14. — Aventures amusantes arrivées à de petites curieuses.


Être curieux, c’est chercher à savoir ce qui ne nous regarde pas, c’est s’immiscer dans les affaires des autres sans aucune nécessité. On se défie des curieux comme d’une peste, et l’on a bien raison. S’ils veulent savoir, surprendre, pénétrer les secrets, c’est pour redire ce qu’ils ont appris. Donc, bavards et curieux c’est tout un.

Laissez-moi, mes enfants, vous prémunir contre le vilain défaut de la curiosité et vous dire ce qu’il faut faire pour l’éviter sous toutes ses formes :

Vos parents sont absents, le facteur apporte une lettre : mettez-la en place sûre et ne l’ouvrez sous aucun prétexte.

Si vous voyez une lettre traîner quelque part, sur une table, un bureau, fût-elle décachetée, ne la lisez pas. Le secret des lettres est
chose grave, j’allais dire sacrée, et un enfant ne saurait être trop tôt habitué à la plus grande discrétion sur ce sujet.

Quelqu’un de votre famille ou une personne amie vous demande de porter une lettre à la poste, acquittez-vous avec soin de cette commission, retournez la lettre du côté du cachet, jetez-la dans la boîte sans regarder à qui elle est adressée.

Si par hasard vous trouvez sur votre chemin une lettre qui a été perdue, remettez-la vite intacte ou plus prochain bureau de poste, et pensez que vous seriez heureuses qu’on agît ainsi pour vous. Cette missive peut contenir des nouvelles importantes et pressées.

Votre père a des papiers sur sa table ou sur son bureau, gardez-vous bien d’y toucher. Outre que ces papiers, d’affaires ou autres, traitent de choses qui ne vous intéressent nullement, vous pourriez les brouiller, les égarer et mécontenter votre père.

Deux personnes parlent bas ou à demi voix dans une pièce où vous êtes ; elles ont leurs raisons pour agir ainsi et vous devez la respecter. Bien loin de prêter l’oreille, éloignez-vous un peu, et au besoin ayez l’air de vous occuper d’autre chose pour leur laisser plus de liberté.

Votre maîtresse s’entretient dans la cour de l’école avec une ou plusieurs mères de ses élèves : ne vous approchez pas, continuez votre jeu si vous êtes à jouer, votre conversation si vous êtes à causer.

En général, ne
vous mêlez jamais à une conversation sans qu’on vous y engage. Ne soyez pas importunes, ni ce qu’on appelle trouble fête.

Vous êtes chez quelqu’un en visite ou pour faire une commission, on vous laisse seules dans la chambre durant quelques instants. Restez assises et ne touchez absolument à rien. Quoi de plus déplaisant que ces personnes qui, en entrant dans une chambre, jettent les yeux à droite et à gauche, regardent partout et semblent faire un inventaire ! … Ai-je besoin de dire qu’un enfant capable d’ouvrir un tiroir se ferait chasser honteusement de la maison.

Si vous demeurez à un étage supérieur, ne vous penchez jamais à une fenêtre ouverte pour voir ce qui se passe dans la rue. En vous penchant, la tête peut emporter les pieds… Cela s’est vu mille fois.

Si vous êtes en promenade avec de grandes personnes, marchez quelques pas en avant, ne vous retournez pas sans cesse pour regarder, ne vous arrêtez pas pour entendre ce qui se dit. Moins un enfant est gênant, plus on l’aime.

Si vous voyez une personne occupée à lire ou à écrire, ne vous approchez pas pour regarder ce qu’elle lit ou écrit, ou vous passeriez, à raison, pour des enfants très mal élevés.

On raconte qu’une dame écrivant un jour une lettre, s’aperçut qu’un jeune homme s’était approché doucement pour lire par-dessus son épaule ce qu’elle écrivait. La dame continua sa lettre en ajoutant : « Je vous en dirais bien davantage si M. X n’était pas derrière moi lisant ce que je vous écris. »

— Ah ! madame, s’écria le jeune homme, je vous assure que je n’ai rien lu !

Comprenez-vous la naïveté de cet indiscret ? Il existe une autre sorte de curiosité, qui, celle-là, n’a rien à faire avec la politesse, et pourtant je voudrais vous en dire un mot.

Dans quelques bourgades de la France, on trouve encore certaines personnes désireuses de connaître l’avenir, et pour satisfaire leur désir, elles consultent les sorciers, les devins, les tireuses de cartes, les diseurs de bonne aventure. Ces personnes simples et crédules devraient réfléchir qu’il n’est au pouvoir de personne de connaître l’avenir.

D’ailleurs, à quoi bon cette connaissance ? Elle ne pourrait que nous rendre malheureux. Si, par impossible, nous pouvions, au seuil de la vie, voir se dérouler tous les événements de notre existence, beaucoup d’entre nous reculeraient épouvantés. Mes enfants, vous l’apprendrez un jour, hélas ! si la terre nous offre de douces joies, elle nous réserve aussi des tristesses bien amères. La curiosité que l’on satisfait n’a pas toujours d’heureux résultats pour notre amour-propre. Un enfant aimant à écouter aux portes, cherchant à surprendre ce qu’on dit, peut entendre des choses peu flatteuses ; en voulez-vous un exemple ?

Victorine aperçoit un jour à la récréation quelques-unes de ses compagnes qui causaient ensemble. Elle s’approche du groupe à pas de loup — c’est son habitude — et parvient à se dissimuler derrière un arbre. Elle écoute et entend une des écolières faire cette question :

— Quelle est la plus intelligente de la classe ? Toutes les voix répondent :

— C’est Pauline.

— Et la plus bête ?

— C’est Victorine !!

Victorine a voulu entendre, elle a entendu une chose bien flatteuse pour elle !… Une de ses amies, Rosalie, a voulu lire une lettre, elle l’a lue et vous allez juger si, elle aussi, a dû être satisfaite de sa curiosité.

Rosalie allait quelquefois chez une de ses tantes, et cette dame ne fut pas longtemps à s’apercevoir que sa nièce avait de nombreux défauts. Elle cherchait partout, furetait jusque dans les tiroirs de commode. Un matin, la tante surprit sa nièce lisant un papier plié qu’elle avait laissé sur la table ; elle ne fut pas contente, cela se comprend.

Elle chercha dans sa tête ce qu’elle pourrait faire pour corriger cette petite fille et lui donner une bonne leçon. Voici ce qu’elle imagina : elle écrivit une lettre à l’institutrice de Rosalie et envoya l’écolière porter la missive. Pour une telle curieuse il était difficile de tenir une lettre dans sa main sans chercher à savoir ce qu’elle contenait. Voilà donc la commissionnaire en route. La lettre lui brûle les doigts, elle la tourne, la retourne, bref… elle finit par l’ouvrir et lit ce qui suit :

« Madame,

« Permettez-moi de vous envoyer quelques réflexions au sujet de ma nièce Rosalie. Elle vient me voir assez souvent, et j’ai pu me convaincre qu’elle était paresseuse et menteuse. De plus, elle est impolie, sale et sans ordre. Son caractère laisse aussi beaucoup à désirer.

« Elle a surtout une curiosité qui la rend insupportable à tout le monde. Plaignez-moi, madame, d’avoir une semblable nièce ; je la recommande à toute votre vigilance ; punissez-la sévèrement, ne lui passez rien, il est grand temps de la corriger.

« Veuillez agréer, madame… »

Arrivée à la dernière ligne, Rosalie, rouge comme une cerise, aurait voulu être à cent pieds sous terre. Il lui vint même à la pensée de déchirer la lettre en mille morceaux. Oui, mais la tante le saurait. Plus morte que vive elle alla donc s’acquitter de sa commission. Nous pouvons nous douter des compliments qu’elle reçut de sa maîtresse. En tout cas, c’est une consolation pour elle de savoir qu’elle est… une enfant détestable !

Vous le voyez, mes amies, la curiosité nous nuit toujours et ne nous procure que des ennuis, des mortifications et des désagréments. En voici encore plusieurs exemples.

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Le mari et la femme causent ensemble :

— Emmènerons-nous Aline avec nous ? (Aline est leur fille.)

— Mais oui, pourquoi pas ?

— C’est que, quand nous causons avec nos parents et nos amis de choses qui ne peuvent l’intéresser et que nous voulons tenir secrètes, elle a toujours l’oreille aux aguets. C’est fort gênant.

— C’est vrai. Eh bien, alors, laissons-la à la maison avec sa grand’mère, nous serons plus libres.

Et les voyageurs partent gaiement.

— Si Aline s’ennuie, c’est sa faute, ce n’est pas la nôtre, n’est-ce pas ?

Une dernière histoire. J’en ris encore quand j’y pense.

Un matin, la mère de Charlotte lui dit :

— Ma fille, va chez l’épicier, il te remettra un petit paquet que j’ai acheté hier, tu me l’apporteras.

— Oui, maman, répond Charlotte, et elle part.

Arrivée chez le marchand, celui-ci lui donne le paquet et elle le dépose dons un petit panier d’osier qu’elle avait au bras.

Chemin faisant, Charlotte veut savoir ce qu’elle emporte. Elle donne un coup de pouce au papier, crac ! regarde, et, sa curiosité satisfaite, elle pose le paquet à sa place et continue son chemin.

En arrivant près de sa mère elle lui remet le panier. La mère, fort étonnée, ne trouve dedans qu’un sac en papier bleu, absolument vide, sans la moindre trace du tapioca qu’il devait contenir. À la fin, tout s’explique : Charlotte avait désiré savoir ce qu’elle emportait, et n’ayant sans doute pas bien refermé le sac, le tapioca avait filé grain à grain entre les osiers mal joints de son panier.

— Tu vas porter la peine de ta curiosité, ma fille, lui dit sa maman. Je voulais te faire tous les matins, pendant quinze jours, un bon tapioca au lait pour ton déjeuner, tu l’as répandu tout le long de la route, tu t’en passeras…

Et, en effet, Charlotte s’en passa et l’histoire rapporte qu’elle n’était pas contente.

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RÉSUMÉ


1. Ne vous mêlez jamais des affaires des autres, c’est assez de vous occuper des vôtres.

2. Respectez scrupuleusement le secret des lettres.

3. Ne fouillez jamais dans les papiers de vos parents.

4. Ne vous permettez pas d’ouvrir un tiroir et de fureter dans des meubles qu’on n’a pas mis à votre déposition.

5. Ne prêtez pas l’oreille à la conversation de deux personnes qui parlent bas, non loin de vous.

6. Ne vous approchez pas de votre maîtresse quand elle parle à des parents d’élèves.

7. L’avenir nous est inconnu, ne cherchez point à le connaître.


MAXIME

Une personne curieuse est insupportable, on la fuit comme la peste, et l’on a raison.

Rédaction. Racontez l’histoire d’une petite fille curieuse et nommez tous les ennuis que ce défaut lui a causés.

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