La cité dans les fers/L’arrestation

Éditions Édouard Garand (p. 3-4).




I

L’ARRESTATION


Les deux détectives frappèrent à la porte.

Il était environ onze heures du soir.

Comme personne ne répondait, ils frappèrent une seconde fois, mais plus fort, et attendirent quelques instants.

Un homme en manches de chemises, son journal à la main, sortit de l’appartement voisin.

— M. Bertrand est-il chez lui, demanda l’un des deux ?

— Je l’ai entendu rentrer vers neuf heures. Je ne crois pas qu’il soit reparti.

Le voisin se retira.

Sur le marteau, les coups redoublèrent, plus pressants. Éclairant l’autre côté du corridor, une lumière apparut par le vasistas.

La porte s’ouvrit.

Dans l’embrasure, un homme, jeune encore, il ne paraissait pas dépasser la trentaine, dressa sa stature haute et massive.

Il était revêtu d’une robe de chambre, noire, brodée de jaune, sévère et ample.

— Qui voulez-vous, demanda-t-il ?

— André Bertrand.

— C’est moi.

Le sergent Dufour entrouvrit son veston et laissa voir une plaque nickelée, épinglée à son gilet, identification de son métier.

— Et après ? demanda Bertrand, surpris de cette visite à une heure aussi tardive.

— Nous venons vous arrêter.

— Alors, donnez-vous la peine d’entrer.

L’appartement se composait d’une salle à manger, d’un vivoir et d’une chambre à coucher. Les détectives attendirent dans le vivoir pendant que Bertrand, dans la chambre, procédait à sa toilette.

Le vivoir, qui servait de cabinet de travail, était une grande pièce éclairée de deux fenêtres. Au centre une immense table, — pupitre encombré de livres, de papiers et de menus bibelots. Dans un cendrier, une dizaine de pipes de toutes sortes, de plâtre, de blé-d’inde, ou de bruyère, reposaient autour d’une tête de mort aménagée en pot à tabac.

Aux murs, des photographies accrochées sans ordre ni symétrie apparente, représentaient les politiciens du temps et les grands hommes antiques.

Quand il eut fini de se vêtir, André parut.

— Ainsi vous venez m’arrêter ?

— Ce sont nos ordres.

— Et si je refusais de vous suivre ?

— Nous vous y forcerions.

— Ah ! Vous avez un mandat d’arrestation. Puis-je y jeter un coup d’œil… Ce Monsieur Ferguson qui a déposé la plainte, est-il l’un des vôtres ?

— Non.

— Plus j’y pense moins ça me sourit de vous suivre.

— Nous n’avons pas à discuter si ça vous plait ou si ça ne vous plait pas, répondit Dufour, vous allez venir immédiatement. Et pour donner plus de force à ses paroles, il sortit un revolver dont il braqua le canon sur l’accusé. S’adressant à son compagnon :

— Apporte les menottes.

Bertrand avança tranquillement tenant les mains en avant comme s’ils les offraient aux menottes. Quand il fut tout près du détective, dont il ne perdait aucun mouvement, brusquement, il lui plongea, dans les yeux les doigts de sa main gauche, et de la droite le désarma.

— Maintenant cria-t-il les mains en l’air ou je tire… Les menottes sur la table… le pistolet…

… Pas de gestes… Je pourrais tirer… Qui a les clefs des menottes ?

… Jetez les ici… Tendez les mains.

Les deux hommes enchaînés l’un à l’autre et réduits à l’impuissance, il téléphona au poste de taxi le plus rapproché.

— Vous direz au Chef que c’est inutile de m’envoyer chercher ce soir. Il ferait perdre le temps de ses agents. Je serai aux Quartiers généraux, demain matin avant l’ouverture de la Cour.

Quelques instants plus tard, la cloche de la conciergerie, annonça qu’une voiture attendait. Il y déposa les agents toujours ligotés, donna ordre de les conduire au poste Central de la police, rue Gosford, sauta lui-même dans un taxi et courut de ci de là éclaircir cette mystérieuse affaire.