La gueuse parfumée/Le canot des six capitaines/07
VII
mademoiselle cyprienne et mademoiselle brin-de-bouleau
Et pourtant, non ! Brin-de-Bouleau n’était pas bête, ou plutôt elle l’était à sa manière, ce qui est une façon d’avoir de l’esprit.
Un matin, dans l’atelier où Fabien étudiait, on avait vu entrer une assez jolie fille, mais si frêle et si blanche, et tout ébouriffée de cheveux blonds, qui venait se proposer pour modèle.
— Mademoiselle pose les bouleaux ? demanda un rapin facétieux.
— Je n’ai jamais essayé ; quoique ça, je les poserai bien tout de même.
L’atelier éclata de rire.
— Ici, mademoiselle, on ne peint que la figure. Mais allez chez M. Corot, il cherche des bouleaux pour son tableau du salon.
— Vous dites : M. Corot ?
Et la jolie fille s’en alla chez M. Corot à qui, gravement, elle raconta son histoire.
Chose qui n’étonnera personne, le bon peintre la reçut à merveille (ce babil d’oiseau l’amusait), et tout le temps qu’elle voulut il permit à Suzette de venir flâner dans son atelier deux ou trois fois par semaine, payant les séances et lui laissant croire qu’elle posait.
Ceci l’avait rendue très-fière.
— Que fais-tu maintenant, Suzette ?
— Je pose les bouleaux chez Corot.
D’où le surnom de Brin-de-Bouleau, qui convenait on ne peut mieux à sa fine petite personne argentée, et les cartes vraiment curieuses qu’elle s’était fait graver :
dite Brin-de-Bouleau
pose l’ensemble et le paysage
Brave Brin-de-Bouleau ! A part le vieux maître qui parfois, entre deux tableaux, lui parlait sérieusement, jamais personne, y compris les cinq ou six rapins pour qui elle s’imaginait poser le paysage, et Fabien qui leur succéda, jamais personne au monde n’avait daigné lui faire part d’une idée juste.
C’était une mode, au contraire, de bourrer son pauvre cerveau sans défense des notions les plus extravagantes. Et Brin-de-Bouleau acceptait tout avec confiance et sérénité. Aussi, devenue femme et presque grasse à dix-huit ans (on la devinait telle du moins sous les vêtements accusateurs et mollement drapés qu’elle portait par coquetterie de modèle), son corps tout entier semblait-il avoir embelli et fructifié aux dépens de sa tête, demeurée enfantinement petite dans une mousse de cheveux fous.
Mais on aimait ainsi Brin-de-Bouleau, et Brin-de-Bouleau s’aimait ainsi :
— Je suis bête !… Et puis après ? disait-elle.
Bien des lecteurs s’étonneront que Fabien ait pu si facilement oublier une aussi adorable personne. A cela, il faut répondre que Brin-de-Bouleau, nature affectueuse mais calme, ne prit jamais au tragique le fait très-simple d’être oubliée.
D’ailleurs notre héros est peintre ; et, pour les peintres, si le cadre est quelque chose en peinture, il est presque tout en amour. Fabien avait aimé Brin-de-Bouleau à Paris. A Paris, et même dans ces coquets environs de Paris où la musique du mirliton répond à la voix du rossignol, où toujours le parfum des feuilles et de l’eau se marie au parfum des fritures prochaines, Brin-de-Bouleau faisait bien. Mais à l’île Saint-Honorat, près de la mer, en pleins myrtes, vêtue comme on sait, et marchant toujours dans un nuage de cigarettes, Brin-de-Bouleau jurait horriblement.
De même pour mademoiselle Cyprienne : Fabien, en l’aimant, aimait surtout Antibes. Sans Antibes, peut-être n’eût-il pas aimé Cyprienne, et sans la féerique apparition de Cyprienne sur la porte du Bigorneau, Antibes peut-être lui eût-il paru moins aimable. Était-ce l’amour, était-ce le soleil, qui dorait d’un jour si clair le petit port, les deux tours et la ville ?
Et puis Fabien avait une manie singulière : demeuré ingénu malgré sa folle existence, toute petite villa vue du chemin de fer, tout contrevent vert mi-fermé, toute porte discrètement bourgeoise le faisaient rêver d’amour paisible et de facile bonheur. Déjà une fois, passant par Antibes, il s’était dit : — Joli endroit ! je dois être amoureux de quelqu’un que je ne connais pas et qui habite là-dedans.
Ce quelqu’un se trouva justement être mademoiselle Cyprienne.