La Voix de l’Éternelle

La Voix de l’Éternelle
Nouvelles Pages anthologiquesEugène Figuière et CieTome premier (p. 434-437).




La Voix de l’Éternelle


(fragment.)


L’Éternelle dont la voix d’aube fait l’aumône
D’hymnes d’or aux Enfants divins qu’elle baisa,
S’avance, au chant des fleurs, le front ceint des couronnes
Que leur amour de siècle en siècle lui tressa.

Sa beauté voile au ciel la grotte d’Hippocrène,
Et sous ses pieds mouillés le gazon resplendit,
— Un vol bleu de ramiers se jouait sur un frêne —
Puis m’indiquant les bords sacrés. Elle m’a dit :

— „Ma voix antique est douce ainsi que la prière
Dont on grisa tes beaux réveils d’enfant bercé,
Et mes yeux de légende incantent ta Chaumière.
Le long de ton verger, blanc de fleurs, j’ai passé.

Je suis celle qui porte un printemps de féerie
Dans ses habits aubes d’éternelles douceurs :
Ton luth saura ma joie, et, pour que tu souries,
Mes lèvres frémiront vers toi, comme des sœurs.

Entends hennir au loin mes palefrois d’aurore.
Les fleurs, dans la forêt chuchotante de nids.
Brûlent aux lueurs d’or que mes pas font éclore,
Sous mes pas ont tonné les réveils infinis.

Vers moi, seule, dans une aurore de mésanges,
Tes yeux, comme des lys qui s’ouvrent incertains.
S’éveillent, éblouis, de leur doux sommeil d’anges.
Et mes sourires clairs saluent tes blancs matins.

Ma beauté te conduit, par des sentiers de rêve.
Dans le soir infini des palmes et des fleurs ;
Ton cœur, comme un soleil resplendissant se lève
Et tu n’as pas connu les antiques douleurs !


Par le monde ébloui tu traînes ta besace,
Mendiant les sanglots que tu n’as pas soufferts.
Mais ma couronne ardente auréole ta grâce
Quand ton songe s’amuse aux plis des temples verts.

Tes yeux sont parfumés d’une enfance de roses,
Et sous tes pas heureux surgissent de doux chants,
Car tu vas, le front pur, dans la clarté des choses,
Saluant de ta foi le doute des méchants.

Sous les rameaux penchants ta beauté se déploie,
Les lys de mes baisers murmureurs ont laissé
Sur ta bouche le miel des enchantantes joies.
Et dans l’Azur mes bras de vierge t’ont bercé.

Enfant qui ne sais pas que les heures sont folles.
Vois 1 mes nymphes au seuil de tes édens errants
Agitent pour ta lyre un éveil d’auréoles :
Enivre-toi de vie et bois à mes torrents !

Puis, quand tes livres auront bu les pleurs sublimes,
Mes mains d’aube et d’éternité, mes belles mains,
Pour qu’un sillage lumineux te guide aux cimes.
D’impérissables fleurs fleuriront le Chemin.

Vers mon antique ciel, sans règles et sans poses
Tourne ta jeune Lyre et soumets à ta voix
Toute d’amour, la voix des hommes et des choses,
Puis vêts de tes rayons les mondes que tu vois.

Mais afin que ta joie aux seuls pauvres décèle
Le pain de rêve pur que tes mains m’ont ravi.
Prends encor les clartés de mes yeux. Je suis celle
En qui toute splendeur orgueilleuse revit !

Déjà des mannes d’amour ennimbent ton âme,
Et les flambois ont lui de mon beau Thyrse d’or
A tes bras surchargés de myrtes et de flammes :
Mes yeux t’ouvrent l’allégresse des Labrador !"



J’ai répondu: — „Mes sœurs s’effrayaient de l’Attente,
Le bois éparpillait ses colombes de lait
Sur l’enfance d’azur des sources sanglotantes.
Mais tes mains de soleil, aux faîtes, m’appelaient.


Loin du clocher natal et des ombrages calmes,
J’allais, comme un enfant qu’émerveillait l’espoir
De sentir sur son front la caresse des palmes ;
Ta foi saignait, vivifiante, dans le Soir !

Tes yeux riaient qui depuis toujours me désignent
Par les torrents d’iris une caverne où dort
La vierge que tu vêts d’une gloire de cygne.
A ton front scintillait un diadème d’or.

J’ai suivi le sentier grave, celui qui mène
Au mont clair des lauriers que ta voix m’a promis,
Et devant les flamboîments de ma Lyre humaine
S’inclinaient les fronts fiers des chênes insoumis.

Mes yeux, emplis de ciel, chantaient dans la lumière,
Mais les gaves jaloux revêtaient leur beauté,
Les roses comme pour me faire une prière.
Rougissantes, haussaient leurs trembleuses clartés.

Les abîmes ployaient vers moi leur grâce sombre
— Vaste éploiement de pins grondants et de genêts !
Plus haut, sur mes haillons splendides chassant l’ombre,
Des aiglons arrêtaient de grands yeux étonnés.

Puis, celle dont frémit au vent la verte mante,
Et dont l’âme est pour nous un enchantement sûr.
M’a dit, avec un joyeux chuchotis d’amante :
— Prends pour ta lyre d’or un peu de mon azur !

Jaillissantes des rocs — à me sentir près d’elles —
Les sources scintillaient avec de doux frissons.
Sur les hêtres l’aveu tremblait des tourterelles :
Il nous enchante de sa voix quand nous passons !

Les feuillages mouvants m’ouvraient de blanches sentes,
Les nids jasaient au vent de mes poèmes clairs.
Mais par les buis menus des roches bleuissantes
Des pâtres me suivaient éclaboussés d’éclairs.

Je marchais aux rayons de tes appels de flamme.
Parfois pour apaiser la plainte des ravins
Mon âme, en qui tu mis un reflet de ton âme.
Laissait mourir sur eux ses murmures divins.


Le soir j’ai rencontré la Vierge au front céleste
Qui me tendait sa lèvre aux pieds des rochers saints.
Des fleurs neigeaient dans les flamboîments de son geste,
Et les cygnes luisaient aux rives des bassins.

Et voici que, plus purs, mes chants, rafraîchis d’aube.
Célèbrent la Beauté selon tes chastes vœux.
J’ai dérobé ce myrte aux plis bleus de sa robe
Pour que l’éclat s’en mêle à l’or de mes cheveux.



Quand mon Luth, dont je pris les doux fredons en Grèce,
Epandra ton amour pour bannir leur douleur.
Les peuples rajeunis sauront mon allégresse.
Et me suivront épris de rythmes et de fleurs !

(Les Voix de la Montagne.)



Paroles matutinales
(fragment.)

Les délicieuses soûleurs
Dont s’emmousseline ton Rêve
Ont apothéose de fleurs
L’aurore rouge qui se lève.

Vois ! comme il pleut des pleurs de sang
Sur ta vaporeuse chaumière :
C’est le réveil éblouissant
De ton âme dans la lumière.

Entends l’aubade des buccins
Où se mêle le chant des rires :
Il passe comme un rouge essaim
De lèvres folles et de lyres.

Dans cette fête de splendeur
Où voltent de blondes ivresses,
Des séraphins pleins de candeur
Distribuent le pain des caresses.