Éditions Édouard Garand (p. 3).

Féron — La métisse, 1923 djvu page 5
Féron — La métisse, 1923 djvu page 5


I


— Ohé, la Métisse !…

Le fermier, sorte de colosse à face rude et brutale, de la cour des étables a jeté cet appel.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Par flots vermeils le soleil levant déverse sa lumière matinale et gaie sur la belle province du Manitoba, l’aînée de l’Ouest Canadien. Sous les ondées lumineuses et tièdes la population animale de la ferme se réveille doucement, flaire largement à l’air embaumé de ce matin de juin, hume le brise fraîche, envahit, par groupes et peu à peu, toutes les parties de la cour. À pas lents et lourds des bestiaux s’approchent d’un abreuvoir, et, comme un cuivre bien frotté, leur poil roux reluit sous la rayure de pourpre obliquant de l’horizon de l’Est. D’autres, moins assoiffés, rasent l’herbe nouvelle qui pousse çà et là par touffes d’un vert tendre. Mais après ces lampées que la langue attire sous les dents gloutonnes ; ces bêtes, à leur tour iront humecter leur museau avant de partir pour le pré.

Parmi ces animaux paisibles des poules picorant se promènent suivies de leurs poussins ; dans les herbes tondues ou dans les graviers qu’elles raclent, ces poules cherchent et picotent les grains de blé ou d’avoine que les vents y ont éparpillés.

Quel ravissant tableau dans ce décor de verdure fraîche et de lumière joyeuse ! Un coq, dressant soudain sa crête rouge, en clame le charme irrésistible d’un cocorico enroué fièrement lancé vers les firmaments clairs.

Par delà les étables, au Nord et à l’Est, des champs verdoient sous la levée neuve des grains dont les tiges jeunes, tout humides encore de la rosée de la nuit étincellent et rutilent comme un océan immense de perles et de rubis. Au loin, bordant cette féerie magique, des bois de tremble et de saule se dressent contre l’horizon haussant leur masse sombre jusqu’à l’azur du grand ciel. Et sous ce ciel glorieux des nuées d’oiseaux volent, et s’ébattent follement dans l’éblouissante vapeur de ce jour nouveau.

Au Sud, à deux arpents des étables, on peut distinguer, dans un fouillis de verdure riante, la petite maison du fermier. Elle est tout environnée de jeunes arbres aux feuilles naissantes, et les oiseaux qui passent dans le ciel descendent, s’arrêtent un moment sous la tendre ramure, sautent de branche en branche, roucoulent, gazouillent…

Tout rit, tout chante, tout se réjouit dans ce grandiose tableau de la nature miraculeuse que Dieu a voulu dessiner pour son serviteur, l’homme.

Et lui, l’homme, accoudé sur le bord du puits d’où il a tiré l’eau nécessaire à ses bêtes, semble jeter un regard vague, indifférent, sur toutes ces choses si belles, si rayonnantes, si réjouissantes. L’air morose, bourru, le fermier demeure immobile, attendant la réponse à son appel.

Comme cette réponse tarde, il répète :

— Holà, la Métisse !

Cette fois, de la maison une voix répond :

— Oui, oui, j’y vais !

Le fermier — Malcom MacSon — grogne quelques paroles incohérentes, tourne sur ses talons, et pénètre dans l’un des bâtiments.