Texte établi par Société Saint-Jean-Baptiste, Édition des Patriotes (p. 7-11).

PRÉFACE




On me demande de présenter aux lecteurs « La Croix du Chemin ». — Mais ces « Croix » couronnées ont-elles besoin qu’on les présente ? Et toutes décorées qu’elles sont des palmes dont le jury les a couvertes, ne disent-elles pas assez elles-mêmes ce qu’elles valent ?

Ce sont des artistes qui les ont taillées, les Croix du Chemin qui sont ici recueillies. Quelques-unes, comme celle du Frère Marie-Victorin, ont beau avoir été rudement ébauchées par la hache du premier colon et n’offrir à l’œil que la teinte grise du bois vieilli, elles ont, après tant d’années passées sous le soleil des souvenirs, pris une forme très douce, une pose très élégante et très pieuse, et qui plaît infiniment au regard du lecteur passant ; elles s’enveloppent d’une poésie qui les fait plus belles que des croix de bronze ou d’or ; et vraiment, je préfère la mousse qui tisse à leurs pieds un rustique « fourreau de peluche », à tous les ornements précieux dont l’orfèvre pourrait les faire briller. Toutes ces croix qui s’élèvent le long de nos chemins et qui retrouvent ici leur image sincère, sont chargées de tant d’oraisons anciennes, de légendes parfois si touchantes, et de souvenirs si personnels, que c’est vraiment une joie profonde de les revoir, à travers ces récits, dans leurs nobles et bénissantes attitudes.

Je ne puis, sur les routes où vous invitent nos pieux conteurs, vous indiquer toutes les croix fleuries ou sanglantes qui y sont décrites. Il faudra faire vous-mêmes tous ces quatorze pèlerinages, écouter attentivement ce que disent les croix mystérieuses, méditer avec M.  Potvin ou M.  Desrosiers sur le sens très profond et très doux qu’elles offrent à la pensée des bonnes gens, compatir à tous les personnages qui y portent leurs douleurs et leurs espoirs. Mais que ce soit en quelque lieu de la province de Québec, ou sur l’« immense calvaire » de la terre d’Acadie que vous accompagniez le narrateur, vous éprouverez à le suivre le plaisir très délicat que l’on reçoit toujours des chers souvenirs. Les dessins si appropriés qui illustrent ces paysages littéraires, et que monsieur J.-B. Lagacé a voulu composer pour ce recueil, aideront vos regards et votre esprit à reconstituer les scènes évoquées.

La première croix que vous rencontrerez, dans ces pages toutes jalonnées de leurs profils vénérables, évoque un fait historique déjà lointain, un épisode de la guerre de conquête. Cette croix se dresse sur un rocher, sur l’un des calvaires qui ponctuent de leurs pointes arides les rives du Saint-Laurent ; elle fait revivre, en une narration dont le style est un peu bien ancien, une scène de notre épopée française. Sur cette croix, sur ce calvaire s’accumulent au gré de l’auteur les plus glorieuses « remembrances », et c’est la piété historique de M.  Sylva Clapin, et son sens aigu du passé, qui lui valurent sans doute le premier suffrage du jury.

Vous verrez, en lisant tous ces beaux poèmes en prose, comme il y a dans nos imaginations canadiennes une source toujours fraîche d’inspirations patriotiques etlittéraires. Que ce soit la « croix vivante » de Mlle  Cordon qui s’enracine au bout du rang, sur un coteau de Sainte-Marie, ou la croix du Bois-Vert de Lionel Montai, qui s’érige sous le vigoureux coup d’épaule du père Baptiste : toujours avec ces croix montent dans le ciel clair de nos campagnes les pensées saines de l’habitant de chez nous, et les émotions délicates de nos artistes.

Et cela prouve que le sujet proposé au concours ne pouvait être mieux choisi, et qu’il offrait en son symbolisme mystique et dans sa réalité attendrissante le thème le plus heureux.

Ce thème avait inspiré déjà l’un de nos jeunes poètes. C’est la « Croix du Chemin » d’Englebert Gallèze, qui a suggéré aux directeurs de la Société Saint-Jean-Baptistede Montréal, le sujet du concours. L’auteur de La claire Fontaine avait si bien chanté ce

Symbole glorieux dont, naguère, la France,
Par la main de Cartier marqua notre destin.
Bois plus profondément entré dans notre sable
Que l’orme, le bouleau, le sapin, l’érable,
Croix du chemin !

Il avait salué d’un geste si chrétien le “rustique monument"

Dont le paysan voit s’allonger l’ombre auguste

Chaque jour, sur ses champs de neige ou de moissons.

Là où les vers avaient résonné comme un cantique, la prose pouvait bien déployer ses périodes d’harmonie. Et si toutes les compositions des concurrents — quatre-vingt-dix ! — n’ont pas montré la même richesse d’idées, Page:Société Saint-Jean-Baptiste - La croix du chemin (premier concours littéraire), 1916.djvu/7 Page:Société Saint-Jean-Baptiste - La croix du chemin (premier concours littéraire), 1916.djvu/8