(alias Michèle Nicolaï)
S. E. G. (Société d’éditions générales) (p. 3-5).

La PAGODE aux COBRAS

CHAPITRE PREMIER

LA MORT DU RÉSIDENT

Une nuit d’été torride, étouffante, vraie nuit tonkinoise aussi chaude que le jour, tombait sur Quang-Yen, au bord du fleuve, tout près de l’entrée de la baie d’Allong.

Dix heures venaient de sonner.

Dans le parc de la résidence, une ombre se glissait, furtive, silencieuse, en dehors des allées ; elle se faufilait d’arbre en arbre, de massif en massif, cependant que les linhs de garde — selon la consigne — étaient tenus en éveil par la transmission périodique d’un appel de claquettes circulant de l’un à l’autre.

Passant entre eux, l’ombre escaladait la clôture et pénétrait dans l’enceinte sans être aperçue.

C’était maintenant une avancée de fauve…

Quelques pas… puis un arrêt… Ainsi s’avance la bête de proie pour surprendre, en même temps que pour éviter d’être surprise.

Arrivant au pied du bâtiment situé au sommet de la colline, l’ombre s’immobilisa une fois encore.

À quelques mètres, au premier étage, les fenêtres éclairées étaient ouvertes, permettant de percevoir le bruit des allées et venues d’un homme qui faisait sa toilette nocturne, tout en sifflotant. Il était certain que le pressentiment d’un danger possible ne le frôlait pas.

Après un court arrêt, l’ombre se remit en marche, longeant de près le mur jusqu’au moment où elle se trouva au-dessous d’une des fenêtres.

Alors, lestement, usant des saillies ornementales de la façade, elle grimpa, plaquée contre la muraille, ainsi qu’un insecte géant.

Sur la corniche atteinte rapidement, elle se blottit, puis, se redressant doucement, examina l’intérieur de la pièce.

Un déclic se fit entendre… Bruit infime pouvant à peine être perçu à quelques mètres.

Une glissade… un plongeon dans la nuit… La tragique silhouette disparut sous les frondaisons du parc.

Le lendemain, à l’aube, Bà, le boy, pénétrait dans la chambre de son maître pour fermer les persiennes avant le lever du jour.

C’est un usage colonial. L’Européen s’endort toutes baies ouvertes pour que, si elle daigne souffler, pénètre jusqu’à lui la rafraîchissante brise nocturne ; au matin, le valet bien stylé entre silencieusement et va les clore sans bruit pour que le soleil levant ne trouble pas son maître.

Bà entra sur la pointe de ses pieds nus.

Deux pas en avant… un cri… Horrifié, il ressortait en hurlant :

— Monsieur le résident « tièt » ! Monsieur le résident « tièt zoï » !

En un clin d’œil, toute la maison fut sur pied.

Les linhs de garde furent alertés, un doï courut avertir le commissaire de police, le médecin de l’Assistance et les deux adjoints du résident.

La résidente accourut. Devant le cadavre de son mari, elle poussa un cri et s’évanouit.

À ce moment arrivaient les autorités. Le commissaire fit garder la porte, tandis que le docteur — après avoir donné quelques soins à la résidente — se penchait sur le cadavre.

Un examen attentif lui révéla que le corps ne portait aucune trace de violence, mais une seule blessure : deux marques rouges légèrement auréolées sur le poignet droit.

— Cela ressemble fort à une piqûre de cobra, dit-il, mais l’autopsie seule nous fixera avec certitude.

Celle-ci faite, on conclut qu’il n’y avait pas eu d’assassinat ou plutôt, que l’assassin était un cobra.

Accident vraisemblable. Un serpent avait pu pénétrer du parc dans la maison, et le malheur avait voulu que le résident, en faisant un geste, en prenant un objet par exemple, ait mis la main dessus.

Cependant, toutes les recherches effectuées dans les appartements furent vaines. Bien que l’on eût procédé à un véritable déménagement, ne laissant pas un meuble, pas un tapis, pas une tenture en place, le cobra ne fut pas retrouvé.

Le commissaire put siffler dans sa flûte, allant d’une pièce à l’autre, aucun reptile ne répondit à son appel.