La Ximena (1862)
Poèmes barbaresLibrairie Alphonse Lemerre (p. 293-296).





En Castille, à Burgos, Hernan, le Justicier,
Assis, les reins cambrés, dans sa chaise à dossier,
Juge équitablement démêlés et tueries,
Foi gardée en Léon, traîtrise en Asturies,
Riches-hommes, chauffés d’avarice, arrachant
Son escarcelle au Juif et sa laine au marchand,
Et ceux qui, rendant gorge après leur équipée,
Ont sauvé le chaudron, la bannière et l’épée.

Or, les arrêts transmis par les scribes, selon
Les formes, au féal aussi bien qu’au félon,
Les massiers dépêchés, les sentences rendues,
Les délinquants ayant payé les sommes dues,

Pour tout clore, il advient que trente fidalgos
Entrent, de deuil vêtus, et par deux rangs égaux.
La Ximena Gomez marche au centre. Elle pleure
Son père mort pour qui la vengeance est un leurre.

La sombre cape enclôt de plis roides et longs
Son beau corps alangui, de l’épaule aux talons ;
Et, de l’ombre que fait la coiffe et qu’il éclaire,
Sort comme un feu d’amour, d’angoisse et de colère.
Devant la chaise haute, en son chagrin cuisant,
Elle heurte aux carreaux ses deux genoux, disant :

— Seigneur ! Donc, c’est d’avoir vécu sans peur ni blâme,
Que, six mois bien passés, mon père a rendu l’âme
Par les mains de celui qui, hardi cavalier,
S’en vient, pour engraisser son faucon familier,
Meurtrir au colombier mes colombes fidèles
Et me teindre la cotte au sang qui coule d’elles !
Don Rui Diaz De Vivar, cet orgueilleux garçon,
Méprise grandement, et de claire façon,
De tous tes sénéchaux la vaine chevauchée,
Cette meute sans nez sur la piste lâchée,
Et qu’il raille, sachant, par flagrantes raisons,
Que tu ne le veux point forcer en ses maisons.
Suis-je d’un sang si vil, de race tant obscure,
Roi, que du châtiment il n’ait souci ni cure ?
Je te le dis, c’est faire affront à ton honneur
Que de celer le traître à ma haine, Seigneur !

Il n’est point roi, celui qui défaille en justice,
Afin qu’il plaise au fort et que l’humble pâtisse
Sous l’insolente main chaude du sang versé !
Et toi, plus ne devrais combattre, cuirassé
Ni casqué, manger, boire, et te gaudir en somme
Avec la Reine, et dans son lit dormir ton somme,
Puisque ayant quatre fois tes promesses reçu,
L’espoir de ma vengeance est quatre fois déçu,
Et que d’un homme, ô Roi, haut et puissant naguère,
Le plus sage aux Cortès, le meilleur dans la guerre,
Tu ne prends point la race orpheline en merci ! —

La Ximena se tait quand elle a dit ceci.

Hernan répond :
                          — Par Dieu qui juge ! damoiselle,
Ta douloureuse amour explique assez ton zèle,
Et c’est parler fort bien. Fille, tes yeux si beaux
Luiraient aux trépassés roidis dans leurs tombeaux,
Et tes pleurs aux vivants mouilleraient la paupière,
Eussent-ils sous l’acier des cœurs durs comme pierre.
Apaise néanmoins le chagrin qui te mord.
Si Lozano Gomez, le vaillant Comte, est mort,
Songe qu’il offensa d’une atteinte très grave
L’honneur d’un cavalier de souche honnête et brave,
Plus riche qu’Iñigo, plus noble qu’Abarca,
Du vieux Diego Lainez à qui force manqua.

Le comte est mort d’un coup loyal, et, tout l’atteste,
Dieu dans son paradis l’a reçu sans conteste.
Si je garde don Rui, fille, c’est qu’il est tien.
Certes, un temps viendra qu’il sera ton soutien,
Changeant détresse en joie et gloire triomphante. —

Puis, cela dit, tous deux entrèrent chez l’Infante.