La crise/Avant-propos

Éditions Édouard Garand (p. 3-4).



AVANT-PROPOS


On va voir ici une aventure analogue à celle de Jocelyn ; c’est un thème qui ne vieillit pas. En effet, parmi les êtres de choix qui sentent le besoin de se consacrer à Dieu, on peut distinguer deux classes dignes de se partager notre admiration ; les uns sont, par avance, détachés du monde ; d’autres ont à secouer le poids de quelque lourde chaîne. La limpidité de l’âme qui suit son idéal sans effort, dans une juvénile spontanéité, entr’ouvre devant nos yeux des horizons célestes, comme ferait une apparition angélique ; mais les orages qui précèdent souvent ce don total de soi nous paraissent plus conformes à notre nature, font vibrer en nous des fibres profondes, rendent les héros de la sainteté plus accessibles à notre faiblesse.

Que de romans sublimes, dans ce dernier domaine, ne seront jamais écrits ! Celui qu’on va lire a été sûrement vécu, aux circonstances près, et nous avons pensé qu’il pourrait émouvoir un public nombreux, qu’il s’agisse des croyants avérés, ou des gens du monde simplement familiarisés avec les problèmes religieux qui tourmentent la génération actuelle. Quelques sceptiques regretteront sans doute que l’amour humain soit ici en conflit avec un autre amour ; c’est l’éternel reproche adressé au Christianisme, depuis sa fondation ! on l’accuse de broyer les cœurs et de contrarier la nature. Mais il n’y a pas lieu d’accorder une extrême importance à ces récriminations. Les cœurs sont toujours blessés par quelque endroit, jusqu’au sein des plus grandes félicités terrestres ; témoin le poète qui a dit, sans être autrement dévot :


« L’homme est un apprenti, la douleur est son maître,
« Et nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert. »


Gémir pour gémir, il vaut encore mieux être martyrisé pour la cause du devoir que pour celle de la passion.

C’est ce qui nous a décidé à faire l’analyse des états d’âme qu’on va voir ; ils sont peut-être plus fréquents au Canada qu’ailleurs, puisque nous vivons ici sur un sol où se dressent tant de cloîtres, tant de maisons religieuses. Ce n’est pas la moindre gloire de cette nation, que l’efflorescence merveilleuse d’une vie supérieure à la vie des simples mortels : un peuple où se recrute tant d’apôtres de la prière et de l’action révèle par là une forte santé morale. Tant pis pour les cerveaux matérialisés qui ne comprennent pas les aspirations mystiques de ce robuste tempérament !

Il est à peine besoin d’ajouter que le nouveau Jocelyn apparu dans ce roman n’a plus les traits fantaisistes de l’invraisemblable héros de Lamartine : il partage les faiblesses de son devancier sans reproduire les attitudes qui avaient inquiété l’orthodoxie, au début du XIXème siècle : il pourrait faire une confession publique à la manière de St-Augustin, et les âmes pieuses ne trouveraient dans ses aveux qu’un sujet d’édification.

— Montréal, 20 octobre 1929.