La chute de l’empire de Rabah/Note VI

Hachette (p. 291-302).

NOTE VI


Bretonnet qui était le 16 janvier 1899 à la mission de la Sainte Famille avait atteint Krébedjé le 26. C’est là qu’il apprit le départ de Béhagle. Très préoccupé par l’organisation de ses convois et surtout au sujet de la montée des charges qu’il avait laissées à Brazzaville, confiant dans la promesse qu’on lui avait faite de les expédier tout de suite[1], il ne pouvait pas se porter aussi rapidement qu’il l’eût voulu, à la station de Gribingui où sa présence eût été nécessaire.

Il y arriva cependant en mars. Le 15 avril, il pouvait constituer un petit convoi, avec les deux boats réexpédiés par Prins et quelques pirogues. Ce convoi était commandé par le lieutenant Durand-Autier, provenant de la compagnie Jullien. Cet officier qui devait rentrer en France, renonça à son idée et offrit ses services à Bretonnet qui les accepta.

Le lieutenant Durand-Autier, devait remplacer Prins comme résident au Baguirmi. Il était porteur d’une lettre pour Gaourang et avait la consigne de s’opposer à la poursuite du voyage de M. de Béhagle. Il était trop tard. Durand-Autier arriva à Kouno au commencement de mai et reçut le service des mains de Prins, qui prit la route de France. Les Sénégalais, trop longtemps livrés à eux-mêmes, n’étaient plus disciplinés. Une révolte éclata même qui fut difficilement réprimée. L’effervescence toutefois ne tarda pas à se calmer.

Bretonnet, ayant réuni quelques chevaux et bœufs porteurs, talonné par l’idée que l’expédition allemande qu’on signalait à ce moment, pouvait nous devancer, et de plus pressentant les complications qui pourraient résulter pour nous d’un si brusque changement de politique, n’eut plus qu’une idée : se rendre sur les lieux le plus rapidement possible. Sans se préoccuper de la compagnie Jullien, à laquelle il avait donné l’ordre de stationner à Krebebjé, afin d’obtenir la soumission définitive de quelques groupes de G’Baggas hostiles, il se mit en route le 1er mai. Faute d’embarcations il adopta la route de terre passant chez Senoussi. Cette hâte très explicable le priva du concours de 150 hommes et d’officiers expérimentés. On peut dire toutefois, que s’il l’avait absolument voulu, il aurait pu partir à la même date avec la plus grande partie de ce contingent. En effet, le câblogramme ministériel mettant la compagnie Jullien à sa disposition, parvint à son commandant vers le 15 mars. Bretonnet l’avait reçu bien avant.

Si à cette époque, il avait donné l’ordre au capitaine de le rejoindre immédiatement avec son monde, et de laisser une dizaine d’hommes seulement pour accompagner le convoi dont cet officier avait la charge et qu’il devait livrer au Chari, il n’est pas douteux que la compagnie, à l’exception de ces dix hommes, aurait pu atteindre le Gribingui avant le 1er mai… Cela n’eut malheureusement pas lieu, et là encore, loin de moi, l’idée de critique.

On ne critique pas des gens qui ont fait non seulement leur devoir, mais plus que leur devoir. Mon rôle d’historien m’oblige cependant à des constatations, et je les fais, je le répète, sans la moindre arrière pensée…

Bretonnet était donc en route depuis le 1er mai pour Kouno. Il fut admirablement reçu à N’Dellé, chez Senoussi, où le second de M. de Béhagle, M. Mercuri, s’était établi depuis plusieurs mois. Après quelques jours de repos, il poursuivit sa route vers l’ouest. Outre son escorte, composée d’une trentaine de sénégalais, commandée par le lieutenant Braun, Senoussi lui avait confié cinquante de ses soldats.

Ces derniers, appréhendant beaucoup de passer par le pays des Bouas, quittèrent Bretonnet non loin du Chari, si bien que, sans guides, il fut obligé de se rabattre sur le fleuve et d’en longer la rive droite. Il rencontra en chemin un convoi de pirogues avec deux baleinières en fer. Ce convoi qui venait d’être descendu par M. Pouret jusqu’à Kouno, remontait le fleuve, pour prendre de nouvelles charges à la station du Gribingui. Il l’utilisa pour son propre compte et arriva à Kouno le 15 juin au soir. Il avait avec lui le lieutenant Braun, le lieutenant Durand-Autier, le maréchal des logis Martin, le chef de poste Pouret et deux interprètes arabes Chabka et Hassen. Il disposait d’une cinquantaine de sénégalais.

Pendant que Bretonnet effectuait sa marche sur Kouno, j’étais je l’ai dit arrivé à Ouadda. De là, je me dirigeai sur la mission de la Sainte Famille où je rencontrai le lieutenant Galland et le maréchal des logis Delpierre, laissés à la garde du convoi confié au capitaine Jullien. Ce dernier avait quitté la mission le matin même. Je le rejoignis le soir et nous atteignîmes ensemble Krebedjé le 13 juin. Le capitaine Jullien avait reçu ordre de Bretonnet de stationner en ce point. Je le relevai de sa consigne et après avoir laissé le commandement du poste et du cercle de Krebedjé au capitaine de Cointet assisté d’un agent, M. Costa, j’expédiai de suite, sur Gribingui, M. de Mostuéjouls avec le chaland.

Afin d’assurer le transport de notre énorme matériel, je décidai la création d’un nouveau poste à l’embouchure de la Kémo et de l’Oubangui et je chargeai M. Bruel, qui arrivait derrière, d’en choisir l’emplacement. Ceci fait, nous nous mettons à notre tour en route, le capitaine Jullien et moi. MM. Rousset et Perdrizet nous accompagnaient. Le 20 juin nous étions au poste de Gribingui.

Le 2 juillet je prenais connaissance de la lettre suivante de Bretonnet à Perdrizet : « J’ai l’honneur de vous informer que je prends le boat et la baleinière pour gagner Kouno où j’arriverai demain soir.

« Je vous renverrai le plus tôt possible ces deux embarcations, dès que j’aurai pris langue avec le sultan et que le lieutenant Braun sera arrivé, c’est-à-dire le 19 ou le 20. Notre voyage de N’Delé aux Caba Bodos s’est bien effectué. Je crois qu’il y aura intérêt à ne réexpédier les dix-neuf pirogues (il n’y en avait que douze) que vous amène Samba Soumaré, qu’en même temps que le boat et la baleinière. Cela ne fera ainsi qu’un convoi, et permettra de tenir compte des demandes que je pourrai avoir à vous faire parvenir après avoir vu le sultan et pris connaissance du courrier de France. »

Cette lettre était datée du 14 Juin.

Complètement démuni de moyens de transport par eau, nous poursuivons les réparations du Blot et le montage du chaland. C’est grâce à cette flottille seulement que nous pourrons envoyer des renforts. Si seulement les deux embarcations en acier étaient là ; elles peuvent prendre trente hommes chacune, c’est toujours autant. Mais non, elles ne viennent pas et nous sommes immobilisés. Le 23 juillet, de nouvelles pirogues arrivent en petit nombre. Elles portent un volumineux courrier ; mais les boats ne sont toujours pas là.

Ce courrier, très intéressant, contient des rapports de Bretonnet, entre autre un exposé de la situation à la date du 6 juillet que je reproduis ici in-extenso en ce qui concerne du moins la partie politique.

Ce rapport est adressé au Commissaire général :

« J’ai l’honneur de vous rendre compte que parti de N’Dellé le 31 mai, j’arrivai à Kouno le 15 juin au soir. Le premier envoi de ravitaillement venait d’arriver le 10. Malheureusement, il ne comprend que les canons et les quelques fusils envoyés de Brazzaville sur les 1000 promis au sultan Gaourang, ce qui ne nous permet encore que de nous maintenir à Kouno, en attendant l’arrivée des renforts annoncés et de monsieur Gentil.

Situation actuelle au Baguirmi. — Il était grand temps pour rétablir la confiance, que je puisse enfin arriver avec les quelques cadeaux expédiés de Brazzaville.

Je vous envoie copie des rapports de M. le chef d’exploration Prins, de diverses lettres de M. de Béhagle et d’une lettre du sultan Gaourang qui vous édifieront complètement sur l’état d’esprit qu’avait pu provoquer (chez Gaourang) l’action en tout contraire aux engagements pris par Gentil, menée trop brusquement et avant qu’aucune des promesses faites n’ait été tenue.

M. Prins a dû s’incliner devant les ordres reçus ; mais il convient de reconnaître la rectitude de son appréciation de la situation, et l’excellente ligne de conduite tenue par lui pendant tout son séjour et conforme aux instructions que lui avait laissées M. Gentil.

M. de Béhagle… désirant s’éloigner le plus tôt possible, pour profiter de ce qu’il avait su obtenir de M. Rousset, repartit du Baguirmi presque aussitôt arrivé, entraînant avec lui M. Prins, se souciant peu d’indisposer fortement Gaourang par un départ aussi précipité sans aucun échange d’explications.

Arrivé près de Koussouri et malgré l’attaque dont M. Prins venait d’être l’objet, il n’hésitait pas à aller de l’avant, sur le vu d’une lettre qui ne pouvait cacher qu’un piège, venant d’un inférieur, dans les états de ce brigand dont seule la signature pourrait à la rigueur inspirer confiance.

Dieu fasse que le bruit de sa mort qui a couru, ne soit pas vrai ; en tous cas il me paraît certain qu’il est prisonnier.

Ainsi que je vous en ai rendu compte ci-dessus, l’arrivée et la remise des cadeaux, armes et munitions dont je disposais déjà, a ramené la confiance en nos promesses et en un secours effectif prochain.

Il était temps, car ce pauvre Barguirmi est dans un état pitoyable. L’autorité du sultan est partout méconnue, même dans les villages les plus proches… La plus grande misère règne à Kouno et dans les villages du fleuve ; les vivres atteignent des prix exorbitants.

Le 25 au matin, j’ai confié au lieutenant Durand Autier, la délicate mission d’aller porter aux avant-postes de Rabah une lettre, dans laquelle j’annonce mon arrivée à ce dernier et l’informe que nous n’avons aucune intention agressive contre ses états sur la rive gauche du Chari. Je lui dis me refuser à croire le bruit qui m’est rapporté et d’après lequel il retiendrait prisonnier M. de Béhagle, venu à lui avec des paroles de paix et confiant dans les assurances de sécurité qui lui avaient été données.

Le lieutenant Durand Autier parti avec la baleinière et quinze miliciens d’escorte, a ordre d’attendre la réponse de Rabah et M. de Béhagle à Mainfa. Je l’ai complètement prémuni contre tout piège qui pourrait lui être tendu.

Le 4 au soir, je recevais de lui une lettre, m’annonçant la nouvelle reçue également par le sultan d’une panique considérable sur tout le fleuve, provoquée par une nouvelle razzia des gens de Rabah, sur la rive droite et jusque dans le sud de Mainfa.

Le bruit de la mort de M. de Béhagle fut même rapporté, mais j’espère qu’il en est de ce bruit comme de celui qui, grossissant cette razzia de vivres, annonçait que Rabah en personne marchait sur Kouno, pour venir s’emparer des armes et des munitions avant l’arrivée du vapeur.

M. Durand Autier, arrêté un instant, a dû reprendre la route vers le nord.

Rabah. — D’après les bruits qui courent ici Rabah aurait fait venir M. de Béhagle, seul à Dikoa. Il ne lui aurait pas permis de loger dans la ville, mais à l’extérieur, où il est gardé à vue. Il aurait fait désarmer ses gens restés à Koussouri.

Depuis l’engagement de Prins avec les gens d’Ali Ferridj, Logone a été complètement évacué et toutes les troupes de Rabah actuellement concentrées à Koussouri et Goulfei.

De Béhagle. — Ainsi que je l’ai dit, il me parait malheureusement certain, que nous devons considérer M. de Béhagle comme prisonnier. Il comptait rester absent de Kouno trois mois et cinq mois sont maintenant écoulés, et ni lettre ni nouvelle certaine de lui.

Ligne de conduite. — Je m’étais inquiété, dès mon arrivée et vu les basses eaux, de faire rassembler aussitôt par le sultan les pirogues voulues pour aller au Gribingui chercher la compagnie Jullien qui doit y être arrivée maintenant, et le ravitaillement. Malheureusement l’alerte qui vient d’avoir lieu, jointe à son manque d’autorité a empêché le sultan de me fournir les cent pirogues qu’il m’avait promises.

Il importe néanmoins de sortir au plus tôt de cette situation intenable et d’aller réoccuper Massenia toujours occupé par Alifa Moito et où presque tous les esclaves et beaucoup d’hommes libres sont retournés reconstruisant la ville et faisant les plantations sur l’ordre du sultan.

Nous ferons de notre mieux pour aviser au manque de moyens de transport ; j’envoie ordre à la compagnie Jullien de rallier Kouno.

Je n’ai encore aucune nouvelle de M. Gentil, dont j’ai appris avec plaisir la nomination comme commissaire du gouvernement. Je ne puis qu’attendre maintenant son arrivée, qui ne saurait tarder, avant de rien engager.

Signé : Bretonnet.


Comme on le voit par la lecture de ce rapport, qui ne m’est parvenu que le 23 juillet, le péril ne paraissait pas imminent. Bretonnet n’ayant pu réunir le nombre de pirogues nécessaires pour que la compagnie lui parvint, s’était décidé à lui donner l’ordre de le rejoindre. Il fallait donc qu’elle prit la route de terre. Or, Bretonnet, pour accomplir le même trajet, avait mis quarante-cinq jours. Il valait mieux attendre cinq ou six jours encore, que le Blot fut réparé, et le chaland monté, pour y embarquer la compagnie — car il nous fallait un maximum de douze jours pour atteindre Kouno par ce moyen. C’était donc vingt-cinq jours au moins de gagnés.

Je me décidai à adopter ce plan quand, quelques jours après, c’est-à-dire le 2 août au soir, les deux baleinières en acier sous la conduite de Matar-Sow arrivèrent avec un nouveau courrier.

La situation s’était aggravée soudainement ; le péril pour les nôtres était grand.

Voici en quels termes s’exprime Bretonnet en date du 16 juillet :


Monsieur le Commissaire général,

J’ai l’honneur de vous rendre compte des événements qui se succèdent avec une rapidité inouïe depuis mon dernier rapport du 6 juillet.

Le 7 juillet, rentrait à Kouno, le lieutenant Durand-Autier, parti de Laffana le 2 juillet. Il avait pu constater la fuite, en masse, de tous les riverains du fleuve, interroger tous les chefs fugitifs et acquérir la certitude de la marche en avant de Rabah, dont les avant-postes venaient occuper Laffana presqu’aussitôt après son départ. Mais le sultan me certifia à nouveau, comme quelques jours avant, qu’il n’y avait là qu’une forte panique et il ne fut pas donné suite au projet qui avait été adopté aux premières nouvelles de quitter Kouno, absolument indéfendable, avec le peu de forces dont nous disposions, pour Togbao, au pied de la montagne des Niellim, à vingt kilomètres en amont. Le 9 au soir, arrivait la nouvelle de l’arrivée de Rabah à Maffaling, où il se fortifiait, et de l’occupation de Laffana et Bousso par ses avant-postes.

Malgré l’opposition du sultan, qui persistait à ne vouloir considérer ces actes que comme de simples razzias, le départ pour Togbao fut décidé et l’évacuation de Kouno, ville ouverte, commença le 10 juillet au matin. Nous mêmes quittâmes Kouno le 11 au matin, avec le sultan et ses troupes, environ quatre cents fantassins et deux cents cavaliers.

Dès l’arrivée, nous commençâmes les travaux de défense : construction de palanques et d’un fortin sur le mamelon Ouest.

Le 15, nous apprenons la présence des cavaliers de Rabah à Miltou, et enfin le soir, 16 juillet, à la tombée de la nuit, l’occupation de Kouno par l’ennemi.

L’attaque ne saurait donc tarder à avoir lieu et il a fallu cette circonstance pour décider le sultan à me donner enfin les pirogues et les armements de boat et de la baleinière que je ne pouvais obtenir jusqu’à ce jour et qui me sont indispensables pour envoyer chercher la compagnie Jullien et vous adresser ce courrier.

Je me hâte de vous annoncer que, bien que ne disposant que de quarante-quatre miliciens et de vingt bacongos ou boys armés, nous sommes en état avec les quatre cents barguirmiens environ, armés de fusils, et grâce à notre fortin et à notre artillerie (trois pièces de 4), de faire bonne contenance et d’infliger des pertes sérieuses à l’ennemi que je compte bien obliger à la retraite.

En résumé, en ce qui concerne Rabah, ce dernier ayant décidé, après le combat de Prins avec Ali Ferridj, près de Koussouri, de venger cet échec de ses troupes en venant à Kouno s’emparer et de Prins et du boat, concentra ses troupes à Kousseri ; quand il fut prêt, il passa le fleuve de façon à le remonter par la rive droite garnie de gros villages riches en vivres ; arrivé à Baleignéré, il y apprit l’arrivée à Kouno, de canons, fusils et munitions, d’où temps d’arrêt. Nouveau temps d’arrêt à Maffaling où il reçut ma lettre et apprit la présence à Kouno, auprès du sultan du Baguirmi, de sept blancs. Il y passa environ huit jours à se fortifier ; puis, sur de nouveaux renseignements sur l’état exact de nos forces, reprit la marche en avant.

Sultan du Baguirmi et Baguirmiens. — Le sultan Gaourang, malgré la duplicité de son caractère, a le grand mérite d’être brave. Il n’en est malheureusement pas de même de ses sujets. Il m’avouait encore aujourd’hui ne pouvoir compter réellement que sur ses eunuques et sur ses esclaves qu’il a élevés lui-même. Il me déclare que, sans ma présence, les dispositions prises et la construction du fortin qui ont ramené la confiance, presque tous ses sujets libres l’auraient abandonné à l’annonce de cette arrivée de Rabah.

Malgré tous les services que nous lui rendons, j’ai chaque jour à lutter contre sa duplicité, mais je ne m’en étonne pas ; il est comme tous les autres princes musulmans que j’ai connus.

Dans une situation désespérée, et ne pouvant compter que sur nous pour l’en tirer, il désire et craint tout à la fois notre aide, car pour lui, il le sait bien, si nous sommes les sauveurs d’aujourd’hui qui lui sont indispensables, nous sommes les maîtres de demain, dont il craint de ne pouvoir se débarrasser quand il n’en aura pas besoin.

Nous sommes en plus les chrétiens que l’élément hostile : Fezzanais, Tripolitains, Ouadaïens lui reproche d’introduire dans le pays. Il nous subit maintenant contre l’ennemi commun ; nous devons plus tard nous imposer et compter avec lui quand cet ennemi aura disparu, si nous n’y mettons bon ordre dès maintenant et si nous lui fournissons trop d’armes.

Cette situation est d’ailleurs la même partout au début ; il n’y a pas lieu d’y attacher une gravité qu’elle n’a pas ; c’est une simple question de doigté pour laquelle la tâche nous sera de beaucoup facilitée dans quelques jours, quand on nous aura vus à l’œuvre.

Signé : Bretonnet.


Le même courrier apportait encore deux lettres l’une pour le capitaine Jullien l’invitant à se mettre en route immédiatement, l’autre adressée à M. Perdrizet. Je les cite toutes deux.


Lettre pour M. Perdrizet.

J’ai l’honneur de vous prier d’apporter tout votre concours au capitaine commandant la compagnie du Chari en vue de faciliter son départ rapide pour le Baguirmi.

Je vous envoie le boat, la baleinière et ce que j’ai pu obtenir de pirogues du sultan. Vous les mettrez à sa disposition.

Nous sommes maintenant fixés à Togbao, au pied de la montagne de Niellim, à vingt kilomètres en amont de Kouno. Rabah vient d’arriver à Kouno. Nous serons donc attaqués demain ou après-demain. Nous sommes en bonne position défensive. L’arrivée de la compagnie s’impose donc, soit pour nous aider à nous dégager, soit pour la poursuite, si, comme j’y compte, nous repoussons de suite Rabah en lui infligeant des pertes sérieuses.

Signé : Bretonnet.


Lettre pour le capitaine Jullien.


J’ai l’honneur de vous prier d’effectuer, dès le reçu des présentes instructions, par le boat, la baleinière et les pirogues, le départ de votre compagnie pour nous rejoindre à Togbao, village des Niellim, au pied de la montagne et à vingt kilomètres en amont de Kouno.

On m’annonce ce soir l’arrivée de Rabah à Kouno. Nous serons donc attaqués demain ou après-demain. Nous sommes en bonne posture de défense et j’espère repousser aussitôt Rabah en lui infligeant des pertes sérieuses. De toutes façons, votre arrivée s’impose d’urgence, soit pour nous aider à nous dégager, si nous n’avons pu le faire, soit pour la poursuite.

Le sultan du Baguirmi dispose de quatre à cinq cents fusils et le massif que nous occupons ne permet pas à Rabah de nous cerner et de couper nos communications.

Vous trouverez donc des instructions complémentaires en route, tout au moins au village de Gaoura, à deux jours en amont d’ici.

Rabah ne possède guère que des fusils à piston. Il n’a plus guère pour ses quelques mousquetons que des cartouches refaites par lui avec des balles en fer, ayant par conséquent perdu toute portée.

En route, du Gribingui ici, vous ne trouverez des vivres que chez les Caba-Bodos. Ici c’est presque la disette.

Je vous conseille donc, si la chose est encore possible, de prendre la voie de terre pour les hommes et d’employer les embarcations pour transporter le plus de vivres et de munitions possible.

Signé : Bretonnet


NOTE VI bis


combat de togbao (août 1899).

  1. Il est à peine besoin de dire qu’il n’en reçut pas une seule et que nous les trouvâmes toutes à Brazzaville, lors de notre passage en mai 1900.