Chez Roux, Libraire, au Palais-Royal (p. 1-10).

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LA VOLUPTÉ
PRISE SUR LE FAIT.



PREMIÈRE NUIT DE PARIS AU PALAIS
ROYAL.


Effectivement nous fûmes rendus en quelques minutes rue des Bons-Enfans, derrière le palais Royal : ma jolie conductrice, munie des passe-partouts que je venais de lui confier, voulut s’arrêter de suite au no 724 ; une secrète inquiétude qu’elle avait sur son amant, me confessa-t-elle, motivait son dessein ; je me mis donc aussitôt en devoir, pour la rendre, ainsi que moi, invisible, de la charmer ; ce qui fut aussitôt fait au moyen de quelques mots hébreux et maçonniques, de quelques attouchemens magnétiques, et de deux baisers bien prolongés sur ses lèvres de roses, pendant lesquels le charme opéra tellement, que nous fûmes vraiment invisibles même l’un pour l’autre, car nous en fermâmes les yeux de plaisir : n’y avait-il pas dans mon action alors un grand fond de générosité ?… Elle était possédée du démon de la jalousie, et rien ne guérit de cette frénésie, comme les prémices d’une autre passion… — Mais hélas ! que vîmes-nous, pour ajouter aux transports jaloux de ma chère compagne ? On dit bien que la jalousie est pleine de pénétration et se trompe rarement. — À peine introduits dans un salon brillant de luxe et de bougies, dont la plupart cependant prêtes à s’éteindre, ne jetaient plus que cette lumière incertaine, vacillante, si favorable aux amours et à la pudeur enfantine du beau sexe ; à peine, dis-je, touchions-nous sur le seuil d’un réduit délicieux, embaumé des odeurs et des parfums les plus suaves…, qu’elle reconnaît son amant, non pas à ses habits, car il était presque nu, mais à la beauté de son visage animé du feu du plaisir et de la douce fatigue de la volupté ; enseveli dans un léger sommeil, le front couronné d’un de ses bras, l’autre mollement étendu sur le sein d’une rivale trop belle, pour n’être pas, en ce moment, détestée de mon affligée conductrice ; il paraissait rêver encore le délire des étreintes délicieuses auxquelles il venait de se livrer : ce bel Antinoüs, auquel la nature avait prodigué ses dons les plus précieux, ne cachait pas en ce moment ce qui devait le faire idolâtrer des femmes, et je ne pus m’empêcher de convenir tout bas à l’oreille de Polumnie (c’est ainsi que se nommait mon aimable guide), que jamais homme ne fut plus digne d’amour, et qu’il était bien cruel pour elle de voir qu’elle partageait avec une rivale le plus beau, comme le plus grand des trésors… — Ce fut cependant une imprudence de ma part d’ajouter, par ma réflexion, au chagrin amer de Polumnie, car aussitôt il lui échappa un torrent de larmes, un violent sanglot qui réveilla le couple que nous avions sous les yeux. Ils se questionnèrent aussitôt tendrement l’un et l’autre, et après avoir attribué le bruit qu’ils avaient entendu à quelque rêve que l’un des deux faisait sans doute, ils se livrèrent devant nous aux plus douces caresses… Que devint Polumnie, lorsque son infidèle, enflammé, excité de toutes parts par la main la plus jolie, la plus potelée, se préparait à combler la mesure de ses crimes sous les yeux mêmes de sa première amie, et, les lèvres collées sur le bouton de rose d’une gorge divine, éclatante d’albâtre, allait nous donner une preuve non équivoque qu’il savait apprécier mieux que personne les formes enchanteresses dont il savourait les attraits en ce moment ?… Non, non, ce ne sera pas, lui disait en balbutiant, d’une voix voluptueuse, sa charmante épouse (je dis épouse aux autels de la Nature), non, monsieur, vous êtes un méchant ; et en même temps elle serrait avec force deux colonnes d’ivoire, que la main fougueuse de son amant cherchait à séparer… Non, cher Adolphe, continuait-elle, tant que vous ne m’aurez pas fait le sacrifice du portrait et des lettres de Polumnie, je vous refuserai désormais la preuve d’un amour dont vous aurez démérité… —

Je lisais alors dans les yeux de Polumnie combien elle eût été flattée que son amant ne consentît pas à cet odieux sacrifice, et préférât se sevrer d’une volupté qu’on lui présentait à de si humiliantes conditions pour elle ; elle lui eût pardonné le passé en faveur de cet acte d’héroïsme… Mais, ô douleur inexprimable pour elle ! Adolphe, brûlant d’impatience, plus amoureux, plus fougueux par l’aiguillon d’un obstacle qu’il n’avait pas prévu, se lève et prend sur un somno l’infortuné portrait enrichi de diamans et la correspondance bientôt immolés à sa nouvelle passion. — « Tiens, Félicia, livre-moi maintenant tous tes trésors, puisque je te sacrifie des bijoux que j’ai considérés long-temps comme les miens ; tu veux de moi une volupté sans partage, et je veux également m’anéantir dans les uniques délices de ton adorable personne… » Alors ce ne fut plus qu’un cliquetis de baisers électriques qui me mirent moi-même dans un état difficile à décrire. Quant à Polumnie, l’état d’horreur et de désespoir où elle se trouvait, est au-delà de toute peinture. Le couple, enivré, bientôt ne fit plus entendre que les soupirs mourans d’une voluptueuse agonie dans laquelle leurs âmes parurent s’exhaler dans des flots de plaisir et de volupté. Je crus prudent d’arracher de ces lieux Polumnie qui se serait livrée indubitablement à quelque transport jaloux, aurait conséquemment compromis le pouvoir de ma magie et m’aurait mis sur les bras la juste colère de Sein d’amour, cette fée protectrice dont je fis faire connaissance au lecteur dans ma préface. J’entraînai donc Polumnie hors des appartemens, me proposant, à part-moi, de consoler cette belle veuve, de la venger bientôt des mépris d’un parjure, et enfin de devenir auprès d’elle l’heureux Adolphe. Nous partîmes donc, en fermant les portes sur nous, et, respectant le silence de ma triste compagne, je la remis à son logement, nous donnant parole le lendemain soir pour la revue de la