La femme aux chiens/Conclusion

CONCLUSION


Il y a lieu de croire que ces infernales amours ne durèrent pas longtemps. On peut lire en effet dans les journaux du 6 avril 1912 l’article suivant :

Un drame obscur et troublant vient de jeter la consternation dans la jolie localité des B***, où l’une des victimes, Mme Moutiers, était universellement aimée à cause de son amabilité et de sa charité inépuisable. Voici les faits : Dans le parc qui entoure l’habitation où logeait la victime, on a aménagé dans un coin ombreux un gymnase et un kiosque fermé où des appareils hydrothérapiques sont installés avec tout le luxe moderne.

Mme Moutiers y passait souvent ses après-midi en compagnie de sa femme de chambre, occupées toutes deux à des menus travaux de couture. Avant-hier elles s’y rendirent comme de coutume, mais, le soir venu, la vieille cuisinière de la maison, fut prise d’inquiétude et se dirigea vers cette partie du parc.

Mais avant d’y parvenir elle fut arrêtée par deux gros chiens qui lui montrèrent les dents. Saisie de peur, elle alla appeler le concierge-gardien Gernaque qui prit son fusil et accompagna la vieille domestique. Par son attitude énergique et menaçante, il put se défaire des deux chiens qu’il fit sortir du parc, puis il alla jusqu’au kiosque ; deux ou trois autres chiens rôdaient encore par là.

De plus en plus inquiets et intrigués, les serviteurs pénétrèrent dans le kiosque et poussèrent un cri au spectacle qui s’offrait à leurs yeux. Les deux femmes qu’ils cherchaient étaient couchées sur le tapis, complètement nues, sauf les bas et les bottines, et paraissaient inanimées, mortes peut-être. Elles étaient encore entourées de cinq ou six chiens qui les léchaient comme pour les rappeler à elles.

Le garde, à coups de canon de fusil et à coups de pied, chassa la meute pendant que la vieille cuisinière commençait à donner ses soins aux deux femmes après les avoir recouvertes. Elles furent transportées à la villa sans avoir repris leurs sens, et le docteur de Mme Moutiers qu’on était allé chercher en hâte, constata d’abord le décès de la femme de chambre, morte foudroyée d’un arrêt du cœur provoqué par une commotion violente, la frayeur probablement. Quant à sa maîtresse, elle n’en vaut pas beaucoup mieux, car tout en étant revenue à la vie, elle n’a pas repris sa lucidité, et dans un délire de fièvre intense, elle raconta des histoires horribles, par petites phrases hachées, et souvent incompréhensibles. Le docteur craint une méningite.

On suppose que les deux femmes, incommodées par la chaleur, allèrent prendre une douche et que, une fois déshabillées, elles furent assaillies par cette meute de chiens venus on ne sait comment, et qu’elles s’évanouirent de peur.

Nous lisons encore le 8 avril :

Mme Moutiers, la victime du drame obscur que nous avons relaté avant-hier, vient de succomber à une fièvre cérébrale, malgré tous les soins qui lui ont été prodigués. C’est une grande perte pour tous, et particulièrement pour les pauvres.

Nous envoyons à sa famille nos condoléances émues.