Bibliothèque de l’Action française (p. 183-186).


MAISON DE PÊCHEUR




Garni de pics abrupts et de forêts tremblantes,
Le front tout hérissé de rocs et de granits,
Le mont gaspésien, rougi d’ocres sanglantes,
Etale ses longs flancs où pullulent les nids…

Déjà le soir descend sur la haute falaise,
Au ras des lourds rochers volent les noirs courlis.
La vague s’assombrit et la brise est mauvaise.
La maison du pêcheur fume dans le ciel gris…


Cependant un filet de soleil brille encore
En arrière des caps aux abîmes secrets,
Et s’étend jusqu’au bord des grèves que décore
La sombre intybellie et les fenouils épais…

Une voile frissonne entre les vagues vertes ;
Un bateau de pêcheur aborde le rocher.
L’homme se bat les mains, d’écailles recouvertes,
Et sous un lourd fardeau tout son corps est penché…

Mais avant de plier ses agrès et ses voiles,
Il a jeté les yeux sur la côte, là-bas ;
Il perçoit dans la nuit, à travers les étoiles,
Le foyer où les siens le rappellent tout bas…


Pauvres hommes voués à la vague traîtresse,
Vous la connaissez bien la douceur des foyers !
Et vous en avez soif, pauvres cœurs en détresse,
Quand vous quittez les flots où dorment les noyés !

Il l’a bien aperçu le feu de sa demeure
Qui scintille au-dessus du grand fleuve mouvant !
Il avance, rempli de joie intérieure ;
La porte s’ouvre, il entre ainsi qu’un coup de vent !

Ceux qu’il aime il les a tous reconnus bien vite ;
— C’est pour eux qu’il peinait tantôt dans le brouillard !
Puis il voit sur la table, où sa place l’invite,
Fumer dans un grand plat la morue et le lard…


Dans sa chaise il s’assied, à la table il s’affaisse,
Il approche les plats et mange avidement,
Cependant que, dehors, la nuit est plus épaisse,
Et que la mer reprend son lourd rugissement !…