◄  III.
V.  ►

§. IV.

que nous navons point d’I-
dée innée de Dieu.


SI Dieu avoit dû graver dans notre Ame quelque Notion qui fût innée avec elle, ſans doute il y eut tracé en Caractere évident & diſtinct l’Idée de la Divinité. Mais, nous avons des Preuves convaincantes, que tous les Hommes n’ont point la Connoiſſance de l’Etre ſouverainement bon & parfait. Les Anciens ont eu parmi eux des Sectes entieres, qui nioient abſolument l’Exiſtence de la Divinité : &, dans ces derniers Tems, on a découvert un Nombre de Nations, qui n’en avoient aucune Idée. Mais, ce qu’il y a de plus ſurprenant, c’eſt qu’il s’eſt trouvé des Peuples entiers, qui, croïant l’Immortalité de l’Ame, n’avoient cependant aucune Notion de Dieu, & étoient fort étonnées, lorsqu’on leur apprennoit qu’il y en avoit un.

Les Peuples des Iles Marianes ne reconnoiſſoient aucune Divinité, avant qu’on leur eut préché l’Evangile. Ils n’avoient pas la moindre Idée de Religion. Ils étoient ſans Autels, ſans Sacrifices, ſans Prêtres ; mais perſuadez de l’Immortalité de l’Ame, & que les Eſprits reviennent après la Mort. Ils admettoient un Paradis & un Enfer : &, par une Biſarrerie de l’Eſprit Humain qu’on ne peut comprendre, ils diſoient, que ce n’étoit point la Vertu & le Crime, qui conduit dans ces Lieux-là. Les bonnes Œuvres, ou les mauvaiſes Actions, n’y ſervent de rien. Tout dépend, de la Maniere dont on ſort de ce Monde. Si on a le Malheur de mourir d’une Mort violente, on a l’Enſer pour Partage… Si l’on meurt, au contraire, d’une Mort naturelle on a le Plaiſir d’aller en Paradis, & d’y jouir des Arbres & des Fruits qui ſont en abondance[1].

Je vous demande, Madame ; ſi vous croïez que les Peuples : des Iles Marianes euſſent une Notion innée de Dieu ? Eſt-il poſſible, qu’une Nation entiere, que tant de millions d’Hommes, pendant des milliers de Siècles, aïent ſucceſſivement dans leur Eſprit une Idée, dont ; ils ne s’apperçoivent jamais, & dont ils ne font aucun Uſage ? Eſt-il croïable, que Dieu, leur donnant cette Idée pour la Baſe de leurs Connoiſſances elle ne leur ſerve pourtant de rien ; au lieu qu’ils profitent beaucoup plus de celles qu’ils acquiérent par les Objets extérieurs ?

  1. Le Gosien, Hiſtoire des Iles Marianes, pag.64, 65, 66, 68.