(alias Michèle Nicolaï)
S. E. G. (Société d’éditions générales) (p. 61-64).

XII

LA MORT DES BONZES

C’est le point du jour en forêt.

Dans les grands arbres, les gibbons à barbiche blanche le saluent de leurs cris stridents.

Les paons spricifers y répondent par leurs inharmonieux « Pia — rao ».

C’est le réveil de la jungle.

Près des rochers des Makouis, c’est aussi le réveil, mais un réveil silencieux sans l’ordinaire appel des clairons.

Hier, à la nuit, Rigo est venu, amenant un renfort important.

Le résident supérieur, accompagné du chef de la Sûreté et du nouveau résident de Quang-Yen, a tenu à assister à l’hallali et à encourager les hommes par sa présence.

Rigo a placé un cordon de linhs en demi-cercle dans la forêt, derrière les rochers et assez loin d’eux pour en fermer toutes les issues secrètes.

D’ailleurs — précaution supplémentaire — dès le jour naissant, des équipes de nhaqués réquisitionnés s’emploient à nettoyer le terrain en fauchant au coupe-coupe tous les fourrés pouvant permettre à des fuyards de passer sans être vus.

Des chiens policiers sont promenés par leurs conducteurs à l’extérieur du demi-cercle et forment des patrouilles auxquelles il sera à peu près impossible d’échapper.

Les bonzes sont là ! Une fumée aperçue le confirme.

Les chiens aussi. Conduits tout d’abord près des rochers, ils ont donné de la voix et marqué une nervosité probante.

Un gros détachement s’est avancé dans la clairière et a pris position en face du refuge, prêt à l’assaut.

Rigo donne un ordre. Le clairon sonne !

Dans le silence qui suit la sonnerie, l’inspecteur clame en langue annamite une sommation aux bonzes d’avoir à se rendre, moyennant quoi leur sanctuaire et les objets religieux qu’il renferme seront respectés.

Les assiégés ne répondent pas !

Une deuxième sommation est faite. À la troisième, le grand-prêtre apparaît, vêtu de sa robe de cérémonie.

Il se dresse sur une plate-forme, une sorte d’encorbellement lui faisant comme une chaire et, calme, sans colère, proclame :

« Ô tous qui êtes là ! Dragons blancs d’Occident, jaunes d’Annam, traîtres à la race, l’Esprit vous répond.

« Dans son sanctuaire vous n’entrerez pas vivants, les cobras sont en place, les cobras bénis, les cobras saints, prêts à défendre leurs fidèles serviteurs.

« Éloignez-vous ! Fuyez sans affronter la colère de Dieu, sans même l’attendre.

« J’ai parlé, j’ai prévenu. Que tout le mal retombe sur vos têtes, ô maudits ! »

Aussitôt il disparaît, comme englouti par la paroi rocheuse.

On tient un conseil rapide, Rigo a prévu les dangers possibles de l’assaut difficile et forcément lent. Sur ces flancs escarpés, les assaillants devront grimper homme par homme, perdant ainsi le bénéfice du nombre, tandis que les assaillis, embusqués, Les frapperont de leurs flèches mortelles.

Leurs menaces peuvent faire craindre qu’ils ne lancent sur les rochers d’innombrables cobras.

Rigo a fait apporter le matériel nécessaire à une projection de gaz.

Il propose de les employer et ses chefs approuvent !

L’exécution commence, les rochers disparaissent sous des nuages épais formés par les gaz. C’est un premier acte pour nettoyer l’extérieur.

Maintenant, des hommes de bonne volonté grimpent derrière le rideau qui se dissipe ; dans chaque trou, dans chaque excavation, ils projettent des grenades à gaz.

Les bonzes ne profitent pas de la dernière chance qui leur est donnée. Ils préfèrent mourir que de se renier.

Un moment s’écoule, accordé pour permettre aux dernières fumées dangereuses d’être chassées par la brise, puis, masqué, Rigo grimpe jusqu’à l’ouverture par laquelle il a précédemment pénétré dans la caverne du bouddha.

Il entre, revolver au poing, suivi de quelques hommes.

Spectacle tragique ! Devant le grand bouddha impavide, sur une cathèdre de cérémonie, le grand-prêtre est renversé… mort !

Près de lui, tout autour de lui, en cercle, ses bonzes sont étendus… Morts aussi !

Mais ce sont leurs armes qui les ont tués… La double blessure du cobra peut se voir sur leurs poignets.

Quelques instants plus tard, dans la clairière, devant les rochers, la garde indigène présente les armes, le clairon sonne au drapeau et le résident supérieur remercie Rigo qui a bien mérité de l’Indochine et de la France.

Derrière lui, timide et rougissante, Mme Rigo tente de se cacher…

FIN