrassera justement le terrain parcouru déjà par le cavalier. Il n’en sera pas de même pour une vue perspective qui, suivant l’angle sous lequel elle sera prise et la hauteur du cerf-volant, pourra relever un espace beaucoup plus considérable et situé à 500m 1000m, 2000m, etc. en avant du cavalier. Un avantage que présente cette méthode, c’est de pouvoir braquer l’appareil dans toutes les directions ; avec le vent, au contraire, un côté (un seul, il est vrai) demeure interdit, c’est celui vers lequel va le vent et que masquerait la partie inférieure du cerf-volant.