La législation relative aux condamnations à mort pendant la Deuxième Guerre mondiale en Suisse/2

II.1. L'évolution du droit pénal militaire modifier

Le code pénal militaire de 1927 modifier

Il nous faut maintenant regarder d'un peu plus près le droit pénal militaire en vigueur pendant la Deuxième Guerre mondiale. Le droit pénal militaire doit être considéré comme un cas particulier du droit pénal civil, mais comme nous l'avons déjà noté, la Suisse se trouve dans une situation un peu spéciale car elle dispose d'un droit pénal militaire fédéral bien avant d'avoir unifié le droit pénal ordinaire. En effet, avant 1942, chaque canton applique non seulement sa propre procédure dans ses propres tribunaux, ce qui est encore le cas aujourd'hui, mais encore selon sa propre législation pénale. Nous nous trouvons donc dans la situation où le même délit peut être jugé très différemment selon que l'inculpé se trouve soumis à la juridiction militaire ou civile.

Du point de vue militaire, par contre, tous les Suisses sont soumis au même droit ; en effet, l'article 20 de la Constitution spécifie que " les lois sur l'organisation de l'armée émanent de la Confédération ". La nécessité de réviser le code pénal militaire de 1851, qui s'était déjà fait sentir après la centralisation de l'armée en 1874, devient d'autant plus évidente après la mobilisation de 1914-1918. En effet, le code pénal militaire s'est révélé inadapté face à une situation imprévue, qui n'est ni la guerre ni la paix (car le code ne connaît que ces deux possibilités) ; de plus, les peines sont considérées de manière générale comme trop sévères.

Pour ces raisons, un nouveau code pénal militaire est présenté aux Chambres par le Conseil fédéral, en 1918 25. Nous allons voir en quoi il consiste, dans sa version adoptée par le parlement en 1927 (cette version est presque identique au projet présenté par le Conseil fédéral en 1918).

A qui et à quoi s'applique le droit militaire ? Il s'applique aux délits commis par des militaires, aux civils quand ce sont les intérêts de l'armée qui sont atteints, et, en temps de guerre, aux prisonniers de guerre. Remarquons tout de suite que les domaines de compétence personnel et matériel ont été l'objet de plusieurs remaniements avant et pendant la guerre, de nouvelles catégories de personnes étant soumises à la compétence des tribunaux militaires, et de nouveau délits étant considérés comme relevant exclusivement de la justice militaire. Autre remarque importante : le domaine de compétence personnel des tribunaux militaires varie en fonction de la situation dans laquelle se trouve l'armée. Autrement dit, certaines personnes ne sont soumises à la juridiction militaires qu'en temps de guerre, de service actif ou de paix. En effet, aux deux situations que connaissait l'ancien code s'ajoute le cas de service actif ; celui-ci n'est pas défini de manière explicite, mais il doit être compris comme étant la situation dans laquelle se trouve l'armée (ou une partie de celle-ci) si la Suisse n'est ni en guerre ni en paix 26. Le temps de paix n'est pas non plus défini, mais il concerne les militaires en cours d'instruction (école de recrue, cours de répétition, cours d'État-major,...). En revanche, la notion de temps de guerre est claire : elle s'applique lorsque la Suisse est en guerre ou quand le Conseil fédéral, en cas de danger de guerre imminent, le décide 27. Autrement dit, soit la Suisse est en guerre de facto, soit la Suisse est en guerre par une décision explicite du Conseil fédéral qui doit être approuvée par les Chambres.

De tout cela, il découle que le code pénal militaire doit contenir des dispositions concernant non seulement les délits purement militaires commis par des militaires, mais aussi les délits ordinaires commis durant le service (vol, meurtre, abus de confiance,...), ainsi que les délits pouvant être commis par des civils mais tombant sous la juridiction militaire (la trahison militaire fait partie de ces délits). De plus, les peines prévues varient souvent en fonction de la situation dans laquelle les délits ont été commis, le service actif et, à plus forte raison le temps de guerre, agissant comme des circonstances aggravantes 28.

Concernant la peine de mort, plusieurs articles du code pénal militaire sont à relever, au premier rang desquels nous plaçons l'article 27, qui stipule très précisément que la peine de mort est exclue du droit militaire suisse, sauf en temps de guerre 29. Cette disposition est d'ailleurs répétée dans chaque article ou la peine capitale est prévue, sous la forme : "...le juge pourra prononcer la réclusion [à vie, pour cinq ans au moins, ...], ou en temps de guerre la peine de mort si ... " 30. Une dizaine de délits peuvent être punis de la peine de mort en temps de guerre ; ils peuvent l'être mais ne le doivent jamais, car il y a toujours une peine alternative prévue (à la seule exception de la désertion avec passage à l'ennemi, article 83) 31. Parmi ces délits, citons pour exemple l'assassinat, le brigandage, le pillage, le brigandage de guerre, les services rendus à l'ennemi, la trahison militaire, les crimes ou délits de garde et la capitulation. Enfin, on peut remarquer que la peine de mort s'applique également aux mineurs dès 14 ans. " In bezug auf die Todesstrafe haben wir für Jugendliche keine besondere Bestimmung. Es ist deshalb nach dem Gesetz durchaus möglich, dass gegen Jugendliche von 14-18 Jahren die Todesstrafe verhängt wird. " 32

Relevons également l'article 86 33, qui est invoqué dans tous les cas de condamnations à mort durant la Seconde Guerre mondiale. Cette article punit la violation de secrets militaires intéressant la défense nationale, un délit qui peut aussi bien être commis par un militaire que par un civil, mais qui est toujours du ressort de la juridiction militaire. La peine de mort n'intervient que dans l'alinéa 2 de l'article 86, c'est-à-dire dans le cas ou les actes auraient entravés ou compromis les opérations de l'armée suisse. Nous reviendrons sur cet article lorsqu'il sera question de l'ordonnance du 28 mai 1940. Quant à l'article 87, relatif à la trahison militaire, il réprime des délits que l'on pourrait assimiler au sabotage ; en fait, il concerne la haute trahison (mais le terme n'est pas utilisé), alors que l'article 86 concerne la trahison militaire, qui requiert l'existence d'un pays tiers. La langue allemande fait la différence entre Hochverrat et Landesverrat 34.


Les modifications du droit pénal après 1927 modifier

Dès le début des années trente, le Conseil fédéral édicte des arrêtés fédéraux comportant des mesures pénales qui complètent ou modifient tantôt le droit militaire, tantôt le droit ordinaire. Parmi les actes visés par ces mesures, un grand nombre est en relation avec des atteintes portées à l'indépendance et à la sûreté de la Confédération. Dans cette législation, qui se construit au coup par coup, on discerne nettement les craintes grandissantes à l'égard de la montée des tensions politiques entre extrême gauche et extrême droite, mais aussi les craintes face à un danger extérieur.

Relativement aux dangers encourus par la Confédération dans un contexte international toujours plus tendu, l'arrêté fédéral urgent du 21 juin 1935 35 est probablement le plus important. En effet, il crée l'ébauche d'une législation pénale fédérale réprimant les services de renseignements politiques, militaires et économiques, que l'on retrouvera dans le code pénal suisse de 1942 (article 272 à 274). Fait plus important encore, cet arrêté aboutit à la création de la police fédérale, qui joue un rôle central dans les enquêtes sur les affaires de trahison, en coordination avec le Service de contre-espionnage. Dans le même lignée, on peut également citer la loi fédérale du 8 octobre 1936 36, qui complète la législation pénale ordinaire en matière de trahison. Enfin, une ordonnance rédigée le 14 avril 1939, mais entrée en vigueur le 2 septembre 1939, dresse une liste d'actes qui doivent être réprimés (cela concerne essentiellement les éventuels agissements d'une cinquième colonne).

En ce qui concerne plus particulièrement le droit pénal militaire, différents actes législatifs rendent également compte de la perception d'un danger de plus en plus pressant. C'est ainsi que le Conseil fédéral adopte des arrêtés qui soumettent toujours plus de personnes (ou d'actes délictueux) aux juridictions militaires ; en outre, il prend des mesures destinées à protéger l'armée contre la propagande subversive ou le sabotage 37.

Toutefois, pour notre sujet, ces nouvelles dispositions n'apportent pas de changements importants puisqu'elles ne peuvent pas entraîner de condamnation à mort. En revanche, elles démontrent que les autorités ont compris que la guerre moderne engageait de nouveaux moyens (propagande, cinquième colonne, sabotage, ...), et qu'elles étaient prêtes à les affronter.

Avec l'entrée en vigueur du code pénal suisse, le 1er janvier 1942, le code pénal militaire subit quelques adaptations destinées à mettre les deux codes en adéquation 38. Les quelques modifications que cela entraîne pour notre sujet sont mineures, raison pour laquelle nous ne nous attarderons pas là-dessus. On peut tout de même signaler l'ajout d'un article 86bis concernant le sabotage, qui reprend l'article 2 de l'ordonnance du 28 mai 1940 ; cette ordonnance stipule également que toutes les personnes ayant commis des actes de sabotage seront jugées par des tribunaux militaires.


L'ordonnance du 28 mai 1940 modifier

Nous avons déjà mentionné à plusieurs reprises l'ordonnance du Conseil fédéral du 28 mai 1940, et nous allons examiner maintenant en quoi réside son importance pour le thème de la peine de mort pendant la Deuxième Guerre mondiale. En fait, cette ordonnance introduit la peine capitale dans le droit pénal militaire pendant le service actif, et toutes les condamnations à mort prononcées pendant la guerre en Suisse l'ont été en vertu des modifications apportées par elle. Autrement dit, sans ce texte il n'y aurait eu aucune condamnation à mort.

Le contenu de l'ordonnance tient en neuf articles, mais deux seulement concernent notre sujet : les articles 6 et 7. L'article 6 aggrave les peines prévues dans les articles 86 et 87 du code pénal militaire, mettant ainsi en vigueur les peines prévues pour le temps de guerre. Toutefois, le Conseil fédéral introduit une nouveauté importante puisque seul le deuxième alinéa de l'article 86 prévoyait la peine capitale, alors que le premier alinéa ne prévoyait que la réclusion, même en temps de guerre. Quant à l'article 7 de l'ordonnance, il ne concerne notre sujet que de manière théorique, puisqu'il règle un cas qui ne s'est jamais présenté, à savoir le cas où les sept juges, à l'unanimité, décident que l'exécution doit être immédiate car le salut de la patrie l'exige. Cette règle de procédure existe déjà dans l'Ordonnance de procédure pénale pour l'armée fédérale de 1889 (article 211), mais l'article commence par ces mots : " En temps de guerre... ". Avec le nouvel article, l'exécution immédiate est aussi possible en cas de service actif, ce qui peut paraître étrange car on ne voit pas dans quel cas une exécution immédiate pourrait se justifier, à part en temps de guerre justement.

Voici comment le Conseil fédéral justifie les mesures introduites par l'ordonnance du 28 mai 1940: "On a pu cependant constater, notamment lors des événements survenus au printemps, que cette réglementation ne tient pas suffisamment compte des difficultés et dangers de la situation actuelle. Aussi le commandement de l'armée, les organes de la justice militaire et l'opinion publique ont-ils réclamé avec raison une répression plus énergique des actes qui menacent notre force militaire et la sécurité du pays. Vu la nécessité d'agir rapidement et eu égard au caractère provisoire de la plupart des modifications prévues, le recours à la législation extraordinaire s'imposait." 39

L'ordonnance du 28 mai 1940 pose différents problèmes juridiques, qui laissent l'impression que si les mesures prises en matière de peine de mort n'étaient peut-être pas illégitimes, elles étaient pour le moins très discutables d'un point de vue légal 40. Cependant, il faut reconnaître que du point de vue du droit constitutionnel la situation n'est pas du tout claire, en particulier parce que le Conseil fédéral est investi de pouvoirs extraordinaires par l'Assemblée fédérale, bien qu'aucun texte législatif ne fixe quoi que ce soit en cette matière. Le droit d'exception repose, en Suisse, sur des règles non écrites tirées de l'expérience, en particulier celle de la Première Guerre mondiale 41. Il est donc possible de discuter à l'infini des problèmes posés par la délégation de légiférer donnée par le parlement à l'exécutif fédéral. Il est même soutenable de penser que cette délégation est anticonstitutionnelle, puisqu'il n'est dit nulle part que les représentants du peuple ont le droit de se défaire de leur pouvoir.

Le premier point à poser problème dans l'ordonnance du 28 mai 1940, c'est la contradiction absolue qui existe entre le principe général posé à l'article 27 - pas de peine de mort en dehors du temps de guerre - et la nouvelle teneur des articles 86 et 87 qui introduisent la peine de mort pour le service actif en cours. Il apparaît pourtant que les Chambres fédérales, de manière très claire et pour une question de principe, s'étaient opposées à la peine de mort en dehors du temps de guerre. Le peuple n'avait pas eu à prendre parti sur ce sujet car il n'y eût pas de référendum contre cette loi, ce qui permet de dire que le peuple a également accepté cette version du code pénal militaire. Autre argument de poids, qui, à défaut d'indications contraires, permettait de penser que les Suisses ne voulaient pas de la peine de mort, le code pénal suisse de 1942 ; en effet, celui-ci abolit la peine de mort pour tous les délits jugés par des tribunaux civils, et il a été accepté comme tel par l'assemblée fédérale et en référendum par le peuple. On était donc en droit de supposer que ni les Chambres ni le peuple ne voulaient de la peine de mort en dehors du temps de guerre. Certes, ce code n'était pas encore en vigueur, mais il venait d'être accepté par les Chambres et par le peuple. On peut cependant relever qu'en dernière instance ce sont les représentants du peuple, c'est-à-dire l'Assemblée fédérale, qui disposent du pouvoir de grâce (ce qui n'empêche pourtant pas la peine de mort d'être prononcée).

Deuxième point qui pose problème : le procédé utilisé par le Conseil fédéral pour modifier le code pénal militaire. En effet, la doctrine juridique n'admet pas qu'une loi fédérale puisse être modifiée par une simple ordonnance. En modifiant le droit militaire par une ordonnance (qui ne peut en aucun cas être considérée comme une ordonnance exécutive), le Conseil fédéral déroge à la règle du contrarius actus, qui veut qu'un acte législatif ne soit modifié que par un autre acte d'ordre égal ou supérieur (la hiérarchie étant: constitution, loi fédérale, arrêté fédéral, ordonnance). L'application de cette règle aurait eu comme conséquence, importante, que les autorités législatives ayant promulgué le code pénal militaire (à savoir les Chambres et, s'il l'avait désiré, le peuple) n'auraient pas été exclues d'emblée par la modification de ce code. Car il s'agit bien d'une modification, et non d'une simple mise en vigueur de prescriptions prévues pour d'autres conditions : outre la transformation de certaines peines, l'ordonnance introduit la peine de mort pour un délit qui ne la connaissait pas (le premier alinéa de l'article 86). Certes, l'ordonnance est soumise à la ratification des Chambres, mais elle n'en demeure pas moins un acte législatif du pouvoir exécutif. En outre, le peuple ne peut en aucun cas se prononcer sur cette mesure, alors qu'un référendum aurait pu être lancé contre un arrêté fédéral ou une loi fédérale.

On conclura donc que le Conseil fédéral, en promulguant cette ordonnance, a probablement outrepassé ses compétences, ce d'autant plus que l'urgence de la situation n'était pas telle qu'une consultation populaire ait été exclue. On en veut pour preuve, a posteriori certes, que la première condamnation à mort surviendra plus de deux ans après la mise en vigueur de cette ordonnance. D'ailleurs, si la situation avait été urgente au point de prendre une décision aussi importante de manière si rapide, le Conseil fédéral aurait pu choisir un autre moyen pour mettre en vigueur la peine de mort sans déroger à aucune loi, en déclarant, par un arrêté fédéral urgent et conformément à l'article 5 du code pénal militaire 42, que la Suisse était en temps de guerre, ce qui aurait eu pour effet de mettre en vigueur les dispositions du temps de guerre. S'il ne l'a pas fait, c'est probablement pour éviter que la population ne prenne peur, ce qu'elle avait déjà tendance à faire en mai-juin 1940. De plus, la Suisse s'était déclarée "en guerre", il aurait fallut savoir contre qui elle l'était 43. D'autre part, on peut aussi penser que la raison d'État, c'est dans l'air du temps, prend le pas sur les libertés individuelles ; on peut encore penser que, pendant la Deuxième Guerre mondiale, la cinquième colonne prend une importance insoupçonnée par le législateur de 1927, et que cela justifie, pour certains délits particuliers, des mesures comparables aux mesures de guerre. Effectivement, la situation du printemps 1940 était aussi imprévue et spéciale qu'elle l'était en 1914, quand la Suisse ne connaissait que la guerre ou la paix. En 1940, la Suisse n'est pas en guerre, mais la guerre semble tellement imminente qu'elle n'est déjà plus en service actif.

Pour conclure ce chapitre délicat, disons que le Conseil fédéral a pris une mesure certainement anticonstitutionnelle et excessive sur certains points, mais en partie légitime. Il reste à déterminer, et nous nous proposons de la faire dans le travail de doctorat proprement dit, les motivations du Conseil fédéral et la procédure qu'il a suivie ainsi que les réactions de l'opinion publique 44.


Le déroulement des procès militaires modifier

Nous allons voir maintenant, de manière assez sommaire, quelques éléments de procédure pénale militaire. Le point de départ d'une enquête est généralement la police ; deux polices sont plus particulièrement concernées lorsqu'il s'agit d'affaires d'espionnages : la police fédérale, qui dépend du Ministère public de la Confédération, et donc du Département de justice et police, et le Service de contre-espionnage qui dépend de l'armée. Les rapports entre ces deux services semblent d'ailleurs avoir été assez mauvais 45.

Pour ce qui en est de la justice militaire, la procédure pénale de 1889 46 établit des tribunaux de division (à raison d'un tribunal par division), et prévoit la possibilité de créer des tribunaux supplémentaires. Une instance est chargée des recours, c'est le tribunal militaire de cassation, et une autre instance est chargée des demandes de grâce, c'est le Conseil fédéral en temps de paix ou le général en cas de service actif ou de guerre. Cette dernière règle de procédure souffre deux exceptions, où la grâce est de la compétence l'Assemblée fédérale : les condamnations à mort et les jugements rendus par le tribunal extraordinaire. Tous les juges de ces tribunaux militaires sont nommés par le Conseil fédéral, ce qui motive une grande partie de l'opposition des socialistes contre la justice militaire, qui y voient une justice de classe et de partis 47. Les tribunaux militaires sont toujours collégiaux, c'est-à-dire que les décisions sont toujours prises par plusieurs juges. Les tribunaux territoriaux et de division se composent de sept juges, alors que la tribunal de cassation et le tribunal extraordinaire se composent de cinq juges. La justice militaire est placée sous la direction de l'auditeur en chef de l'armée, qui est à l'armée ce que le procureur de la Confédération est à la justice pénale fédérale.

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, deux types de tribunaux composent la première instance de la justice militaire: les tribunaux territoriaux et les tribunaux de division. Les tribunaux de division jugent les délits commis par des militaires appartenant à leur unité 48. Quant aux tribunaux territoriaux, ils sont chargés de juger les civils justiciables devant les tribunaux militaires, les militaires internés ou hospitalisés en Suisse et les militaires Suisses " lorsque le for de l'incorporation ou de l'attribution n'est pas déterminé " 49 ; les affaires sont réparties entre les tribunaux territoriaux selon une organisation géographique qui recoupe les frontières linguistiques 50. A partir de 1938, il y a neuf tribunaux de division, un pour chacune des neuf divisions et quatre tribunaux territoriaux (qui entrent en fonction le 29 août 1939). Certains de ses tribunaux seront par la suite dédoublés (tribunal territorial 2A et 2B, tribunal de division 3A et 3B,...).

Lorsqu'un jugement a été prononcé par un tribunal militaire, le condamné peut faire recours auprès du tribunal militaire de cassation ; si ce dernier rejette le recours, le condamné peut déposer une demande de grâce. En ce qui concerne les condamnations à mort, le droit de grâce appartient à l'Assemblée fédérale. Celle-ci, à la veille de l'examen des trois premières demandes de grâces déposées par les trois premiers condamnés à mort, édicte un règlement sur la manière de procéder dans cette situation 51.

Si l'Assemblée fédérale rejette le recours en grâce, il n'y a plus d'autres voies de recours et le jugement doit être exécuté, suivant la procédure établie par l'ordonnance du Conseil fédéral du 9 juillet 1940 52, car aucun autre texte, dans la procédure militaire ou dans le code, ne spécifiait quoi que ce soit pour le déroulement des exécutions. Le condamné doit être fusillé par un peloton de vingt soldats, qui, placés à six pas, tirent tous ensemble une balle chacun. Il est prévu qu'un officier tire le coup de grâce au cas où le condamné ne serait pas mort, ce qui arriva dès la troisième exécution 53. En effet, la fusillade, qui pourrait passer pour un mode d'exécution très efficace, ne l'est en réalité pas tellement 54. En revanche, contrairement à ce qui se fait aux États-Unis ou en France par exemple, aucun fusil n'est chargé à blanc 55.


II. 2. Opinions et réactions face à la peine de mort modifier

Bien que nous comptions examiner plus en détails les réactions de l'opinion face à la peine de mort dans le travail de doctorat proprement dit, il nous semble intéressant de voir quelques réactions face à la législation relative à la peine de mort.

Comme on pouvait s'y attendre, lors des discussions au parlement sur le projet de code pénal militaire présenté par le Conseil fédéral en 1918, le Conseil des États adopte une attitude plus conservatrice que le Conseil National à l'égard de la peine de mort. Ainsi, à propos de l'article 27 du code pénal militaire, la majorité du Conseil des États s'était prononcé pour un texte ne spécifiant pas que la peine de mort n'était possible qu'en temps de guerre ; par ailleurs, il était également opposé à l'idée que les condamnations à mort n'ayant pas été exécutées en temps de guerre soient d'office converties en réclusion à perpétuité. Autrement dit, le Conseil des États était prêt à accepter l'exécution de la peine de mort également en temps de paix 56. D'autre part, le Conseil des États voulait rester plus proche du code de 1851, en n'incluant pas un cas de service actif, intermédiaire entre la paix et la guerre.

Au Conseil National le débat se positionne plus à gauche, avec les interventions de Huber et Naine 57 notamment. En effet, pour la fraction social-démocrate un code pénal militaire n'est pas nécessaire, pas plus qu'une justice militaire, puisque le soldat suisse n'est qu'un citoyen en uniforme: le code pénal ordinaire doit donc être appliqué à tout le monde et en tous temps puisqu'il n'y a qu'une catégorie de personnes, les citoyens-soldats. Une minorité de la commission du Conseil National chargée d'examiner le projet de code pénal militaire se prononce même pour la suppression complète de la peine de mort 58; cette minorité se compose de parlementaires de gauche. Un autre problème qui divise la droite et la gauche est la définition du temps de guerre : la gauche s'oppose à ce que le Conseil fédéral puisse décréter que la Suisse est en guerre; elle préférerait que seule l'Assemblée fédérale puisse le faire 59.

On voit, à travers ces prises de position, que la gauche joue un rôle d'opposition face au pouvoir exécutif dans lequel, rappelons-le, elle n'est pas représentée avant l'élection de Nobs en 1943. Son opposition à la justice militaire est aussi largement motivée par le fait que le Conseil fédéral nomme tous les membres de la justice militaire ; cela, ajouté à l'antimilitarisme traditionnel de la gauche, amène une résistance certaine au nouveau code proposé.

Entre ces deux tendances (un Conseil des États majoritairement conservateur et une minorité du Conseil National qui voudrait aller beaucoup plus loin dans les réformes que le Conseil fédéral), il se trouve tout de même une majorité assez importante qui est, pour l'essentiel, tout à fait d'accord avec le projet présenté par le Conseil fédéral. Cette tendance l'emporte finalement.

Quant à l'ordonnance du 28 mai 1940, qui doit être ratifiée par les Chambres, elle n'y provoque que fort peu de discussions. Au Conseil des États, Schmucki 60 déclare que " Die Not und Arglist der Zeit rechtfertigt ohne weiteres diese Strafe [la peine de mort]. " 61, tout comme Seiler au Conseil National : " Die Zweckmässigkeit der neuen Bestimmungen für die Periode der erhöhten Kriegsgefahr ist nicht bestritten. " 62. Toujours au Conseil national, Johannes Huber fait une intervention assez critique sur l'ordonnance, mais pas sur les deux articles concernant la peine de mort. L'opinion des socialistes sur la peine de mort aurait-elle évolué, comme aurait évolué l'opinion publique en général 63 ? Leur ralliement à la défense nationale a-t-il été si complet qu'ils défendent des positions qu'ils auraient absolument rejetées cinq ou dix ans plus tôt ? Se rendent-ils compte que ces mesures ne peuvent toucher que l'extrême droite en général, et les milieux favorables à l'Allemagne en particulier ? En tous cas, nous essaierons de répondre de manière plus complète à ces questions dans notre travail de doctorat, où nous tenterons également de cerner l'opinion publique face au problème des condamnations à mort pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Toutefois, alors que le Conseil fédéral aurait voulu intégrer l'ordonnance du 28 mai 1940 dans le code pénal, profitant d'une révision du code pénal militaire pour l'adapter au code pénal suisse, le Parlement s'y oppose. En effet, il pense que cela peut bien attendre la fin de la guerre, et que le climat n'est pas propice à un tel changement de la loi.


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