La fin du monde par la science/Livre 3


LIVRE III.



L’AVENIR


La fin du monde organique. — Rôle du serpent.


LIVRE III.



LA FIN DU MONDE ANNONCÉE PAR TOUTE L’ANTIQUITÉ.
Rôle du serpent.
XCIV.

Nous avons suivi la marche de l’homme à travers le temps, nous l’avons étudié d’abord dans le présent, et nous avons assisté à ses grandes découvertes, à cet entassement immense de connaissances, qu’un encyclopédiste seul pourrait décrire ; nous avons cherché surtout à faire comprendre tout ce qui devait ressortir un jour de la diffusion des lumières, cette puissance incalculable, d’où jailliront un jour toutes les forces vives de la civilisation.

Nous avons ensuite étudié la marche de l’humanité dans le passé et nous avons trouvé que le dogme du péché originel était la base angulaire de toutes les religions, et nous avons donné une seule et même formule pour expliquer tous leurs symboles et tous leurs mythes.

Nous allons étudier maintenant la marche de l’humanité dans l’avenir, et ce sera encore à travers les symboles vagues, obscurs, énigmatiques de l’antiquité, que nous allons chercher à prouver cette grande idée d’une catastrophe universelle, que toutes les religions ont prévue, que toutes les religions ont prédite ; catastrophe immense, qui doit arriver par le fait de l’homme seul.

XCV.

« Le brahamisme nous parle de trois incarnations, de trois époques. La première, celle de Brahma, qui subsiste 1 000 ans ; alors parut la seconde incarnation ou Siva, puis celle de Wichnou ; mais ces diverses incarnations se sont renouvelées chacune des milliers de fois. »

De là, nous tirons cette conséquence que les Hindous croyaient que les cataclysmes s’étaient renouvelés des milliers de fois.

« Brahma, c’est l’homme-dieu, l’homme-nature, l’homme réel ; Dieu tombé, attaché à la terre et destiné à parcourir le cercle nécessaire des régénérations.

« Aussi l’histoire de Brahma, c’est l’histoire du monde et de ses révolutions, c’est en même temps l’histoire de l’homme et de sa chute, et de ses longues erreurs ; toute la morale des Hindous vient se réfléchir en lui comme dans un miroir fidèle.

L’histoire de Brahma est donc l’histoire des différentes révolutions de l’humanité à travers le temps, et par conséquent l’histoire des différentes catastrophes de la planète.

La fin du monde ressort donc de ce qui précède, nous allons la voir annoncée maintenant d’une manière éclatante.

XCVI.

« Wichnou, à sa dixième incarnation paraîtra monté sur un coursier d’une blancheur éclatante avec un glaive resplendissant à l’égal d’une comète, pour mettre fin aux crimes de la terre ; quelques-uns disent qu’il sera lui-même ce coursier, ayant un pied levé pour la vengeance ; sitôt qu’il l’appesantira sur le globe, les méchants seront précipités dans l’abîme, et la terre s’en ira en poudre. On le voit encore avec la forme humaine et une tête de cheval, armé d’un glaive et d’un bouclier. C’est l’alliance de Wichnou et de Siva ; et quand viendra Calki, le destructeur, un vent de feu, ou selon d’autres le serpent Sécha vomissant des torrents de flammes, consumera tous les mondes et détruira toutes les créatures. Mais, ajoute-t-on, au milieu de cet embrasement général, les semences des choses seront recueillies dans le Lotus, alors recommencera une nouvelle création, alors s’ouvrira un nouvel âge de pureté. Rien ne peut-être absolument anéanti, la substance demeure dans les variations perpétuelles des formes. »

Où peut-on voir une description plus saisissante de la fin du monde et de ses différentes palingénésies ; nous la retrouverons partout la même dans toute l’antiquité.

XCVII.

« Les stoïciens croyaient aussi à la destruction du monde par le feu, il y a une étonnante analogie entre les idées de cette école et la croyance des Sivaïstes sur la consommation finale des choses. »

Toute l’antiquité philosophique et religieuse crut donc à la destruction du monde organique par le feu, qu’on ne l’oublie pas !

« Après Brahma et Wichnou, il ne reste plus que Siva, semblable à une flamme qui danse sur le monde réduit en cendres.

« À mesure que le monde et les hommes s’avancent dans la carrière du temps, ils s’éloignent de leur principe ; ils dégénèrent dans l’empire de la mort et du péché, les formes se développent, la création s’étend, grandit et se perfectionne en apparence ; vaine illusion ! le mal aussi grandit et se déploie, le monde marche incessamment vers la ruine ; la vie s’épuise, la substance défaille peu à peu ; alors les incarnations seules suivent des progressions constantes de beauté et de grandeur. Wichnou est ce médiateur qui se dévoue pour le salut des créatures et répare incessamment les atteintes dont une cause destructive mine incessamment l’univers. »

Nous repoussons complètement l’explication que nous donne cet auteur sur la fin des choses, quand il nous dit : la vie s’épuise, la substance défaille.

Non, la vie ne s’épuise pas ; non, la substance ne défaille pas, au contraire, la vie humaine exalte ses puissances et sollicite toutes les énergies de la nature jusqu’à la faire éclater, semblable à un homme qui chargerait outre mesure une batterie électrique et qui la ferait voler en éclats.

XCVIII.

« Les Égyptiens dans leur mythologie reconnaissaient des périodes ou cycles de 1 400 ans et même plus considérables qui devaient être terminés par des révolutions générales dans la nature tous les 3 000 ans, disait la tradition, à l’équinoxe du printemps, quand la sécheresse exerce son empire. Quand on attend la corne de salut et d’abondance, au lieu de l’inondation du Nil survient un déluge de feu, le monde entier est la proie des flammes, et la terre sacrée d’Hermès, s’évanouit elle-même en fumée, puis Syrius revient, et avec lui, l’inondation préservatrice. »

Il faut remarquer ceci, c’est que chez les Hindous, Wichnou est le principe de l’eau et Siva le principe du feu, comme en Égypte Typhon est le feu, et Syrius est l’eau. Le grand rôle de Syrius et de Wichnou est donc d’éteindre l’incendie allumé par Siva et par Typhon. La fin du monde arrive donc par le feu, c’est-à-dire par Siva et Typhon qui consument tout : puis le déluge représenté par Wichnou et par Syrius vient éteindre l’incendie, et une nouvelle création sort du sein des flots qui la portaient en germe. Aussi les anciens adoraient-ils Wichnou et Syrius, ou l’élément liquide, comme symbole de régénération et considéraient-ils Siva et Typhon ou le feu, comme les destructeurs du monde.


XCXI.

« En Égypte, Hermès ou Sirius est encore l’esprit des esprits, c’est lui qui mène et ramène les âmes par toutes les sphères et assiste à la fin et au commencement de la grande carrière du monde et des temps, carrière fatale qui n’est autre chose que la grande année de trois millénaires après laquelle toutes choses se trouvent à leur première place et sont renouvelées.

« La transmigration des âmes, immense idée, est entr’autre représentée par le labyrinte avec les 3 000 chambres dont 1 500 au-dessus et 1 500 au-dessous de la terre, c’est le palais symbolique destinée à figurer ce grand cycle de 3 000 ans que l’homme doit parcourir jusqu’au renouvellement de l’univers.

« Les manwantaras sont infinis, les destructions et les créations sont innombrables ; l’être suprême produit et reproduit les mondes comme en se jouant.

« Wichnou, c’est l’eau qui conserve, Siva c’est le feu qui détruit ; après le déluge la nature renaît. Après le feu, le monde reste des millions d’années sans créatures.

« Brahma, qui tantôt est Dieu, tantôt est l’homme mystique, le prototype de l’homme, est une allégorie du temps, avec ses périodes de destructions et de renouvellement, qui embrassent tout à la fois, l’histoire de l’homme et celle du monde, de là cette série de Brahma qui meurent et ressuscitent tour à tour, et leurs têtes suspendues ou collées au cou de Siva et de Cali, véritables énigmes mythologiques, que le philosophe, l’historien, l’astronome, doivent expliquer de concert. »

C.

Il est étonnant que l’auteur demande l’explication de cette énigme. Si Brahma est l’homme dans le temps, s’il est aussi l’histoire du monde et de ses renouvellements, il est naturel que Cali et Siva, ces feux dévorants, ces destructeurs des mondes, portent en trophée à leur cou les têtes des diverses incarnations de Brahma, puis qu’ils vont sans cesse les consumant. Pour ne pas comprendre cette énigme et la donner encore à deviner aux astronomes, aux historiens et aux philosophes, il faut qu’il ait oublié complètement l’opinion de l’antiquité, telle que nous la revoyons reproduite dans les différentes figures symboliques du serpent embrasant les mondes, s’il avait attribué au serpent le rôle que lui attribuait toute l’antiquité. Il comprendrait comme nous, pourquoi Siva et Cali, qui ont pour attribut le serpent, symbole de la destruction, sont représentés avec le collier des mondes qu’ils ont embrasés, avec les têtes des Brahma qu’ils ont détruits.

« Bhavani Dourga est Lyoni cosmique du mont Mérou, la grand’mère et la matrice des êtres, c’est Bhavani qui dans le bouleversement général de l’univers a recueille en soi les semences des choses. »

« En Béotie comme en Lybie nous retrouvons sur les bords du lac Copaüs les souvenirs des catastrophes d’un monde primitif. »

Les volcans qui s’éteignent aujourd’hui ne sont-ils pas les derniers regards d’un monde qui n’est plus.

CI.

« Il y a quatre âges nous dit M. Reynaud dans l’histoire de la terre, l’âge de feu, l’âge de l’océan, des continents, de l’homme. »

Il aurait dû ajouter et ces quatre âges se renouvellent à l’infini. Les Égyptiens le comprenaient si bien qu’ils adoraient le Phénix, des cendres de l’ancien Phénix qui se brûle lui-même, naissait le nouveau.

D’ailleurs, pourquoi ces quatre âges n’auraient-ils pas déjà eu lieu d’une manière infinie dans l’infini des temps, qui nous prouve qu’avant le dernier embrasement du globe l’homme n’ait pas déjà existé des milliers d’années, puis disparu dans cette vitrification universelle, puis reparu enfin de nos jours quand la planète se fut refroidie et que les vapeurs se furent liquéfiées, cette opinion est d’autant plus vraie qu’elle ne contredit en rien la science et qu’elle est entièrement confirmée par la doctrine des Hindous et des Égyptiens.

« Menou déclare à Brahma lui-même que le genre humain tourne éternellement dans un même cercle, partagé en quatre âges ; les périodes des Menous sont innombrables ainsi que les créations et les destructions du monde, et l’être suprême les renouvelle comme en se jouant.

CII.

« L’âge anté-historique nous représente l’enfance de l’humanité ; l’antiquité, son adolescence ; le moyen âge, sa jeunesse ; l’âge dans lequel nous sommes sa maturité. Mais si depuis son berceau l’homme gravit les degrés ascendants jusqu’à l’âge mûr, les degrés s’abaissent en sens inverse, il redescend par la vieillesse et la décrépitude au tombeau. »

Nous ne partageons pas cette opinion, nous la repoussons même de toutes nos forces ; la marche de l’humanité à travers le temps ne peut-être comparée à une échelle double où l’homme après avoir monté successivement les degrés d’un côté, serait obligé ensuite de descendre les degrés opposés.

Car nous ne reconnaissons pas de limites au génie humain, et nous croyons, comme l’encyclopédiste Condorcet, que la perfectibilité humaine est réellement indéfinie. Donc, nous n’admettons pas cette seconde période de vieillesse et de décrépitude ; mais nous croyons que l’homme arrivé aux derniers degrés de la civilisation disparaîtra fatalement et tout d’un coup, sous les ruines de la civilisation même qu’il aura voulu porter trop haut.

N’est-ce donc pas l’explication nécessaire de cette tour de Babel que l’homme voulait élever orgueilleusement jusqu’au ciel.

On le voit donc, toute l’antiquité païenne raconte d’une manière dramatique la fin du monde, il y aurait des volumes à faire des arguments irrésistibles que l’on trouve dans les théogonies de tous les peuples. Mais ici comme pour le péché originel, nous saurons nous arrêter dans de certaines limites de peur de fatiguer le lecteur.

CIII.

La Bible nous la raconte aussi d’une manière splendide.

Les anges sonneront avec les trompettes à la fin du monde. 24, 31. Cor. 15. 52.

L’apocalypse nous la décrit d’une manière saisissante.

Les tentations et les séductions des mauvais génies iront en redoublant aux derniers temps.

CIV.

Remarquez bien ces paroles de la Bible (le jugement universel tombera d’abord sur le grand ennemi) : le tentateur du premier homme qui l’accompagne dans le temps et disparaît avec lui à la fin du monde. Cette solidarité, cette identité, ce parallélisme de l’homme et du serpent qui naît avec lui, vit et meurt avec lui, prouve bien que le serpent, ou Satan, n’est que la personnification de l’orgueil chez l’homme, qui le prend au berceau et l’accompagne jusqu’à la mort.

L’écriture nous laisse entrevoir l’époque où les anges, doués comme nous de libre arbitre, se sont partagés entre l’obéissance et la révolte où ils sont tombés volontairement.

Nous pouvons conclure de là que l’homme tombera aussi volontairement, et qu’il sera la cause de la grande catastrophe.

CV.

Immédiatement après la chute, la grande sentence de Satan et de ses compagnons fut prononcée ; c’est sous les liens éternels de ce jugement, des liens d’obscurité, dit l’Écriture, qu’ils sont gardés depuis lors pour le jugement de la grande journée.

Le jugement universel tombera d’abord sur le grand ennemi, c’est alors que Satan disparaîtra pour toujours en même temps que notre terre et nos cieux, pour faire place aux nouveaux cieux et à la nouvelle terre. (Apoc. XXII.)

CVI.

Nous venons d’assister à cette grande prophétie de la fin du monde que toute l’antiquité nous raconte d’une manière si saisissante, nous avons assisté aux derniers temps annoncés par la Bible ; il nous serait facile d’étendre nos citations à l’infini ; nous laissons ce soin au lecteur. Qu’il prenne le premier livre venu de cosmogonie ou de théogonie, il y trouvera une moisson immense à faire qui lui permettra de satisfaire complètement sa curiosité. Mais, qu’on le remarque, dans toutes les religions le serpent, symbole de la ruse, de la séduction, de la tentation, est le grand acteur de cet épouvantable drame, il en est tout à la fois la cause et l’effet.


LA FIN DU MONDE PAR LE SERPENT.
CVII.

Nous allons chercher à nous faire comprendre par quelques citations, le rôle que toute l’antiquité assignait au serpent sur la fin des choses.

Et, peut-être, comprendrez-vous que le serpent n’est que la personnification de l’orgueil et de l’exaltation de la puissance humaine et quelle est l’éternelle cause de la chute de l’homme.

Il en est la cause et l’effet, quand la Bible nous dit (le dernier jugement tombera d’abord sur le grand ennemi de l’homme) de celui qui a exalté son orgueil en lui disant : mange du fruit de l’arbre de la science, tu seras aussi puissant que Dieu, connaissant le bien et le mal, c’est-à-dire la vérité, de cet ennemi dont la séduction perdit l’homme un jour et qui depuis ce temps travaille constamment à le séduire, jusqu’au jour où il le perdra définitivement, quand les derniers temps seront venus.

CVIII.

Il est cause et effet à la fois quand, nous disent les Wédas, Siva, à la chute des mondes, est assis solitaire sur le dragon qui les a dévorés ; car il est la flamme qui allume l’incendie et l’incendie qui dévore : n’est-ce pas en effet l’orgueil qui allume l’incendie.

Il est cause et effet, quand l’Inde nous dit : quand viendra Calki le destructeur, un vent de feu, ou selon d’autres le serpent Sécha, vomissant des torrents de flamme consumera tous les mondes et détruira toutes les créatures.

Il est cause et effet, quand Siva reste seul à la fin des temps, semblable à une flamme qui danse sur le monde réduit en cendres, et qu’on sait que Siva n’est autre chose que Calki et Sécha, ces serpents dévorants.

On le voit donc, partout le serpent que l’on trouve figurer au commencement des théogonies reparaît à la fin des temps, il est toujours le principe du mal, la cause de la chute de la création et la flamme qui la consume.

CIX.

Il n’y a pas une des scènes cosmogoniques des religions de l’antiquité, dans laquelle on ne retrouve l’idée du serpent liée à celle de la fin du monde.

On voit le dieu Siva, figure 30 des scènes cosmogoniques de Creuzer, assis sur le grand serpent à trois têtes, qui est le symbole de la destruction de la tentation, la cause éternelle de l’ordre et du chaos qui se manifeste dans le temps.

Dans une de ces scènes cosmogoniques de Creuzer l’on voit deux serpents disposés en cercle qui dévorent un homme et qui paraissent exprimer leur pouvoir fatal sur son passé et sur son avenir ; car, tandis que l’un lui dévore le crâne, l’autre lui dévore les membres inférieurs ; cette figure horriblement saisissante fait mal à voir, elle nous montre d’une manière irrécusable l’idée que les anciens se faisaient du rôle du serpent, qui, selon eux, doit perdre l’homme dans l’avenir comme il l’a déjà perdu dans le passé. L’horrible de cette scène, c’est que l’homme ne peut plus lutter, il est dévoré sans pouvoir se défendre.

CX.

On voit encore une scène représentant deux serpents enlaçant Saturne ou le temps dans leurs terribles anneaux, affectant une forme sinueuse, mais néanmoins circonscrivant le cercle de l’infini ; elle est pour nous l’image effrayante que se faisait l’antiquité du triomphe du mal dans le temps, car Saturne est entièrement enveloppé par le serpent.

Le serpent est aussi le symbole de la science, du génie, de l’invention, aussi le représente-t-on au milieu des moissons ; mais sa présence, qui est l’emblème de la sagesse et de la science n’est qu’une question de temps, et cette science et cette sagesse aboutissent à la fin à Sécha, ce serpent qui embrase les mondes.

Une autre figure significative représente le serpent Sécha avec sept têtes, vomissant des flammes qui consumeront toutes choses à la fin du quatrième âge ; à la tête de chaque serpent est suspendu un monde qui brûle.

La figure 115 est saisissante, on voit les mondes supportés par la tortue, symbole de la force et du pouvoir conservateur, reposant elle-même sur le grand serpent, emblème de l’éternité qui enveloppe tous les mondes dans son cercle fatal.

CXI.

On le voit donc d’une manière évidente, toute l’antiquité attachait au serpent un rôle fatal, terrible, il est la préface et la conclusion, l’alpha et l’oméga de toutes les religions, de toutes les théogonies.

Aussi entourera-t-il éternellement de ses replis sinueux l’arbre de la science du bien et du mal et en présentera-t-il dans toute l’éternité les fruits si suaves et si funestes pour l’homme. La spirale que décrit son corps autour du vieux tronc de l’arbre de science, n’est-elle pas le symbole de la science elle-même, s’élevant par une pente toujours ascendante jusqu’au fruit vers lequel l’homme tend sans cesse une main téméraire. Le jour où il l’aura cueilli, les derniers temps seront venus ; car ce jour-là l’homme, nouveau Samson, aura senti ses forces lui revenir, il comprendra la plénitude de sa puissance ; alors, fort comme Dieu lui-même, il ébranlera les colonnes de l’ordre éternel et disparaîtra sous les ruines du monde.

Notre tâche est achevée, nous nous résumerons donc.

CXII.

Nous avons d’abord montré l’homme dans le temps présent, arrivant à la civilisation et progressant d’une manière infinie ; nous n’avons pu développer la somme de toutes ses connaissances acquises, comme nous l’aurions voulu. C’est l’œuvre d’un encyclopédiste, nous ne sommes qu’ignorant ; mais nous avons vu quelques-uns de ses immenses progrès réalisés en un siècle seulement, et nous avons déduit avec Michelet, Lamartine, Reynaud, Pascal, Condorcet : que les progrès de l’esprit humain étaient infinis, et qu’aucun terme ne pouvait être assigné au perfectionnement des facultés humaines.

À ceux qui nous demanderont qu’est-ce que le présent ? nous répondrons : le présent est à la fois cause et effet, car il est tout à la fois lumière et ténèbres ; il est ténèbres par le péché originel et la chute de l’homme, il est lumière par l’avenir. Nous sommes en effet entre deux catastrophes, entre deux incendies, l’un qui vient à peine de s’éteindre, l’autre qui commence à s’allumer.

Nous avons ensuite cherché à expliquer le péché originel, cette énigme posée par toutes les religions et que l’on retrouve au seuil de toutes les théogonies de l’antiquité, et à travers tous les voiles épais du passé nous avons vu toujours transpirer la même idée, à savoir :

Que l’orgueil de la science, ce vieux péché du monde qui a été un jour la cause de la chute de l’homme dans le passé, sera encore cause de sa chute dans l’avenir.

CXIII.

Cherchez à donner une autre théorie qui explique mieux et d’un coup tous les mythes et les symboles, tous les mystères des anciennes religions ; qui donne à l’homme sa véritable place dans le présent et détermine mieux l’avenir du monde inscrit dans toutes les religions de l’antiquité : nous vous en défions.

CXIV.

Connaissant donc la valeur de l’homme dans le présent et dans le passé, nous avons cherché à dégager l’avenir, et nous avons trouvé que les derniers temps étaient prédits dans la Bible, dans les Wédas et dans toutes les religions de l’antiquité ; nous avons vu que cette fin des choses était partout personnifiée par le mythe du serpent tentateur, comme cause et effet, car il est la flamme qui allume l’incendie et le feu qui consume ; il est la séduction, la tentation et l’orgueil de la science et de la puissance, il est Séva qui, à la fin du monde, est assis sur le dragon qui les a dévorés ; il est Sécha vomissant des torrents de flammes et consumant les mondes ; car l’on voit dans les scènes cosmogoniques deux serpents en cercle, dont l’un dévore le crâne, l’autre les membres inférieurs de l’humanité : rôle terrible assigné au serpent par l’antiquité tout entière sur le passé et l’avenir de l’homme.

CXV.

Qu’on ne vienne donc plus nous dire que l’antiquité crut à la destruction du monde par une comète ; nous demanderons alors pourquoi l’on voit figurer dans toutes ces scènes cosmiques, dans toutes ces légendes antiques, le serpent comme principe de tout mal, de toute destruction.

Si l’on voulait se rappeler le rôle que lui a assigné toute l’antiquité, on le verrait partout comme dans la Bible, tentateur, séducteur, et finalement destructeur ; il est la flamme qui allume l’incendie, et le feu qui consume ; il est une personne et non une chose ; en faisant le mal il sait qu’il le fait et pourquoi il le fait ; tandis qu’au contraire la comète qui dévore, obéit à une loi fatale, elle détruit sans savoir pourquoi elle détruit ; brûle, par ce qu’elle brûle ; elle ne tente pas, elle ne séduit pas, elle n’est pas une personne, elle n’est qu’une force fatale. Donc, en donnant pour cause de la chute de l’homme et pour cause de sa disparition dans l’avenir, le serpent, l’antiquité a voulu nous apprendre que, la grande catastrophe arriverait par une créature voyant, agissant et pensant. Prométhée en s’emparant du feu du ciel est-il une force aveugle ? non ! il est une cause morale.

L’harmonie préétablie ne peut donc être troublée que par une personne responsable, jouissant de l’exercice illimité de sa liberté. Seulement cette liberté illimitée de l’homme, sera un jour cause de sa perte ; car, pour qu’il pût jouir en toute sécurité des forces de la nature, il faudrait supposer qu’il les connût complètement, et d’ailleurs, quand bien même il les connaîtrait complètement, il ne connaîtrait pas tous les rapports qui existent entre elles et qui sont les sources de toutes harmonies et de toutes fatalités. Qu’il vienne donc un jour se méprendre sur les rapports énergiques de la nature, et tout est perdu. La liberté illimitée que Dieu nous a donnée, nous sert tout à la fois, et de flambeau pour nous éclairer et de torche pour allumer notre bûcher.

CXVII.

Ô homme ! qu’es-tu donc et pourquoi t’enorgueillir de la science ? Quand la fatalité, ce glaive sans cesse suspendu sur ta tête, menace de tomber sur toi à chaque mouvement imprudent que tu fais.

Pourquoi élever sans cesse l’édifice de la civilisation et entasser péniblement Pélion sur Ossa ? Veux-tu donc encore escalader le ciel, ne te souviens-tu plus des foudres de Jupiter, ne sais-tu donc pas que l’électricité frappe d’autant plus sûrement que le moment est plus élevé, et d’ailleurs, ne sens-tu pas le monument craquer sous son propre poids ? Ne comprendras-tu donc jamais que tu ne fais qu’élever ton propre mausolée.

CXVIII.

L’homme me répond en soupirant :

C’est ma destinée.

C’est le mot de ce Sisyphe, roulant son éternel rocher.

C’est le mot des Danaïdes remplissant leur éternel tonneau.

C’est le mot de Pénélope.

C’est celui d’Ixion.

C’est en un mot le grand soupir de toute l’antiquité : ce sera aussi le mot de l’avenir.

CXIX.
LA CIVILISATION COURT FATALEMENT À SA PERTE UN BANDEAU SUR LES YEUX.

En effet, à quelque hauteur que puisse un jour atteindre la civilisation, l’ignorance des rapports des forces sera toujours la porte d’entrée par laquelle pénétrera la fatalité : ce sera là le défaut de la cuirasse par lequel l’humanité doit un jour recevoir sa blessure mortelle.

Citons quelques exemples.

L’ignorance des lois atmosphériques et de leurs rapports avec le monde organique, ne nous a-t-elle pas fait déboiser les montagnes, et Fourier n’avait-il pas raison de nous prédire que le déboisement amènerait des inondations, des pluies torrentielles ; et si vous prétendez que l’oïdium, cette maladie de la vigne, que la maladie des pommes de terre proviennent d’une trop grande humidité, ne faut-il pas attribuer ces fléaux au déboisement : cette œuvre d’ignorance, d’une civilisation savante. Quelle que soit la valeur de cette théorie sur la maladie des végétaux, il n’en est pas moins vrai qu’aujourd’hui, il faut reboiser les montagnes que l’on déboisait hier.

La civilisation va donc toujours en avant, comme une corneille qui abat des noix.

N’est-ce pas elle encore qui, en morcelant à l’infini la propriété, doit, selon Fourier, stériliser la terre.

Mais, direz-vous, nous avons appris à nos dépens que le déboisement était cause des inondations, aussi reboisons-nous. À quelque chose, malheur est bon.

Le morcellement de la propriété est-il jugé contraire à l’agriculture : nous rétablissons la grande propriété par les associations. Il n’en sera que cela, notre expérience nous aura au moins servi à quelque chose.

CXX.

L’expérience n’est-elle pas la condition même du progrès.

Triste réponse : C’est-à-dire, qu’après chaque désastre que vous aurez fait vous espérerez toujours trouver le remède, et que votre expérience vous servira plus tard. Et qui vous dit qu’un jour le désastre, la catastrophe que vous amènerez fatalement par votre orgueilleuse civilisation ne seront pas tels, qu’il ne pourra plus y avoir de remède.

Voyez cet océan immense des mers entourer notre globe, avec ses feux phosphorescents, avec ses couches huileuses et grasses, avec ses éléments si combustibles, si inflammables que les volcans s’y allument sans cesse, et qu’ils ne s’éteignent faute d’aliments, que quand la mer les a abandonnés.

Voyez d’autre part, ce produit chimique, brûler dans l’eau, véritable feu grégeois, qui va ouvrir la route à cent autres découvertes plus incendiaires encore.

Et comprenez enfin comment un jour ou l’autre l’incendie peut s’allumer dans le monde.

CXXI.

Sachez-le bien, le jour où le vaisseau de la civilisation viendra se briser contre l’écueil de la fatalité, écueil si profondément caché au sein des forces de la nature, que l’homme ne pourra ni le soupçonner ni l’éviter, ce jour-là sera le dernier de notre cycle humain.

En voici la preuve.

CXXII.

Parmi les innombrables conceptions titaniques qui sont sorties des cerveaux des philosophes socialistes, et qui doivent se réaliser un jour, nous en citerons une seule qui servira de type à toutes les autres elle suppose nécessairement la collection des volontés et des forces par l’association.

CXXII.

Nous lisons dans M. Reynaud.

« Pour perfectionner à l’égard de la pluie les conditions de notre existence, en considérant qu’il n’y a que les rayons solaires qui aient de l’influence sur ce météore, on devra sentir que les mouvements de l’atmosphère ne sont peut-être pas aussi essentiellement indépendants de notre industrie que ceux des astres ; il nous suffirait de faire jouer de quelque manière le rayonnement du noyau central de la terre pour susciter au soleil, au moins dans notre atmosphère, une puissance capable de le troubler dans la domination absolue, et pour causer par conséquent une révolution dans l’ordre actuel des vents et des nuages ; mais on se convaincra aussi par ce même enchaînement, que c’est à condition de pouvoir manier à son gré une arme aussi prodigieuse que la chaleur planétaire, que l’homme pourra jamais espérer de se faire maître de ce domaine. »

CXXIV.

N’est-ce pas là vouloir renouveler l’histoire de Prométhée dérobant le feu du ciel et étant foudroyé par Jupiter.

L’histoire de Zagara réduit en cendres pour avoir pénétrer dans les entrailles de la terre et avoir attaqué orgueilleusement la divinité.

On le voit, le projet de M. Raynaud est vraiment gigantesque, car il mettrait l’homme à l’abri de la fatalité des éléments ; mais que de dangers avant d’arriver à cette conquête atmosphérique, nous dit-il lui-même.

Ne savons-nous pas en effet que notre planète est un globe de feu, dont la couche extérieure superficiellement refroidie est une pellicule imperceptible par rapport à son diamètre de 3 000 lieues.

Je vous cite cette théorie de M. Reynaud entre mille autres que je trouve dans les auteurs socialistes, seulement dans le but de vous faire comprendre toutes les conséquences fatales qui peuvent résulter de ces expériences que l’humanité doit nécessairement tenter dans l’avenir. Et qui tôt ou tard doivent fatalement changer la face du monde planétaire.

Tentatives fatales que le génie de Donoso Cortès paraissait prévoir quand, en mourant, il laissa tomber ces mots prophétiques :


« Ceux qui vivront verront et ceux qui verront seront épouvantés, car les révolutions précédentes n’ont été qu’une menace, la catastrophe qui doit venir sera dans l’histoire la catastrophe par excellence. »


De tout ce livre que retenir ?

Un mot ! une seule formule qui explique tout à la fois le passé, le présent et l’avenir de l’humanité.

L’orgueil de la science, ce vieux péché du monde, qui a été la cause de la chute de l’homme dans le passé, sera encore cause de sa chute dans l’avenir.


FIN.

UN DERNIER MOT.

Vous avez fermé ce livre sans le comprendre. Ne vous l’avais-je pas dit en commençant ? Donc, ma formule ne peut être votre formule. La civilisation n’est point encore assez avancée, nous ne sommes encore qu’à l’aurore des choses, je vous le dis encore, ce livre n’est pas écrit pour ce siècle, pour vous. D’autres temps viendront où l’homme pénétré de terreur à la vue des prodiges qui se passeront sous ses yeux, le comprendra et sera effrayé.

Mais le jour où il interprétera comme nous, le mythe du péché originel, de l’arbre de science, du fruit défendu, de la chute de l’homme :

Les derniers temps seront venus.

Le fruit de l’arbre de la science aura été cueilli,

Les colonnes de l’ordre éternel auront été ébranlées.

Et notre cycle humain sera sur le point de disparaître, comme disparut un jour celui d’Adam qui l’a précédé.

Car, ne l’oubliez pas :

Le passé n’est que le miroir de l’avenir, et :

CE QUI A ÉTÉ SERA.
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Nota. — Je me réserve de donner un jour la conclusion du présent ouvrage.