La Volonté et la Fortune

Librairie internationale de la pensée nouvelle (p. Titre-29).


G. A. MANN

LA VOLONTÉ DANS LA VIE

LA VOLONTÉ
ET LA
FORTUNE

CONFÉRENCE

PARIS
LIBRAIRIE INTERNATIONALE DE LA PENSÉE NOUVELLE
G. A. MANN, ÉDITEUR
15 Rue du Louvre, 15
1912




Tous droits de traduction et de reproduction réservés pour tous Pays
y compris la Suède et la Norvège.












LA VOLONTÉ et LA FORTUNE



Tout le monde paraît d’accord sur ce fait que la fortune résulte de la Volonté et non du hasard des héritages ou des loteries ; il est parfaitement vrai, que, sans volonté, l’homme ne saurait avoir le succès financier, que même s’il l’obtenait, ce succès provisoire ne tarderait pas à couler entre les doigts de son possesseur temporaire.

Il existe deux sortes de fortunes, celle qui dure, c’est-à-dire celle qui est stable, et celle qui disparaît au bout d’un temps plus ou moins court. Dans le premier cas, nous avons l’indication d’une volonté bien réglée, poursuivant un but bien déterminé ; dans le deuxième, nous voyons le résultat d’une volonté vacillante qui a besoin d’être consolidée.

Mais, dira-t-on, il arrive souvent que le hasard l’emporte sur la volonté la plus fortement trempée. Certes, si l’on va chercher des exceptions pour détruire une règle, on trouvera toujours des arguments qui, de prime abord, sembleront vouloir donner raison au contradicteur ; mais les faits qui, en apparence, peuvent détruire la théorie que je viens d’exprimer, ne sauraient résister à une analyse sérieuse et profonde. Nous pouvons donc, dès maintenant, ériger cette vérité en axiome et dire : il n’y a pas de fortune sans volonté, et permettez-moi d’ajouter : il n’y a pas de volonté sans fortune.

Vous aurez beau vouloir raisonner avec vous et vous dire : je suis pauvre et cependant j’ai de la volonté, donc la fortune n’est pas le résultat de la volonté. Vous aurez beau accumuler faits sur faits, preuves sur preuves, démonstrations sur démonstrations, vous vous butterez toujours contre ce que vous pourrez appeler chez moi un entêtement et un parti pris ; car jamais je n’abandonnerai cette conviction profonde basée sur des observations poursuivies pendant de nombreuses années, que l’homme de volonté doit se procurer, et sans l’ombre d’un doute, se procurera les avantages financiers et la position qui constituent la fortune, telle qu’on l’entend dans le monde.

Ne confondons pas volonté avec entêtement, ne confondons pas la volonté vraie, telle que je l’ai définie, avec ce que l’on appelle de la volonté mais qui n’en est pas, et qui consiste à vouloir forcer certains évènements à nous être favorables de la manière choisie par nous.

L’homme qui veut faire plier les événements en sa faveur est comme le roseau qui veut résister au vent, comme le papillon qui veut voltiger en hiver, comme l’individu isolé qui veut lutter contre la force publique, contre la force armée. On lutte bien, c’est vrai, mais on succombe toujours.

L’homme est en même temps le chêne et le roseau ; mais, dans son unité, en tant qu’homme, il possède, s’il a développé en lui la volonté réelle, le double avantage du roseau et du chêne ; il peut plier et rester droit ; en même temps, il peut se courber sous l’ouragan, comme il peut rester droit et essuyer l’orage ; et la flexibilité qu’il montre, alors qu’il peut rester droit et fier, est l’indication d’un premier état d’âme, état de volonté irrésistible, parce qu’il a su déraciner ce qui, en lui, était une faiblesse et un manque de volonté, il a su déraciner le vain orgueil qui l’empêchait de réussir.

Examinons, pour voir si j’ai raison, les personnes qui nous entourent. Nous sommes tous venus en contact avec des êtres humains possédant à côté de grandes vertus et de grandes qualités, d’immenses défauts, et nous disions : Ah ! si cet homme possédait seulement telle ou telle qualité, combien il se ferait aimer par ses semblables, ou encore, combien il se ferait estimer ! Lorsqu’un homme est aimé ou estimé de ceux qui l’entourent, il possède, pour combattre avec lui : la force, la puissance, les qualités et la fortune de cet entourage, il ne combat pas seul, il a, avec lui, toute une armée de dévouement et de bon vouloir.

Il faudrait tout un volume pour montrer le pourquoi et le comment de la question que nous traitons aujourd’hui, et ce n’est pas dans un simple entretien comme celui-ci, que nous pouvons entrer dans tous les détails ; nous devons, nécessairement, nous contenter d’indiquer, dans ses grandes lignes, la méthode qui mène à la fortune, et d’en poser les bases. Mais, en indiquant une marche à suivre, nous ne devons pas oublier qu’il ne nous sera permis d’adopter les principes que nous allons indiquer, que si nous avons déjà suivi attentivement, avec persistance et méthode, les indications données dans mon ouvrage intitulé : Le Développement de la Volonté par l’Entraînement de la Pensée.

Nous n’avons pas à être jaloux des succès d’autrui, nous avons dans notre propre pensée les mêmes attributs, les mêmes ressources que possédait celui qui est arrivé aux richesses ; il nous suffit de puiser à cette banque remplie d’or et de nous servir de cet or, non pas en le cachant dans un endroit obscur, non pas en le recouvrant de la poussière de notre indolence, mais en le faisant fructifier, et en le faisant fructifier honnêtement.

Certes, toutes les personnes qui ont confié des fonds à un banquier véreux, dans un but de lucre, pour le faire fructifier par des moyens qu’elles savaient ne pouvoir être honnêtes, toutes ces personnes ont été déçues dans leurs espérances ; mais si elles avaient connu les règles fondamentales de tous les succès dans la vie, si elles s’étaient mises en rapport avec cette merveilleuse justice automatique, dont je vous ai souvent parlé, et qui gouverne tous nos actes, elles n’auraient pas été frappées d’insuccès, elles n’auraient même pas éprouvé ce sentiment de lucre honteux qui fut la cause de leur chute.

On entend dire souvent que toutes les fortunes sont le résultat de la malhonnêteté. Il y aurait bien des choses à dire sur ce sujet mais le point sur lequel je voudrais ici expliquer mon opinion, est celui-ci : c’est que toutes les grandes entreprises, tous les grands travaux, toutes les grandes améliorations qui constituent le confort moderne, ont pu recevoir leur exécution à cause des vastes capitaux que les hommes riches ont mis à la disposition de ces entreprises, afin de permettre aux ingénieurs de les mener à bonne fin. Nous bénéficions de toutes les richesses ainsi aventurées et c’est là, précisément, ce qui augmente la richesse de chacun de nous.

Mais je ne suis pas venu ici pour parler à des capitalistes, nous ne sommes, ni les uns, ni les autres, des millionnaires. Vous désirez savoir, sans doute, quel est le moyen par lequel un homme, qui ne possède que les ressources d’un travail maigrement rétribué, peut arriver à augmenter ces ressources et à atteindre petit à petit, sinon la grande fortune, du moins le bien-être matériel auquel il aspire. Voilà bien, n’est-ce pas, ce que vous désirez savoir ?

J’ai dit tout à l’heure que la fortune résultait de la volonté ; il nous faut, avant de pouvoir atteindre le but proposé en suivant la voie que je veux vous indiquer, faire l’effort nécessaire pour développer en soi cet état d’âme qui constitue la volonté et qui n’est autre chose que la possession, mise en pratique, de toutes les qualités nécessaires et indispensables au succès commercial. Les deux principales qualités sont : Franchise et Loyauté. Si vous possédez ces deux qualités, vous ne pouvez avoir la vanité de vous croire supérieur à Jupiter, parce que l’on ne saurait posséder la franchise vis-à-vis d’autrui, si l’on ne possède pas, tout d’abord, la franchise vis-à-vis de soi ; or si vous êtes franc vis-à-vis de vous-même, vous devez vous voir tel que vous êtes, vous ne devez pas chercher à vous mentir à vous-même, en vous suggérant que vous êtes supérieur au voisin par la beauté, par l’esprit, par vos ancêtres et par ces multiples avantages existant seulement dans la pensée de l’orgueilleux, qui n’imite par le paon, simplement parce qu’il manque de plumes.

L’homme franc avec lui-même examine bien les qualités qu’il possède, non pas pour s’énorgueillir, mais pour savoir ce qui lui manque et améliorer ce qu’il possède. S’il a fait cela, il a accompli la plus grande merveille que l’homme puisse accomplir, il a accompli une merveille psychique qui non-seulement le mettra sur la voie de la fortune au point de vue financier, mais encore lui donnera la satisfaction intime résultant des nombreuses amitiés que l’on érige autour de soi et grâce auxquelles l’on se maintient toujours dans ce contentement profond dû au bon vouloir montré par nos semblables.

La franchise est la plus belle de toutes les qualités. En l’homme franc j’ai la confiance la plus entière, celui chez qui je surprends le moindre petit mensonge, la moindre hypocrisie m’inspire une certaine réserve, je fais un pas en arrière et je me dis : fais attention, voici un homme qui te trompe, et alors quelles que soient les qualités commerciales de l’homme qui s’est ainsi privé de la confiance que je lui accordais, quelle que soit son intelligence et quels que soient ses mérites et ses talents dont je puis avoir besoin, je ne puis l’amener dans mon intimité complète, je ne puis faire de lui une partie de moi-même, je ne puis, dans la position qui lui permettrait d’atteindre la fortune et la richesse, l’aider parce que je ne puis pas me confier à lui, parce que je le crains.

Souvent, très souvent, l’on se retire de quelqu’un dont le manque de franchise nous a inspiré la crainte, nous pouvons nous servir encore du talent de cet homme, mais nous nous en servons comme d’un instrument dont nous ne pouvons nous passer ; nous ne faisons jamais de lui un autre nous-même, nous ne l’aidons jamais à voyager sur le train rapide du succès dont la vitesse est augmentée de notre bon vouloir à nous, cet homme est comme la locomotive ancien modèle qui jette ses plaintifs poufs, poufs, et qui, si elle peut faire un service en plaine, ne saurait traîner après elle un attelage de wagons, ni même atteindre seule le sommet de la colline. L’image que je viens de vous présenter est l’image vraie de l’homme vrai, de l’homme sans franchise et de l’homme sans loyauté ; la loyauté, qui est une des vertus commerciales essentielles au succès, découlé de la franchise, mais elle n’est pas la franchise elle-même ! L’homme loyal est celui qui s’attache à une entreprise, à un directeur de maison ou à un but déterminé et qui ne voit que cette entreprise, ce directeur et ce but, qui n’a en vue que le succès proposé, qui ne cherche ni à droite ni à gauche les voies et moyens pour réaliser au détriment de l’entreprise ou de la direction un but personnel qui n’est pas l’intérêt général, qui, en un mot consacre ses forces tout entières au succès de l’œuvre à laquelle il collabore.

Je voudrais faire ressortir ici l’absolue nécessité d’être franc, honnête et loyal jusque dans les moindres replis et cela pour la seule raison que c’est, pour l’homme qui part du bas de l’échelle, pour l’homme qui n’a comme point de départ que sa volonté, que sa ténacité, son savoir et sa franchise, le moyen unique d’arriver au succès.

Comme vous pouvez vous en apercevoir, j’ai parlé pour l’employé d’une maison. Bien des jeunes gens seraient devenus des associés, auraient obtenu un intérêt dans l’entreprise à laquelle ils coopéraient, s’ils avaient eu cette franchise et cette loyauté dont je viens de parler, s’ils avaient eu cette unité que je recommande, et si, au lieu de passer leur temps à des choses insignifiantes, lorsqu’ils n’étaient pas surveillés, au lieu d’avoir cette hypocrisie que l’on croit nécessaire pour garder son emploi, s’ils avaient dit franchement oui lorsque c’était oui et non lorsque c’était non, ils auraient acquis certainement, de celui qui les employait, la confiance. Car remarquez, la grande difficulté n’est pas de trouver quelqu’un pour vous aider à travailler, mais la grande difficulté consiste à trouver quelqu’un qui veuille travailler et qui veuille travailler sans que l’on ait besoin d’être toujours « sur son dos » pour lui dire ce qu’il doit faire, la difficulté est de trouver quelqu’un qui veuille mettre sur ses épaules toutes les responsabilités qui lui incombent et en ajouter d’autres, oui, surtout en ajouter d’autres, car celui qui ne craint pas de prendre sur ses épaules le fardeau d’une entreprise, d’aider le Directeur de la Maison à porter ce fardeau, de prendre pour lui-même une part aussi grosse que possible, celui-là, et celui-là seul devient quelqu’un ; il devient quelqu’un parce qu’il ne peut pas ne pas réussir, il ne peut pas rester dans un emploi inférieur, il ne peut pas rester un employé, il ne le peut pas, la loi automatique et psychique sort de sa position et fait avancer, qu’il le veuille ou qu’il ne le veuille pas, cet être hardi, le pousse, le fait marcher en avant ; il est cet homme qui ne recule jamais devant aucune difficulté, devant aucun sacrifice et surtout devant aucune franchise et devant aucune loyauté.

Donnez-moi des hommes comme ceux que je viens de décrire, donnez-m’en 5, 10, 1.000, et je les mets tous dans les plus magnifiques positions qu’ils aient jamais connues.

Je suis Directeur de Maison, j’ai étudié la psychologie, et j’ai vu, oui, malheureusement, parfois je vois jusqu’au fond de l’âme de celui à qui je veux du bien et auquel je ne peux le faire, je ne le puis, parce qu’il ne veut pas être loyal vis-à-vis de l’entreprise qui lui donne sa vie, je ne le puis parce que je suis obligé de le surveiller ou de le faire surveiller, afin que son travail soit bien fait.

Rien au monde, rien n’est aussi beau qu’un homme franc, loyal et honnête, rien et rien ne réussit mieux, rien ne réussit aussi bien que la franchise, la loyauté et l’honnêteté telles que je les comprends.

Je connais un homme, et vous le connaissez vous aussi, que je pourrais vous nommer si je voulais. Depuis un an, il travaille pour permettre à trois personnes qu’il emploie de gagner davantage, depuis un an il fait un incessant effort pour pouvoir partager certains bénéfices qui doivent être réalisés dans le travail dont ils sont chargés, et depuis un an, cet homme perd de l’argent parce que deux d’entre eux n’ont pas voulu montrer cette honnêteté, cette loyauté et cette franchise qu’ils croient posséder mais qu’ils n’ont pas. Tromper son patron semble être la plus haute qualité qu’un employé croie bon de posséder et voilà pourquoi il ne réussit pas.

Jusqu’à présent nous avons parlé de l’homme qui désire faire son chemin dans la vie en s’attachant à quelqu’un qui a déjà réussi. Mais tout le monde ne cherche pas à suivre cette voie, il en est qui veulent être complètement indépendants, et devenir l’instrument individuel de leur propre succès. À ceux-là il faut de l’initiative, beaucoup d’initiative, énormément de courage, mais il leur faut aussi toutes les qualités, — toutes sans exception, — que j’ai indiquées au commencement de cet entretien. Il faut la franchise, la loyauté, il faut l’honnêteté entière et absolue, quiconque prétend que l’honnêteté ne mène à rien, que la franchise est un obstacle à l’avancement, que la loyauté est une barrière infranchissable dans le commerce et l’industrie, est un ignorant des choses de la vie.

Je ne veux nullement nier que certaines personnes aient gagné de l’argent et beaucoup d’argent par l’astuce, la tromperie, par des moyens inavouables, certains se sont même enrichis par le meurtre. Mais, laissez-moi vous demander, est-ce que vous appelez cela le succès, est-ce que cet homme à la figure de fouine, cet être à l’apparence véreuse est un homme dont la figure vous plaît, est-ce que vous en faites votre camarade de ce dévoyé ? Assurément non, vous allez parfois lui emprunter de l’argent, et vous avez tort, car l’argent emprunté n’amène pas le succès et il est toujours difficile à rendre.

Le commerçant qui emprunte, à moins que ce ne soit pour avoir en sa possession les capitaux nécessaires pour exécuter des commandes reçues fermes, commet une très grande maladresse. Je n’insisterai pas sur ces détails, car je ne puis m’occuper ici que des grandes lignes.

Il est des ouvrages, très savamment écrits, que chacun peut consulter sur ce sujet ; mais le plan principal, la voie large, grande, qui mène droit au succès, celle-là personne n’en parle, on ne montre pas que l’honnêteté, la franchise et la loyauté sont une trinité de forces, qui font avancer celui qui les possède, qui tiennent à l’arrière plan celui qui les ignore.

Donc, en première ligne pour tout homme qui veut réussir vient l’acquisition de la franchise, de la loyauté et de l’honnêteté, trois qualités ou vertus, comme vous voudrez les appeler, constituant l’essence même de la volonté et par conséquent l’essence du succès.

De l’initiative j’en ai déjà parlé, la confiance dans le but je l’ai recommandée dans mes conférences de l’année dernière. Quant au courage, il faut qu’il soit calme, le calme devant le succès ou devant la débâcle, n’est-ce pas la pierre de fondement sur laquelle la fortune puissante et stable viendra se poser.

Quand vous voyez l’homme, qui a chuté commercialement, se plaindre, larmoyer, vous vous refermez sur vous-même et vous vous dites ; manque de courage, manque de franchise ; il ne veut pas admettre que lui-même est la cause de sa débâcle, manque de loyauté peut-être, à moins que la chute ne soit dûe à un de ces cataclysmes sous lesquels succombent les plus forts, comme succombent les pionniers sous l’avalanche en faisant, au printemps, l’ascension des montagnes couvertes de neige. Aucune volonté, certes, ne peut empêcher pareils évènements de se produire, mais la volonté, si elle est ce que j’ai prétendu, c’est-à-dire un état d’âme, un développement de caractère qui font de l’homme un homme, cette volonté reconstituera, et en peu de temps, la fortune perdue et réparera les brèches de la maison ruinée, et s’il ne reste que la fondation de cette maison, la volonté de l’homme trouvera les matériaux nécessaires pour en refaire, rapidement la superstructure.

Le sourire devant la ruine est un instrument d’une puissance inouïe, puisqu’il montre l’homme ce qu’il est, il le montre homme de volonté.

Mais laissons de côté ce tableau à la fois sombre et magnifique et voyons maintenant le jeune homme au commencement de sa carrière, qui se pousse et qui veut monter ; il doit avoir besoin des connaissances spéciales, d’un savoir qu’il peut acquérir dans le commerce et dans l’industrie, mais malgré ses connaissances et l’expérience qu’il peut avoir comme employé, comme ouvrier, il lui faut acquérir cette autre expérience que lui créent les nouvelles difficultés et les nouveaux devoirs du chef de maison. On l’a bien blâmé ce chef de maison, oui, on lui a bien souvent jeté la pierre, mais combien rares sont ceux qui, au lieu de chercher à l’abattre, lui apportent la précieuse pierre de leur aide et de leur affection, pour lui permettre d’embellir cette terre où nous habitons et dont l’humanité veut faire un paradis.

Cette expérience qu’il faut posséder s’étend dans deux directions ; la conduite de l’affaire et la publicité. C’est ici et ici surtout que l’on rencontre la difficulté, car la publicité ne se fait pas seulement dans les journaux, elle ne se fait pas seulement dans les lettres que l’on écrit à un client, mais, elle se fait aussi par les paroles que l’on échange avec les acheteurs, et la nécessité de la franchise revient sur le tapis, la nécessité de l’honnêteté se fait sentir bien plus forte encore. La loyauté est tellement indispensable pour le commerçant ou l’industriel que s’il ne possède pas vis-à-vis de sa clientèle cette loyauté, que je recommande, eh bien, la clientèle ne le fera jamais monter à la cime du succès.

Qu’un commerçant vous trompe une fois, retournez-vous chez lui, je vous demande ? Le grand Barnum qui savait par excellence manier la publicité, disait cette grande vérité : on peut bluffer certaines personnes une partie du temps, l’on peut tromper d’autres personnes tout le temps ; mais on ne peut jamais tromper tout le monde tout le temps. Or, comme les personnes que l’on peut tromper tout le temps appartiennent à la catégorie des gens excessivement bornés, leur clientèle n’est pas suffisante pour mener au succès. Aussi, celui qui trompe végète, parce que sa clientèle est limitée, le genre humain étant composé de plus de gens intelligents que d’imbéciles.

Mais revenons à l’annonce, vous qui désirez devenir patron, savez vous faire l’annonce ? Voici encore un détail que vous avez à apprendre mais un détail qui est d’une importance dont peu se rendent compte ; il ne faut pas que l’annonce trompe, il faut, bien entendu, la faire tapageuse, il faut la faire sensationnelle ; mais lorsque l’on a promis dans cette annonce un objet à une valeur donnée, il faut que cet objet ait cette valeur, il peut être d’une valeur plus élevée mais il ne faut jamais qu’il soit d’une valeur moindre.

Maintenant arrivons à l’homme d’initiative qui s’appelle l’inventeur. Sur cent inventeurs, 99 ne réussissent pas, et peut-être la proportion de ceux qui ne réussissent pas est plus grande que celle que je viens d’indiquer, peut-être n’y a-t-il qu’un sur deux cents, un sur cinq cents ou un sur mille qui obtiennent, au point de vue fortune, le résultat qu’ils espéraient, cela dépend de deux choses : ou bien leur invention est vraiment grandiose et utile mais il y a des intérêts qui seraient lésés, ou que l’on croirait lésés si l’invention était mise sur le marché, ou bien l’invention ne présente pas l’utilité que l’inventeur lui reconnaît.

Un homme qui a travaillé pendant des années à certains perfectionnements a fait une idéation qui a mise son esprit dans un état particulier, il s’est tellement complu à voir les avantages du perfectionnement, qu’il oublie de vérifier si d’autres avant lui, n’ont pas travaillé dans le même sens ; c’est bien à cause de cela que notre système français de la protection des inventeurs n’est ni un système, ni une protection et afin de savoir si son invention a vraiment de la valeur, l’inventeur devrait aller demander son brevet soit en Angleterre, soit en Amérique, soit en Allemagne, dans les pays où l’on vérifie le mieux la valeur de la découverte présentée par l’inventeur pour être brevetée.

Bien des inventeurs ont dépensé des sommes qui eussent été mieux placées, si elles avaient été employées dans leur famille ; mais le but, qu’ils se proposaient d’atteindre, les excuse du sacrifice qu’ils se sont imposé, je vais plus loin en disant : que ce sacrifice leur fait honneur, fait honneur à leur sentiment, mais pas toujours à leur perspicacité, et le sentiment en affaires, en commerce, ou en industrie, est une bien pauvre qualité, tandis que la perspicacité jointe à la franchise, à la loyauté et à l’honnêteté est un levier puissant pour arriver au succès.

Donc, pour faire fortune que faut-il ? d’abord développer en soi cet état d’âme qui s’appelle la Volonté, et ensuite ne pas se leurrer soi-même ; il faut être perspicace, et avant de se leurrer pour son compte dans une entreprise difficile, dans laquelle il faut des capitaux énormes pour réussir, il faut posséder la perspicacité nécessaire pour voir si nous aurons ces capitaux, pour voir si nous aurons la force de nous mesurer avec ces immenses difficultés qui nous accableront de tous les côtés.

En France, dit-on, l’on ne peut réussir à devenir quelqu’un dans le commerce et l’industrie, que si l’on a de gros capitaux et je vous répète : si tel est le cas, pourquoi n’essaieriez-vous pas ailleurs, pourquoi ne visiteriez-vous pas d’abord les grands pays où l’industrie et le commerce fleurissent parce qu’ils sont dirigés par des hommes qui savent. Voyez le jeune Allemand, que fait-il ? Est-ce que vous croyez qu’il reste dans son pays ? Oui, assez longtemps pour apprendre les éléments de son métier, ou de son commerce, ensuite il s’expatrie, il va en Angleterre ou en Amérique, offre ses services à un prix très bas, se met à l’œuvre, travaille, travaille et travaille, petit à petit augmente ses connaissances et, quand il a acquis l’expérience que l’Angleterre ou l’Amérique lui a donnée, lorsqu’il possède la langue à fond, il plie bagage et vient à Paris ; il recommence chez nous ce qu’il a fait là-bas, offre ses services à un prix inférieur, se fait une position dans la maison dans laquelle il est entré, se fait bien voir du chef de maison par le dévouement qu’il lui montre et lorsque est arrivée l’heure où bientôt il pourra devenir son propre maître, il retourne chez lui, en Allemagne, se retrempe aux habitudes Allemandes, en devenant l’employé d’une maison de commerce identique au commerce qu’il veut lui-même entreprendre, enfin et lorsque le moment est venu, il sort franchement, loyalement et honnêtement de la maison qui l’a employé jusqu’à ce jour et commence pour lui-même, une maison qui deviendra prospère à cause de son travail et de l’expérience acquise.

Et voilà, Messieurs et Mesdames, comment on fait fortune par la Volonté.