La correction d’un devoir à l’examen du professorat des écoles normales (lettres)

La correction d’un devoir à l’examen du professorat des écoles normales (lettres)
Revue pédagogiquenouvelle série, tome VI (p. 203-208).

DE LA CORRECTION D’UN DEVOIR
À L’EXAMEN DU PROFESSORAT DES ÉCOLES NORMALES (LETTRES)



Parmi les épreuves de l’examen du professorat des écoles normales, il en est une dont les candidats ne se méfient pas toujours assez. « Corriger un devoir d’élève, qu’est-ce que cela ? Je le fais tous les jours. » Il arrive cependant qu’à l’heure décisive l’assurance diminue ; les difficultés qu’on n’avait pas prévues apparaissent ; elles surprennent, faute d’y avoir réfléchi, et déconcertent.

Il faut dire que les conditions ordinaires sont modifiées. En classe le maître a devant lui l’élève dont il corrige le devoir ; il lui parle ; déjà d’ailleurs il le connaît ; il sait si habituellement il fait mieux ou plus mal, ce qu’il peut ou ce qu’il ne peut pas ; il le note, il le conseille en conséquence : tout cela lui donne le ton, l’aide et le soutient ; tout cela, au jour de l’épreuve, lui fait défaut. Il en est toujours ainsi : transporté dans un examen, l’exercice le plus fréquent de Ja vie scolaire, quelque soin qu’on prenne de le tenir aussi rapproché que possible de la réalité, prend un air un peu nouveau.

Je note ces différences pour qu’on en soit bien averti et point dérouté : au fond la correction d’un devoir, qu’elle se fasse en classe ou à l’examen, est la même, présente les mêmes difficultés très réelles ct redoutables, exige les même qualités, des connaissances (car comment être prêt sur des sujets très divers sans des connaissances acquises de longue main, sans un fonds d’instruction générale déjà suffisamment large ?), de la netteté et de la décision d’esprit, un discernement sûr, des habitudes d’ordre et de méthode, une certaine souplesse de langage, l’art de rester dans la mesure, de n’outrer ni l’éloge ni le blâme, de louer sans enorgueillir, de critiquer sans humilier ou décourager, de tout dire enfin ct de faire accepter tout ce qu’on dit, parce qu’on a su montrer qu’on n’est guidé que par le seul intérêt de celui à qui on s’adresse — ces dernières qualités étant non moins morales qu’intellectuelles.

Mais, sans nous attarder davantage, entrons dans le détail, et suivons le candidat du commencement à la fin de l’épreuve.

Un devoir d’élève lui est remis, et il est en même temps prévenu qu’il a une demi-heure à lui avant d’être appelé devant ses juges. Son premier soin sera évidemment de lire ce devoir : mais dans cette lecture s’arrêtera-t-il dès le début, à l’énoncé du sujet, recherchant comment ce sujet doit être compris et traité” Quelques-uns le voudraient : qu’est-ce que corriger un devoir, disent-ils, si ce n’est le comparer à une sorte de type que nous avons conçu et arrêté dans notre esprit ? Je me rangerais volontiers à cet avis, si le candidat disposait de plus de - temps ; mais qu’il songe combien il est pressé ! À sa place, je lirais d’abord tout le devoir, lentement, doucement, mais à la suite, d’un bout à l’autre, marquant seulement d’un léger trait de crayon les passages sur lesquels je sens que j’aurai à revenir afin de pouvoir les retrouver plus facilement : ce serait une première connaissance d’ensemble. Alors viendrait cette méditation sur le sujet dont nous parlions tout à l’heure ; j’y aurais été préparé, ce me semble, par la copie elle-même ; cette copie, si faible qu’on la suppose, a dû toucher le sujet, au moins per certains côtés ; ce que j’y trouve est déjà autant de trouvé pour moi ; ce qui ne s’y trouve pas me met sur la trace de ce que je devrai moi-même trouver ; car il est impossible que certaines omissions, les plus graves, ne me frappent pas, et sur le champ je suis conduit à les réparer. Ainsi cette lecture m’a été un profit, elle m’a fait gagner du temps ; elle a fourni à ma pensée des aliments, un point de départ ; elle a donné à mon esprit comme un premier branle, elle l’a mis en mouvement ; les idées, appelées les unes par les autres, se sont présentées ; je n’ai eu qu’à les ordonner. Voici donc mon sujet vu et compris.

Je puis maintenant revenir à ma copie et la considérer. Y a-t-il un plan ? lequel ? Est-il complet ? — (je répondrai à cette question et à d’autres qui vont suivre grâce à la méditation qui à précédé) — est-il logique ? S’il n’est pas complet, que faut-il y ajouter ? s’il n’est pas logique, comment convient-il de le disposer ? Toutes les parties en ont-elles été bien mises en lumière ? Toutes ont-elles reçu un développement qui réponde à leur importance ? L’expression a-t-elle toujours bien traduit la pensée ? N’a-t-elle pas été parfois au delà, c’est-à-dire est-elle ambitieuse, gonflée, déclamatoire, de mauvais goût ? N’est-elle pas parfois restée en deçà, c’est-à-dire est-elle faible, plate, commune, vulgaire ? Que vaut la langue ? est-elle au moins correcte ? J’avoue que je ne m’arrêterais pas trop dans cette préparation aux défaillances de la forme ; j’en soulignerais quelques-unes à titre de preuves, s’il était nécessaire, et je m’en remettrais à l’habitude que je puis avoir de l’enseignement pour expliquer au jury en quoi consiste chacune d’elles. Mais je me réserverais du temps, les différents défauts étant notés, pour rechercher celui qui est le plus grave, le plus marquant, celui qui paraît caractériser la copie ; c’est à celui-là que s’attacherait surtout ma correction, et elle en prendrait unité, clarté, force. Ce défaut tient-il au fond ou à la forme ? L’élève n’a-t-il pas assez réfléchi à son sujet, n’en a-t-il pas su trouver les idées principales ? Ou, les ayant trouvées, ne s’est-il pas donné la peine de les exprimer ? Quelles qualités lui manquent ? Quels gros défauts trahit-il ? Et partant quel conseil capital lui donner ? Enfin je ne voudrais pas risquer d’arriver au terme de ma demi-heure sans avoir formulé et écrit, à tête reposée, en termes brefs, mais précis, mon appréciation, et même sans l’avoir traduite en son expression la plus brève et la plus rigoureusement précise, le chiffre. Le reste du temps, si j’en avais de reste, je l’emploierais à éclaircir avec moi-même quelques points, les principaux, sur lesquels j’insisterais d’autant plus volontiers devant le jury que je m’y sentirais plus à l’aise, y ayant réfléchi plus à loisir.

Avant d’aller plus loin, je tiens à prémunir nos candidats contre certaines impressions du premier moment, de la première lecture, qui pourraient avoir pour eux des conséquences fâcheuses ; ces impressions viennent d’idées préconçues dès longtemps caressées, « Moi, dit l’un, je voudrais une copie faible ; elle laisse plus à faire à celui qui est chargé d’en rendre compte ; elle lui permet de mieux montrer ce qu’il sait. — Et moi, dit l’autre, je ne voudrais que d’une bonne copie ; elle porte le correcteur ; de rien On ne peut rien tirer ; avant tout il faut une matière qui prête. » Décider entre ces opinions, chacune ayant sa part de vérité, me paraît difficile, à coup sûr fort oiseux. Le sort ne nous consulte guères ; il nous sert souvent contre nos préférences. Quoi donc ! Irons-nous bouder contre lui, à nos dépens ? Ou simplement éprouverons-nous un mouvement de contrariété et de trouble qui pour un instant (ce serait encore trop) paralyserait nos efforts ? L’examen, ainsi que la vie, a de ces surprises qui ne sont pas toujours agréables ; il faut savoir les accepter, ou mieux encore il faut savoir n’être pas surpris. Celui-là a eu tort de se mettre sur les rangs qui pour courir a besoin d’un terrain qui lui convienne et qu’il ait choisi ; la victoire est à qui aborde franchement et vaillamment, sans sourciller et s’inquiéter, tous les obstacles.

Le candidat est devant le jury : que va-t-il faire ? Lire Ja copie, puis la reprendre phrase par phrase ? Que ce procédé est d’un art enfantin, ou plutôt manque d’art ! Que cela d’ailleurs prend du temps ! Mais on dirait que c’est ce à quoi visent beaucoup de candidats. Ils paraissent croire qu’on les jugera à la longueur de la course qu’ils auront fournie et veulent employer jusqu’à la dernière minute que leur alloue le règlement : aussi ils s’étendent, ils s’étalent de leur mieux. Comme ils comprendraient mieux leurs intérêts, s’ils cherchaient à faire tenir, non pas peu de choses en beaucoup de temps, mais beaucoup de choses en peu de temps ! Lire et relire, voilà qui était fort bon pour vous lorsque vous vous prépariez seul avec vous-même ; mais le propre de la préparation est précisément de garder pour soi ces longueurs et lenteurs et de les épargner aux autres. Vous avez appris à connaître la copie : apprenez-nous maintenant à la connaître. Dites-nous comment elle a pris le sujet, le plan, les idées principales. Ces idées sont-elles justes ou ne le sont-elles pas ? Si elles sont justes, en quoi ? Si elles ne le sont pas, en quoi ? Que faut-il en retrancher, ou y ajouter ? Comment les rectifier ? Tout cela à grands traits, sans perdre de vue le travail de l’élève, sans vous étendre trop longuement, trop complaisamment, comme il arrive parfois à propos de sujets historiques, une exposition personnelle, une véritable leçon se substituant à une correction. Ce premier travail achevé, serrez de plus près la copie ; vous nous avez annoncé du bon, lisez-nous un bon passage ; vous nous avez annoncé du mauvais, lisez-nous un passage mauvais : et ici ne craignez plus d’entrer dans le détail, de prendre les choses par le menu. Si même l’expression était trop défectueuse, relevez-la rapidement en passant. Mais d’ordinaire avec ces copies d’élèves vous êtes obligé d’en venir à parler particulièrement de Ja forme ; parlez-en alors avec beaucoup de précision ; ne vous contentez pas d’une appréciation générale, allez au particulier, à la preuve : aux citations courtes, mais caractéristiques. Ne croyez pas que ce suit assez de dire : « Cette phrase est lourde, embarrassée ; elle est trop longue ; » montrez comment on aurait pu la couper, l’alléger. Ne dites pas seulement : « Ce terme est impropre ; » remplacez-le par le terme qui, selon vous, convient.

Finissez en donnant le jugement que je vous ai conseillé de fixer par écrit. Quelques-uns commencent par là ; c’est un procédé qui peut se soutenir ; toute la correction n’est alors que la justification du jugement. J’aimerais mieux, quant à moi, le garder pour la fin ; il résume et conclut ; il laisse l’esprit de ceux qui écoutent sur quelque chose de parfaitement net et ferme, d’arrêté et de définitif ; c’est une impression à laquelle vos juges ne devront pas, ce me semble, être indifférents.

Il arrive quelquefois que le sujet du devoir n’est pas bien choisi, que la question n’est pas bien posée ; ne craignez pas de l’indiquer ; on vous saura gré de l’avoir vu et même d’avoir osé le dire ; mais ne risquez cette critique qu’après y avoir bien réfléchi et avec mesure.

Certes il ne faut pas que le correcteur soit trop facilement content ; on pourrait l’accuser de manquer de clairvoyance et de pénétration. Il ne faudrait pas non plus qu’il fût trop difficilement content. Entre ces deux excès, l’optimisme et le pessimisme, la route n’est pas aisée à tenir. Certains candidats ne voient dans le travail de l’élève qu’une proie à déchirer, à déchiqueter ; ils s’en donnent à cœur joie ; ils mordent à belles dents. Ils inventeraient plutôt des fautes (cela s’est vu) pour avoir le plaisir de les corriger et de triompher. Ne nous forcez pas à prendre le parti de votre victime contre vous.

Surveillez votre ton, quoique l’élève ne soit pas là. Soyez sévère, et ne passez rien ; j’y consens : mais ne soyez dans la forme ni dur, ni amer, ni blessant. Qu’il ne vienne pas à la pensée d’un de vos juges de se dire : « Ah ! je ne voudrais pas être son élève ! »

Sachez entrer dans les raisons de celui que vous corrigez, même quand elles ne vous paraissent pas justes, et montrez que vous les comprenez. Sachez deviner ses bonnes intentions, même quand il ne les a pas menées à bien, et faites-les valoir. Sachez louer enfin, dès que l’occasion s’en présente. Louer, quand on est invité à critiquer, n’est pas du premier venu. La louange est d’ailleurs si puissante sur les jeunes esprits. C’est un cordial généreux ; n’en abusez pas sans doute ; car alors il tourne les têtes, il grise ; mais usez-en : il réconforte, anime, réchauffe, rend l’effort facile, double la vigueur et l’élan.

Surtout inspirez-vous de la copie qui vous aura été remise. Plus j’avance en ce sujet, plus je m’aperçois que les conseils, si précis qu’on les veuille faire, laissent toujours place à un vague redoutable ; il s’agit de savoir s’en servir, de discerner quand il faut appliquer chacun d’eux et dans quelle mesure. Correction de devoir, affaire moins encore de science que de tact : c’est là ce qui fait la difficulté de l’épreuve et aussi son importance.