La femme aux chiens/Chapitre 8

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Chapitre VIII

Régine malade des suites de son orgie amoureuse. — Les chiens du pays en rut. — Zig viole une fillette et est abattu. — La fidélité du basset. — Régine l’achète. — Guérie et en proie à de nouveaux désirs. — Le basset la caresse et l’encule. — Dispute orageuse. — Coralie se fait lécher par sa maîtresse qui lui promet une partie de sa fortune.


La secousse avait été trop forte. Régine garda le lit plusieurs jours et fut obligée de se soigner sérieusement pour réparer l’irritation amenée par ses folies sadiques.

Elle avait été quelque peu forcée par la pine de Gosse, et il fallait laisser à dame nature le temps de tout remettre en ordre. Avec des bains, des injections, des promenades, elle se retrouva comme ci-devant. Sa cuisinière Louison lui apporta tout son dévouement pour l’aider à se rétablir.

Elle se traîna assez longtemps en convalescence parce qu’elle évita d’en référer à la science d’un docteur. Elle redoutait trop qu’il ne devinât la cause de son mal, et Louison, en qui elle avait toute confiance, et à qui elle raconta avoir abusé de l’amour d’un galant trop vigoureux et trop membré, connaissait des recettes pour venir à bout de ces inconvénients. Elle prétendait qu’elle se serait guérie, même si elle avait été enconnée par un âne.

Pendant ces jours de maladie, Coralie allait et venait, s’occupait de tout, faisait les courses en ville, trouvait très peu l’occasion de s’entretenir avec sa maîtresse ; mais lorsqu’elle commença à mieux aller, elle lui apprit différentes choses.

D’abord que tous les jours un chien basset s’introduisait dans le parc, rôdait autour de la maison, et qu’on avait bien du mal à le chasser. Ensuite, qu’on avait dû tuer d’un coup de fusil le lévrier Zig, qui s’était précipité sur une fillette de douze ans pour la violer. Enfin qu’une bizarre maladie sévissait sur les chiens du pays, que toutes les femmes en prenaient peur, parce qu’ils venaient les renifler de trop près.

Régine dissimula le grand trouble qu’elle ressentait de ces nouvelles. Elle plaignait davantage le pauvre Zig que la fillette violentée. Instinctivement elle percevait que sa femme de chambre, en lui racontant tout cela, nourrissait de l’animosité à son égard. Malgré la méfiance qu’elle lui inspirait, elle la chargea de lui conduire le basset dès qu’on le surprendrait autour de la maison.

Le jour même le chien lui fut remis. Que de folles démonstrations de tendresse il fit !

Il gardait la reconnaissance du plaisir éprouvé, et peut-être chez les animaux existe-t-il des notions de passionnalité amoureuse. Elle ne s’embarrassa pas, et comme Coralie souriait à l’exubérance du toutou, elle lui dit :

— Voilà bien un bête extraordinaire, Coralie, à peine l’ai-je vue trois ou quatre fois dans la rue, et elle paraît m’affectionner autant que si elle m’appartenait.

— Bien extraordinaire ! À votre place je voudrais me l’attacher. Faut-il demander à son maître de vous le donner ou de vous le vendre ?

— Vous le connaissez ?

— Le nom est sur le collier. Ce chien appartient à un des cafetiers de la place, et je sais qu’il n’y tient pas beaucoup, il en a un autre plus beau et qui ne vagabonde pas comme celui-là.

— Eh bien, vous lui proposerez de me le vendre.

— Quel prix y mettriez-vous ?

— Ce qu’il demandera. Il ne peut pas exagérer la valeur.

— Et si ce basset ne s’accorde pas avec Fox et Médor ?

— Oh ! Ils finiront bien par s’habituer.

La vente fut conclue moyennant cinquante francs, et le basset devint la propriété de Régine.

On le lava et on le parfuma. Un joli velours remplaça l’ancien collier en acier. Régine le choya et s’en créa un compagnon inséparable.

Chose qui l’étonna, Fox et Médor ne le regardèrent pas de travers. Elle trouvait l’allure de ses chiens suspecte. D’abord ils se montrèrent plutôt réservés lorsqu’elle reparut dans les appartements après avoir quitté le lit et, loin de lui faire fête, ils s’éloignèrent de sa présence, ce qui, en d’autres circonstances, l’eût frappée et choquée.

Mais ses sens, pour l’instant émoussés, l’écartaient de ses anciennes aspirations érotiques, et elle ne considérait plus ses bêtes que comme des chiens de garde.

Le basset installé dans la maison, et la convalescence de Régine s’achevant, peu à peu elle chercha à se rappeler les abus gomorrhéens commis qui lui causèrent une si violente crise de maladie. Elle soignait l’animal d’une façon toute particulière, elle aimait à se souvenir qu’il partageât ses grandes orgies et, de lui, elle en vint à évoquer la superbe prestance du terre-neuve. Tous les autres s’effaçaient devant l’image où elle se revoyait étendue et couverte sous ses puissantes pattes.

Pour le posséder, elle aurait bien payé cinq cents et même mille francs. Vraiment où courait donc sa pensée ? Allait-elle se mettre en tête d’acquérir tous les beaux chiens qui la couvrirent !

Tous, non mais le terre-neuve, oui. Hélas ! on ne lui vendrait pas Gosse, et l’émotion que laissait le souvenir de celui-ci profitait au basset, surnommé Amour, qui couchait dans sa chambre sur une chaise longue.

Régine allait de mieux en mieux, mais ne sortait pas encore. Un soir, elle lisait dans son lit, et par moments elle s’interrompait pour laisser errer ses yeux, rêver.

Elle vit tout à coup que son cher basset ne dormait pas et la regardait avec une expression bien tendre et… chaude. Elle descendit de son lit et s’en approcha. Il rampait déjà à ses pieds. Debout, elle le considéra longuement. Il lui léchait les pieds et les jambes, elle s’assit sur le tapis, le prit sur ses genoux, le dorlota.

Les deux pattes sur ses épaules, il la lippait maintenant au visage et au cou. Elle sortit ses nichons de la chemise pour qu’il y envoyât la langue, et il ne se fit pas prier. Elle le soutenait de ses bras autour de son corps et, de temps en temps, jetait ses regards sur sa pine, pour examiner si son bout rouge se développait, le prenant parfois dans la main pour l’exciter, le réchauffer, tandis que le chien se trémoussait contre sa poitrine.

Elle le pressait de plus en plus contre sa chair, et toute son infâme passion se rallumait. Elle n’hésita plus et s’étendit sur le dos, les jambes écartées et soulevées, le con en évidence ; elle le posa dessus pour qu’il lui fit minette, mais il avait le désir de la grimper ; après deux ou trois fortes langues, il se leva sur ses pattes de derrière et essaya de la harponner avec celles de devant.

Elle se retourna sur le ventre pour lui présenter son cul où il avait l’habitude de jouir. Elle ne fut pas plus tôt en posture qu’il la saisissait et l’enculait. Il la manœuvrait avec plus de vigueur que les autres fois, se sentant sans doute bien le maître de son plaisir, et était-elle plus enragée, elle se délectait avec ivresse de cette pine de bête qui la chatouillait à l’anus et au dedans.

Le basset déchargeait, il finissait, et il ne cherchait pas encore à retirer sa pine gonflée, pressée dans l’étui où elle avait agi. Un cri obligea Régine à se redresser brusquement. C’était Coralie, sa femme de chambre qui, entrée par le cabinet de toilette, avait tout vu et s’exclamait :

— Oh ! la cochonne je m’en doutais.

Oui, elle s’en doutait depuis longtemps.

Aimant les femmes, lesbienne dans l’âme, à la suite de circonstances que nous n’avons pas à raconter ici, cette histoire n’étant pas la sienne, Coralie, devant la beauté de sa maîtresse, ne pouvait pas contenir ses désirs et, depuis la fameuse soirée où elle avait pu se repaître de ces trésors convoités, elle était encore plus amoureuse d’elle.

Elle espérait chaque jour trouver dans l’attitude de sa maîtresse un encouragement à une nouvelle attaque sur sa personne, et chaque jour elle était déçue.

Elle ne pouvait cependant croire à une froideur véritable. Quand on se donne comme Régine s’était donnée, on n’est pas une femme insensible. Et Régine s’était offerte, s’était donnée comme une chienne en chaleur, suivant sa propre expression ; le sexe tout ouvert, le cul épanoui, elle avait fourré tout cela sous la bouche pompeuse de la gougnotte, et elle avait joui abondamment.

Coralie, plusieurs fois, en avait eu plein la bouche. Tout cela n’était pas un rêve. Donc Régine était chaude et faisait passer sa chaleur avec un autre, avec d’autres. C’était logique, et Coralie en éprouvait un dépit aigu qui se traduisait par une rancune bien naturelle.

Elle se mit alors à épier le moindre geste de sa maîtresse. Elle remarqua ses fatigues, sa lassitude, certains jours où elle n’avait pas quitté sa maison, son clos. Puis elle fut frappée de cette invasion de chiens aux environs, de l’attitude de ceux de la maison à son égard. Elle fit des rapprochements. La jalousie, qui aveugle quelquefois, rend souvent bien clairvoyant.

Elle crut comprendre, mais sa découverte lui fit monter le rouge au visage et elle ne voulait pas admettre cela.

Quoi ! une femme aussi belle, aussi soignée, se donner à ses chiens ? se cochonner avec des bêtes ? Cela n’était pas possible.

Puis vint l’incident du basset, encore une preuve. Voilà le chien installé à la maison. Je saurai bien ! pensa Coralie, et elle épia plus que jamais. Enfin vint le soir où, cachée, elle vit de ses yeux Régine enculée par le basset. Il n’y avait plus de doute. Alors le dépit, la jalousie, se muèrent en une haine farouche, mitigée cependant par cet amour charnel que lui inspirait malgré tout Régine, et contre lequel elle luttait. Elle ouvrit brusquement la porte du cabinet de toilette et, les yeux furieux, les lèvres pâles et serrées, elle avait poussé cette exclamation qui avait effrayé Régine, et lui avait lancé par deux fois cette insulte :

— Cochonne !

Pâle comme une morte, le sang figé dans les veines, l’esprit paralysé, Régine jetait des regards effarés sur sa servante en chemise, comme le soir où elle s’était livrée à elle.

Le basset, arc-bouté sur ses pattes, le poil hérissé, semblait prêt à bondir sur l’intruse. Il y eut un silence lugubre. Les deux femmes se fouillaient dans le plus profond de leur âme. La pâleur de Régine devenait livide sous l’insolence des regards de Coralie. Elle répliqua pourtant :

— Vous oubliez à qui vous parlez, Coralie.

— Je parle à une cochonne !

— Dès demain je vous chasserai.

— Et moi, je parlerai aux gens du pays !

— II faudra prouver.

— Il y a des médecins, et je fournirai des détails. On verra.

— Taisez-vous !

— Pas de grands airs ! Tu peux me tutoyer comme je te tutoie. Oh ! t’avoir adorée comme je t’adorais ! Te désirer nuit et jour à en perdre le sommeil et l’appétit ! J’aurais baisé la trace de tes pieds. Et n’obtenir que du dédain, et se voir préférer des chiens ! Ah ! salope ! Tiens, je ne suis pas méchante, mais il me faut tout de suite une réparation. Je t’ai léché le con et le cul, et tu ne me l’as pas fait, eh ! bien, tu vas me le faire à présent !

— Je vous tuerai !

— Non, tu irais à la guillotine. Et puis quand on se fait baiser par des chiens on ne doit pas faire la dégoûtée. À genoux ! et travaille. Quant à ton basset, tu vas voir s’il va me ficher la paix !

Elle saisit une chaise pour la jeter à la tête du chien qui devenait de plus en plus menaçant.

Régine, arrêtant son bras, dit :

— Laisse-le tranquille, je t’obéis.

À la bonne heure ! Mène-le coucher pour qu’il ne nous embête plus.

— À bas, Amour ! viens ici.

— Amour ! murmura avec ironie l’implacable Coralie.

Régine conduisit le chien dans le cabinet de toilette, et le coucha délicatement sur un fauteuil qu’elle y poussa, puis, revenant en face de sa femme de chambre, les bras croisés, elle lui dit froidement :

— Tu comprends que je cède contrainte et forcée, mais tout se paie, et tu me paieras avec tous les intérêts tout le mal que je te devrai.

— Entendu ! Pour l’instant, passe-moi la langue sur le con, nous nous occuperons ensuite du cul, et fais en sorte que je pisse mon jus dans ta bouche. Je veux jouir autant que je te fis jouir ; tu suivras bien mes indications. Pour ma part je ne puis plus te lécher. Ah ! non ! Mettre ma langue où a giclé ton chien ! Pouah ! Mais mon con et mon cul ne doivent pas te répugner. Je suis sûre que tu t’es fait monter par Fox et Médor ! Je m’explique à présent leurs sales manières. Heureusement que j’y ai mis bon ordre ! Tu sais, j’ai conté la chose au pharmacien qui m’a donné une drogue pour les rafraîchir. Je crois que de longtemps ils ne courront après tes jupes. Mais s’ils avaient continué à me renifler, j’aurais augmenté la dose et ils seraient crevés ! Si ça te plaît, d’être grimpée par des chiens, salope, ce n’est pas une raison pour que toutes les autres femmes y soient exposées ! La pauvre petite estropiée par Zig va mourir ! Tu auras du sang sur les mains, car c’est toi qui a dû lui apprendre à ce chien ! Tiens, lève-toi de là, je ne veux plus que tu me lèches le con ; voilà mon cul, fourre ton nez et ta langue dedans !

Prostrée, écroulée aux genoux de sa servante, Régine léchait et subissait ses injures. Elle lécha le cul comme elle avait léché le con ; mais, dans son esprit, les idées les plus sauvages et les plus féroces s’amassaient.

Ah ! comme elle se vengerait ! Et quoi ? cette harpie de servante se permettait de ruiner les forces de ses chiens avec des drogues ? Elle ne s’étonnait plus de leur mollesse et de leur indifférence. Comment lui ferait-elle expier le supplice qu’elle endurait ? Oui, oui, elle en avait les moyens ! Elle la livrerait en pâture à ses amants à quatre pattes ; ils la dévoreraient et elle assisterait avec délices au spectacle de son corps mis en pièces !

Elle blêmissait et tremblait de colère.

Coralie venait de l’attraper par les cheveux pour l’arrêter dans ses feuilles de roses.

— Assez ! tu m’énerves plus que tu ne me fais jouir. Tu vas me servir : prépare-moi un grog, j’ai soif.

— Je commence à trouver que cette farce a assez duré.

— C’est bien, je ne te contrarierai pas. Je vous laisse, Madame. Je vais me vêtir et sortir.

— Tais-toi !

— Veux-tu me préparer un grog, oui ou non ?

— Oui.

Les yeux sombres, elle partit pour s’occuper du grog. La femme de chambre commettait une grave imprudence en laissant descendre sa maîtresse : celle-ci écoutant la rage qui la mordait au cour, pensait revenir avec Fox et Médor, et à les lui jeter dessus, après avoir réveillé leur énergie.

Les molosses bougèrent à peine à son apparition, remuèrent faiblement la queue, et ne daignèrent pas abandonner leur pose paresseuse. Ils ne valaient plus rien, même pour la garde.

Sa vengeance ajournée n’en serait que pire. Tuer Coralie d’une balle de revolver ou d’un coup de couteau ne convenait pas à sa colère. Il ne fallait pas qu’elle fût recherchée pour ce meurtre, et elle voulait la faire souffrir beaucoup avant de mourir.

Oh ! la voir déchiqueter, par les chiens !

Quelle volupté elle en éprouverait ! Elle était certaine d’y parvenir en bien combinant son affaire, Gosse, les chiens de chasse, tous ceux qu’elle accueillait par la poterne, n’en feraient qu’une bouchée !

Elle préparait le grog et étudiait son plan.

À cette étude elle reconquit une partie de son assurance et revint dans sa chambre avec plus de calme.

— Voici votre grog, dit-elle. Coralie, le rôle que vous jouez est dangereux, autant pour vous que pour moi. Il vaudrait mieux examiner de quelle façon nous pourrions nous entendre.

— Je suis de ton avis, mais je ne sais pas bien comment nous y arriverons.

— Si je te donnais une somme pour vivre de tes rentes, n’importe où ?

— Tu n’es pas assez riche pour me contenter comme je le voudrais.

— Je le suis assez pour t’assurer une vie tranquille.

— Non, je veux toute ta fortune ou rien ! Tu ne me condamneras pas à mendier mon pain ?

— Je te laisserai juste de quoi vivre cette vie tranquille que tu me proposes.

— On peut donc discuter et, par conséquent, s’entendre. Nous en causerons demain. Le plus sage maintenant est de dormir. Et si tu veux me croire, tu reprendras à ton réveil ta vie habituelle. Il n’est pas nécessaire que Louison soit au courant de ce qui se passe : elle te disputerait la part de fortune que je suis disposée à t’abandonner. Dans l’après-midi nous serons seules, et nous traiterons cette affaire.

— Bon, bon ! À demain, nous causerons.

— À demain !

Si Coralie avait surpris le regard que lui lança sa maîtresse, elle en eût tremblé !

Mais elle ne voyait plus que cette fortune miroitant à ses yeux ; et par cet appât, elle devenait la proie assurée de Régine.

C’est la justice immanente qui attire les maux sur ceux qui s’arrogent le droit de juger leurs semblables.