La guerre des dieux, poème en dix chants (éd, 1808)/01

Chez Debray, Libraire, au Grand-Buffon (p. Frontisp.-24).


L’AUTEUR INSPIRÉ.

LA GUERRE

DES DIEUX.

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CHANT PREMIER.


Le Saint-Esprit est l’auteur de ce poème. Arrivée des dieux du christianisme dans le ciel. Colère des dieux du paganisme apaisée par Jupiter. Ils donnent un dîné à leurs nouveaux confrères. Imprudence de la vierge Marie. Insolence d’Apollon.


Dans ce tems-là, frères, de l’évangile
Ma piété méditait quelques mots ;
Il était nuit, et le sommeil tranquille
Autour de moi prodiguait ses pavots ;
Une éclatante et soudaine lumière
Frappe mes yeux ; des parfums inconnus
Sont tout-à-coup dans les airs répandus ;
En même tems d’une voix étrangère

Je crois entendre et j’entends les doux sons :
Je me retourne, et sur mon secrétaire
Je vois perché le plus beau des pigeons.
À cet éclat, à cette voix divine,
Sur mes genoux je tombe, je m’incline,
Et dis : « Seigneur que voulez-vous de moi ?
— En vers dévots il faut chanter ma gloire,
Il faut chanter notre antique victoire,
Et des Français corroborer la foi.
— Hélas ! Seigneur, à cette œuvre sublime
D’autres auraient un droit plus légitime.
De vos combats, de vos exploits divers,
Quoique dévot, j’ai peu de connaissance :
Le tems d’ailleurs corrige les travers ;
Et j’ai sans peine abjuré prose et vers.
— Je le sais bien ; mais à ton impuissance
Je suppléerai : recueille tes esprits,
Sois attentif ; je vais dicter, écris. »
Sans examen je dois donc tout écrire.
Si dans mes vers se glissent quelquefois
Des traits hardis étrangers à ma lyre,
On aurait tort d’en accuser mon choix,

La faute en est à celui qui m’inspire.
En vérité, frères, je vous le dis.
De Jupiter on célébrait la fête.
Les dieux divers, grands, moyens et petits,
Devant son trône ayant courbé leur tête,
Dînaient au ciel, et de leur souverain
Ils partageaient le délicat festin.
Leur nourriture est friande et légère.
Quelques Eurus envoyés sur la terre
Leur apportaient le parfum des autels ;
Sur des plats d’or on mangeait l’ambroisie,
Et l’on buvait dans l’agate polie
Ce doux nectar qui fait les immortels.
Comme ils buvaient, arrive à tire d’aile
L’oiseau divin qui porte Jupiter :
« Maître, dit-il, dans les plaines de l’air,
Placé par toi je faisais sentinelle.
Mes yeux sont bons ; ils ont vu tout là-bas
Des étrangers d’assez mince apparence,
Au maintien humble, aux cheveux longs et plats,
Baissant leurs fronts jaunis par l’abstinence,
Marcher sans bruit, de côté, pas à pas,

Les mains en croix sur leur maigre poitrine,
Et par milliers franchir à la sourdine
Le mur sacré qui cerne tes états. »
Partez, Mercure ; allez les reconnaître,
Dit Jupiter, et sachez leurs desseins.
Minerve alors : « Ces gens-là sont peut-être
De nouveaux dieux devenus nos voisins.
— Le croyez-vous, ma fille ? — Je le crains.
À nos dépens l’homme commence à rire,
Et nos excès prêtent à la satyre.
Nous vieillissons, je le dis sans détour :
Notre crédit baisse de jour en jour ;
Je crains Jésus. — Fi donc ! ce pauvre diable,
Fils d’un pigeon, nourri dans une étable,
Et mort en croix, serait dieu ? — Pourquoi non ?
— Le plaisant dieu ! — Plus il est ridicule,
Mieux il convient à l’espèce crédule
Chez qui tout prend, excepté la raison.
Sa loi d’ailleurs aux tyrans est utile ;
De l’esclavage elle rive les fers ;
De Constantin la politique habile
L’adoptera : malheur à l’univers ! »

On va très-vîte alors qu’on a quatre ailes :
Voilà Mercure, il entre, et sur son front
On lit déjà de fâcheuses novelles.
« Ce sont des dieux. — Se peut-il ? quel affront !
— Ce sont des dieux bien reconnus, vous dis-je,
Chez les Romains plus que nous en crédit.
Sans dignité, sans grace et sans esprit,
Leur prompt succès me paraît un prodige.
J’ai lu pourtant leur brevet sur vélin
En bonne forme, et signé Constantin,
Par cet écrit, Jupiter, on t’engage
À respecter Jésus-Christ et sa cour ;
Et la moitié du céleste séjour
De ce faquin doit être l’apanage. »
Au dernier mot de ce fâcheux récit,
De toutes parts s’élève un cri de rage :
Tombons sur eux ! Au combat ! au carnage !
Ils y couraient ; mais calme en son dépit,
En se levant leur maître formidable
Fronce deux fois son sourcil redoutable.
Le vaste Olympe aussitôt s’ébranla ;
Les tapageurs, immobiles et blêmes,

Baissaient les yeux ; le plus hardi trembla,
Et ses genoux se plièrent d’eux-mêmes.
« Vous le voyez, leur dit l’Olympien,
D’un air content, Jésus ne m’ôte rien ;
J’ai conservé ma puissance première ;
Je règne encore, et malgré les jaloux,
De mon sourcil la force est bien entière.
Modérez donc un imprudent courroux.
Plus sage qu’eux, parlez, belle Minerve ;
Expliquez-vous sans crainte et sans réserve. »
« Vous le savez, l’homme fait les faux dieux
Et les défait au gré de son caprice,
Dit la déesse ; il faut donc dans les cieux
Que Jésus-Christ librement s’établisse.
Point de combats ; notre effort impuissant
Affermirait son empire naissant.
Le mépris seul nous en fera justice. »
De Jupiter c’était aussi l’avis.
Il ordonna qu’on laissât sans obstacle
Les dieux chrétiens placer leur tabernacle,
Et s’arranger dans leur beau paradis.
« Il faut du moins les voir et les connaître,

Dit Apollon. Si j’en crois les propos,
Nous avons là d’assez tristes rivaux,
Heureux pourtant, aujourd’hui nos égaux,
Et qui demain nous supplantent peut-être.
Sachons leurs mœurs, leurs allures, leur ton,
Et leurs défauts. Ici la table est prête :
Que Jupiter, par un message honnête,
Leur offre à tous un dîné sans façon.
Vous en riez, et le rire est si bon ;
Tout parvenu d’ailleurs est susceptible.
En qualité de premiers possesseurs
De cet Olympe, hélas ! trop accessible,
Il nous convient de faire les honneurs. »
À ce discours qui flattait sa rancune,
De l’auditeur la malice applaudit,
De Jupiter la gravité sourit.
Il haïssait le Christ et sa fortune ;
Autant qu’un autre il était curieux :
Mercure donc interroge ses yeux,
Part comme un trait, et les bravo le suivent.
Une heure après les conviés arrivent :
Étaient-ils trois, ou bien n’étaient-ils qu’un ?

Trois en un seul ; vous comprenez, j’espère ;
Figurez-vous un vénérable père,
Au front serein, à l’air un peu commun,
Ni beau, ni laid, assez vert pour son âge ;
Et bien assis sur le dos d’un nuage.
Blanche est sa barbe ; un cercle radieux
S’arrondissait sur sa tête penchée,
Un tafetas de la couleur des cieux
Formait sa robe ; à l’épaule attachée,
Elle descend en plis nombreux et longs,
Et flotte encor par-delà ses talons.
De son bras droit à son bras gauche vole
Certain pigeon coiffé d’une auréole,
Qui de sa plume étalant la blancheur
Se rengorgeait de l’air d’un orateur.
Sur ses genoux un bel agneau repose,
Qui, bien lavé, bien frais, bien délicat,
Portant au cou ruban couleur de rose,
De l’auréole emprunte aussi l’éclat.
Ainsi parut le triple personnage.
En rougissant la Vierge le suivait,
Et sur les dieux accourus au passage

Son œil modeste à peine se levait.
D’anges, de saints, une brillante escorte
Ferme la marche et s’arrête à la porte.
L’Olympien à ses hôtes nouveaux
De complimens adresse quelques mots
Froids et polis. Le vénérable sire
Veut riposter, ne trouve rien à dire,
S’incline, rit, et se place au banquet.
L’agneau bêla d’une façon gentille.
Mais le pigeon, l’esprit de la famille,
Ouvre le bec, et son divin fausset
À ces païens psalmodie un cantique
Allégorique, hébraïque et mystique.
Tandis qu’il parle, avec étonnement
On se regarde ; un murmure équivoque,
Un ris malin que chaque mot provoque,
Mal étouffés circulent sourdement.
Le Saint-Esprit, qui pourtant n’est pas bête,
Rougit, se trouble, et tout court il s’arrête.
De longs bravo, des battemens de mains,
Au même instant ébranlèrent la salle.
« Voilà, dit-on, la pompe orientale.

Quel choix ! quel goût ! ces vers-là sont divins. »
Le beau pigeon, qui sentait l’ironie,
Attribuant son désastre à l’envie,
Dissimula sa haine et son humeur.
Il poussait loin l’amour-propre d’auteur.
Le dîné vint ; exquise était la chère ;
Et l’abstinence, aux chrétiens familière,
Des conviés redoublait l’appétit.
L’on dévorait. La gentille échansonne
Qu’on nomme Hébé, malignement sourit,
Et de nectar à coups pressés l’entonne.
Le doux Jésus, qu’on sollicite en vain,
Honteux, gêné, ne regardant personne,
Croyant de plus que le bon ton ordonne
De peu manger, répond : Je n’ai pas faim.
L’auteur tombé, par esprit de vengeance,
En mangeant bien prend un air dédaigneux,
Et du dégoût affectant l’apparence,
Il semble dire : On pourrait dîner mieux.
Junon, Vénus, et d’autres immortelles,
Qui de leur rang affichaient trop l’orgueil,
Daignaient à peine honorer d’un coup d’œil

Ces dieux bourgeois, et chuchotaient entre elles.
Impoliment elles tournaient le dos,
Et se moquaient de la brune Marie.
Son embarras, son air de modestie,
Servaient de texte à leurs malins propos.
Qu’une fille au village élevée,
Et dans Paris par le coche arrivée,
À Tivoli, qu’elle ornera si bien,
Vienne montrer sa beauté pure et fraîche,
Son teint vermeil emprunté de la pêche,
Ses traits charmans, et son gauche maintien,
Les connaisseurs l’entourent et la suivent :
Mais à grands bruits nos sultanes arrivent,
Jettent sur elle un coup d’œil méprisant,
Et leur dépit se console en disant :
« Fi donc ! elle est sans grace et sans tournure :
Quel air commun ! quelle sotte coiffure. »
Belle Marie, au Tivoli des cieux,
Ainsi parlaient tes rivales altières.
Mais, n’en déplaise à ces juges sévères,
De grands yeux noirs, doux et voluptueux,
Des yeux voilés par de longues paupières,

Quoique baissés, sont toujours de beaux yeux :
Sans qu’elle parle, une bouche de rose
Est éloquente, et même on lui suppose
Beaucoup d’esprit : de pudiques tetons,
Bien séparés, bien fermes et bien ronds,
Et couronnés par une double fraise,
Chrétiens ou Juifs, pour celui qui les baise,
N’en sont pas moins de fort jolis tetons.
Aussi les dieux se disaient : « La petite
Est très-gentille, et ne s’en doute pas,
Ne pourrait-on de cette Israélite
Déniaiser les novices appas ?
Pour s’amuser, qu’Apollon l’entreprenne ;
D’une passade elle vaut bien la peine. »
Mais Apollon chantait alors des vers
Dignes du ciel ; cent instrumens divers
Accompagnaient sa voix pure et sonore.
On vit après la vive Terpsichore,
La fraîche Hébé, les Graces, et l’Amour,
Dans un ballet figurer tour-à-tour.
La sainte Vierge, au spectacle attentive,
Ne cache point son doux ravissement,

Elle applaudit, et sa bouche naïve
Laisse échapper deux mots de compliment.
Ce n’est pas tout ; la modeste Marie,
S’appercevant qu’on la trouve jolie,
Qu’avec plaisir Apollon l’écoutait,
Et qu’auprès d’elle en cercle on s’arrêtait,
Par le succès justement enhardie,
Avec esprit aux païens répondait.
Certain motif que sans peine on devine,
La fait sortir : la courrière divine,
Sachant pourquoi, la guide poliment,
Et de Vénus ouvre l’appartement.
Mais soit dessein, soit hasard, la traîtresse
Ferme la porte, et seulette la laisse.
La Vierge sainte à l’aspect imprévu,
À la beauté de ce charmant asile,
Reste long-tems de surprise immobile.
Je le conçois ; elle n’a jamais vu
Que l’atelier obscur et misérable
De son époux, son village, et l’étable,
Où sur la paille elle accoucha d’un dieu.
De sa surprise elle revient un peu,

Au cabinet d’abord elle s’avance ;
Pour elle il s’ouvre, et présente à ses yeux
De belle agate un vase précieux,
De forme ovale, et doré sur son anse.
Ne cassons rien, dit-elle, en remettant
Le meuble heureux qu’elle prit un instant.


La Vierge dans l’appartement de Vénus.


Avec lenteur alors elle traverse
D’appartemens une suite diverse,
De grands salons richement décorés,
De frais boudoirs au plaisir consacrés.
Le goût y règne, et non la symétrie.
Des pots épars, des corbeilles de fleurs,
Le nard et l’ambre, et sur-tout l’ambroisie,
Parfument l’air de suaves odeurs.
Remarquant tout, notre Vierge imprudente
Voit de Cypris la tunique élégante,
Les brodequins, le voile précieux,
Le réseau d’or qui retient ses cheveux,
Et sa guirlande, et sa riche ceinture.
Elle se dit : « Une telle parure
Doit embellir ; elle me siérait bien ;
Essayons-la ; d’un moment c’est l’affaire ;

Personne ici ne viendra me distraire,
Oh ! non, personne, et je ne risque rien. »
C’était pour elle un difficile ouvrage ;
De la toilette elle avait peu l’usage ;
Le tems pressait d’ailleurs, et gauchement
Elle ajusta ce nouveau vêtement.
Elle interroge une glace fidelle
Qui lui répond : « Vénus n’est pas plus belle. »
Se regardant et s’admirant toujours,
Elle disait, mais tout bas : « Les Amours
Peut-être ici me prendraient pour leur mère. »
Et des Amours la cohorte légère
Soudain se montre, et l’entoure, et lui dit :
« Jeune maman, par quelle heureuse adresse
À vos attraits ajoutez-vous sans cesse ? »
D’étonnement d’abord elle rougit,
Puis se rassure, et tendrement sourit
À ces enfans qui l’avaient alarmée.
L’un sur ses mains verse l’eau parfumée
Qu’un autre essuie ; ils sèment sur ses pas
Le frais jasmin et la rose nouvelle ;
Puis avec grace ils unissent leurs bras,

Et sortent tous, en chantant : Qu’elle est belle !
De la louange on sait que le poison
Est très-actif : cette scène imprévue
De notre sainte enivre la raison.
Pour s’achever, elle porte la vue
Sur des tableaux où la tendre Cypris
Faisait un dieu de son cher Adonis.
Des voluptés la dangereuse image
Trouble ses sens ; une vive rougeur,
Qui n’était plus celle de la pudeur,
A par degrés coloré son visage.
Elle entre alors dans un dernier boudoir,
Où des coussins d’une pourpre éclatante,
Formant un lit, invitaient à s’asseoir.
Elle fait mieux, et s’y couche. Imprudente !
Levant des yeux languissans et distraits,
Avec surprise elle voit ses attraits,
Son attitude et ses graces nouvelles
Multipliés par des miroirs fidelles.
Elle sourit, elle ouvre ses beaux bras,
Ne saisit rien, soupire, et dit tout bas :
« Jeune Panther, objet de ma tendresse,

Que n’es-tu là ! ton heureuse maîtresse,
Ainsi vêtue, enchanterait tes yeux ;
Ce lit pour nous serait délicieux. »
On entre. Ô ciel ! c’est le dieu du Parnasse,
Pour se lever elle fait un effort,
Sur les coussins Apollon la replace,
Ses mains il baise, et dit avec transport :
« Ne fuyez pas, ô reine d’Idalie !
J’ai quelques droits, et vous voilà si bien !
— Hélas ! Monsieur, je m’appelle Marie,
Et non Vénus ; laissez-moi, je vous prie ;
Laissez-moi donc. — Oh ! je n’en ferai rien ;
Impunément on n’est pas aussi belle,
C’est Vénus même, ou c’est encor mieux qu’elle,
— Je vais crier. — Tout comme il vous plaira ;
Mais à vos cris ici l’on entrera ;
Votre costume est païen, l’on rira ;
Peut-être aussi quelqu’un se fâchera. »
Se plaindre un peu, menacer sans colère,
Beaucoup rougir, c’est en pareille affaire
Tout ce qu’on peut et tout ce qu’on doit faire.
Point de réplique à ce sage discours.

Baissant les yeux, déjà faible et tremblante,
Déjà vaincue, elle combat toujours.
Mais tout-à-coup une bouche insolente
Vient séparer ses lèvres de corail,
Et ses dents baisent le blanc émail.
Sur les coussins, malgré son vain murmure,
Le dieu pressant la pousse avec douceur ;
Un long soupir échappe de son cœur,
Et ce soupir disait : Quelle aventure !
Les dieux font bien et font vîte. Apollon
Dans ses transports conservait sa raison ;
Pour notre sainte il craignait le scandale.
Sacrifiant le reste de ses feux,
Il sortit donc, rajusta ses cheveux,
Et d’un air froid il rentra dans la salle.
En ce moment Terpsichore attachait
Tous les regards. La craintive Marie
Vermeille encor, de moitié plus jolie,
Parut enfin au dernier coup d’archet.
Le beau pigeon gonflé de jalousie,
Se lève, et dit au modeste papa,
Qui sans plaisir avait vu tout cela :

« Qu’attendez-vous ? la séance est finie ;
Voici bientôt l’heure de l’Angelus ;
Allons-nous-en, et ne revenons plus. »
Allons-nous-en, répète le bon père ;
Allons-nous-en, répète aussi Jésus,
Et par un signe il avertit sa mère.
De s’en aller elle eut quelque chagrin.
La nouveauté de ce banquet divin,
Le chant, la danse, et les tendres fleurettes
Qui chatouillaient ses oreilles discrètes,
L’avaient séduite, et son goût se formait.
D’un certain dieu l’audace peu commune
Lui déplut fort ; mais douce et sans rancune,
Au paganisme elle s’accoutumait.
Pendant la route elle en parlait sans cesse.
Le père donc lui dit avec simplesse :
« Ma chère enfant, peut-être que j’ai tort ;
Mais d’Apollon la musique m’endort.
Je n’entends rien à cette mélodie.
Il aurait dû nous donner du plain-chant ;
Cela vaut mieux. Quant à la poésie,
Le Saint-Esprit n’en est pas très-content. »

« On peut m’en croire, elle est faible et commune,
Dit le pigeon ; pas un mot des serpens ;
Tous les lions y conservent leurs dents.
On n’y voit point le soleil et la lune
Danser ensemble et soudain s’abymer,
Ni du Liban les cèdres s’enflammer. »
« Des grands ballets la beauté me fatigue,
Disait Jésus ; et ces chaconnes-là
Ne valent point le menuet, la gigue
Que l’on dansait aux noces de Cana. »
La Trinité, discourant de la sorte,
Au paradis rentre avec son escorte.


FIN DU PREMIER CHANT.