La carte postale (Dandurand)/Scène VIII

C. O. Beauchemin & Fils (p. 20-22).

SCÈNE VIII.

TANTE ERNESTINE, MARGOT.
Tante Ernestine, le livre de fables à la main.

Commençons :

J’eus deux soufflets…

Eh bien ! mais, va donc !…

Margot piteuse.

Non, j’aime mieux ne pas réciter…

Tante Ernestine.

Pourquoi ?

Margot de même.

Je suis lasse… j’ai mal à la tête…

Tante Ernestine.

Allons, allons ! pas de paresse.

Margot.

Puisqu’il n’y aura pas de fête aujourd’hui.

Tante Ernestine impatientée.

Ça ne fait rien. Allez toujours. Vous me faites perdre mon temps, mademoiselle. Voyons :

J’eus deux soufflets…
Margot récitant avec émotion.

J’eus deux soufflets, oui, ce matin,
Rien que pour avoir, sans malice,
Dans un beau livre fait l’esquisse

(Montrant la longueur sur son doigt)

D’un malheureux petit pantin.

Proprement j’ai mis le bonhomme
Pas sur la prière, à côté,
Sans faire le moindre pâté.
Vraiment, est-ce si mal en somme ?
Que mère en soit l’auteur, quel sot
S’aviserait d’en croire un mot ?
Du reste, j’ai signé : Margot.

(Avec malice.)

Ce diable dans la litanie
Vous avait un air si moqueur,
Qu’une fois ma tâche finie,
J’en ai ri… mais, de tout mon cœur !

(Redevenant sérieuse.)

Maman, pas ; (faisant le geste d’être battue) sa main au contraire,
M’applaudit de façon sévère.
Innocente Margot, pourquoi
Veut-on pour si peu que tu pleures ?
Je ne pensais qu’à rire, moi,
En illustrant le livre d’heures.

(Avec émotion.)

Qui sait, ce qui me fit punir
Sera peut-être un souvenir
Gardé plus tard avec tendresse !…
En ouvrant son livre de messe,
Un jour ma mère pleurera.
Sur la tombe de sa mignonne.
En vain alors elle dira :
« Pauvre Margot, je te pardonne ! »

(Elle finit sa fable avec un sanglot et se jette dans les bras de sa tante.)

Je te dis que je suis malade !

Tante Ernestine la serrant dans ses bras.

Pauvre mignonne, le repentir l’étouffe. (Haut.) Tiens, va te reposer dans ce fauteuil pendant que Paul va dire sa poésie.