Bibliothèque de l’Action française (p. 51-53).


SONGE D’HIVER




I


La forêt si vivante est maintenant déserte,
Et, comme elle, sa sœur la colline est inerte.
Un manteau de frimas recouvre le matin.
Déjà l’on ne perçoit plus rien dans le lointain.
La neige tombe. Il neige, il neige en avalanches ;
Les villages sont blancs, les montagnes sont blanches.
O vieillard qui reviens avec des fagots morts,
Viens t’asseoir sous mon toit, car il neige dehors.

II

Il est nuit. Le grand vent, qui sanglote et qui gronde
En de rudes assauts contre nos murs s’effondre.
La neige tombe. Assise, et seule au coin du feu,
Je rêve à quelque ciel lointain et toujours bleu,
A la terre odorante et chaude d’Italie,
A ses lacs clairs où va la gondole jolie,
Portant, le cou noué d’un châle d’opéra,
Une belle, et robuste, et brune signora…
Je rêve au sol de France avec ses blondes vignes,
Et ses calmes étangs où s’endorment les cygnes,
A la Belgique où sont les beffrois et les tours,
Les clochers ajourés, les toits aux purs contours,
Les collines grouillant de moisson odorante,
Les enclos habillés de lys et d’amarante,
Où, dans son nid la blanche colombe s’endort
En fermant doucement, le soir, son aile d’or !…


III


Quand il neige, et qu’à mes regrets je m’abandonne,
— Ah ! que l’âme de mes ancêtres me pardonne !
Je rêve à ces pays séduisants et divers.
Où l’on ne voit jamais sévir les longs hivers,
Où le souffle embaumé qui passe sur les rives
Transporte la chanson des colombes plaintives,
Et quand sur mon pays le soir, soudain, descend, « 
Redoutant les assauts de l’hiver menaçant,
Je me meurs d’écouter la flûte sur les lèvres,
Là-bas, dans un pays où vont en paix les chèvres,
Entre les verts sentiers où les pommiers neigeant
Mettent sur leur dos gris une averse d’argent,
Je me meurs d’écouter la chanson amoureuse
Du merle qui gazouille en la forêt ombreuse,
Et d’entendre, parmi les parfums d’oranger,
Au loin, la voix plaintive et tendre d’un berger !…