Hachette (p. 139-177).

V

Marche contre Rabah. — Combat de Kouno. — Ses suites. — 46 tués et 106 blessés sur 344 combattants. — Jonction avec les Baguirmiens conduits par Gaourang. — La mission Voulet. — Le capitaine Joalland et le lieutenant Meynier. — La mission Foureau-Lamy.



Avant de faire le récit de notre marche sur Kouno, où nous devions livrer un sanglant combat aux bandes de Rabah, il convient de mettre le lecteur au courant de certains faits qui lui feront nettement comprendre le programme que nous poursuivions et la méthode qui a amené sa réalisation.

Nous devions atteindre le Tchad. Non pas certes pour le simple plaisir d’y arriver, c’était d’ailleurs déjà chose faite. Mais surtout parce que le grand lac était le lieu de rendez-vous qui nous était fixé avec une autre mission, celle dirigée par le capitaine Voulet, et qui, partie du Soudan, devait, longeant la frontière franco-anglaise, nous rejoindre sur les rives du Tchad et se mettre à notre disposition.

Les instructions qui m’avaient été données à mon départ de France me confiaient tous les pouvoirs avec la qualité de Commissaire du gouvernement. Après avoir reconnu la nécessité de protéger le sultan Gaourang par tous les moyens en notre pouvoir, et par suite l’éventualité d’une action contre Rabah, ces instructions mettaient à ma disposition tout le personnel envoyé sur les lieux, et définissaient le véritable but visé par le Gouvernement, à savoir, l’occupation des territoires du Tchad, œuvre à la fois politique et militaire.

D’autre part, une troisième expédition, la mission Foureau-Lamy, qui était partie de l’Algérie, se dirigeait aussi vers Zinder. Il était possible qu’elle fît sa jonction avec nous ; mais, au moment où nous nous préparions à marcher sur Kouno, la chose n’était encore qu’à l’état de probabilité. Notre objectif immédiat était notre réunion avec la mission Voulet, passée sous les ordres du lieutenant-colonel Klobb[1].


le capitaine robillot.

Mais pour cela, il fallait se débarrasser de Rabah. L’ordre de départ est donné le 23 octobre. Les compagnies de Cointet et de Lamothe se mettent en route par la voie de terre, sous le commandement du capitaine Robillot. Un détachement de 20 hommes seulement est laissé à la garde de Fort-Archambault avec le maréchal des logis Baugnies, assisté de l’interprète arabe Redjem-ben-Zaïd.

J’embarque pour ma part à bord du vapeur où se trouvent avec moi M. de Mostuejouls, commandant la flottille, M. Perdrizet, le docteur Ascornet, le second-maître mécanicien Brugel et la compagnie Jullien. Le grand chaland est à la remorque et contient les deux pièces de 80 millimètres et une pièce de 65 millimètres de débarquement. L’artillerie de la flottille se compose d’un canon, à tir rapide de 37 millimètres et d’un canon Hotchkiss à cinq tubes du même calibre.


le maréchal des logis baugnies.

En principe, la flottille doit suivre la colonne de terre, de façon que tout le monde puisse camper au même endroit. Mais, par exception et pour la première journée, l’étape fixée est Ordjera, au confluent du Bahr-Sara et du Chari. On y signale des cavaliers de Rabah. Il faut donc occuper ce point solidement pour que le passage du Bahr-Sara, large de 3 à 400 mètres, puisse s’effectuer sans incident. À onze heures, nous atteignons le point réputé dangereux ; il n’y a personne sur les rives ; la compagnie Jullien débarque aussitôt et prend ses dispositions de combat. Pendant ce temps, nous remontons à quelques kilomètres plus haut, pour opérer le transbordement des troupes venant par terre.

Elles ne tardent pas à arriver ; mais tout le monde est trempé jusqu’aux os ; toutes les rivières sont débordées, les herbes très hautes. Le trajet, me dit Robillot, est des plus fatigants, d’autant que les guides que l’on s’est procurés parmi les Baguirmiens, pris d’une peur intense, ont complètement perdu la tête. Ils ne reconnaissent plus leur chemin. On est obligé d’en renvoyer quelques-uns, dont on ne peut rien tirer. Ils nous quittent avec une joie sans mélange.

Il ne reste avec nous qu’une douzaine d’individus armés de lances qui viennent, attirés par l’espoir du pillage. On s’en servira comme pourvoyeurs de munitions pendant le combat. Ils ne s’en doutent certainement pas.


le docteur ascornet.

Le passage du Bahr-Sara s’opère sans encombre. À quatre heures du soir, tout le monde est groupé à Ordjera. Le 24 au matin, on se remet en route ; la colonne ne peut se maintenir le long des rives, car à chaque instant elle se jette dans quelque mare d’inondation, et elle doit la contourner, ce qui lui cause une grande perte de temps et un surcroît de fatigues. Aussi ne tardons-nous pas à la perdre de vue, et le lendemain nous campons séparément. Les rives du fleuve semblent désertes ; pas une âme dans les quelques villages de pêche que nous rencontrons ; mais cette solitude n’est qu’apparente, car au fur et à mesure que nous avançons, des feux tout préparés s’allument derrière nous. Évidemment on signale notre passage. Le troisième jour, vers midi, nous apercevons de nouveau les nôtres dans la brousse. Ils sont littéralement éreintés. Ils marchent près de dix heures par jour, sans trouver un sentier battu, au milieu des herbes. Nous déjeunons ensemble et, après un peu de repos, nous nous remettons en route. Nous sommes tout près de l’ancien village où habitait Gaye lors de mon premier voyage. On n’aperçoit personne, sinon, à un moment donné, deux indigènes se dissimulant dans les herbes et surveillant nos mouvements. On essaie de les prendre, mais ils disparaissent bien vite.


village nyellim près du bahr-sara.

Au soir, on se décide à camper sur une colline qu’on aperçoit à quelque distance. Mais, entre cette colline et le point où l’on était arrêté, il y a une rivière profonde. On est obligé de transborder tout le personnel avec le chaland. Quelle besogne ! À deux heures du matin seulement elle est terminée.

Le quatrième jour, on se perd de nouveau pendant toute la journée ; mais, vers quatre heures, nos hommes débouchent malgré tout sur la rive. À quelques kilomètres de là se dressent les collines de Togbao ; on les voit dominant la plaine, et involontairement chacun songe au terrible drame qui s’est déroulé là trois mois plus tôt. Si Rabah a eu la précaution de les occuper, il en coûtera bon pour franchir le défilé. On va s’en assurer. Je prends à bord la compagnie de Cointet et nous nous dirigeons vers le point d’atterrissage. Il n’y a heureusement aucun ennemi. Le défilé est occupé par nous et à huit heures du soir les deux autres compagnies rejoignent.


montagne de nyellim devant togbao, où se passa le combat du mois d’août 1899.

Nous voilà donc à une vingtaine de kilomètres de notre ennemi. C’est là que sont tombés les nôtres. On allume des torches et à leur lueur on va reconnaître le terrain. Le tata occupé par les Baguirmiens, lors de la journée de Togbao, est encore en bon état. Çà et là, des ossements et des squelettes blanchis reposent sur le sol. Quelques étuis de cartouches, quelques mallettes en bois cassées, les rigoles creusées autour des tentes, c’est tout ce qui reste pour témoigner qu’une bataille a eu lieu en cet endroit.

On me dit que les Nyellims et leur chef Togbao sont dans leur village, mais ils ne se décident pas à venir. J’avoue que cette attitude me surprend. Togbao est l’ennemi de Gaye, qui est l’ami de Rabah ; il devrait donc être pour nous, d’autant qu’il me connaît et qu’un de ses hommes est remonté avec moi au Gribingui en 1897. Je lui ai même fait cadeau d’un fusil à piston. Il doit évidemment avoir quelque chose à se reprocher, car nous ne le voyons pas paraître. Ah ! oui, il a quelque chose à se reprocher ; mais nous ne l’apprîmes que plus tard.

C’est lui qui a achevé l’interprète Hassen lors du combat de Togbao. Le malheureux, blessé, avait pu réussir à se dissimuler derrière les rochers ; mais cela ne lui servit de rien. Les Nyellim l’ayant trouvé le tuèrent froidement.

La nuit se faisait épaisse ; les silhouettes des montagnes apparaissaient plus noires ; on aurait dit des amas de roches amoncelées pêle-mêle par des géants. Le lieu semblait sinistre. Assis à côté des feux, tous réunis, nous devisons du passé et nous faisons nos projets pour le combat que nous pensons devoir être livré le lendemain.

Le capitaine Robillot, qui a le commandement des troupes, convient avec moi des signaux à faire entre lui et la flottille dont, pour la circonstance, j’ai pris le commandement ; après quoi nous dînons. On vide même les deux dernières bouteilles de champagne et l’on s’endort…

Le lendemain dès l’aube, tout le monde est debout. Robillot fait changer l’ordre de marche des jours précédents, car, d’après les indications de Samba Sall, dans trois ou quatre heures nous serons à Kouno.

Trois ou quatre heures : on voit bien vite qu’elles seront dépassées et de beaucoup. Il est vrai qu’on ne suit pas la route frayée, mais qu’on longe la rive, ce qui augmente énormément la longueur et les difficultés du trajet. Bref, c’est encore une journée éreintante. À quatre heures du soir seulement, nous nous rejoignons. La colonne est arrêtée par une rivière. Elle la traverse grâce au chaland et elle campe de l’autre côté. Seules deux pirogues apparaissent sur le fleuve et s’enfuient aussitôt.

Nous passons la nuit le plus tranquillement du monde sans être dérangés… et, chose extraordinaire, nous étions à peine à quelques kilomètres de Kouno.

À six heures, on se remet en route. Une pointe de terre nous empêche de distinguer la ville. On accoste le vapeur et les trois pièces de canon débarquent avec leur personnel d’artilleurs. Tout cela se fait presque sous le nez de l’ennemi, qui ne tente même pas de s’y opposer.


types de femmes nyellims.

La vérité, je l’ai sue plus tard, c’est que Rabah était prévenu seulement de l’arrivée du vapeur, qu’il supposait contenir toutes nos forces. Il ne se doutait pas du tout qu’une troupe importante venait par terre, et cela très vraisemblablement, parce que la colonne n’avait pas pris le chemin habituel, mais avait marché à travers la brousse.

À neuf heures du matin, le vapeur était en vue de l’ennemi. Un immense banc de sable nous séparait d’une falaise haute de quelques mètres, sur laquelle se détachaient les hommes de Rabah.

Le soleil était dans tout son éclat. Nous distinguions très nettement les formations de l’ennemi.

À la tête des diverses unités appelées birecks se tenaient les chefs, tous vêtus de blanc. Un turban de même couleur leur entourait la tête. Une cartouchière ceignait leurs reins. Brandissant leur fusil, les chefs semblaient haranguer leurs hommes et les encourager au combat.


à la montagne de nyellim, les charges prêtes pour le départ.

Le branle-bas de combat est fait depuis longtemps sur le vapeur ; M. Perdrizet pointe le canon à tir rapide du Léon-Blot, de Mostuejouls celui du chaland ; le second-maître Brugel a, en même temps que la surveillance de sa machine, la direction de la mousqueterie. Moi, je m’occupe de l’ensemble, et de la manœuvre.

À neuf heures précises, la flottille ouvre le feu avec ses deux canons, et presque au même instant l’artillerie de la colonne, qui a été mise en batterie à quinze cents mètres, sur une dune de sable, envoie ses premiers coups. L’ennemi, surpris par cette double attaque, ne tarde pas à répondre.

Une des deux bannières de Rabah, celle d’Othman Cheiko, et une autre avec une pièce de canon, ripostent au feu du vapeur, pendant que les dix autres bannières et deux pièces de canon font face à l’attaque par terre. Le capitaine Robillot a placé ses trois compagnies en échelon, la première en tête, la troisième en réserve. Nos troupes s’avancent lentement ; le terrain n’est malheureusement pas assez découvert, de sorte qu’il devient difficile de trouver un emplacement pour mettre les pièces en batterie. L’ennemi, qui a placé des tireurs dans les arbres, nous tue pas mal de monde. On approche cependant peu à peu des cases que l’on distingue nettement. Kouno est plutôt un campement qu’une ville. Aucune fortification apparente n’existe.


une des portes du tata de kouno.

Sur la gauche de nos troupes, dans une sorte de bas-fond, Rabah a placé des tirailleurs qui ripostent très bien au feu des nôtres. Derrière ces tirailleurs, se massent des groupes plus importants qui surgissent tout d’un coup. Une fusillade intense se fait entendre. Nos feux de salve y répondent vigoureusement.

Mais cela ne peut durer longtemps ainsi, car nos troupes commencent à souffrir du feu de l’ennemi. De plus, son tir d’artillerie, bien réglé, a déjà couché par terre une demi-section de la troisième compagnie.

Le capitaine Robillot donne l’ordre de mettre baïonnette au canon et de se précipiter sur les masses ennemies. Celles-ci, dépourvues d’armes blanches, ne peuvent soutenir le choc et se replient précipitamment dans la ville, serrées de près par les nôtres qui atteignent rapidement le premier groupe de cases, auquel le Sénégalais Momar Gaye, de la première compagnie, met le feu. Un formidable incendie éclate alors ; les cases brûlent avec rapidité. Les chevaux, les bestiaux qu’on y a renfermés se sauvent et courent au milieu des flammes. À l’abri des maisons, non encore atteintes par le feu, nos tirailleurs s’avancent. Leurs feux de salve, très méthodiquement exécutés répondent au feu des Rabistes, très irrégulier, mais fort intense.


vue du tata de kouno.

Tout d’un coup, on arrive devant un tata, que jusque-là on n’avait pas aperçu. L’ennemi tout entier y est rassemblé et à l’abri des palanques de rosniers[2] qui le constituent, les soldats de Rabah tirent sans interruption ; une seule pièce d’artillerie, qu’on sort de temps en temps, répond par intervalles au feu rapide de nos pièces qui sont à peine à cent mètres de l’ouvrage.

On entend le craquement spécial des obus à mélinite qui éclatent. Il est alors près de midi. Pendant que la colonne de terre avançait ainsi, nous continuions le feu à bord du vapeur, qui était, lui aussi, le point de mire de l’ennemi. Un obus tomba si près que nous fûmes tout couverts d’eau ; mais la mobilité du but empêchant la rectification du tir, la plupart des projectiles tombaient ou trop bas ou trop haut, c’est-à-dire dans le banc de sable ou dans l’eau, où ils s’enfonçaient sans éclater. Le tir de la mousqueterie au contraire était plus efficace, et si le navire n’avait été protégé par des plaques d’acier, il y a grande probabilité que nous aurions eu beaucoup de monde atteint.

Jusqu’à midi nous n’eûmes personne de touché, sinon mon cuisinier Louis, qui reçut une balle dans la jambe. À ce moment, du côté de l’ennemi, il y avait du flottement. Un fort parti de tirailleurs était revenu sur la falaise et nous criblait de balles ; derrière lui, on apercevait très nettement des masses nombreuses qui semblaient fuir[3]. C’étaient en effet des fuyards. Nous tirons à force sur ces masses ; le tir est très bien réglé et produit beaucoup d’effet.

On voit les petits obus éclater au beau milieu des groupes. Notre vigie, un Pahouin placé sur la toiture, nous signale les points de chute. Le chef de la bande qui tirait sur nous tombe bientôt, atteint par un obus de canon-revolver ; nous le voyons s’adosser à un arbre, entouré par ses soldats qui s’empressent. Un deuxième coup le frappe de nouveau et nous le voyons s’incliner par terre, sans mouvement. Nous sûmes plus tard que c’était Othman Cheiko, le gouverneur de Koussouri.

Sans chef, les tirailleurs ennemis se replient, la masse des fuyards augmente. Nous nous lançons après elle pour l’accabler de notre feu, quand un signal convenu nous rappelle à notre poste. On a besoin de munitions. J’en renvoie. Il est midi et demi. Les feux de salve se succèdent avec rapidité ; les obus éclatent, l’ennemi répond vigoureusement ; puis peu à peu, son feu s’éteint presque complètement.

J’entends sonner la charge. On aperçoit les baïonnettes qui scintillent au soleil. Ce sont les nôtres qui donnent l’assaut. La première compagnie est en tête, la deuxième doit la soutenir et la troisième est en réserve.


mort du maréchal des logis de possel-deydier à l'assaut de kouno. dessin de madame paule crampel.

En un instant nos vaillants tirailleurs sont sur les palissades ; mais un feu d’enfer les accueille. Rabah, qui n’a plus autour de lui que quelques centaines d’hommes décidés à mourir à ses côtés, a réservé son feu. Les pieux sont trop élevés pour qu’on puisse les escalader. Le maréchal des logis de Possel-Deydier, en tête de sa section, se précipite et, prenant un de ces énormes madriers à pleines mains, il essaye de l’ébranler. C’est en vain, l’ouvrage est trop solide. Deux balles l’atteignent. Quatre hommes sont tués autour de son corps, que le lieutenant Galland finit par emporter. On se replie un peu en arrière, à l’abri des cases. Le capitaine Jullien rallie ses hommes, sans hâte, sans précipitation et le feu recommence. L’artillerie, qui a été servie par un sous-officier nommé Delpierre, le brigadier Intès et le canonnier Guégan, manœuvre comme à l’exercice. Elle se maintient à soixante-dix mètres de la place et par son feu intense empêche toute tentative de sortie de l’ennemi.


le lieutenant galland.

Le combat continue ainsi jusqu’à trois heures. L’ennemi s’obstine à ne plus vouloir sortir. On sent qu’il se cantonne à l’abri de ses palissades ; son moral est très affaibli. Ses pertes sont considérables. Outre Othman Cheiko sont tombés Faki Ahmed Ould Ibrahim, puis Boubakar, le plus vaillant des chefs de Rabah, celui qu’il estime le plus ; la plus grande partie de son monde est en fuite et les nombreux cadavres qui restent sur le terrain montrent au conquérant noir que décidément la victoire ne peut être à lui. Ni le vapeur, ni la tête de Robillot, ni la mienne, ne lui serviront de trophées. Aussi, quand Boubakar, blessé à mort, lui propose de tenter une dernière sortie, se contente-t-il de lui montrer les corps qui l’entourent en lui disant : « Vois cela et dis-moi si c’est possible ».


le brigadier intès, le maréchal des logis levassor, le canonnier guégan autour d’un de nos canons de 65 millimètres.

De notre côté, hélas ! les pertes sont sensibles : le maréchal des logis de Possel tué, le lieutenant Galland, le capitaine de Lamothe, le sergent Cathala légèrement contusionnés ; le lieutenant Kieffer a le bras traversé, le capitaine Robillot est sérieusement blessé. En outre une trentaine de Sénégalais sont tués, une centaine blessés. J’ai dû me démunir de presque tout le personnel du vapeur pour ramasser les blessés et pour compenser un peu les pertes. Les deux canons de quatre-vingts millimètres qui tirent avec une poudre trop vive ont faussé leurs affûts, de telle sorte que le pointage devient impossible.


le capitaine de lamothe.

À quatre heures et demie, il devient évident que l’on ne pourra pas enlever le tata d’assaut. Aussi décide-t-on de se replier sur le banc de sable à proximité du vapeur. Le mouvement s’effectue avec une méthode remarquable, absolument comme à l’exercice. L’ennemi, très démoralisé, ne tente même pas une sortie. Il sait trop bien qu’en rase campagne il serait perdu. À cinq heures, tout le monde est rassemblé, sur le banc de sable, à huit cents mètres environ de l’ennemi. On prend les dispositions de combat pour la nuit et chacun s’apprête à se reposer.

On avait bien besoin de ce repos, après huit heures de combat ininterrompu, sous un soleil de feu, sans manger, presque sans boire.

Ah ! quels officiers admirables et quels soldats il y avait à Kouno ! Tous sont à citer sans en excepter un seul. C’est d’abord Robillot, splendide dans son uniforme de flanelle blanche, aux galons d’or, blessé et perdant des flots de sang, qui ne songe même pas à se faire panser et continue à diriger le combat ; puis Jullien, de Cointet, de Lamothe, qui accomplissent des prodiges de bravoure ; Kieffer blessé, qui ne cesse pas de se battre ; Galland, dont j’ai raconté les hauts faits. Et à côté d’eux, froidement intrépide, notre excellent médecin, le docteur Allain, constamment sur la ligne de feu, pansant tous les blessés avec un soin infini. Son infirmier est tué à ses côtés ; il ne s’émeut pas et continue sa tâche, sans se soucier des balles qui tombent autour de lui. Et eux aussi, les sous-officiers et les artilleurs ne doivent pas être oubliés : le brave de Possel tombant en héros, le sergent Cathala, le maréchal des logis Levassor, Delpierre, Intès, Guégan, qui secondent, leurs officiers et se révèlent des braves.


le lieutenant kieffer.

Pas plus qu’eux ne doivent être passés sous silence tous ces tirailleurs sénégalais, qui, héroïquement, stoïquement, à la voix de leurs chefs, se lancent dans la fournaise et meurent en accomplissant leur devoir. Enfin, je ne voudrais pas oublier les marins de la flottille, les agents civils tels que Mostuejouls et Perdrizet, le second maître Brugel et le docteur Ascornet, qui tous surent se montrer à la hauteur de leur tâche et rivaliser d’ardeur avec leurs camarades combattant à terre.

Quelle rude journée ! sur trois cent quarante-quatre hommes en ligne, tant des troupes que de la flottille, nous avions exactement quarante-six tués et cent six blessés !

C’est quarante-cinq pour cent de notre effectif hors de combat. Si seulement nous avions eu avec nous les Baguirmiens, on aurait pu bloquer la place et certainement Rabah eût été pris ce jour là. Son heure n’était pas encore sonnée, mais son étoile néanmoins s’était obscurcie. Après les pertes qu’il avait subies, il était incapable de tenter le moindre retour offensif. Nous avions donc atteint le but que je me proposais, à savoir de venger les morts de Togbao, et de préparer notre jonction avec les Baguirmiens. Ce résultat avait été obtenu grâce à tous les vaillants qui, sous le commandement du capitaine Robillot, avaient eu l’audace de tenter cette héroïque folie, d’attaquer avec moins de trois cent cinquante hommes un adversaire retranché, disposant de deux mille sept cents fusils et de dix mille auxiliaires ! En dehors de Togbao, qui fut plutôt un massacre, il y a eu deux combats seulement où Rabah a donné en personne, celui de Kouno et celui de Koussouri. C’est le combat de Kouno qui fut le plus dur et le plus acharné…


deux des canons de la mission (la pièce de gauche sur son affût faussé pendant le combat de kouno)

La nuit était venue, les flammes de l’incendie qui dévoraient Kouno éclairaient tout l’horizon. Un grand silence régnait, interrompu seulement de temps en temps par les chants funèbres de nos adversaires qui enterraient leurs morts, et par les plaintes de quelque blessé bousculé par un camarade.

Puis tout se tut. Nous avions bien essayé de manger un peu pour nous réconforter ; mais la fatigue fut plus forte que la faim ; un sommeil de brute s’empara de nous tous, et nous nous endormîmes jusqu’au lendemain matin. De bonne heure, on tint conseil. Nos deux canons étaient hors de service ; les munitions faisaient défaut (il restait à peine soixante cartouches à chaque homme), et nous n’avions plus que quatre jours de vivres. Enfin nos blessés, entassés dans le vapeur et dans le chaland, réclamaient des soins pressants. Je décidai donc de revenir en arrière jusqu’à Fort-Archambault. On transporta sur la rive droite les deux cents hommes qui étaient encore valides. Bientôt ils se mirent en route pour regagner le poste, pendant que de mon côté je remontais lentement le fleuve avec le vapeur.

L’ennemi, en nous voyant partir, ne tenta même pas de sortir. Aussi notre voyage s’effectua-t-il sans le moindre incident.


le capitaine de cointet.

Malgré les pertes considérables que nous avions éprouvées, je fus très satisfait du résultat obtenu, car dès le lendemain de notre retour à Fort-Archambault, je recevais la visite de messagers Baguirmiens envoyés par le sultan Gaourang. Ils étaient au courant de ce qui s’était passé à Kouno, et ils nous apprirent même que, quelques jours auparavant, une forte troupe rabiste envoyée en razzia de vivres chez les Toummocks avait été surprise, et avait perdu beaucoup de monde. Ils me dirent que Gaourang ne tarderait pas à arriver.

Cette dernière nouvelle me fit grand plaisir ; non pas que je considérasse les Baguirmiens comme des auxiliaires bien sérieux dans un combat, mais parce que, au point de vue moral, l’effet de notre jonction, que Rabah désirait empêcher, serait très grand sur les indigènes. Avant Kouno, en effet, Gaourang était fugitif ; grâce à notre intervention, il était en sécurité et la protection que nous lui avions promise s’exerçait efficacement. Il n’était pas douteux non plus que, lorsque nous reprendrions la marche en avant avec le sultan, nous disposerions d’effectifs plus imposants et surtout que nous trouverions plus facilement parmi les populations du fleuve une aide matérielle, dont nous avions grand besoin. Mais ce n’était pas le moment de perdre du temps. Je remis aux envoyés une lettre pour Gaourang, et je me préparai à revenir au Gribingui, afin de tout disposer pour opérer notre jonction avec la colonne Klobb, à laquelle je devais également fournir quelques ravitaillements. Je laissai Robillot à Fort-Archambault, après lui avoir donné mes instructions relatives à la politique et je rentrai au Gribingui le 16 novembre. Une terrible nouvelle m’y attendait, contenue dans le câblogramme suivant :


le docteur allain.

« Commissaire général à Commissaire du gouvernement Chari.

« Département informe que lieutenant-colonel Klobb, envoyé pour prendre commandement mission Voulet, a été assassiné par Voulet à Damangar, près Zinder, 14 juillet. Lieutenant Meynier qui accompagnait lieutenant-colonel Klobb a été tué également, avec plusieurs tirailleurs ; les survivants sont signalés à Say. Voulet devoir être considéré comme en état de rébellion. Informez Gentil par les voies les plus rapides et prescrivez-lui prendre toutes les précautions nécessaires au cas où mission Voulet regagnerait postes du Chari. Bien entendu que ravitaillement qui lui était destiné ne doit pas lui être remis. »

Effrayante dans son laconisme, cette dépêche faisait sombrer tous mes plans. Non seulement la marche en avant était compromise, mais encore au lieu de trouver devant nous une colonne alliée, c’étaient des ennemis que nous allions rencontrer. La jonction entre les deux missions, but de nos rêves, aurait pour résultat, si elle s’accomplissait, une mêlée affreuse entre Français ! Ah ! quelles heures tristes j’ai passées à ce moment-là ! Quoi, il s’était trouvé un officier capable de commettre un tel crime ! C’était effroyable, en vérité. Quelles seraient les conséquences de cette horrible action ? Bien difficiles à préjuger. Quelle conduite tenir ? Pendant deux jours je réfléchis longuement à la situation, et, comme il vaut mieux prévoir le pire, j’envisageai froidement l’hypothèse où nous aurions à combattre nos compatriotes révoltés.


kouno en flammes, vue prise du Léon-Blot.

Cela n’aurait pas été une petite affaire, car ils étaient bien nombreux : ils avaient six cents fusils au moins, et ils n’avaient plus rien à perdre…

De notre côté, en tenant compte des blessés qui, guéris, pourraient reprendre du service, nous avions à peine deux cent soixante-dix hommes capables de tirer un coup de fusil.


le capitaine bunoust.

C’était insuffisant. Il nous fallait des renforts à tout prix. Tout ce que je pus faire sur le moment fut d’envoyer vingt-quatre hommes à Robillot par le vapeur qui restait à sa disposition. Il se trouvait donc à la tête d’un peu moins de trois cents hommes. Je le mis au courant de l’affaire Voulet et lui interdis absolument tout mouvement en avant. Pour moi, apprenant l’arrivée prochaine du Commissaire général, M. de Lamothe, à Bangui, je me résolus à aller le rejoindre pour conférer avec lui de la situation.

J’arrivai à Bangui le 10 décembre, étant parti du Gribingui le 1er. M. de Lamothe s’y trouvait. Très ému par l’annonce du massacre de Bretonnet, il s’était décidé à remonter le fleuve pour avoir plus tôt des nouvelles. Il avait eu heureusement la bonne pensée d’amener avec lui une trentaine d’hommes, un capitaine d’artillerie, M. Bunoust, deux lieutenants, MM. Larrouy et Martin, et le maréchal des logis Papin. Ce personnel, qui faisait partie de la mission topographique du commandant Gendron, fut réquisitionné d’urgence et mis à ma disposition.

Les postes de Bangui et de Mobaye étaient invités à nous fournir trente hommes et le commandant des troupes du Haut Oubangui avait l’ordre de constituer un détachement de tirailleurs réguliers de soixante-dix hommes et de les envoyer au Chari sous le commandement d’un lieutenant.

Pendant que s’effectuait la concentration, je recevais une lettre du capitaine Robillot m’annonçant que Gaourang avait fait sa jonction avec lui à Fort-Archambault, que Rabah avait évacué Kouno quelques jours après le combat, juste le temps qu’il lui avait fallu pour radouber quelques mauvaises pirogues, afin d’y embarquer ses nombreux blessés et de les renvoyer sous escorte par le fleuve. Sa colonne principale effectuait sa retraite sur Logone et Dikoa par le Bahr-Erguig, pour s’y ravitailler.


le lieutenant martin.

L’arrivée des Baguirmiens avait permis de retrouver à Togbao les corps des Européens qui y étaient morts. Sur leurs indications, on put les identifier d’une façon certaine et leur donner une sépulture décente à Fort-Archambault.

Ainsi donc, tout avait marché aussi bien qu’on pouvait le souhaiter, en ce qui nous concernait ; la bataille de Kouno, livrée pour nous débarrasser de Rabah, avait produit le résultat attendu. Nous étions les maîtres du fleuve et rien ne s’opposait à notre marche, sinon la perspective d’une lutte avec la mission Voulet.

Grâce à l’initiative du Commissaire général, nous allions être en très bonne posture de défense, mais l’éventualité d’une marche en avant restait toujours douteuse, d’autant que les dernières dépêches du Gouvernement, non encore au courant du combat de Kouno, mais toujours sous l’impression du massacre de Bretonnet et du drame de Zinder, s’y opposaient d’une façon formelle.

Il fut convenu entre M. de Lamothe et moi que, en principe, je me cantonnerais vers le 10e degré et que, dès que je pourrais avoir des nouvelles de la mission Foureau-Lamy, nous marcherions à sa rencontre.


le maréchal des logis papin.

Nous nous séparâmes ensuite et je regagnai le poste du Gribingui. Tous mes renforts étaient arrivés ou étaient en route. Je commençais à renaître enfin à l’espérance, quand, au cours de mon voyage, pendant que je déjeunais, un courrier me croise et me remet des lettres urgentes.

J’en prends rapidement connaissance. Quelle joie pour moi ! C’était l’annonce de l’arrivée à Sada, près de Fort-Archambault, à la date du 13 janvier, du lieutenant Meynier qu’on croyait mort avec le colonel Klobb.

Cet officier était porteur d’une lettre du lieutenant Joalland annonçant les événements suivants :

Le 14 juillet 1899, le capitaine Voulet, commandant l’arrière-garde de sa colonne, était rejoint non loin de Zinder, à l’Ouest du Tchad, par le colonel Klobb et le lieutenant Meynier. Voulet donna l’ordre de tirer sur eux. Le colonel était tué, Meynier blessé à la cuisse. Puis Voulet rejoignait son avant-garde et mettait les Européens de sa colonne au courant de ce qu’il venait de faire.

Après quoi, ayant persuadé aux tirailleurs que les torts étaient du côté du colonel Klobb, il crut avoir ses hommes pour lui. Il décida donc que les officiers et sous-officiers de la mission qui ne voulaient pas, par leur simple présence, partager la responsabilité du crime retourneraient à Say avec une escorte de trente tirailleurs, dont il se méfiait.


arrivée du sultan gaourang à fort-archambault.

Quant à lui et à son second, le capitaine Chanoine, ils étaient résolus à se tailler un empire dans le Centre Africain, avec les tirailleurs qui leur étaient restés fidèles.

Le 16, ces tirailleurs, comprenant l’énormité de leur faute, se révoltaient, tuaient Voulet et Chanoine, et venaient se mettre sous les ordres du lieutenant Pallier, qu’ils rejoignaient le 17.

Les officiers survivants se concertèrent et convinrent qu’ils marcheraient sur Zinder, afin de venger la mort du capitaine Casemajou. Le 30 juillet, la colonne entrait à Zinder, après avoir vaincu le serki Amadou, qui s’était porté à sa rencontre.

Quelques jours plus tard, le lieutenant Pallier partait avec trois cents tirailleurs pour reconnaître la route du Tchad, laissant ses camarades à Zinder. Mais après quelques étapes, les tirailleurs, entraînés par quelques mauvaises têtes, refusaient d’aller plus loin et forçaient, sur menace de mort, M. Pallier à les ramener à Zinder avec promesse de rentrer au Soudan.


paysages des environs de miltou, où rabah a traversé le fleuve.

À Zinder, une scission se produisit : deux cent soixante-dix tirailleurs, restés dociles, acceptaient de continuer la mission pendant un an, sous les ordres des lieutenants Joalland et Meynier et d’un sous-officier, le sergent Bouthel. Les trois cents autres tirailleurs reprenaient la route du Soudan avec le lieutenant Pallier, le docteur Henric et deux sous-officiers.

La nouvelle mission cherche alors à pacifier Zinder. Le 15 septembre, le serki Amadou est tué dans une reconnaissance et les habitants de la ville se mettent à la disposition des Européens. Le lieutenant Joalland laisse alors à Zinder son sergent européen et cent tirailleurs et prend le 3 octobre la route du Tchad avec le lieutenant Meynier, cent soixante-dix tirailleurs et un canon de 80 millimètres.

Informé à ce moment de la présence de la mission Foureau-Lamy dans l’Aïr, Joalland s’empresse de lui expédier des cha meaux qu’elle réclame et dont elle a grand besoin, puis il continue sa route, reprenant ainsi pour son propre compte les instructions données au lieutenant-colonel Klobb dont un des passages était le suivant : « Jonction avec mission Foureau-Lamy, quoique étant très désirable, n’est point l’objectif principal. Nécessaire arriver le plus tôt possible au Tchad pour conclure traité avec Kanem et rejoindre la mission du Chari. »


le capitaine joalland. (photographie de e. pirou.)

Ces instructions disaient aussi que, dans le cas de rencontre avec la mission Foureau-Lamy, le lieutenant-colonel Klobb prendrait la direction des deux expéditions, à moins toutefois que Foureau ne tînt à revenir par la voie de Zinder et du Dahomey ; et en ce cas son escorte resterait à sa disposition.

Dans cette circonstance, le lieutenant Joalland, qui avait été promu capitaine au mois de juillet, estimant qu’il importait avant tout de nous rejoindre, se mit en route. Je ne pus qu’approuver cette décision ; il était en effet pour moi du plus haut intérêt d’être renseigné au plus tôt sur l’issue de l’affaire Voulet…

Le 23 octobre, Joalland était à Woudi ; il suivit la route au Nord du Tchad, dans un pays désolé, par N’guigmi et Gor, et arriva le 22 novembre à Gouré, dans le Kanem. En passant à Debenenki, il nomma sultan du Kanem l’alifa Zeraff, descendant légitime des souverains, qui se déclara tout dévoué à notre cause pour être débarrassé de Rabah et du Ouadaï.

Enfin, il arriva à N’Gouri où il laissa un détachement, puis il se porta sur Goulfeï.

Cette marche de Joalland s’effectua sans que nous puissions en être le moins du monde informés. En effet, pendant cette période nous avions eu affaire à toute l’armée de Rabah, laquelle, opérant ensuite sa retraite avait fait le vide sur son passage, de sorte qu’aucun Baguirmien n’avait pu venir nous apporter des nouvelles. Joalland de son côté, n’en ayant pas davantage, envoya le sergent Abdoul Sall, le 14 décembre, en courrier avec une pirogue de Goulfeï. Ce sergent avait la consigne de s’assurer de l’endroit où nous nous trouvions et de me remettre une lettre de son capitaine.

Mais à peine était-il en route, qu’il se rencontra avec les quarante pirogues portant les blessés de Rabah et une forte escorte ; les pirogues redescendaient le fleuve à petites journées pour se maintenir à hauteur de la colonne principale des Rabistes, qui se repliait sur Logone par la rive gauche du Chari.

Abdoul Sall ne pouvait songer à entrer en lutte contre des forces supérieures. Aussi revint-il vers son chef, le capitaine Joalland, qui se décida à envoyer vers nous le lieutenant Meynier. Ce jeune et brillant officier, à peine guéri de la blessure qu’il avait reçue aux côtés du colonel Klobb, fournit, le long du Bahr-Erguig, sur la rive droite du Chari, qui venait d’être évacuée par les troupes de Rabah, un trajet de sept cents kilomètres en quatorze jours (du 28 décembre 1889 au 11 janvier 1900). C’est à Sada, non loin de Fort-Archambault, qu’ayant accompli cette prouesse, il se rencontra avec le capitaine de Cointet et les forces du sultan Gaourang.

Comme bien on pense, il y fut accueilli avec la joie la plus vive. Les récits qu’il fit, les nouvelles qu’il apporta nous arrachèrent enfin à ce long cauchemar qui hantait tout le monde : l’éventualité effroyable d’une lutte entre Français. Non seulement cette lutte ne se produirait pas, mais nous allions retrouver des alliés, des frères d’armes. De plus, on pouvait escompter, avec de grandes chances de certitude, l’arrivée prochaine de la mission Foureau-Lamy sur les bords du lac Tchad. Nous allions être en nombre pour agir efficacement et énergiquement. L’espoir de porter bientôt à Rabah le coup décisif nous faisait battre le cœur.

  1. Au mois d’août, au moment où je commençais la concentration du personnel et du matériel sur Fort-Archambault,j’avais reçu une dépêche ministérielle ainsi conçue :
    « Colonel Klobb désigné pour remplacer Voulet dans le commandement de mission, lui ai confirmé précédentes instructions. Son action Est Tchad, notamment Ouadaï, devra être conforme à vos vues et ne l’exécuter que par vos ordres. Si vous l’employez, lui devrez vivres et approvisionnements nécessaires. »
    Sur le moment, la lecture de cette dépêche ne me frappa pas énormément. Je pensai seulement que le Gouvernement, ayant augmenté les effectifs de la mission Voulet, en avait confié le commandement à un lieutenant-colonel.
  2. Tronc du palmier borassus ou flabelliforme.
  3. Un prisonnier que nous fîmes nous raconta même que Rabah avait pris la fuite. Cette nouvelle n’était pas exacte.