La mort d'Agrippine/Acte III

Charles de Sercy (p. 43-62).
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ACTE III



Scène Première

Agrippine, Cornelie.


Agrippine

Sanglante Ombre qui paſſe & repaſſe à mes yeux,
Fantôme dont le vol me pourſuit en tous lieux,
Tes travaux, ton treſpas, ta lamentable hiſtoire,
Reviendront-ils ſans ceſſe offenſer ma memoire ?
Ah ! tréve, cher Eſpoux, ſi tu veux m’affliger,
Preſte-moy pour le moins le temps de te vanger.

Cornelie

Il vient vous conſoler de ſa cruelle abſence.

Agrippine

Il vient, il vient pluſtoſt me demander vengeance ;
Te ſouvient-il du temps qu’au fort de ſes douleurs,

Couronné dans ſon lict de ſes amis en pleurs,
Il crioit, Ô Romains, cachez-moy cette offrande,
C’eſt un bras, non des yeux, que mon ſort vous demande.
Mes plus grands ennemis n’ont rien tant deſiré,
Que de me voir un iour digne d’eſtre pleuré.
À de plus hauts penſers eſlevez donc voſtre ame,
Pleurer Germanicus, c’eſt le venger en femme,
On me plaindra par tout où ie ſuis renommé :
Mais pour vous, vangez-moy ſi vous m’avez aymé :
Car, comme il eſt honteux à qui porte une eſpée,
D’avoir l’ame à pleurer mollement occupée,
Si du ſang reſpandu ſont les pleurs d’un Romain,
I’eſpere que vos yeux ſeront dans voſtre main :
Forcez donc mes bourreaux de ſouſpirer ma perte,
C’est la ſeule douleur qui me doit eſtre offerte ;
Ouy, cherchez, pourſuivrez, iuſqu’à la terre ouvrir,
La terre parlera pour vous les deſcouvrir.
Que par les yeux sanglans de cent mille bleſſures,
Leurs corps défigurez pleurent mes avantures,
Et que Piſon le traiſtre : À ce mot de Piſon,
Son ame abandonna ſa mortelle priſon,
Et s’envola meſlée au nom de ce perfide,
Comme pour s’attacher avec ſon homicide :
Enfin ie l’ay veû paſle, & mort entre mes bras,
Il demanda vengeance, & ne l’obtiendroit pas !

Un ſi laſche refus !

Cornelie

Un ſi laſche refus ! L’aymez-vous ?

Agrippine

Un ſi laſche refus ! L’aymez-vous ?Je l’adore.

Cornelie

Madame cependant Tibere vit encore.

Agrippine

Attens encore un peu, mon deplorable Eſpoux,
Tu le verras bien-toſt expirant ſous mes coups,
Et ravy par le ſort aux mains de la Nature,
Son ſang à gros boüillons croiſtre chaque bleßure.
Son eſprit par le fer, dans ſon ſiege eſpuisé,
Pour ſentir tout ſon mal en tous lieux divisé,
Entre cent mil éclairs de l’acier qui flamboye,
Gemiſſant de douleur, me voir paſmer de ioye,
Et n’entendre, percé de cent glaives aigus,
Que l’effroyable nom du grand Germanicus,
Qu’il eſt doux au milieu des traicts qu’on nous décoche,
De croire eſtre offensé quand la vengeance approche,
Il ſemble que la ioye au milieu de mes ſens,
Reproduiſe mon cœur par tout où ie la ſens

Pour former du Tyran l’image plus horrible
Chaque endroit de mon corps devient intelligible
Afin que toute entiere en cet accez fatal,
Ie renferme, ie ſente & comprenne ſon mal,
Uſurpant les devoirs de ſon mauvais genie,
Ie l’attache aux douleurs d’une lente agonie ;
Ie conte ſes ſanglots, & i’aſſemble en mon ſein
Les pires accidens de ſon cruel deſtin ;
Ie le voy qui paſlit, ie voy son ame errante
Couler deſſus les flots d’une écume ſanglante.
L’eſtomac enfoncé de cent coups de poignard,
N’avoir pas un amy qui luy iette un regard,
S’il penſe de ſa main boucher une bleſſure,
Son ame s’échaper par une autre ouverture :
Enfin ne pouvant pas m’exprimer à moitié,
Ie le conçois reduit à me faire pitié.
Voy quels tranſports au ſein d’une femme offensée,
Cauſe le ſouvenir d’une injure paßée,
Si la Fortune inſtruite à me deſobliger
M’oſtoit tous les moyens de me pouvoir vanger,
Plutoſt que me reſoudre à vaincre ma colere,
Ie m’irois poignarder, dans les bras de Tibere,
Afin que ſoupçonné de ce tragique effort,
Il attiraſt ſur luy la peine de ma mort.
Au moins dans les Enfers i’emporterois la gloire
De laiſſer, quoy que femme, un grãd nõ dans l’Hiſtoire :

Mais le diſcours ſied mal à qui cherche du ſang

Cornelie

Vous !

Agrippine

Vous ! Oüy moy, de Ceſar ie veux percer le flanc,
Et iuſques ſur ſon thrône herißé d’halebardes,
Ie veux, le maſſacrant au milieu de ſes Gardes,
Voir couler par ruiſſeaux de son cœur expirant,
Tout le ſang corrompu, dont ſe forme un Tiran.



Scène II

Tibere, Agrippine, Cornelie, Trouppe de Gardes.


Tibere, la ſurprenant.

Pourſuivez.

Agrippine

Pourſuivez. Quoy, Seigneur ?



Tibere

Poursuivez. Quoy, Seigneur ? Le propos deteſtable
Où ie vous ay ſurpriſe.

Agrippine

Où ie vous ay ſurpriſe. Ah ! ce propos damnable,
D’une ſi grande horreur tous mes ſens travailla,
Que l’objet du fantoſme en ſurſaut m’eſveilla.

Tibere

Quoy ! cela n’eſt qu’un songe, & l’horrible blaſpheme
Qui chocque des Ceſars la Majeſté ſupréme,
Ne fut dit qu’en dormant ?

Agrippine

Ne fut dit qu’en dormant ? Non, Ceſar, qu’en dormant :
Mais les Dieux qui pour lors nous parlent clairement,
Par de certains effets, donc ils meuvent les Cauſes ;
En nous fermant les yeux nous font voir toutes choſes ;
Eſcoute donc, Seigneur, le ſonge que i’ay fait,
Afin que le recit en deſtourne l’effet.
Ie reclamois des Dieux la ſageſſe profonde,
De regir par tes mains les affaires du monde,
Quand les ſacrez Pavots qui nous tombent des cieux,
D’un ſommeil prophetique ont attaché mes yeux ;

Apres mille embarras d’eſpeces mal formées,
Que la chaleur vitalle entretient de fumées,
Ie ne ſçay quoy de bleſme & qui marchoit vers moy,
A crié par trois fois, Ceſar, prends garde à toy.
Un grand bruict außi-toſt m’a fait tourner viſage,
Et i’ay veû de Ceſar la paliſſante Image,
Qui couroit hors d’haleine en me tendant les bras,
Oüy Ceſar, ie t’ay veû menacé du treſpas.
Mais comme à ton ſecours ie vollois, ce me ſemble,
Nombre de meurtriers qui couroient tous enſemble,
T’ont percé ſur mon ſein, Brutus les conduiſoit,
Qui loing de s’eſtonner du grand coup qu’il oſoit,
Sur ſon Thrône, a-t’il dit, herißé d’halebardes,
Ie veux, le maſſacrant au milieu de ſes Gardes,
Voir couler par ruiſſeaux de ſon cœur expirant
Tout le ſang corrompu dont ſe forme un Tyran.
I’en eſtois là Seigneur, quand tu m’as entenduë.

Tibere

La reſponſe eſt d’eſprit & n’eſt pas mal conceuë.

Agrippine

Hà, Ceſar, il n’eſt plus d’azyle en ta maiſon,
Quoy ! tu tiens pour ſuſpects de fer & de poiſon
Iuſques à tes parens, avec qui la nature
T’attache par des nœuds d’immortelle tiſſure ;

Connois mieux Agrippine, & ceſſe d’opprimer,
Avec ceux que ton ſang oblige de t’aymer,
Ceux que ſouſtient ton rang. Sejanus par exemple,
Superbe, ſanguinaire, homme à bruſler un Temple,
Mais qui pour ton ſalut accepteroit la mort,
Ne peut eſtre accuſé ny soupçonné qu’à tort.

Sejanus entre sãs eſtre veu d’Agrippine ny de Tibere.

Et cependant, Ceſar, un fourbe, un laſche, un traiſtre,
Pour gaigner en flateur l’oreille de ſon Maiſtre,
Peut te dire auiourd’huy.



Scène III

Tibere, Agrippine, Seianus.


Agrippine, continuë ſans voir Seianus.

Peut te dire auiourd’huy. Seianus te trahit,
Il empiete à pas lents ton Thrône, & l’envahit,
Il gaigne à ſon party les Familles puiſſantes.
Il ſe porte heritier des maiſons opulentes,
Il brigue contre toy la faveur du Senat.

Seianus, bas

Ô Dieux elle m’accuſe !

Agrippine

Ô Dieux elle m’accuſe ! Il renverſe l’Eſtat.
Il ſeme de l’argent parmy la populace.



Seianus, bas à Agrippine en ſe iettant aux pieds de l’Empereur.

Nous perirons, Madame, & ſans implorer grace.
Oüy, Seigneur, il eſt vray i’ay conjuré.

Tibere

Oüy, Seigneur, il eſt vray i’ay conjuré. Qui toy !

Agrippine

On peut te dire pis encor de luy, de moy :
Mais à de tels rapports il eſt d’un Prince ſage
De ne pas eſcouter un foible teſmoignage.

Seianus, bas.

Imprudent qu’ay-je fait ? tout eſt deſeſperé.

Tibere

Mais enfin, Sejanus luy-meſme a conjuré,
Il l’advoüe.

Seianus

Il l’advoüe. Oüy, Seigneur.

Tibere

Il l’advoüe. Oüy, Seigneur. L’eußiez-vous creû, Princeſſe ?

Seianus

I’ay conjuré cent fois ta profonde ſageſſe,

De ne point eſcouter ces laſches ennemis
Qui te rendent ſuſpects Agrippine & ſon fils ;
Ne ſouffre pas, Seigneur, qu’une ame deſloyale
Deſgorge ſon venin ſur la maiſon Royale,
Tout le Palais deſia fremit de cet affront,
Et ta couronne meſme en tremble ſur ton front,
Rome en eſt offenſée, & le peuple en murmure,
Previens de grands malheurs, Ceſar, ie t’en conjure !
Je t’en conjure encor par l’amour des Romains,
Et par ces triſtes pleurs dont ie mouille tes mains.

Tibere

Comment.

Seianus

Comment. Tes Legions qui s’approchent de Rome,
Réveillent en ſurſaut la ville d’un grand ſomme ;
Elle croit que tu veux abreuver ſes rempars
De ce qui reſte encor du ſang de nos Ceſars,
Et qu’apres tant de ſang que ta ſoif ſe deſtine,
Tu viens pour te baigner dans celuy d’Agrippine.
Le Peuple en tous ſes bras commence à ſe mouvoir,
Il faict aux plus ſenſez tout craindre & tout pouvoir :
Pour te l’oſter de force il reſout cent carnages,
Autour de ton Palais il porte ſes images,
Il brave, il court, il crie, & preſque à ton aſpect,
Menace inſolemment, de perdre tout reſpect,

Eſtouffe en ſon berceau la revolte naiſſante.

Tibere

Il arreſte Agrippine qui veut ſortir.

Agrippine arreſtez, ſi le deſordre augmente,
Un deſaveu public aux yeux de ces mutins,
En vous iuſtifiant, calmera nos deſtins,
Vos efforts feront voir ſi le ver qui vous ronge,
Meditoit le recit d’un complot ou d’un ſonge,
Eſteignez au pluſtoſt le feu que ie prevoy,
Ou bien reſolüez-vous de perir avec moy,

Se tournant vers Sejanus.

C’eſt pour l’intimider, les rayons de ma veüe,
Comme ceux du Soleil, reſoudront cette nüe.

Seianus

Il ſeroit à propos qu’on te vit eſcorté,
De grands deſſeins par là ſouvent ont avorté.



Scène IV

Seianus, Agrippine, Cornelie


Seianus

Que vous m’avez faict peur ?

Agrippine

Que vous m’avez faict peur ? Que vous m’avez troublée ?
Je ſens mon ame encor de ſurpriſe accablée ?
Confeſſer au Tyran la coniuration ?

Seianus

Mais vous, luy reveler la conſpiration ?
I’ay creû que voſtre cœur vous prenoit pour un autre,
I’en ay ſenty mon front rougir au lieu du voſtre,
Et i’apellois deſia la mort avec fierté,
Pour eſpargner ma honte à voſtre laſcheté,
Pour en perdre au tombeau la funeſte memoire,
Et pour ne pas enfin ſurvivre à voſtre gloire :
Oüy, i’allois ſans laſcher ny ſouſpir ny ſanglots,

Moy ſeul pour mourir ſeul m’accuſer du complot,
Et vous iuſtifiant, quoy que mon ennemie,
Combler par mon treſpas voſtre nom d’infamie.

Agrippine

Vous m’offenſez cruel, par cet emportement,
Mon amour en depoſt vous tient lieu de ſerment,
Puis que c’eſt une loy du Dieu qui nous aſſemble,
Que ſi vous periſſez, nous perißions enſemble,

Seianus

Si i’ay de grands ſoupçons, ce n’eſt pas ſans ſujet,
Ce que i’eſpere eſt grand, & mon ſort eſt abjet,
Vous faites relever le bonheur de ma vie,
D’un bien que l’Univers regarde avec envie,
Et c’eſt pourquoy ie tremble au front de l’Univers,
Quand deſſus mon threſor ie voy tant d’yeux ouvers,
Ouy, i’ay peur qu’Agrippine ici bas ſans ſeconde,
Eſlevée au ſommet de l’Empire du monde,
Comme un prix de Heros, comme une autre Toyſon,
Ne réchauffe le ſang de quelqu’autre Iaſon,
Et cette peur, helas ! doit bien eſtre ſoufferte
En celuy que menaſſe une ſi grande perte.

Agrippine

Non, croyez, Sejanus, avec tous les humains,

Que ie ne puis ſans vous achever mes deſſeins,
Et que vous connoiſtrez dans peu comme moy-meſme,
Si veritablement Agrippine vous ayme.[1]

Seianus

Enfin, quoy que Ceſar puiſſe faire auiourd’huy,
La peur dont i’ay tremblé retombera ſur luy,
Il faut que ie me rende auprés de ſa perſonne,
De peur qu’un entretien ſi ſecret ne l’eſtonne,
Vous ſortez en public pour tromper le Tyran,
Et gueriſſez un mal qui n’eſt pas aſſez grand ;
Contre trois Legions qui frapent à nos portes,
Tous les Pretoriens & cinquante Cohortes,
Nos gens eſpouventez ne feroient que du bruict,
Et n’en recueilleroient que la mort pour tout fruict,
Attendons que l’aſpect d’un Aſtre moins contraire,
Dedans ſon Iſle infame entraiſne encor Tibere.



Scène V

Agrippine, Cornelie, Livilla.


Livilla

La Diſcorde allumant ſon tragique flambeau,
Vous conſacre, Madame, un ſpectacle aſſez beau,
Et ie viens comme ſœur, prendre part à la ioye,
Que laßé de vos maux le Deſtin vous envoye,
Le Peuple ſouſlevé pour un Exploict ſi grand,
Vous tient comme en ſes bras à couvert du Tyran,
Et ce tranſport ſubit aveugle & plein de zele,
Teſmoigne que les Dieux ſont de voſtre querelle.

Agrippine

Les Dieux ſont obligez de venger mon Eſpoux ;
Si les Dieux icy bas doivent iuſtice à tous,
Deux partis ont chargé leur balance équitable,
Agrippine outragée, & Tibere coupable


Livilla

Pour ſe bien acquitter ils vous couronneront.

Agrippine

Ils s’acquitteront bien quand ils me vangeront,
C’eſt la mort que ie veux, non le rang du Monarque.

Livilla

Se ioindre à Sejanus n’en eſt pas une marque.

Agrippine

Ie fais encore pis, ie me ioins avec vous.

Livilla

Vous nous aviez long-temps caché voſtre courroux.

Agrippine

Ie regle à mon devoir les tranſports de mon ame.

Livilla

Au devoir en effet vous reglez voſtre flame :
Car comme l’amour ſeul eſt le prix de l’amour,
Seianus vous aymant, vous l’aymez à ſon tour.


Agrippine

Il vous ſied mieux qu’à moy d’aymer un adultere,
Apres l’aſſaßinat d’un Eſpoux & d’un frere.

Livilla

Sont-ils reſſuſcitez pour vous le reveler ?

Agrippine

S’ils ſortoient du cercueil, ils vous feroient trembler.

Livilla

Cette ardeur dont i’embraſſe, & preſſe leur vengeance
De l’Enuie & de vous ſauve mon innocence.

Agrippine

Si ſans exception voſtre main les vangeoit,
Vous verſeriez du ſang qui vous affoibliroit :
Mais quãd vous vangerez leurs Ombres magnanimes,
Vous les deſroberez tout au moins deux Victimes.

Livilla

Vous pourriez m’attendrir par de telles douleurs,
Qu’enfin i’accorderois Seianus à vos pleurs.


Agrippine

Si m’en faiſant le don vous faites un miracle,
I’en promets à vos yeux le tragique ſpectacle :
Mais il vous eſt utile, & vous le garderez,
Pour le premier Eſpoux, dont vous vous laſſerez.

Livilla

Quiconque oſe inventer ce crime abominable,
Du crime qu’il invente il a l’eſprit capable.

Agrippine

Voſtre langue s’emporte, apaiſez ſa fureur,
Ce n’eſt pas le moyen d’acquerir un vainqueur,
Que vous dites m’aymer, avec tant de conſtance :
Car s’il m’ayme, il reçoit la moitié de l’offence.

Livilla

Seianus vaut beaucoup, vous devez l’eſtimer.

Agrippine

Son merite eſt trop grand pour pouvoir m’exprimer :
Mais Tibere eſtant mort, que nous avons en butte,
Seianus à ſon tour ſera noſtre diſpute,
Il doit eſtre immolé pour victime entre nous,
Ou bien de voſtre frere, ou bien de mon Eſpoux,

Adieu donc, & de peur que dans la ſolitude,
Voſtre ialoux ſoupçon n’ait de l’inquietude,
I’engage à ma parole un ſolemnel ſerment,
Que ie ſors ſans deſſein d’aller voir voſtre Amant.



Scène VI


Livilla, ſeule.

Dites, Dites le voſtre, Agrippine infidelle,
Qui de Germanicus oubliant la querelle,
Devenez ſans reſpect des droicts de l’amitié,
De ſon lâche Aſſaßin l’execrable moitié.
Femme indigne du nom que ſouſtient voſtre race,
Et qui du grand Auguſte avez perdu la trace,
Rougiſſez en voyant voſtre Eſpoux au tombeau,
D’eſtouffer ſa memoire au lict de ſon bourreau ?
Mais que dis-je, inſenſée, ah mon trouble eſt extréme !
Ce reproche honteux rejallit ſur moy-meſme,
Puis que de rang égal, & filles d’Empereurs,
Nous tombons elle & moy dans les meſmes erreurs.
Elle ayme ce que i’ayme, & quoy que ie contemple

De lâche dans ſon cœur, ſon cœur ſuit mon exemple,
Et puis il s’eſt donné, mais le traiſtre eſt-il ſien,
M’ayant faict ſa Maiſtreſſe, a-t’il droict ſur mon bien ?
Non, ſi par ſon Hymen ma naiſſance i’affronte,
I’en cueilleray la gloire ayant ſemé la honte,
Pour me le conſerver ie hazarderay tout,
Je n’entreprendray rien que ie ne pouſſe à bout.
Rien par qui dans ſa mort mon bras ne ſe ſignalle,
Si ie puis deſcouvrir qu’il ſerve ma Rivalle.
Qu’il penſe, ou bien-toſt des effets inhumains
Feront de ſon ſuplice un exemple aux Romains ;
Oüy, par tes Dieux vengeurs, lâche, ie te proteſte,
Si ton manque de foy me paroiſt manifeſte,
Qu’avant que le Soleil ait ſon char remonté,
Tu ſeras comme ceux qui n’ont iamais eſté.


Fin du troiſieſme Acte.



  1. Vers équivoques.