A. Delahays (p. 347-385).



LIVRE NEUVIÈME



Ce brave chevalier, dont nous suivons les aventures à la trace, arriva enfin à la porte du château de l’avare : il eût envoyé devant quelqu’un de ses gens l’avertir de sa venue, n’eût été qu’il avoit peur qu’il n’esquivât aussitôt et qu’il ne pût parler à lui. Il entra donc jusques en la salle, où le vénérable étoit assis et étudioit, dans un livre de l’agriculture, ce qu’il pouvoit encore pratiquer pour tirer plus de revenus de ses terres. Monsieur, lui dit Francion, l’extrême désir que j’ai eu de vous voir, pour vous témoigner combien je suis affectionné à vous rendre du service, m’a contraint de quitter le chemin que mes affaires m’obligeoient de tenir et m’a fait venir ici hardiment. Je vous supplie de me dire qui vous êtes, repartit le seigneur du Buisson, car je ne vous connois point. Je vous connois bien, moi, dit Francion ; votre renommée est épandue assez loin. Pour moi, l’on m’appelle Francion, marquis de la Parte ; je suis de vos plus proches parens, je m’en vais vous dire par quelle façon. Là-dessus il lui bâtit une généalogie suivant celle que l’on lui avoit décrite ; et, quoique l’autre y remarquât de la fausseté, il se persuada qu’elle étoit véritable, tant il étoit aise de ce qu’un marquis, qui avoit un train fort honorable, se disoit son cousin de son mouvement propre, espérant que cela serviroit à prouver sa noblesse contre les médisans. Après avoir témoigné à Francion, par ses paroles, combien sa connoissance lui apportoit de contentement et d’honneur, la première courtoisie dont il usa fut de lui dire : Vous n’êtes jamais venu en ce pays-ci, ni vos serviteurs non plus : je m’imagine que vous ne sçavez pas où c’est que l’on peut loger ? il leur faut enseigner une taverne où ils se pourront retirer eux et leurs chevaux ; mon homme s’en va les y conduire. Francion, voyant déjà que du Buisson avoit envie de jouer d’un trait de sa chicheté ordinaire, se résolut de l’en empêcher, et lui dit : J’ai toujours affaire de mes valets, mon cousin, il ne faut pas qu’ils s’éloignent de moi, je leur défends bien ; pour ce qui est de mes chevaux, on ne les laissera pas seuls en une hôtellerie, et si je vous assure qu’ils sont si las qu’ils n’ont pas assez de vigueur pour aller jusque-là. Ainsi Francion para ce premier coup. Vous ferez ici un très-mauvais souper, lui dit le sieur du Buisson lorsque ses gens mettoient sur la table une éclanche de brebis et quelques salades : ce n’est là que mon ordinaire : je n’ai pas été averti de votre venue comme je devois être, afin de faire apprêter quelque chose de meilleur : qui pis est, ma femme est malade au lit, et n’y a qu’elle céans qui entende la cuisine et qui y mette les mains. Que l’on ne se hâte point tant, de grâce, dit Francion, l’on ne perdra rien pour attendre : je vous donne tout le loisir que vous voudrez pour faire apprêter ce qu’il vous plaira. Au reste, si vous avez de la viande plus délicate que celle que l’on a apportée, je vous supplie d’en faire servir, car je n’en sçaurois manger. D’autre part, j’ai vu votre paillier[1] en passant, il est des mieux garnis de la France. Si je ne sçavois que vous êtes extrêmement bien fourni de tout, je ne vous importunerois pas ainsi de contenter mes appétits. Mon Dieu, à propos, je me souviens qu’un homme de ce pays-ci, que j’ai rencontré en chemin, m’a dit qu’il y a en ce village un certain homme qui ne fait autre chose qu’aller à la chasse et vend sa proie à ceux qui la veulent acheter ; il seroit bon d’envoyer chez lui pour avoir des perdrix et de la venaison. L’avaricieux fut contraint de faire les choses à quoi Francion le convioit ; il n’osoit pas les lui refuser, se promettant qu’il n’auroit que ce soir-là cette charge et que son hôte poursuivroit son voyage commencé ; mais il fut bien étonné de se voir loin de son compte. Francion lui dit : Mon cher cousin, ne vous tourmentez point tant l’esprit, comme il me semble que vous faites, pour ne me voir pas possible traité à votre fantaisie ; tous ces jours-ci qui viennent nous ferons meilleure chère : vous aurez plus de moyen de faire chercher du gibier : j’aime tant votre conversation, que j’aurai bien de la peine à sortir de céans. Comment, vertubieu ! disoit du Buisson en lui-même, sera-t-il dit que je nourrisse si longtemps cet homme-ci avec tout son train ? Ah ! j’y mettrai bon ordre, ma foi ! encore espère-t-il que je lui ferai meilleure chère que maintenant ; et comment cela seroit-il possible ? a-t-il envie de me ruiner ? Un de ses gens, qui s’est mêlé de la cuisine, a demandé tant de beurre, tant de moelle, tant d’épices et d’autres ingrédiens pour assaisonner les viandes, qu’en ce seul souper-ci toutes mes provisions ont été mises en œuvre. Alors, prenant la parole sur cette pensée, il dit à Francion qu’il lui conseilloit de partir dès le lendemain au matin, pour parachever son voyage, parce qu’il ne devoit pas laisser échapper le temps, qui étoit disposé au beau, et que, s’il attendoit jusqu’à l’autre semaine, il auroit bien de l’incommodité sur les champs, à cause des pluies qui viendroient, suivant les prédictions de l’Almanach du curé de Milmonts, qui ne mentoit point. Ah ! mon cousin, y a-t-il tant d’affaires ? répondit Francion ; s’il fait mauvais temps la semaine qui vient, je ne partirai point, j’attendrai à l’autre. Mais, mon cousin, répliqua du Buisson, nous aurons encore, d’ici à quinze jours, de grands orages. Eh bien, dit Francion, j’aurai donc patience jusques à un mois d’ici : que m’en chaut-il ? il n’y a rien de pressé. Mon Dieu, à propos, lorsque j’en serai là, il faudra que vous me prêtiez quatre chevaux, tant pour tirer un petit chariot, que je ferai faire ici dès demain, que pour porter mon bagage, qui est trop lourd pour mon sommier[2], que pour monter mes laquais, qui ne sçauroient plus aller à pied. Vous me ferez aussi la faveur de me prêter treize ou quatorze cents livres, dont j’ai fort affaire ; car, en partant de chez moi, ne croyant pas devoir aller si loin, je n’ai pas pris assez d’argent.

Toutes ces paroles navroient autant le cœur du sieur du Buisson que si c’eussent été des coups de poignard. À toutes les fois que Francion lui proposoit quelque chose, il se tournoit vers le plus fidèle de ses valets, et lui disoit tout bas : Guérin, Guérin, que cet homme-ci est familier ! Le souper fini, il mena coucher Francion, et départit le logement à tous ses serviteurs ; puis il s’en alla voir sa femme, qu’il n’avoit pas fait voir à son hôte ; d’autant qu’il se figuroit qu’il y avoit longtemps que le sommeil l’avoit prise. La trouvant éveillée, il lui conta le nouveau parentage qu’il avoit trouvé, et combien cette rencontre lui étoit cher vendue. Ah ! m’amour, lui dit-il en poursuivant, je ne sçais quel diable de marquis c’est, mais c’est l’homme le plus effronté que je vis jamais. Comment, il est plus familier avec moi que s’il étoit mon frère, et s’il n’avoit fait autre chose toute sa vie que me fréquenter. Il dit ses appétits et veut que l’on les assouvisse. Il réforme céans ce qui n’est pas bien à son goût. Il me contraint de faire des dépenses superflues, et commande à mes valets comme si je lui avois donné l’autorité que j’ai sur eux. S’il demeure ici plus longtemps, j’ai peur qu’il n’y veuille être le maître tout à fait et qu’il ne nous en chasse à la parfin. Quel profit vous apporte une telle accointance, lui repartit sa femme ? pourquoi l’avez-vous laissé demeurer ici ? Je m’imagine, pour moi, que c’est quelque chercheur de chappe-cheute[3]. Il est venu sans doute ici pour nous voler. Si vous sçaviez la bonne mine qu’il a, reprit l’avare, vous n’auriez garde d’avoir cette opinion. Il a gentilhomme suivant et laquais bien vêtus à la mode de la cour. Son train n’est point fait à la hâte, comme celui des personnes qui tout d’un coup se veulent faire prendre pour des seigneurs, afin d’exécuter quelque mauvaise entreprise. Néanmoins je ne suis pas résolu de le loger passé cette nuit, fût-il mon cousin plus que germain. Je n’en serai pas de beaucoup mieux, quand tout le monde aura sçu qu’il aura été ici longtemps, et qu’il est mon parent : au contraire, la plupart de mes biens seront dissipés. Plus de profit et moins d’honneur, c’est la devise de mon père. Pour être du sang d’un marquis, on n’est pas plus à son aise : quoi que ce soit, pour lui avoir fait bonne chère, je ne serai pas davantage son parent que je suis ; et pour lui en faire une mauvaise, je ne le serai pas moins. À la vérité, je n’oserai pas le mettre hors de céans par les épaules, mais bien userai-je de quelque doux moyen pour l’en faire sortir, sans qu’il se puisse mécontenter de moi. Je feindrai demain que j’ai un grand procès, qu’il me faut aller solliciter à la ville ; vous vous ferez plus malade que vous n’êtes ; et, quand l’on vous demandera ce qui sera nécessaire pour le traiter, vous feindrez d’être en rêverie et de n’avoir plus de raison : tellement que, d’un autre côté, me voyant absent pour beaucoup de jours, et ne pouvant jouir de ma fréquentation non plus que de la vôtre, il sera indubitablement forcé de s’en aller. Mais il faudra bien défendre à nos gens de lui laisser emmener nos chevaux, comme il a dit qu’il avoit désir de faire. Mademoiselle du Buisson approuva les raisons et les intentions de son mari, qui, l’ayant laissée dans sa chambre, s’en alla coucher dedans une autre.

Cependant sa fille, qui étoit recherchée depuis longtemps d’un beau jeune gentilhomme, l’avoit averti par une lettre, qu’il se présentoit une belle occasion d’accomplir leurs désirs, à cause que sa mère étoit malade, et qu’on ne prendroit pas garde de si près à ses actions que de coutume, parce qu’il étoit venu un seigneur loger chez eux, ce qui avoit mis tout en désordre. L’amant étoit déjà venu, et si favorablement, qu’un homme du château, l’ayant rencontré, l’avoit pris pour le suivant de Francion, qui étoit de sa taille. La belle étoit avec lui dans une chambre, entre celle du prétendu marquis et celle de son père. La guerre amoureuse leur plaisoit tant, qu’ils la recommençoient dès qu’ils le pouvoient faire. Ils faisoient trembler le lit d’une telle manière, que le père le pouvoit bien entendre. De toute la nuit il n’avoit sçu clore les yeux : trop d’inquiétudes agitoient son esprit. Il ne faisoit que songer à ce que lui avoit dit sa femme ; et quelquefois il se laissoit tellement emporter à la défiance, qu’il croyoit que Francion fût un voleur, qui eût entrepris de dérober tout ce qui étoit en sa maison. Dès demain je ne manquerai pas à envoyer querir le prévôt des maréchaux et tous ses archers, pour prendre ce compagnon-ci, disoit-il en son transport : il sera attrapé comme un moineau dans le trébuchet. Mais, bon Dieu ! que je suis sot de penser être plus fin que ce maître matois : il a par aventure fait sa main dès cette heure, et s’en est fui. Ah ! misérable, me voila ruiné ! Je n’y sçaurois remédier en façon quelconque. Comme il étoit sur la fin de ce discours, sa fille et son serviteur, venant à s’embrasser, donnèrent de telles secousses à la couchette, qu’il l’entendit bien. Il ne sçavoit pas que c’étoit elle qui étoit couchée là, ayant laissé tout exprès la chambre ordinaire au valet de chambre de Francion, qui lui servoit de gentilhomme : et d’autant qu’il y avoit là dedans un coffre, où il avoit serré ses plus beaux habits, il s’imagina que le bruit qu’il oyoit procédoit de ce que ses hôtes tâchoient de le rompre ou de l’ouvrir pour le vider. Il prêta l’oreille attentivement, mais enfin il n’entendit plus rien du tout. Alors, je ne sçais par quelle révolution de fantaisie, perdant les pensées qu’il avoit eues, il s’accusa d’être trop soupçonneux ; et, croyant qu’il n’avoit rien ouï que par imagination, il dit en soi-même qu’il étoit un mauvais homme de prendre pour un larron un seigneur qualifié.

Néanmoins il ne put pas goûter du repos, et étant sorti doucement de sa chambre il s’en alla voir si toutes les portes de son château étoient bien fermées, et si chacun dormoit dedans le logis. Rien ne put empêcher qu’il n’eût mille frayeurs se trouvant dans sa cour : d’abord il lui sembloit qu’il voyoit des hommes descendre d’une fenêtre par une échelle, et à tous coups il se retournoit pour regarder s’il n’y en avoit point quelqu’un derrière qui fût prêt à le tuer. À la fin, ayant reconnu que son jugement étoit trompé par des illusions, il reprit le chemin de sa chambre, où il ne fut pas sitôt entré qu’il ouït le même bruit d’auparavant. Connoissant qu’il ne s’étoit point déçu, et qu’il ne rêvoit point alors, il s’approcha de la muraille, et écouta attentivement ce que l’on pouvoit faire en l’autre chambre. Le jeune amant, qui étoit folâtre, disoit alors à sa dame : Eh bien ! y a-t-il quelque chose dont la persévérance ne puisse venir à bout ? J’ai trouvé l’artifice d’ouvrir ce qui est le mieux fermé ; il faut à présent que tout ce qui est du reste me cède.

Lorsqu’un homme rempli de présomption entend dire quelques mots ambigus, il leur trouve un sens à sa gloire : celui qui croit être haï d’un chacun tourne tout à son blâme et à son dommage. Ainsi les fantaisies des hommes s’accommodent à leurs passions et leur font ordinairement paroître les choses qu’ils craignent ou qu’ils espèrent. Cela se reconnoît principalement aux personnes avaricieuses, qui ne voient jamais parler deux hommes ensemble qu’ils ne croient qu’ils discourent des moyens de dérober leur bien. Le sieur du Buisson, le plus grand lésinant de la terre, étoit de cette belle humeur, et, oyant les paroles de l’amant de la fille, il les expliqua selon les soupçons qu’il avoit. Aussitôt il crut que quelqu’un s’efforçoit d’ouvrir son bahut, et la fâcherie vint tout à fait à s’emparer de son âme, lorsque le jeune gentilhomme poursuivit ainsi : Je n’aurai plus désormais sujet de m’attrister, je suis possesseur de la chose la plus chère de céans. Mais nous ne songeons pas que le jour vient petit à petit : j’ai crainte que l’on ne me trouve encore sur le fait, si je ne m’en vais tout à cette heure. Mais, mon Dieu ! pourrai-je bien grimper par dessus la muraille ? Je ne sçais. Ah ! ma foi, tu dis vrai, disoit le sieur du Buisson ; tu as de vrai la plus chère chose de mon logis, puisque tu as pris ce que j’avois serré dans mon coffre ; mais tu ne l’emporteras pas comme tu penses, je te servirai bien d’obstacle.

Ayant alors une résolution généreuse, il prit son épée, et s’en vint à la porte de la chambre, qu’il pensa enfoncer à coups de pied. Francion, qui avoit fait la nuit un sommeil tout d’une pièce, et n’avoit point ouï le tremblement de la couche, se réveilla à ce bruit, et vint voir qui le faisoit. Quand il eut reconnu du Buisson à sa parole, il lui demanda pour quel sujet il se mettoit en colère. Comment, dit-il, n’en ai-je pas grande occasion ? Il y a là dedans quelqu’un de vos serviteurs qui a crocheté un de mes coffres. Je ne le pense pas, reprit Francion, je n’ai point de gens qui ne me semblent très-fidèles. Et toutefois voyons si ce que vous dites est vrai ; j’en veux faire la punition moi-même et très-rigoureuse. Tandis qu’il disoit ces paroles, du Buisson appela un de ses valets, qui apporta de la chandelle, et sa fille, ayant en même temps fait cacher son serviteur dessous le lit, mit sa cotte et vint ouvrir en frottant ses yeux, comme si elle n’eût fait que de se réveiller. Son père s’étonne en la voyant, et lui demande si elle n’a point entendu de bruit dedans sa chambre. Elle répondit que nenni : nonobstant, il cherche partout, et vient à la fin à regarder dessous la couche, où il aperçoit le compagnon, qu’il connoissoit pour son voisin. Il eût estimé qu’il se trouvoit là pour voler les besognes de son coffre, plutôt que pour voler l’honneur de sa fille, s’il ne se fût découvert, croyant qu’il en étoit besoin. Monsieur, lui dit-il, je vous supplie de me pardonner la faute que l’amour m’a fait commettre ; vous sçavez que je ne suis pas d’un lignage si abject que ce vous soit une honte de m’avoir pour gendre : mademoiselle votre fille ne m’a point dédaigné : faites-moi cet honneur que de m’avoir pour agréable. M. du Buisson n’attendit pas qu’il eût achevé sa harangue ; il étoit en une si prodigieuse colère, que, sans Francion, qui lui retint le bras, il lui alloit passer son épée au travers du corps. Comment, lui dit-il, êtes-vous si hardi que de venir déshonorer ma maison ? Ah ! je vous proteste que je vous en ferai repentir. Ah ! monsieur, dit-il en se retournant vers Francion, je vous prie de me laisser en liberté, si vous me voulez donner quelque témoignage d’amitié. Permettez que je prenne la vengeance de ce misérable, qui ne doit mourir que de ma main. Il faut que je donne pareillement la mort à cette maudite engeance que je suis marri d’avoir mise au monde. Mon cher cousin, dit Francion, tant que je serai ici, vous ne leur ferez aucun mal : je veux être l’avocat d’une si juste cause comme la leur. Là-dessus, ayant tiré l’épée des mains de du Buisson, qui n’étoit pas si fort que lui, il lui remontra qu’il n’y avoit point de remède à ce qui étoit fait, sinon de l’autoriser ; et que, s’il faisoit autrement, il serait cause que le déshonneur, qu’il craignoit tant, tomberoit dessus sa maison. Du Buisson, ayant un peu goûté ses raisons, apaisa les premiers mouvemens de sa colère, et s’assit dans une chaire auprès de Francion, qui, lui prenant les mains en signe d’amitié, lui parla de cette sorte : Mon cher cousin, je vous aime tant, que je veux chercher en tout et partout les occasions de vous en donner des preuves. La plus grande que je vous puisse faire voir est de ne vous flatter en aucune manière, encore qu’ordinairement les hommes soient fort aises de l’être, suivant la corruption du siècle. Je vous dirai donc les défauts que vous avez, non point pour vous les reprocher par inimitié et pour accroître votre colère, mais pour tâcher de vous rendre désormais agréable à ceux à qui vous déplaisez. Il n’en faut point mentir, vous êtes fort chiche, et l’homme chiche se rend odieux à tout le monde, parce qu’il cache en lieu secret les biens dont chacun a affaire et que chacun désire. Il ne les met point en usage. Il est impossible d’en gagner de lui ; car il n’achète que le moins qu’il peut, et ne met guère d’ouvriers en besogne, qu’il ne se voie en un état qu’il ne s’en puisse passer. Il ne donne point de récompense à ceux qui l’ont fidèlement servi. Ses amis ne sont jamais bien venus à sa maison. Il leur fait une si piteuse chère, qu’il leur montre l’envie qu’il a de ne les y voir plus. Vous avez tous ces vices-là, je ne vous le cèle point. Considérez-vous avec une sévérité aussi grande qu’il la faut à un homme qui se juge soi-même : vous reconnoîtrez que je ne vous accuse point à tort. Représentez-vous donc maintenant si vous n’êtes pas misérablement privé du plus grand plaisir de la vie, qui est d’avoir beaucoup d’amis. Ne vous faites-vous pas un tort extrême ? Car le plus souvent vous mourez de faim auprès de vos richesses, et avez si peur de les voir dépensées, que vous n’osez acheter ce qui vous est très-nécessaire. Le pis que j’y vois, c’est que vous contraignez à vous désobéir ceux qui vous doivent tout respect et de qui les volontés sont tenues de dépendre de la vôtre. Oui, vous y forcez vos propres enfans, et je l’ose bien dire ainsi : vous avez un fils en âge de voir le monde, et vous ne lui donnez point ce qu’il doit avoir, selon vos moyens. Vous avez une fille autant capable de donner de l’amour comme d’en recevoir, et cependant vous ne parlez pas de la marier ; si bien qu’elle a été forcée de songer elle-même à se pourvoir. Je ne sçais pas qui vous a dit cela, interrompit le sieur du Buisson, mais il est certain que j’ai toujours eu envie de la marier au fils d’un riche marchand que je connois. Ne voilà-t-il pas votre maladie ? reprit Francion, vous ne cherchez que les richesses, et ne vous enquérez point si celui que vous lui voulez bailler lui est agréable : n’en parlons plus, elle a trouvé parti. Au reste, je vous conjure de quitter votre humeur taquine, comme n’étant venu ici que pour ce seul sujet. Je vous faisois accroire que j’avois envie d’être ici longtemps, et de vous faire beaucoup de dépense ; mais ç’a toujours été mon intention de partir à ce matin, et tout ce que j’ai dit n’a été que pour éprouver si votre avarice étoit aussi grande que l’on me l’avoit figurée.

Après cela, Francion lui remontra encore plus naïvement la laideur de son vice, de sorte qu’il en eut horreur, et se résolut à le quitter, pour embrasser la vertu contraire, de laquelle on lui faisoit espérer que tous les biens du monde lui aviendroient ; et principalement celui de se voir honoré et chéri de beaucoup de personnes à qui il feroit plaisir, et d’être désormais estimé véritablement noble. Il promit aussi qu’il marieroit sa fille à celui qu’elle avoit élu pour serviteur, tellement que, le jour étant venu tout à fait, Francion sortit en bonne amitié de sa maison, pour aller au lieu où il avoit tant de désir de se trouver. Il faisoit tout ce qui lui étoit possible pour rendre son voyage utile à plusieurs choses en même temps ; et, comme nous avons vu jusqu’à cette heure, il ressembloit à ces chevaliers errans, dont nous avons tant d’histoires, lesquels alloient de province en province pour réparer les outrages, rendre la justice à tout le monde, et corriger les vicieux. Il est vrai que ces procédures n’étoient pas si sanglantes, mais elles en étoient plus estimables. Toutefois sa vie eut encore du mélange depuis, et les plus réformés ne trouveront pas qu’elle ait toujours été fort propre à retirer les autres du vice ; mais quiconque pourra mieux vivre le fasse. Notre histoire n’y apporte pas d’empêchement. Il faut sçavoir le bien et le mal, pour choisir l’un et laisser l’autre. Nous allons encore voir ici des choses que les meilleurs esprits ne condamneront point, et ne les tiendront que pour de petites amourettes, encore assez indifférentes.

Il étoit environ midi lorsque, passant par un beau bocage, il eut envie de se reposer à l’ombre, auprès d’une fontaine qui étoit au milieu. Il envoya tous ses gens en un village prochain, pour y faire apprêter à dîner, et ne retint que son suivant, qui s’éloigna un peu de lui, cependant qu’il se coucha sur l’herbe, et qu’il tira hors de sa pochette le portrait de Nays. On dit que, se laissant aller alors aux imaginations poétiques, il fit cette plainte, qui a de l’air de celles que l’on trouve dans les romans. Ah ! cher portrait, que vous contenez de miracles en peu d’espace ! Comment se peut-il faire qu’un assemblage de si peu de couleurs ait tant d’enchantemens ? Hélas ! vous n’êtes rien que fiction, et pourtant vous faites naître en moi une passion véritable. L’on a beau vous toucher et vous baiser, l’on ne sent rien que du bois, et votre vue cause pourtant des transports nonpareils : que seroit-ce de moi, si j’avois un jour entre mes bras celle dont vous représentez les beautés ? L’excès d’amour seroit alors si grand, que je perdrois au moins la vie, puisque devant vous j’ai bien perdu la liberté. Ma belle Nays, je voudrois déjà être sur le point de trépasser auprès de vous !

Il y avoit un gentilhomme du pays dans ce même bocage, lequel entendoit ses complaintes étant caché derrière lui. Celui-ci le voulant connoître s’approcha du lieu où il étoit, et lui demanda quelle peinture il avoit en ses mains, à laquelle il tenoit de si tristes discours. Monsieur, répondit Francion, je suis marri que vous ayez entendu ce que j’ai dit ; car, si vous n’avez point éprouvé la force de l’amour, vous prendrez tout pour des folies les plus insignes du monde. L’autre lui ayant répliqué qu’il ne connoissoit que trop bien la violence que cette passion exerce sur les âmes, voulut voir le portrait de Nays, et sçut si bien tirer la vérité de Francion, qu’il apprit le dessein qu’il avoit d’aller la trouver. Réjouissez-vous, lui dit-il après, elle est déjà arrivée au lieu où vous l’allez chercher. Je l’ai vue, je vous jure, et je l’ai trouvée la plus belle femme du monde. Francion s’enquit là-dessus de ce gentilhomme quel train elle avoit. Elle a le train que doit avoir une personne de sa qualité, lui répondit-il : au reste, elle a en sa compagnie un jeune seigneur appelé Valère, qui à mon avis n’a pas moins d’amour pour elle que vous. Ils feignent tous deux d’être malades et d’avoir envie de prendre quelque temps les eaux pour leur guérison ; mais je pense qu’ils n’ont garde d’avaler celles que l’on leur apporte, et qu’ils les font jeter en secret : aussi n’est-ce pas là ce qui leur est nécessaire. Vous dites vrai, repartit Francion ; car à Nays il ne lui faudroit rien autre chose que de l’eau du fleuve du paradis d’amour, que je lui puis bailler si elle veut ; et à Valère il faudroit nécessairement de l’eau du fleuve d’oubli, afin qu’il perdît la mémoire de cette nonpareille beauté, qui n’est point portée à lui vouloir du bien, et qui causera sa mort, s’il songe toujours à elle, comme il a fait par ci-devant.

Après avoir tenu quelques autres discours là-dessus, Francion remercia ce gentilhomme des nouvelles qu’il lui avoit apprises, et s’en alla dîner où l’on l’attendoit ; et après cela il ne se donna point de repos qu’il ne fût au village où étoit la fontaine dont tant de malades alloient boire de l’eau. Quand il fut arrivé sur la pointe du jour, il sçut que Nays y étoit avec Valère, ainsi que l’on lui avoit dit. Il apprit le logis où elle demeuroit, et passa par devant en bon équipage, comme elle s’étoit mise à la fenêtre pour prendre la fraîcheur. Il vit cette beauté, qui lui sembla aussi merveilleuse que celle de son portrait, où il lui étoit avis même que le peintre avoit oublié beaucoup d’attraits ; Nays, l’apercevant aussi, fut soigneuse de s’enquérir qui il étoit, d’autant qu’elle n’avoit guère vu de seigneurs qui en un tel voyage eussent des gens si bien couverts. Personne de chez elle n’en sçachant rien, elle fut contrainte de commander à un de ses estafiers de s’informer des gens de Francion du nom de leur maître ; il s’adressa à un laquais, qui, comme tous les autres, avoit charge de dire qu’il s’appeloit Floriandre ; d’autant que Francion, contre son premier avis, s’étoit délibéré de suivre à tout hasard le conseil de Dorini, pour tenter la fortune au premier coup. À cette nouvelle, le cœœur tressaillit à Nays, s’imaginant que celui, pour qui elle soupiroit, étoit arrivé en ce pays-là, selon ce que l’on lui avoit mandé.

Elle n’avoit pu assez considérer Francion comme il avoit passé, si bien qu’elle ne sçavoit s’il étoit semblable ou non au portrait qu’elle avoit de Floriandre. Elle brûloit d’envie de le voir et ne sçavoit comment faire pour y parvenir. Le pis étoit, à son opinion, qu’elle n’avoit point Dorini en sa compagnie. Cela la mettoit au désespoir, songeant qu’elle n’avoit personne qui fût capable de s’entremettre de son affaire, qu’elle ne croyoit pas pouvoir concerter elle-même, vu qu’elle étoit étrangère et ne sçavoit pas trop bien les coutumes de France. Enfin elle se résolut néanmoins d’accomplir ses désirs, lorsqu’elle auroit tant fait que son amant seroit obligé, par les règles ordinaires, de la venir visiter. Elle menoit Valère à baguette, et croyoit qu’encore qu’il eût pris la peine de l’accompagner elle pouvoit jouir d’une franchise de femme et donner librement à un autre la place qu’il espéroit en ses bonnes grâces.

Comme elle étoit sur ces pensées, un courrier lui apporta une lettre, qu’elle décacheta, et connut qu’elle venoit de la part de Dorini. Madame, lui dit le courrier avant qu’elle eût eu le loisir de la lire, ne vous étonnez pas de quoi l’on a pris la peine de vous envoyer ici d’Italie une lettre qui vient de la France même, car l’on a tellement assuré qu’il y a des nouvelles qui vous importoient de beaucoup, que l’on a cru qu’il ne falloit pas manquer à vous les faire voir vitement, craignant que vous n’en fussiez pas • avertie ici, combien que vous soyez plus près de Dorini que vous ne seriez en votre pays. Quand il eut dit cela, elle jeta les yeux sur la lettre, où elle lut que son cher amant étoit mort. Il falloit véritablement que ses esprits eussent alors une force extrême, pour ne recevoir point de l’affoiblissement et ne la point laisser évanouir.

Ce qui servit beaucoup à lui faire passer son angoisse fut qu’un laquais de Francion lui vint dire que Floriandre, ayant sçu qu’elle étoit en ce village, désiroit avoir le bonheur de la voir et avoit envie de sçavoir à quelle heure il ne lui apporteroit point d’importunité en la visitant. Sa réponse fut qu’à toutes les heures qu’il voudroit venir il ne lui apporteroit jamais qu’un contentement extrême. Ceci ayant été redit à Francion, il s’en alla chez elle comme elle étoit dans des incertitudes étranges, vu que d’un côté elle apprenoit que Floriandre étoit mort, et d’un autre qu’il étoit prêt à la venir visiter. Son recours fut à son tableau, qu’elle contempla si bien, qu’elle reconnut que Francion n’étoit point le même Floriandre qui la faisoit mourir d’amour. Néanmoins elle le reçut selon sa qualité et avec un visage moins triste qu’il ne devoit être pour l’occasion qu’elle avoit de s’affliger. Les premières paroles de courtoisie étant cessées, elle lui dit : Monsieur, ne m’apprendrez-vous point de certaines nouvelles de ce que je m’en vais vous dire ? Il y a en France un autre Floriandre que vous ; dites-moi s’il est vrai qu’il soit mort, suivant ce que l’on m’en a mandé ? Francion, voyant alors qu’il lui étoit inutile de penser jouer un autre personnage que le sien, dit que Floriandre étoit mort sans doute, mais qu’il ne sçavoit pourquoi elle croyoit qu’il s’appelât aussi Floriandre. Nays répondit que son laquais l’avoit nommé ainsi ; de quoi Francion, ne s’étonnant guère, lui dit : Vraiment, j’en sçais bien le sujet : c’est qu’il a servi Floriandre et qu’il n’y a pas longtemps qu’il est à moi ; de sorte que, par accoutumance, le nom de ce premier maître lui vient plus souvent à la bouche que le mien.

Après cela, Nays lui demanda s’il avoit quelque indisposition qui le forçât à venir boire des eaux ; et, ne pouvant celer son martyre devant celle qui pouvoit y mettre remède, il lui parla de cette sorte : Vous me faites tort, madame, de croire qu’un autre sujet que le désir de vous voir m’ait donné la résolution de venir ici. N’ôtez point à mon affection l’une de ses plus sensibles preuves ; croyez que je n’ai point d’autre douleur que celle que vos perfections m’ont causée. Mais, hélas ! c’est un mal qui n’a point de pareil en rigueur, et qui seroit insupportable sans l’espérance qui l’accompagne. Que vous avez produit de miracles, belle déesse ! Il n’y a que ceux qui voient le soleil même qui soient échauffés de ses rayons ; ceux qui ne voient que sa figure ne le sont point, mais j’ai été enflammé jusqu’à l’excès en ne voyant que votre portrait. Quel destin empêche qu’en vous considérant maintenant vous-même je ne sois tout réduit en cendre ? Le ciel ne me fait-il point cette grâce de me conserver en mon premier être afin que je souffre éternellement ? Que cela soit ou non, mais vous pouvez, malgré les ordonnances du sort, me rendre la santé et éteindre les plus vives ardeurs que j’aie. Aussi viens-je ici, non point pour boire des eaux de la fontaine qui remédie à plusieurs incommodités du corps, mais pour tâcher d’avoir d’autres eaux bien plus estimables qui font leurs fonctions dessus les âmes : c’est votre bienveillance et vos faveurs qui sont capables d’adoucir mes passions, si leurs ruisseaux découlent dessus moi. Vous me pardonnerez, reprit Nays, si je vous dis que, quoi que vous puissiez alléguer, je crois que vous n’êtes point venu ici pour autre chose que pour y épandre les merveilles de votre mérite ; vous le faites paroître assez visiblement en toutes choses, quand ce ne seroit qu’en montrant à chaque propos votre bien dire.

Leur entretien eût été plus long là-dessus, si Valère, qui demeuroit en un autre logis, ne fût venu au même instant voir sa maîtresse. Alors Francion prit congé d’elle, n’ayant plus moyen de l’entretenir librement. Valère, qui ne sçavoit pas qu’elle n’étoit venue en France que pour faire un serviteur, poursuivoit les soumissions qu’il avoit accoutumé de lui rendre. Mais, bien que celui qui l’avoit captivée fût mort, elle ne donna pas son affection à celui-ci : l’inclination qu’elle avoit à chérir les François n’étoit point passée ; elle avoit trouvé des charmes en Francion qui n’étoient pas moins capables de l’enchanter que ceux du portrait de Floriandre et du récit de son mérite. J’ai été bien sotte jusqu’ici d’aimer une peinture, disoit-elle en elle-même. Par aventure eussé-je trouvé que celui que j’adorois sans l’avoir vu en effet avoit beaucoup moins de perfections que l’on ne lui en attribuoit. Maintenant, je ne puis plus être trompée : je vois devant mes yeux sans obstacle un objet digne d’admiration. C’est un seigneur de marque, rempli de bonne mine et pourvu d’un bel esprit ; et, qui plus est, échauffé pour moi, selon mon avis, d’une affection excessive ; de façon que je n’aurai point de peine à le gagner, comme j’eusse eu à Floriandre.

Cependant que Nays avoit de telles pensées, Francion en avoit d’autres qui ne tendoient toutes qu’à l’aimer éternellement, comme la plus parfaite dame dont il avoit jamais eu connoissance. Le lendemain, il rencontra l’occasion d’aller à la promenade avec elle, et la mena par-dessous le bras, tandis que Valère menoit une damoiselle françoise qui s’étoit trouvée là.

Francion résolut de s’aider de la connoissance qu’il avoit de Dorini, et conta à Nays le don qu’il lui avoit fait de son portrait, après la mort de Floriandre, jugeant qu’il n’y avoit personne à qui il le pût bailler si justement qu’à lui, qui étoit l’homme le plus capable de l’aimer qui fût au monde ; puis il lui demanda, avec des paroles arrangées suivant la plus grande politesse de la cour, si elle ne s’accorderoit pas à la fin à lui faire un autre présent plus précieux, qui étoit de lui donner ses bonnes grâces. Monsieur, dit naïvement Nays, je reconnois clairement que vous êtes d’une humeur si mauvaise, qu’il est fort malaisé de vous rendre satisfait. Quand vous ne vous contentez pas de mon portrait, qu’on vous a donné, je pense qu’à la fin vous en voudrez posséder l’original ; n’ayez pas tant de convoitise, si vous aimez à vivre en repos. Je ne demande pas encore à vous posséder, repartit Francion, mon souhait est seulement que vous daigniez avouer que vous me possédez. Là-dessus, ayant tiré le portrait de sa poche, suivant sa prière, il le lui montra. Voilà le même que je donnai à Dorini, dit-elle, il n’est point changé, sinon en ce qu’il me semble un peu terni et déteint. Ne vous en étonnez pas, reprit Francion, c’est que les pleurs que j’ai versés dessus au fort de mon mal lui ont beaucoup ôté de ses vives couleurs. Je m’en vais gager, dit Nays, que vous le baisez nuit et jour. Il est vrai, répondit Francion. Je n’en suis pas contente pour moi, dit Nays. Pourquoi ? dit Francion en riant, aimeriez-vous mieux que l’on baisât votre visage même ? Je ne veux pas que l’on baise ni l’un ni l’autre, reprit-elle ; car, premièrement, si on vous voit baiser mon vrai visage, on publiera qu’en secret je vous permets bien autre chose ; et, si l’on ne vous voit baiser en mon absence que mon portrait, on dira que, quand vous êtes auprès de moi, vous baisez bien ma propre bouche ; et, de là, l’on ira jusques en l’autre conjecture plus dangereuse. Mais, si je baise ce portrait loin de témoin, il n’en arrivera point de mal ? Je crois que non, dit Nays. Si je baise aussi votre vraie bouche en la même solitude, reprit Francion, il faut nécessairement conclure qu’il y aura aussi peu de danger. Je ne veux pas aller plus outre et discourir de choses plus importantes que je pourrois faire avec vous. Je vous laisse à juger seulement si, étant faites secrètement tout de même, elles traîneroient après elles quelque inconvénient. Quittons ce propos, dit Nays, vous avez des argumens trop subtils pour moi.

Ils finissoient quelques discours pareils, lesquels ils avoient faits ensuite, lorsqu’ils virent venir une bonne troupe d’hommes à cheval, à la tête desquels Nays en reconnut un pour Ergaste, seigneur vénitien qui lui faisoit l’amour. Il avoit ouï parler de son départ d’Italie, et, craignant que son rival Valère n’emportât en son absence ce qu’il souhaitoit le plus au monde, et n’épousât cette dame en pays étranger, il s’étoit mis en chemin le plus tôt qu’il avoit pu pour essayer d’attraper la proie. Nays lui fit un meilleur accueil que la haine qu’elle lui portoit en l’âme ne sembloit permettre. Son humeur étoit si courtoise et discrète, qu’elle eût fait conscience de maltraiter un homme qui se donnoit tant de travail à son sujet.

Il y avoit si peu de logis bien commodes dedans le village, que Nays, Francion et Valère, avec leur train, suffisoient à les remplir. Ergaste ne put trouver de demeure aussi grande comme il la lui falloit ; il alla se loger en une bourgade qui étoit à une lieue de là. Les deux amans, qui se tenoient toujours auprès de Nays, furent bien aises de voir éloigner leur rival, qui étoit le plus importun et le plus opiniâtre de tous les autres en sa poursuite, d’autant qu’il avoit des richesses égales à celles de sa maîtresse, et croyoit qu’à cause de cela elle le devoit prendre pour mari.

Francion, pour dissiper l’ennui qu’il avoit, s’imaginant qu’il n’auroit pas peu d’obstacle en ses amours, s’en alla se promener vers la fontaine où l’on prenoit les eaux médicinales. Il vit des diversités qui mirent pour un temps son esprit hors de toute fâcheuse pensée. D’un côté il apercevoit des hommes qui en buvoient plein de grands verres de quart d’heure en quart d’heure, et d’autres qui ne faisoient autre chose que pisser. Il y avoit aussi des dames qui, par intervalles, étoient bien aussi contraintes de vider leurs vessies. Entre toutes ces personnes-là il y en avoit fort peu qui eussent une maladie fort grande et visible ; la plupart ne venoient aux eaux que par curiosité ou par délicatesse : il y avoit même des femmes qui venoient pour trouver le moyen de faire leurs maris cocus. Néanmoins Francion disoit : Nous avons tort d’occuper la place de tant de personnes affligées qui ne sçavent où se loger parce que nous avons pris les meilleures hôtelleries ; il leur faut céder le lieu, c’est la raison. Qu’avons-nous à faire ici ? Si l’on peut remarquer que nous ne prenons point des eaux, l’on se doutera que nous avons quelque plaisant dessein. Si Nays me veut croire, elle s’en retournera, puisqu’elle n’a plus que faire d’attendre ici Floriandre ; aussitôt nous ne manquerons pas à la suivre.

Ayant fait en lui-même ce discours, il s’en alla encore voir Nays, de qui il sonda la volonté, qu’il trouva toute disposée à quitter un pays où elle n’avoit plus rien qui la dût retenir. Elle lui demanda sur ce propos quelle voie il étoit résolu de prendre, et il lui répondit : Il n’est non plus raisonnable de s’enquérir quel chemin je tiendrai que de s’enquérir de quel côté se tournera la fleur du souci : l’on sçait bien que c’est sa nature de se tourner toujours vers le soleil ; l’on ne doit pas douter aussi non plus que je ne suive vos beaux yeux, les soleils de mon âme, en quelque part qu’ils veuillent donner le jour. Si vous allez en Italie, j’irai ensuite ; si vous demeurez en France, j’y demeurerai aussi. Nays fut très-aise d’entendre la délibération de ce gentil cavalier, dont la compagnie lui étoit de beaucoup plus plaisante que celle d’Ergaste et de Valère.

Le lendemain, elle voulut reprendre le chemin de son pays, et ses trois amans, en étant avertis, firent dresser leur équipage et la vinrent accompagner ; de sorte que, la voyant marcher avec un si grand train, l’on ne l’eût pas prise pour moins que pour une grande reine. Il y avoit bien de la jalousie entre les Italiens et le François, car elle faisoit bon visage à celui-ci et tenoit fort peu de compte des deux autres. Bien souvent elle permettoit qu’il entrât dedans son carrosse, et s’amusoit à discourir avec lui de différentes choses, où Francion connoissoit toute la vivacité de son esprit, qui, par la lecture des bons livres, s’étoit garanti des ténèbres de l’ignorance. Il avoit un contentement non pareil, quand il considéroit qu’il ne se pouvoit repentir d’avoir perdu sa franchise, vu la beauté de sa prison. Cependant ses rivaux, marris de la faveur qu’il recevoit, alloient tantôt devant et tantôt derrière, et le plus souvent fort loin du carrosse de leur maîtresse, pour témoigner quelque sorte de dédain réciproque : néanmoins, par les villages où ils passoient, ils ne tenoient pas tant leur gravité qu’ils ne se logeassent le plus près d’elle qu’il leur étoit possible. Francion souhaitoit passionnément de leur donner quelque cassade[4], pour les punir de la témérité qu’ils faisoient paroître, logeant leurs affections au même lieu que lui.

Il communiqua son dessein à un valet de Nays, dont il s’étoit acquis l’amitié, et le pria de l’assister. Cet homme-ci, fort obligeant, lui promit de faire pour lui tout ce qui seroit en sa puissance ; puis après, selon ses préceptes, il s’en alla trouver Valère, et lui dit que Nays étoit vaincue par la peine qu’il prenoit à la servir, et qu’elle ne demandoit pas mieux que de jouir de son entretien, mais qu’elle ne le pouvoit faire, à cause qu’elle avoit deux autres amans bien importuns qui l’en empêchoient, et principalement un François qu’il falloit craindre ; d’autant qu’ils étoient encore sur les terres de sa patrie, où il avoit des amis et du pouvoir ; que nonobstant elle étoit résolue de lui donner quelques heures pour le voir, et qu’il devoit venir au soir en cachette, avec un habit pareil à celui de ses estafiers. Ayant dit cela à celui-ci, il s’en alla en dire tout autant à Ergaste ; de sorte qu’ils s’habillèrent tous deux comme on leur avoit enjoint, croyant que cela fût grandement nécessaire pour n’être point reconnus. Valère vint le premier à la maison de Nays, et, comme il heurtoit encore, Ergaste y arriva aussi, lequel, le prenant pour un valet, lui demanda si sa maîtresse étoit couchée. L’autre répondit un peu arrogamment qu’il n’en sçavoit rien, ce que Ergaste ne put endurer ; il lui dit quelque injure qui le mit en fougue, si bien qu’ils commencèrent à se battre à coups de poings. Sur ces entrefaites, l’on vint à la porte avec de la chandelle, à la clarté de laquelle, se reconnaissant l’un l’autre, ils demeurèrent les plus ébahis du monde, et, tout honteux, s’en retournèrent en leurs maisons par divers endroits. S’étant rencontrés le jour suivant, ils eurent la curiosité de se demander pourquoi ils s’étoient déguisés, d’autant qu’ils ne se pouvoient celer l’un à l’autre qu’ils étoient infiniment amoureux de Nays, et qu’ils faisoient tout ce qu’ils pouvoient pour acquérir sa bienveillance ; ils se contèrent l’un à l’autre ce que l’on leur étoit venu dire, et reconnurent que l’on avoit voulu se moquer d’eux ; ils envoyèrent quérir le valet qui leur avoit fait le message et le conjurèrent de leur apprendre pourquoi il leur avoit dit à tous deux une même chose. Voyant qu’ils ne pouvoient tirer de lui que des réponses fort peu vraisemblables, ils lui promirent une si grande récompense, qu’attiré d’ailleurs par l’amitié qu’il portoit à ceux de son pays il leur découvrit qu’il n’avoit rien fait que par le conseil de Francion. À cette nouvelle, ils se résolurent de prendre leur revanche et de donner à notre François un trait de leur subtilité, la première fois que l’occasion s’en offriroit. Ils se firent amis, afin d’avoir meilleur moyen de nuire à leur commun et dangereux ennemi, et se proposèrent de songer à leurs amours lorsqu’ils se seroient défaits de sa personne.

Nays, qui reconnaissoit la mauvaise volonté qu’ils avoient pour celui qu’elle aimoit, craignant qu’il n’en advînt quelque malheur, ne lui vouloit pas départir la moindre faveur du monde, et ne parloit plus à lui que lorsqu’elle y étoit forcée. Il s’en irrite tout à fait, se figurant qu’elle le dédaigne, et lui fait tenir force poulets par ses servantes, lesquelles lui assurent, à la fin, que leur maîtresse leur a enchargé de lui dire qu’elle ne désire pas qu’il lui envoie dorénavant de tels messages. Il accoste un jour privément celle qui lui vouloit plus de bien, et la conjure en toutes sortes de façons de lui dire le sujet de la rigueur de Nays. Elle s’accorde à le lui découvrir, pourvu qu’il lui promette de garder le secret. Lui ayant fait faire tous les juremens qu’elle voulut, elle lui dit que sa maîtresse, redoutant les entreprises dangereuses de ses rivaux, ne lui vouloit point faire paroître l’affection qu’elle avoit pour lui, qu’elle ne fût hors de ces lieux inconnus, et qu’elle ne se vît sur ses terres, où elle le pourroit mettre à l’abri de toute sorte d’accidens. Cette douce nouvelle lui apporta un contentement tel, que l’on se peut imaginer, et, pour sa consolation, il commença de nourrir en son âme un grand espoir, au déçu de sa maîtresse, qui le vouloit faire languir un petit, pour lui rendre après ses faveurs de beaucoup plus précieuses. Quand ils furent en pleine Italie, Valère et Ergaste pensèrent qu’ils trouveroient bien moyen de l’attraper ; comme, de fait, il leur fut assez facile. Ils lui firent de grandes caresses, et ne parlèrent plus à lui qu’avec des complimens les plus honnêtes du monde. Si son esprit n’eût été alors occupé entièrement aux rêveries de son amour, qui l’empêchoient de songer à autre chose, il eût bien pu juger que ce traitement extraordinaire ne procédoit que d’une envie qu’ils avoient de l’attirer dans quelques piéges. Ne pouvant donc jouir de sa prudence accoutumée, il ne se donnoit point garde d’eux, et croyoit qu’il ne s’en fallut guère qu’ils n’eussent au cœœur autant de bonne volonté pour lui qu’ils témoignoient en avoir par leurs paroles. Il se trouve souvent en leur compagnie pour se divertir, puisqu’il n’osoit plus accoster Nays, et il les va même chercher jusques aux lieux où ils se logent.

Un matin il se rencontra avec eux devant la maison où avoit couché Nays ; un gentilhomme vint accoster Ergaste avec grande allégresse, comme s’il y eût fort longtemps qu’il n’eût parlé à lui, puis il lui dit quelque chose à l’oreille, à quoi il répondit par un branlement de tête. Messieurs, dit-il après en se retournant vers Valère et vers Francion, voici une occasion très-belle de contenter votre esprit, qui se vient offrir à vous. Le maître de ce gentilhomme-ci est gouverneur d’une forte place à deux lieues d’ici ; il a sçu mon arrivée, et m’envoie convier de ne passer point sans l’aller voir avec ma compagnie ; vous y viendrez, s’il vous plaît, suivant son désir. Valère répond là-dessus qu’il n’a pas le bonheur de connoître ce seigneur, et qu’il ne croit pas qu’il souhaite sa vue ; voilà pourquoi il n’est pas d’avis de l’aller importuner de sa visite. Francion, avec raison plus juste, fait une réponse de pareille substance. Mais Ergaste, reprenant la parole, dit : « Croyez-moi, ne laissez point échapper le moyen que vous avez de voir quelque chose de beau. Il y a de grandes raretés au lieu où l’on vous convie d’aller. Il y a de vrais os d’hommes d’une monstrueuse grandeur. Il y a de toutes sortes d’armes et de médailles antiques. Les plus exquises choses qui soient au monde sont là assemblées comme en abrégé ; venez-vous-y en, je vous en prie, car je n’ai garde d’y aller sans vous. J’aurois peur de perdre les bonnes grâces de mon ami, qui me voudroit mal d’avoir manqué à lui amener des personnes dont il estimera infiniment le mérite. Francion, qui n’étoit pas du pays, ajouta foi aux discours d’Ergaste, et pensoit qu’il y eut force singularités au lieu où il le vouloit conduire ; tellement que, voyant que Valère s’accordoit enfin à y aller, il fut bien aise d’y aller aussi, sans se figurer que tout ceci fût une partie concertée de longue main pour se défaire de lui. Il étoit à cheval comme tous les autres, et avoit son gentilhomme derrière lui, qu’il vouloit mener à sa suite avec tout son train, qu’il alloit faire appeler ; mais Ergaste lui dit qu’il ne falloit mener personne, d’autant que l’on n’entroit pas en si grande compagnie dedans une forteresse : Je n’y mènerai pas mes gens, ni Valère non plus ; il faut les laisser tous avec ceux de Nays, laquelle nous rattraperons bien après dîner. Il ne faut avoir avec nous qu’un valet de la marquise, que j’estime par-dessus tous les autres. Ayant dit cela, il fit venir l’homme dont il parloit, qui étoit celui qui, auparavant, avoit été tant affectionné au service de Francion.

En peu d’heures ils arrivèrent au château, où ils furent très-bien reçus par celui qui en étoit le capitaine. Francion, voyant que l’on prenoit des entretiens qui prolongeoient le temps, en étoit extrêmement marri, car il brûloit d’impatience de voir les merveilles dont on lui avoit parlé, il le dit tout bas à Valère, qui mit la compagnie sur ce sujet. Aussitôt le capitaine, qui avoit le mot du guet, prend un trousseau de clefs, et, après beaucoup de chemin, le fait entrer dans une forte tour, où il dit que sont enfermées les plus grandes raretés du lieu. Il leur montre une grande chaire, toute ronde, fort antique, qui a un marchepied ; il leur assure qu’à toutes heures, lorsque l’on est assis dedans, l’on entend un certain bruit harmonieux qui vient, ce semble, de dessous le plancher, mais que l’on n’en peut trouver la cause, si l’on ne l’impute à quelques démons qui habitent en ce lieu-là. Ergaste s’en moque, et dit que c’est une imagination fantasque, et qu’il ne sçauroit ajouter foi à une chose si extraordinaire, et toute l’assistance en dit de même que lui. Éprouvez-le, dit le capitaine, vous connoîtrez la vérité. Alors ils commencèrent à s’asseoir l’un après l’autre dans la chaire, et, en ressortant tout ébahis, dirent tous que véritablement ils y avoient ouï la plus douce musique du monde. Francion, qui demeuroit tout le dernier et se rioit de ces contes-là, s’assit au même lieu par complaisance ; mais le capitaine, à l’instant, se tenant tout proche, tourna une cheville dont il lâcha un ressort qui fit couler la chaire et celui qui étoit dessus jusques en une basse-fosse, où il fut longtemps si étonné qu’il ne bougeoit de sa place. Ergaste et Valère, le voyant si bien pris, remercièrent le capitaine de la bonne assistance qu’il leur avoit donnée, et le prièrent de la continuer en faisant mourir celui qui étoit en ses prisons, quand il lui sembleroit à propos. De là ils s’en retournèrent vers Nays, qui étoit en une petite bourgade à la dînée. Elle s’enquit ce qu’étoit devenu Francion, vu que l’on disoit qu’il n’étoit point au lieu où tous ses gens étoient logés. Ce valet, dont nous avons parlé tantôt, s’approcha d’elle, et lui dit : Madame, il a repris secrètement le chemin de la France, et, avant que de partir, m’ayant rencontré, m’a donné charge de vous dire qu’en quelque lieu qu’il puisse être il prendra toujours la qualité de votre serviteur. Au reste, ne vous étonnez point s’il s’en est allé sans son train, c’est qu’il n’a pas voulu faire paroître l’envie qu’il avoit de se départir d’auprès de vous, craignant, possible, d’être encore retenu au préjudice de ses affaires. Il y a de l’apparence en ceci, car il m’a fort recommandé de dire à ses gens qu’ils rebroussent chemin pour le rattraper sans bruit. Après avoir dit cette menterie à Nays, il s’en alla la dire aussi à l’écuyer de Francion, et le fit partir avec tous les autres serviteurs pour aller après son maître.

Nays eut toutes les afflictions du monde de la soudaine fuite de celui qu’elle chérissoit tant. Ah ! combien de fois se repentit-elle de lui avoir témoigné de la rigueur, car elle s’imagina que c’étoit la cause de son éloignement ! Maudits hommes, dit-elle en parlant de Valère et d’Ergaste, si vous ne m’eussiez point persécutée par vos poursuites, je n’eusse pas été contrainte de traiter si cruellement celui dont la moindre action méritoit des faveurs infinies. Que puissiez-vous être punis du mal que vous me faites souffrir ! N’espérez pas que je vous fasse jamais bon visage : je serai dorénavant envers vous la plus fière que l’on vit jamais. Elle l’exécuta comme elle disoit ; mais, si elle eût sçu la trahison de ces deux seigneurs, elle se fût bien efforcée de les traiter plus cruellement. À la fin, elle arrive à la maison ordinaire, où elle témoigne de plus en plus son indignation, et donne charge à son infidèle valet d’aller chercher Francion en quelque endroit qu’il puisse être, et de lui donner de sa part une lettre, où elle lui remontroit pour quelle occasion elle ne l’avoit pas traité selon son mérite, et le prioit couvertement de venir au lieu où il avoit eu autrefois envie d’aller. Ce courrier part pour faire sa charge, et prend le chemin de France, où il sçait bien qu’il ne trouvera pas Francion. S’étant promené un peu, il revient, et, auparavant que d’aller voir sa maîtresse, il passe par la maison d’Ergaste, auquel il demande ce qu’il lui convient faire. Ergaste, croyant que Nays n’a jamais vu de l’écriture de Francion, fait écrire une lettre toute telle, que si elle fût venue de sa part, par laquelle il lui mande entre autres choses que les délices de la France lui ont fait oublier celles de l’Italie, et qu’elle ne se doit pas attendre de l’y voir jamais, vu qu’il n’y a rien qui l’y puisse appeler. Nays, ayant reçu cette lettre, nomme mille fois Francion ingrat et mal courtois de lui écrire de telles choses ; mais, étant sortie de son transport, elle ne peut qu’elle ne l’aime autant qu’elle a fait auparavant, et se fâche contre la nature de ce qu’elle ne lui a pas donné assez de beauté pour captiver celui qui la dédaigne. Sa passion étoit si forte, qu’elle résolut même de demeurer toujours en son veuvage, plutôt que d’en épouser un autre que celui qu’elle souhaitoit ; si bien qu’Ergaste et Valère continuèrent inutilement à lui rendre, chacun de leur côté, des soumissions qui eussent adouci le courage de toute autre qu’elle.

Les gens de Francion firent beaucoup de chemin cherchant leur maître, dont ils ne sçurent avoir de nouvelles. Cependant il étoit dedans la basse-fosse, où il fut visité, sur le soir, par un homme qui ouvrit le guichet de la porte pour lui donner à manger. Il se voulut enquérir à quel sujet l’on le détenoit prisonnier, et se plaignit grandement de la trahison que l’on lui avoit faite. Vous n’êtes pas le premier que j’ai vu decevoir ainsi, repartit le geôlier ; pendant les guerres dernières, la chaire où vous vous êtes assis a servi de trébuchet à plusieurs braves chevaliers, que l’on y faisoit mettre par diverses subtilités. Francion ayant répondu que cette consolation n’étoit guère bonne, il fut laissé là jusqu’au lendemain, qu’il fut encore visité par ce même homme, qui, huit jours durant, ne manqua point à lui apporter à manger deux fois le jour. Il avoit en lui-même plusieurs considérations dont il se servoit pour adoucir son ennui. Il se représentoit qu’il valoit bien autant être enfermé comme il étoit que d’être en franchise parmi le monde, où c’est une folie que d’espérer quelque vrai repos. Pour le moins il étoit là délivré de la vue des débordemens du siècle, et avoit tout loisir de nourrir son esprit de diverses pensées et de philosopher profondément.

Le capitaine, n’ayant pas assez de cruauté pour le laisser mourir là en langueur, ni pour lui faire donner quelque poison qui eût un soudain effet, se délibéra de lui rendre la liberté, vu qu’Ergaste étoit bien loin et ne songeoit, possible, plus guère à lui. Il envoya une nuit quelques hommes dans sa prison, qui, à toute force, lui ôtèrent ses habillemens et lui en donnèrent d’autres de villageois ; puis, lui ayant bandé les yeux et lié les pieds et les mains, le portèrent jusqu’à une petite rivière qui passoit à côté du château. Il y avoit au bord une nacelle, où ils le mirent, et la laissèrent emporter au courant de l’eau, qui lui fit faire beaucoup de chemin. Jamais il ne se put imaginer en quel lieu il étoit ; il eut seulement quelque opinion en se retournant qu’il étoit enfermé dans une bière. Il fut encore longtemps à voguer le matin, parce qu’il ne se trouvoit personne dessus la rive. Enfin il y eut des hommes, qui étoient dans une barque, qui le rencontrèrent. Il arrêtèrent la sienne incontinent, et l’ayant menée à bord, le tirèrent dehors ; puis, lui ayant débandé les yeux, lui demandèrent qui l’avoit mis là. Il leur répondit au mieux qu’il put, sans rien toucher de sa qualité ; si bien qu’il fut pris pour quelque pauvre homme. La faim le pressant, il fut contraint de s’en aller prendre son repas avec ces gens-là, qui étoient d’un village prochain. Il n’avoit point d’argent sur soi, et ne pouvoit trouver personne qui lui en voulût prêter. Son habit étoit si méchant, que difficilement l’eût-on pris pour ce qu’il étoit, quand il l’eût voulu découvrir. Il ne sçavoit où étoit son train, et lui étoit impossible de l’aller chercher, si en chemin il ne demandoit la passade, ce qu’il ne se pouvoit résoudre de faire, vu que même il n’étoit pas assuré de trouver quelqu’un de ses gens, et craignoit de rencontrer dans les villes quelques personnes qui le connussent, et, le trouvant en tel équipage, eussent de lui quelque mauvaise opinion. Le plus sûr étoit d’attendre un peu de temps, jusqu’à ce que Raimond et Dorini, selon leur promesse, fussent venus en Italie. Il se promettoit d’eux toute l’assistance qu’il pouvoit désirer, et croyoit qu’il leur pourroit bien écrire de ses nouvelles, en quelque lieu qu’ils fussent. Au reste, il étoit fort aise de se tenir quelques jours en un lieu où il fût inconnu, et où il eût le loisir de mettre par ordre une infinité de belles pensées qu’il avoit eues en sa prison. Celui qui lui avoit donné à dîner, le voyant de bonne mine, lui demanda s’il vouloit demeurer avec lui, pour garder son troupeau de moutons, dont le berger étoit mort depuis peu, et Francion s’y accorda librement. Que l’on ne s’étonne point s’il accepta cette condition ; il ne fit rien en cela qui ne fût digne de son courage. Les plus grands hommes du monde se sont bien autrefois adonnés à un pareil exercice, pour vivre avec plus de tranquillité d’esprit. La charge du troupeau lui étant donnée, il le menoit aux champs tous les jours, et, pendant qu’il paissoit, il s’amusoit à écrire diverses choses. Il composa beaucoup de vers à la louange de Nays, et sur la passion qu’il avoit pour elle. Toujours il songeoit à elle en quelque endroit qu’il fût ; et, bien qu’au commencement il se fâchât fort de ce que l’on lui avoit pris son portrait qui étoit dans ses autres habits, il supporta à la fin patiemment cette perte ; parce qu’il en avoit un gravé au cœœur, qui la lui représentoit aussi bien, et encore mieux, en ténèbres qu’au jour.

Il alla une fois en la maison d’un gentilhomme, où il trouva un petit luth, dont personne ne sçavoit jouer. Il le lui demanda, lui assurant qu’il sçavoit un peu toucher cet instrument ; et, l’ayant eu en don, il trouva moyen d’avoir de bonnes cordes, dont il le monta, et devint depuis l’Orphée du village. Le gentilhomme, qu’il avoit vaincu par ses importunités, ne regretta plus son présent dès qu’il l’eut ouï jouer. Avec cela il disoit de si belles chansons, que sa compagnie commençoit d’être grandement recherchée. Les fêtes et les dimanches il étoit toujours de festin, tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, où il buvoit et mangeoit avec autant d’appétit qu’à la cour, et rioit d’aussi bon courage. Ce qui étoit le meilleur, c’est qu’il ne craignoit point qu’un envieux épiât ses actions, afin de gloser dessus et de diffamer par ses médisances. Il n’y avoit personne qui s’offensât de ce qu’il ne lui faisoit pas assez d’honneur et qu’il ne lui rendoit pas le change de ses complimens. La liberté se rencontroit en tous les endroits où il étoit, tellement qu’il confessoit en lui-même que jamais il n’avoit été si heureux ; et il se fût toujours tenu volontiers en une telle condition, n’eût été que sa fièvre amoureuse avoit aucunes fois des accès bien violens, lesquels lui donnoient envie d’aller revoir sa Nays. Toutefois, quand l’occasion se présentoit de goûter un peu des doux plaisirs de la nature, il n’étoit pas si scrupuleux de croire qu’il offenseroit sa maîtresse s’il s’y adonnoit. Souventes fois il portoit son luth aux champs, et les plus aimables filles du lieu quittoient leur bétail pour l’aller ouïr jouer à l’ombrage de quelque taillis, ou dedans quelque caverne. Quand il se trouvoit seul avec quelqu’une, il ne s’oublioit pas à tâcher de la gagner. Il y avoit une brunette entre autres qui lui plaisoit infiniment, mais il n’eût pas pu venir à bout du dessein qu’il avoit de jouir d’elle s’il ne se fût un jour avisé de lui dire en secret, après avoir joué du luth, qu’il sçavoit jouer d’un autre instrument qui ravissoit bien davantage, mais qu’il n’en vouloit pas faire entendre l’harmonie à tout le monde. Elle, qui se plaisoit en ses chansons, le supplia instamment de lui faire ouïr quelque jour cette rare musique. Je le veux bien, dit-il, pourvu que vous n’en parliez à personne ; car je ne désire pas encore faire paroître tout ce que je sçais. Venez-vous-en demain à la caverne des saules, vous m’y trouverez sans faute avec mon instrument, que je n’oublierai pas d’apporter. La brunette, plus contente que si l’on lui eût offert un grand trésor, ne faillit pas d’aller le jour d’après au lieu qu’il lui avoit désigné, lequel étoit des moins fréquentés de la contrée. Eh bien, dit-elle, me tiendrez-vous promesse ? Oui, répondit-il, j’y suis tout prêt. Alors elle s’assit proche de lui, et, l’ayant prié de lui montrer son instrument et d’en jouer, il lui dit ainsi : Ma bonne amie, jamais vous ne vîtes chose si miraculeuse que ce que je fais pour produire ma mélodie. Pour ne vous rien celer, je n’ai point d’instrument qui soit fait de bois ni de corne : l’harmonie ne provient que des membres de mon corps, qui la produisent tous ensemble. La fille s’imagina alors qu’en faisant certaines postures et en se remuant de quelque sorte il avoit l’industrie de faire craqueter ses os, si bien qu’ils rendoient quelque son, ou bien qu’il frappoit ses mains sur les autres membres pour les faire claquer. Mais elle apprit bientôt qu’il y avoit bien autre chose à faire ; car il lui dit : Puisque vous voulez avoir du plaisir, il faut que vous preniez aussi un peu de peine. Je ne sçaurois exercer mon artifice tout seul, il faut que vous m’aidiez, s’il vous plaît. Montrez donc ce qu’il faut que je fasse, dit la brunette. À l’instant Francion l’embrasse et la baise à son plaisir, puis il tâche de faire le reste. Ah ! mon Dieu, disoit-elle, vous me faites mal ; laissez-moi là. Patience, dit Francion ; achevons, puisque nous avons commencé ; l’issue sera meilleure que l’entrée. Elle se pâme de plaisir à l’heure, goûtant je ne sçais quelle douceur extraordinaire. Après, voyant que Francion se retire, elle lui dit : Eh quoi ! est-ce déjà fait ? Vous n’avez guère mis. Ah ! ma mignonne, j’avois bien prédit qu’il ne vous ennuyeroit point, et que vous voudriez que la mélodie durât toujours. Aussi vrai oui, dit la fillette ; votre musique est si douce, qu’elle ne fait presque point de bruit : c’est, je vous jure, un miracle : on ne l’entend point, mais on la sent. N’y a-t-il point de moyen que nous la recommencions ? Ah ! m’amie, dit-il, toutes les choses belles sont rares et malaisées à acquérir ; on n’en voit guère de fréquentes : celle-ci l’est toute des moins. Mais, dites-moi, vous m’avouez donc que vous avez senti beaucoup de plaisir en ce que j’ai fait. Je serois bien enrhumée si je ne sentois pas cela, dit la brunette, je vous le confesse encore. Quelque temps après ce plaisant entretien, ils eurent le moyen de recommencer la nonpareille musique, qui ne fut pas moins agréable à ce coup-là qu’à l’autre.

Depuis, la brunette alloit toujours retrouver son ménétrier, dès qu’elle pouvoit sortir de chez son père ; mais elle fut si babillarde, qu’elle dit son secret à une sienne compagne, qui, voulant participer au contentement, vint avec elle voir notre berger dedans la caverne des saules. La brunette lui adressa la requête pour elle, mais au commencement il fit bien du renchéri, et la cria beaucoup d’avoir découvert ce qu’elle lui avoit promis de tenir caché. Néanmoins il fila doux après, et dit qu’il vouloit bien contenter sa compagne, pourvu qu’elle ne l’importunât point de tout le jour de lui faire goûter le même plaisir. La brunette se délibéra de s’en priver pour en laisser jouir l’autre, et fit une grande courtoisie à son musicien, qui en une seule journée ne les pouvoit rendre toutes deux entièrement satisfaites. La compagne demeura donc auprès de lui, et, après avoir un peu fait la revêche, ne voulant pas endurer ce qu’il avoit envie de lui faire, elle éprouva les douceurs de son harmonie. Étant de retour, la brunette lui demanda comment elle s’en trouvoit, et si l’on se pouvoit imaginer quelque chose de plus délicieux. Vraiment vous m’en avez bien baillé, dit-elle, vous ne m’avez rien fait éprouver de nouveau : il y a longtemps qu’un valet, qu’avoit mon père, m’a appris cela. Ce berger ne fait rien que tous les hommes ne fassent ; il n’est point plus sçavant que les autres. Si est-ce, repartit la brunette, que j’aime mieux que ce soit lui qui me fasse jouir de ce contentement que pas un autre que je connoisse ; car il a le visage extrêmement beau, et je ne souffrirois pas que tous ces laids marpauts[5], que je vois, s’approchassent de moi comme il fait mettant sa bouche sur la mienne. Si vous le prenez par là, je le quitte, dit l’autre, votre raison est la meilleure du monde, et vous avez le plus brave musicien de tous. Mais apprenez que sa musique est très-dangereuse ; car vous serez, possible, tout étonnée d’ici à neuf mois qu’il en sortira une autre de votre ventre bien différente de la sienne : ce sera un enfant qui ne fera que piailler, jusques à ce que vous lui ayez fait sucer le teton que votre berger a tant baisé : voila pourquoi je vous conseille de vous abstenir le plus que vous pourrez d’aller dorénavant en la caverne mélodieuse.

La brunette suivit l’avertissement de sa compagne, mais pourtant Francion ne chômoit pas de gibier. Il avoit bien d’autres pratiques qu’elle : si bien qu’il sembloit qu’il fût le taureau banal du village, et de tous les lieux circonvoisins. Que s’il trouvoit quelque fille qui fût plus revêche que les autres, il avoit recours à ses artifices pour la vaincre. Il m’est avis, se disoit-il en lui-même, qu’il n’importe pas beaucoup quelle manière de vie nous suivions, pourvu que nous ayons du contentement. Il ne faut pas se soucier non plus de quelle sorte ce contentement vient, pourvu qu’il vienne selon notre souhait. Quelle occasion d’ennui ai-je donc, encore que de gentilhomme je sois devenu berger, puisque je jouis des plus doux plaisirs du monde ? D’ailleurs, me dois-je attrister de voir les moyens dont il me faut user pour venir à bout de mes intentions, puisque je les accomplis toutes très-heureusement ?

Voilà comme il raisonnoit sur sa fortune, et plusieurs personnes voluptueuses ont de semblables pensées, sans songer aux malheurs qui leur peuvent arriver d’une si mauvaise vie. Quelques-uns, ayant engrossé des filles, sont contraints par la justice de les épouser, ou d’aller au gibet, ou bien de donner une grosse somme d’argent pour les marier à d’autres. Quelquefois aussi il y a des parens qui, voulant avoir la vengeance eux-mêmes du déshonneur que l’on a fait à leur race, font assassiner ces perfides amoureux. Francion étoit parmi de petites gens de peu de crédit, et puis il n’avoit pas envie d’y toujours demeurer ; c’est pourquoi il en avoit plus de hardiesse, mais il ne faut pas pourtant se mettre en ce hasard ; et, quant aux filles qui se laissoient duper si facilement, elles montroient bien leur bêtise et leur simplicité. Il est vrai que Francion avoit meilleure mine que les personnes de campagne, mais c’est ce qui le devoit faire soupçonner davantage. Néanmoins il faut avouer que l’amour se rend maître de toute sorte d’esprits. Il n’y avoit point de villageoise qui ne fût charmée, tant par la beauté que par la galanterie de ce brave berger, qu’elles reconnoissoient malgré la stupidité de leurs entendemens. La femme du laboureur chez qui il demeuroit devint aussi fort amoureuse de lui, et tâcha de le lui découvrir par tous les moyens qu’elle sçut inventer. Elle le laissoit partir de bon matin pour aller aux champs, sans lui donner de quoi garnir sa pannetière, et c’étoit afin qu’elle eût occasion de l’aller voir en lui portant son repas. Elle prenoit plaisir à lui arracher des mains un morceau où il avoit déjà mordu, pour en manger après lui. Elle ne faisoit que folâtrer quand il étoit auprès d’elle, et le regardoit en riant d’un certain biais qui lui disoit ouvertement : Je meurs d’amour pour toi. Il reconnoissoit fort bien cette vérité, mais il ne faisoit pas semblant d’en avoir seulement la moindre conjecture du monde. Car cette femme lui déplaisoit tant, pour quelques imperfections qu’il trouvoit en elle, qu’il n’eût pu la baiser qu’avec de l’horreur.

Un jour, pour sonder sa volonté, elle lui dit en riant : Tu ne sçais pas, ma foi, l’on m’a rapporté que le bruit court sourdement par tout ce pays-ci que tu es amoureux de moi, et que tu sçais assez de choses pour prendre une autre condition que celle de berger, mais que tu es bien aise de t’y tenir, afin d’avoir le moyen de demeurer céans. Il les faut laisser dire, ces causeurs-là, repartit Francion, ce sont des moqueurs ; je sçais bien qu’ils ne disent pas la vérité. Eh quoi, dit la femme, est-ce une chose impossible ? Non, dit Francion, mais ce qui dépend de notre volonté ne se fait pas toujours, combien qu’il soit en notre pouvoir. De cette sorte, il la renvoya plus loin de son but qu’elle ne pensoit, et feignit de ne pas prendre garde aux brillemens de ses yeux, que la lasciveté faisoit étinceler en songeant à des délices nonpareilles. Le lendemain, son mari étant allé en voyage, elle se voulut servir de l’occasion, et, pendant que son berger étoit encore aux champs, elle cacha le lit, les draps et la couverture de sa couche, si bien que, quand il eut envie d’aller prendre son repos, trouvant son gîte ordinaire dégarni, il lui vint demander où elle entendoit qu’il se couchât. Ah ! mon Dieu, dit-elle, j’ai tantôt porté tout l’attirail au grenier pour le mettre à l’air, il l’y faut laisser deux ou trois jours ; cependant, pourvu que vous me promettiez de ne me rien faire, je permettrai que vous preniez un côté de mon lit. Francion, sçachant bien à quoi elle vouloit venir, refusa cette offre, et dit qu’il s’en alloit coucher dessus les gerbes de la grange. Ayant vu que sa première invention n’avoit de rien servi, elle s’avisa d’une autre, et remit la garniture du lit. Sur le milieu de la nuit, elle s’assit sur une chaire toute nue, et commença de se plaindre et d’appeler son berger. Il couchoit dans une chambrette prochaine, d’où il put ouïr distinctement, et s’en vint vite avec de la chandelle lui demander ce qu’elle avoit. Hélas ! je revenois des aisemens[6] tout à cette heure, et une telle foiblesse m’a prise, que je n’ai pu m’en retourner jusques à mon lit, si bien qu’il a fallu que je me sois assise ici dessus. Je vous prie de me prendre et de me porter coucher, car il est impossible que je mette mes pieds l’un devant l’autre. Elle proféroit ces paroles langoureusement, et en hésitant à tous coups, et laissant pencher sa tête, ce qui donnoit à croire à Francion qu’elle fût véritablement malade. Il la soulève donc de telle sorte, qu’elle ne touche pas presque à terre du bout des orteils, et, en la conduisant vers son lit, il détourne son visage du sien, parce qu’il lui semble qu’il sort une puanteur de tout son corps. Alors elle l’embrasse étroitement, et, allongeant le col le plus qu’il lui est possible, elle fait tant qu’elle le baise à la joue. Cette caresse ne lui plaisant pas, il la laisse tout à l’heure auprès de sa couche, et lui dit : Recouchez-vous si vous voulez, j’ai tant d’envie de dormir, que je ne sçaurois demeurer ici davantage. Ne t’en va pas encore, répond-elle, j’aurai demain quelqu’un pour garder le troupeau au lieu de toi, tandis que tu prendras ton repos pour réparer le temps que tu veilleras cette nuit. Mais que me voulez-vous ? reprit-il. Hélas ! tiens-moi un peu compagnie, dit-elle ; que tu es cruel ! approche-toi d’ici. Il fit alors trois pas en avant, et la paysanne, étant allée au-devant de lui, l’embrassa derechef ; mais, sa chair ne le pouvant mettre en goût, il la repoussa en riant. Vous n’êtes pas tant indisposée que vous feignez, lui dit-il ; si vous avez quelque mal, il ne vient que de fantaisie ; je m’en revais, pour moi. Il ne faut point que vous cherchiez d’autre compagnie que celle de votre chevet, en l’absence de votre mari. Elle enrageoit de l’entendre parler de la sorte, et toutefois ce dédain ne fut pas encore assez puissant pour convertir en haine l’affection qu’elle lui portoit. Elle continua le bon traitement qu’elle avoit de coutume de lui faire, et tâcha, autant qu’il lui fut possible, de s’acquérir ses bonnes grâces. Enfin, ayant envie de se délivrer de ses importunités, il feignit qu’il avoit plus de bienveillance pour elle qu’auparavant ; et, d’autant que le maître étoit revenu, il fallut qu’elle prît résolution de l’aller trouver elle-même une nuit, lorsqu’il seroit couché, pour passer quelque temps en sa compagnie. Leur accord étant fait, la voilà la plus contente femme du monde, et elle s’imagine qu’infailliblement elle accomplira ses désirs.

Francion, n’étant pas d’un même avis qu’elle, dit sur le soir à un porcher et à un vacher du logis, qui couchoient dessus leurs étables, qu’ils s’en vinssent dedans sa chambre passer la nuit pour voir un esprit qui ne manquoit jamais à le venir tourmenter. Ils répondirent qu’ils n’en feroient rien, et qu’ils avoient trop peur de telles bêtes. Venez-y hardiment, repartit Francion, vous n’y recevrez point de mal : je pense que c’est cette servante que nous avons eue depuis peu qui me veut épouvanter. Il faut seulement faire provision de bonnes verges pour la fouetter si fort, qu’elle n’ait plus envie d’y revenir. Les deux drôles, apprenant cette nouvelle, furent aussi aises que s’ils eussent été de noce ; ils se tinrent dedans sa chambre sans faire aucun bruit, ayant en main les armes qui étoient nécessaires. La pauvre amoureuse, voyant alors que son mari s’étoit endormi pour longtemps, suivant sa coutume ordinaire, se leva tout bellement d’auprès de lui, puis, étant sortie de sa chambre, elle ferma la porte à double ressort, afin que, si d’aventure il se réveilloit, elle eût le loisir de sortir d’avec Francion, si bien qu’il ne la pût prendre sur le fait, et qu’il crût qu’elle étoit au privé.

Francion, qui l’entendit bien venir, dit à ses compagnons qu’ils apprêtassent leurs forces, et que l’esprit prétendu s’approchoit. Ils ne furent pas sourds à son avertissement, et leur maîtresse ne fut pas sitôt entrée, qu’ils lui levèrent la chemise et commencèrent à la fesser plus fort que le plus rude bourreau du monde ne fouette un coupeur de bourse qui ne lui a point promis d’argent pour être doucement traité. Sentant qu’il y en avoit plusieurs qui la persécutoient de cette sorte, elle n’osoit parler en façon du monde, de peur d’être reconnue et de honte qu’elle avoit d’être surprise en flagrant et impudique délit ; à la fin, parce que l’on continuoit toujours de la travailler de la même sorte, et que tout son corps étoit piteusement déchiqueté, elle ne se put tenir de crier à l’aide et au meurtre. Son mari s’éveille à ce bruit, et, tout assoupi qu’il est, ne sçachant d’où c’est que vient la voix, il sort par une autre porte que celle qu’elle avoit fermée, et s’en va dedans sa cour voir ce que l’on y fait. Tandis Francion, ayant pitié d’elle, tire le porcher par le bras pour lui faire entendre que c’est assez fouetté. Il la laisse donc, et son compagnon aussi. Elle va rouvrir la porte de sa chambre et se recouche comme auparavant. Son mari, ayant vu qu’il n’y avoit personne dans la cour, rentre dans le logis, et s’avisant que, possible, le bruit qu’il avoit entendu étoit venu de la chambre de son berger, il s’y en va tout doucement pour sçavoir s’il dort. Les deux compagnons, qui tenoient encore leurs armes en main, jugèrent que c’étoit aussi un esprit, et, l’ayant pris par les bras, commencèrent à le fouetter si fermement, qu’il entra en une colère extrême, et, se délivrant de leurs mains, leur donna des coups de poing avec une verte atteinte. Ils s’imaginèrent aussitôt qu’un si rude joueur ne pouvoit pas être un homme mortel, mais que c’étoit véritablement un esprit ; de sorte qu’ils essayèrent d’éviter sa rencontre, et s’en allèrent cacher à la ruelle du lit, où ils eussent bien été trouvés si c’eût été ce qu’ils pensoient. Où êtes-vous ? dit le laboureur à Francion. Ah ! mon Dieu, répondit-il de sa couche, sortez vitement : il y a ici des esprits qui ne font que me tourmenter. Il s’en alla aussitôt avec une grande peur, croyant ce que son berger lui disoit, et verrouilla très-bien sa porte ; puis s’en alla coucher auprès de sa femme, qui faisoit la dormeuse et feignoit de n’avoir rien entendu. Il lui conta comment il avoit été fessé par des esprits qui s’étoient évanouis en un moment. Elle fut bien aise de ce qu’il en avoit eu sa part aussi bien qu’elle, et ce lui fut une espèce de consolation. Le laboureur plaignit beaucoup son berger, qui étoit exposé aux fureurs de ces mauvais démons, et le lendemain s’enquit bien particulièrement de lui, quels tourmens il avoit endurés. Il en inventa un bon nombre, qui tirèrent presque les larmes des yeux de toute la famille. Quant est de son amante, elle étoit en doute si c’étoient des esprits ou des créatures vivantes qui l’avoient fessée par son conseil. À la fin, elle crut que tout étoit provenu de sa malice, parce qu’elle remarquoit en lui un grand changement de la bonne humeur où elle l’avoit vu la dernière fois, qu’il s’étoit accordé à la rendre contente. Il ne lui prêchoit plus rien que la chasteté et l’honneur, et l’admonestoit d’être plus fidèle à son mari qu’elle n’avoit été. Il lui étoit bien force de suivre ses enseignemens, mais elle ne manquoit pas de volonté de les outre-passer.

Depuis ce temps-là, vu l’opinion que l’on a ordinairement des bergers, l’on crut que Francion étoit magicien, et qu’il avoit communication avec les démons. Beaucoup de fois des paysans l’avoient trouvé, comme il parloit tout seul en composant des vers, et, parce qu’il disoit des paroles poétiques, où ils ne pouvoient rien entendre, ils s’étoient imaginé qu’il discouroit avec quelque esprit invisible. Il parloit fort peu à ces brutales gens, sinon quand il avoit envie de rire : tellement qu’on attribuoit sa solitude à la coutume d’un damnable métier. L’on le voyoit expert en beaucoup de choses qui n’étoient pas communes aux villages. Une fois, oyant parler à des prêtres de quelques choses hautes, il en avoit dit sa râtelée ; ce qui avoit causé de l’admiration : cela faisoit croire que le diable avoit été son pédagogue. Par la magie naturelle il faisoit beaucoup de galanteries, et guérissoit des malades si miraculeusement, que l’on ne se pouvoit figurer qu’il n’y eût de la sorcellerie en son fait. Davantage l’on crut bien qu’il avoit la science de prédire l’avenir et de deviner toutes choses. Une fois, étant en une compagnie de filles de village et de quelques rustres, ayant fait quelques simagrées inutiles, pour se donner de l’autorité, il dit : Je m’en vais gager maintenant que je reconnoîtrai bien celle qui n’est pas pucelle. Il y en eut une alors qui repartit : Votre science est ici employée en vain ; car vous avez beau dire, il n’y en a pas une ici qui ait perdu son honneur. En disant ceci il y eut quelque changement en son visage qui fut remarqué de Francion, et outre cela cette promptitude dont elle tâchoit de lui persuader de ne point chercher celle qui n’étoit pas chaste lui donna opinion qu’elle ne l’étoit pas. Voilà pourquoi il dit qu’il vouloit accomplir son premier dessein, mais que, de peur de scandale, il ne vouloit pas donner à connoître à tout le monde celle qui avoit perdu son pucelage, et qu’il n’en parleroit qu’à un sien ami qui étoit en ce lieu. Il s’en alla donc dire à l’oreille de celui-là : J’ai trouvé par mon art que celle qui a péché par fornication de toutes ces filles, c’est celle qui a parlé à moi la dernière. Je ne pense pas que cela soit, répondit l’autre. Il n’y a qu’elle et celui avec qui elle a commis la faute qui vous en puissent rendre plus certain, reprit Francion ; mais croyez-moi autant comme eux. Le reste de la troupe ne sçut pas ce qu’il avoit dit, jusques à huit jours après, que la fille fut mariée à un jardinier du village. Comme elle fut au lit, elle sentit une petite tranchée, au fort de laquelle elle accoucha d’un bel enfant. Ce fut à cette heure-là que celui qui sçavoit la prophétie de Francion la publia comme un miracle, qui lui donna un très-grand crédit. L’on peut bien croire que l’on ne fit pas moins d’admiration de son sçavoir que l’on fit de risées de l’aventure des nouveaux mariés ; mais ce qui fit trouver que l’affaire étoit moins mauvaise que l’on avoit pensé fut que le marié avoua que l’enfant étoit de son fait, et que sa femme n’avoit voulu prendre un mari qu’à l’épreuve ; parce qu’ayant vu un échantillon de la marchandise elle pourroit voir si elle étoit bonne ; et, si elle ne lui plaisoit, elle la pouvoit librement laisser, étant quitte seulement pour les arrhes. On ajouta à cette considération qu’il y avoit longtemps qu’elle étoit en âge de faire l’amour, et que la fille est un arbre qui veut être hoché, même auparavant que ses fruits soient mûrs. Aussi, dès le matin, Francion, qui se doutoit un peu de ce qui en étoit, alloit chantant ceci sur l’air d’un vaudeville :

Puisqu’on voit des œœillets nouveaux
Fleurir avec des traits si beaux,
Sur le teint de notre épousée,
À qui pourra-t-elle nier,
Que son mari, bon jardinier,
Ne l’ait déjà bien arrosée ?

Il y en eut qui dirent assez plaisamment que le marié étoit un bon ouvrier d’avoir eu un enfant dès le premier jour : mais ceux qui en parlèrent sérieusement s’étonnèrent comme cette fille avoit été si peu grosse, que l’on ne l’avoit pu découvrir : aussi étoit-ce qu’elle s’étoit servie de quelque artifice pour le cacher.

Le lendemain il y eut un des plus gros du village, qui croyant qu’il n’y avoit rien qui fût inconnu à Francion, l’envoya querir pour sçavoir qui étoit celui d’entre tous ses valets qui avoit dérobé la moitié d’un pourceau, qu’il avoit mis au saloir ; car il étoit certain que le larcin n’avoit point été commis par des étrangers. Francion n’eut pas pu conserver l’opinion que l’on avoit de lui s’il ne se fût ici encore servi d’une subtile finesse : il tira de sa poche une bougie commune, et dit qu’en la faisant il avoit mis parmi la cire des drogues de telle vertu, que, quand elle étoit allumée, jamais elle ne pouvoit être éteinte du souffle d’aucune personne, si ce n’étoit du larron qui avoit dérobé la chose dont l’on étoit en peine. Il faut que vous veniez l’un après l’autre dedans cette chambre où je serai seul, poursuivit-il en parlant aux valets : je vous ferai faire l’épreuve. Aussitôt il entra au lieu qu’il avoit dit, et le premier qui le suivit, étant innocent, ne feignit point de souffler tant qu’il put, se pensant justifier, et se fiant sur ce qu’avoit dit Francion ; mais la mèche ne faillit pas à perdre sa flamme, de quoi il fut infiniment étonné, et jura que pourtant il n’étoit pas coupable. Mon ami, lui dit Francion, vous voyez ce que ma bougie m’en peut faire croire ; toutefois je n’en parlerai point ; allez-vous-en sans faire semblant de rien, et dites à vos compagnons qu’ils se hâtent de venir ici. Le valet sort, et incontinent Francion rallume sa chandelle par le moyen d’une certaine pierre qui jetoit du feu dès que l’on la frottoit. Un autre garçon le vint voir auquel il arriva une même fortune qu’au premier ; et ainsi en avint-il aux autres ; car la bougie n’avoit rien qui la pût faire résister à la force de leur vent. Néanmoins, étant sortis, on avoit beau les interroger de ce qui leur étoit arrivé, ils n’en disoient mot du monde, et attendoient la fin de l’épreuve, ne se communiquant rien l’un à l’autre. Ceux qui étoient dans le logis eussent bien voulu voir toute la cérémonie de Francion ; mais il avoit défendu que nulles autres personnes n’entrassent au lieu où il étoit que ceux qui y avoient à faire ; d’autant qu’il disoit qu’il ne pouvoit exécuter son entreprise que secrètement. Le dernier qui s’en alla le trouver n’eut pas tant de hardiesse que les autres, car il n’avoit pas la conscience si nette : il souffla si doucement, qu’à peine fit-il trembloter la flamme. Francion, reconnoissant par là qu’infailliblement il étoit coupable, s’en alla revoir le maître du logis, et lui dit qu’il n’avoit que faire de lui raconter si la bougie avoit été éteinte ou non, mais que seulement il l’assuroit que celui qui étoit venu le dernier pour la souffler étoit le larron de son pourceau. Le laboureur envoya au logis de la femme de celui-ci, et l’on la trouva qui mettoit un morceau du larcin dedans son pot. Il fut atteint et convaincu du crime, et Francion comblé de louange pour sa doctrine, et récompensé de quelque argent, qui lui venoit bien à propos.

Il mit si avant dans la cervelle d’un chacun qu’il étoit un des plus grands devins du monde, qu’ayant affaire en un lieu dont le chemin étoit fort difficile il eut beau s’enquérir gracieusement, d’un homme qu’il connoissoit, des endroits où il étoit besoin de passer, jamais il n’en put avoir une bonne réponse. Oh ! voire, dit l’autre, vous avez bien envie de vous moquer des pauvres ignorans comme moi : vous n’avez que faire de demander les chemins. Ne sçavez-vous pas bien tout ? Il s’en alla après ce discours ; et Francion, ne rencontrant plus personne, pour apprendre la droite voie, se fourvoya si bien, qu’il fut contraint de prendre son repos dedans un bois, où la nuit le surprit.

Nous avons dit tantôt que, lorsqu’il composoit des vers, il parloit fort haut, et que ceux qui l’entendoient avoient opinion qu’il discourût avec quelque esprit familier : donc sa maîtresse eut en ce temps-là cette croyance. Plusieurs fois elle avoit dit en elle-même : Ce jeune garçon-ci est d’une complexion bien joviale et bien encline à l’amour ; je ne sçais pas comment il se peut faire qu’il ait refusé la courtoisie que je lui ai offerte. Quand je serois la plus laide du monde, encore un homme comme lui seroit-il fort aise de m’avoir pour apaiser la fureur de sa concupiscence : quel secret a-t-il pour se pouvoir passer de moi ? Il faut nécessairement qu’il ait ailleurs quelque amie sur laquelle il se décharge de tout le sang qui peut troubler son repos.

Voilà comme elle argumentoit ; mais elle ne pouvoit découvrir pas un nid de tous ceux où il se retiroit ; car il avoit coutume de faire ses affaires le plus secrètement du monde. Un soir elle s’approcha donc tout bellement d’une saussaye, où il s’étoit couché pour composer des vers, sur une jouissance qu’il commençoit ainsi :

Ah ! ma Cloris, que j’ai d’aise,
Maintenant que je te baise !

Il répétoit souvent cela à haute voix, ne pouvant trouver la fin qu’il falloit mettre à la stance. Sa maîtresse, s’imaginant qu’il parloit à quelque fille qu’il tenoit entre ses bras, écarquilla ses yeux autant qu’il lui fut possible pour sçavoir qui étoit cette bienheureuse ; mais, n’apercevant personne auprès de lui, et lui voyant toutefois étendre ses bras, au souvenir de quelques délices passées, elle eut une pensée qui mérite bien d’être écrite. Le dimanche dernier elle avoit ouï dire à son curé qu’il y avoit des magiciens qui couchoient avec des diables transformés en femmes que l’on appeloit des succubes : incontinent elle songea qu’il falloit que Francion eût alors avec lui une de ces belles maîtresses-là, vu qu’il continuoit à dire des paroles bien plus amoureuses que les premières, et où il exprimoit naïvement tout ce que l’on pourroit dire en jouissant d’une beauté.

Depuis elle perdit le soin d’apprendre avec quelle femme il apaisoit les désirs de sa jeunesse, et ne le regarda plus qu’avec de la frayeur, croyant qu’il eût toujours quelque démon à sa queue. Car même elle se figuroit alors que c’étoit son succube qui l’avoit fouettée lorsqu’elle avoit eu envie d’aller coucher avec lui.

Passe pour toutes ces dernières galanteries ; elles ont même été faites pour punir les vices. Il avoit bien fait de fouetter cette lubrique paysanne, qui oublioit la foi qu’elle avoit promise à un autre, et qui lui vouloit faire commettre adultère. Il est vrai que c’étoit qu’elle lui déplaisoit et qu’elle n’étoit pas fort charmante ; mais ne regardons point tant à la cause ; l’effet en fut toujours bon. Pour ce qui est des subtilités qui le rendoient admirable, elles ne tendoient aussi qu’à se moquer de ceux qui avoient failli et à faire reconnoître leur faute, comme de cette fille qui avoit fait forfait à son honneur, et de ce garçon qui avoit dérobé son maître, dont il découvrit le larcin. C’est en ceci que les plus critiques seront contraints d’approuver ses actions. Il est vrai qu’en ce qui est du reste je me soucie fort peu de leur colère et de leurs plaintes, car je ne raconte point de vices qui ne se pratiquent, ni de sotte action qui n’ait été faite, et l’on voit comment les bons esprits s’en sont moqués et se sont garantis des fourbes que l’on leur pouvoit jouer, au lieu que les personnes idiotes s’y sont laissé surprendre.





  1. Basse-cour.
  2. Cheval de somme.
  3. Chercher une chappe-chute est synonyme de chercher une occasion.
  4. Expédient imaginé pour se jouer de quelqu’un.
  5. Nigauds.
  6. Du privé.