La chute de l’empire de Rabah/Note III

Hachette (p. 278-280).

NOTE III

lettre de m. de brazza


« Libreville, 20 mars 1896.
« Monsieur l’Administrateur,

« J’ai conclu ainsi qu’il suit la lettre que j’ai adressée au Ministre en lui envoyant la copie presque intégrale de vos lettres des 11 et 26 janvier 1896.

« Le fait le plus intéressant qui se relève dans ces deux lettres est que le parcours sur lequel il faudra transporter par terre le Léon-Blot du point où la Tomi, affluent du coude Nord de l’Oubangui cesse d’être praticable jusqu’à l’une des rivières navigables du Chari, ne mesurerait pas plus de 120 kilomètres et que M. Gentil espère pouvoir faire franchir cette distance aux diverses parties de son vapeur sans rencontrer d’obstacles trop difficiles. La lourdeur de certaines pièces, dont quelques-unes pèsent jusqu’à 230 kilos, ne paraît donc pas opposer au transport de ce vapeur l’empêchement insurmontable qui avait été à Paris ma plus sérieuse préoccupation. On peut donc espérer que le Léon-Blot pourra être transporté et monté à l’endroit où le système hydrographique du bassin du Tchad commence à être accessible à la navigation des vapeurs. Je prendrai toutes les mesures nécessaires pour compléter les moyens d’action de M. Gentil, en faisant transporter au poste de la Tomi, qu’il indique comme sa base d’opérations dans l’Oubangui, deux des baleinières démontables ne pesant que 800 kilogrammes chacune attendues par le prochain paquebot et dont le transport devait, à mon avis, précéder celui du vapeur, afin que l’on pût choisir avec plus de garantie le point où pourra s’effectuer le montage du Léon-Blot[1]. J’enverrai également le personnel nécessaire à l’occupation du poste de la Tomi.

« Pour faciliter le renouvellement des approvisionnements de la mission du Chari, j’invite M. Gentil à me faire part des ravitaillements dont il a besoin et que M. l’Administrateur principal de Brazzaville n’aura pu lui procurer sur place avec le crédit que je vais lui ouvrir.

« En me félicitant de l’initiative prise par M. Gentil dans le transport du Léon Blot jusqu’au coude de l’Oubangui, j’appelle votre attention sur l’efficacité et la stabilité des moyens d’action dont la mission du Chari va disposer pour l’expansion de notre influence dans le système hydrographique du Chari et du Tchad.

« L’ensemble de ces moyens d’action composé d’un vapeur et de deux baleinières va nous permettre d’entrer en relation dans des conditions particulièrement favorables avec les populations du Ouaddaï, du Baguirmi, du Kanem, du Bornou et des territoires d’Ayatou l’allié de Rabah.

« Nous pouvons espérer grâce à eux des résultats qu’il faut se garder de compromettre dans une région où l’on pourrait facilement troubler nos premières relations, par l’envoi d’émissaires hostiles à nos intérêts et que la divulgation prématurée de nos plans pourrait susciter.

« J’écris à M. Gentil d’observer à ce sujet toute réserve et je ne doute pas, Monsieur le Ministre, que vous ne partagiez mon sentiment à cet égard.


Le commissaire général s’adressant ensuite à moi, continuait :

« Je ne saurais vous donner personnellement de meilleur encouragement qu’en vous communiquant cet exposé des intérêts qui s’attachent à la mission du Chari que vous dirigez.

« Pour encourager le personnel ouvrier qui est chargé de monter le Léon Blot, je vous autorise à lui promettre une gratification de 5000 francs qui sera répartie sur vos indications, lorsque le vapeur sera prêt à marcher.

« J’ouvre à Monsieur l’administrateur principal de Brazzaville un crédit de 10000 francs, en faveur de la mission du Chari, pour qu’il puisse vous procurer le matériel et les vivres dont vous aurez besoin d’urgence et qui pourront être fournis par le commerce local. Ce fonctionnaire me transmettra les commandes auxquelles il n’aura pu donner satisfaction.

« La mission du Chari constitue un organisme appelé à se développer dans la mesure que les circonstances lui permettront. (Un vapeur de 25 mètres à roue arrière type belge est en construction et complétera ses moyens d’action).

« Il serait désirable, pour lui maintenir en toute éventualité son unité de direction, que vous ayiez à votre disposition un agent qui le cas échéant pût vous remplacer temporairement. Si vous n’avez personne sous vos ordres que vous estimez capable de cette tâche, je vous prie de m’en avertir aussitôt.

« J’espère que non seulement vous pourrez effectuer le montage du Léon Blot, mais que vous pourrez diriger dans le bassin du Tchad le voyage du premier vapeur qui y ait paru.

« Toutefois vous n’oublierez point qu’il serait imprudent d’entreprendre ce voyage avant d’avoir à votre disposition au moins l’une des deux baleinières qui doivent compléter vos moyens d’action.

« Vous vous trouverez alors dans des conditions pleinement favorables à la réussite des opérations que vous avez heureusement engagées, que je suis avec le plus grand intérêt et pour, la réussite desquelles je vous envoie tous mes vœux.

« Recevez, etc.

« Signé : Brazza. »
  1. Ce fut aussi mon avis, et j’avais à Brazzaville pris la précaution de me munir d’une embarcation en acier que me procura M. Chauvot, destinée a faire les reconnaissances préalables des affluents du Chari que nous rencontrerions. M. de Brazza ignorait ce détail.