La philosophie du bon sens/III/XIII

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§. XIII.

des Différentes Especee de
Syllogisme.


Le Syllogisme a pluſieurs différentes Formes, ſelon leſquelles il change de Nom. Cette Variété & ces diverſes Eſpeces d’Argument font aſſez inutiles à la Recherche de la Vérité, que les Hommes auroient même pû connoître ſans, former des Syllogiſmes ; la plûpart de nos Erreurs venant bien plus de ce que nous raiſonnons ſur des Principes faux, que non pas de ce que nous ne raiſonnons pas ſuivant nos Principes. Mais, comme vous pourriés croire, Madame, que ces Argumens font des Miſteres cachés, je vais vous en dire un Mot, le plus ſuccinctement qu’il me fera poſſible.

On appelle Enthimême le Syllogisme, donc l’une des deux prémieres Propoſitions, qu’on nomme Prémiſſes, ſe trouve ſupprimée, mais cependant fous-entendue : comme lorſque je dis,

Quand on a de l’Eſprit, on apprend aiſément ;

Madame de *** apprend donc aiſément ;
on comprend naturellement, que l’Entendement ſuppoſe en lui-même cette Proportion ſupprimée,

Madame de *** a de l’Eſprit
qui, tranſpoſée entre les deux autres, formeroit le Syllogisme parfait. Au reſte, la prémiere Propoſition de l’Enthimême s’appelle en Termes Scolaſtiques Antécédent, & la Concluſion Conſéquent.

Il eſt encore pluſieurs autres Argumens, tels que le Syllogisme hypotétique, le disjontif, celui qu’on fait par Gradation, & par Induction. Mais, en vérité, cela me paroit ſi peu utile, & les plus grands Hommes l’ont ſi fort mépriſé[1], quoique quelques-uns s’y ſoient ſoumis par Foibleſſe[2], que je ne veux point occuper votre Tems auſſi inutilement.

  1. « À quoi ſert donc le Syllogiſme ? Je répons, qu’il eſt principalement d’Uſage dans les Ecoles, où l’on n’a pas Honte de nier la Convénance des Idées qui conviennent viſiblement enſemble ; ou bien hors des Ecoles, à l’égard de ceux, qui, à l’Occaſion & à l’Exemple de ce que les Doctes n’ont pas Honte de faire, ont appris auſſi à nier ſans Pudeur la Connexion des Idées qu’ils ne peuvent s’empécher de voir eux mêmes. Pour celui qui cherche ſincérement la Vérité, & qui n’a d’autre But que de la trouver, il n’a aucun beſoin de ces Formes Syllogiſtiques, pour être forcé à reconnoître la Conſéquence dont la Vérité & la Juſteſſe paroiſſent mieux, en mettant les Idées dans un Ordre ſimple & nautrel. » Locke, Eſſai Philoſophique concernant l’Entendement Humain, Livr. IV, Chap. XVII, pag. 873.
  2. Voici un Avertiſſement, qui eſt à la tête du II Chapitre de la III Partie de l’Art de penſer. Cet Endroit traitte des Regles générales des Syllogismes ſimples incomplexes. Ce Chapitre, & les ſuivans juſqu’au douzieme, ſont de ceux dont il eſt parlé dans le Diſcours, qui contiennent des Choſes ſubtiles pour la Spéculation de la Logique, mais qui ſont de peu d’Uſage. Pourquoi donc les préſenter à un Lecteur, pour lui faire perdre du Tems à les parcourir, & l’obliger peut-être à remplir ſon Entendement de Choſes ſuperflues & inutiles, qui tiennent la place d’autre beaucoup meilleures qu’on auroit pu leur ſubſittuer ? L’Auteur de l’Art de penſer a connu cette Vérité : mais, un Reſte de Foibleſſe, ou de Complaiſance, pour la Philoſophie Scolaſtique, lui a fait faire douze Chapitres ſuperflus ; ſur-tout, s’il a eu Deſſein, comme il aſſure dans ſa Préface, d’apprendre à ſes Lecteurs dans huit ou dix Jours ce qu’il y a de meilleur & de plus utile dans la Logique.