La Vision de Pao-Ly - légende chinoise


LA
VISION DE PAO-LY


Quand on fait route vers le Levant, c’est avec un battement de cœur que l’on voit poindre du milieu des flots les rochers blancs de l’île de Malte et les imposantes murailles de la Cité-Valette. Si vous allez à Jérusalem, au Bosphore ou aux bords du Nil, combien de souvenirs s’éveilleront en vous à l’aspect de cet îlot fameux, que la Providence a jeté entre l’Afrique et la Sicile pour marquer le point où finit l’Occident et où l’Orient commence ! L’apôtre saint Paul y prit terre après son naufrage ; il bénit ce lieu, où l’Europe catholique devait établir un jour les fiers chevaliers auxquels était confiée la tâche d’arrêter les invasions de l’islamisme. Toutes les nations de l’ancien monde, tous les peuples modernes y ont laissé des traces de leur passage, depuis les Phéniciens jusqu’aux Romains, depuis les Grecs de Constantinople jusqu’aux Français de l’expédition d’Egypte. Un si glorieux passé se reflète encore assez bien dans les monumens nombreux de la Cité-Valette, vaste entassement de fortifications bâties sur le roc, de palais italiens, d’églises chargées d’ornemens, et de hautes maisons décorées de grands balcons projetant leur ombre sur des rues dont quelques-unes ne sont que des escaliers sans fin, rudes à monter et effrayans à descendre. Assurément, si Malte appartient encore à l’Europe, elle ne tient par aucun point à l’Occident. Au fond des fossés de la ville, ne voyez-vous pas se dérouler les feuilles immenses du bananier ? ne sentez-vous pas les rayons ardens d’un soleil presque tropical ? Cette brise si fine, qui agite à peine les flots transparens de la Méditerranée, ne vous convie-t-elle pas à partir pour les régions célèbres qui furent le berceau de l’humanité ? Malte apparaît donc au touriste comme la première halte d’un voyage en Orient : de là ses rêves l’emportent vers les Pyramides, vers le Saint-Sépulcre, vers la mosquée qui fut la basilique de Sainte-Sophie; mais au retour c’est autre chose. Si quelque cas de peste a éclaté au moment où il quittait ces beaux pays d’Orient, sujets, hélas! à tant de misères, Malte offre au voyageur la triste perspective d’un séjour plus ou moins long au lazaret. Dès lors l’île a perdu tout son charme. Et d’ailleurs, quand on revient chez soi après une longue absence, quand on a réalisé ses rêves, on veut rentrer au logis avec ses souvenirs tout chauds. Quand on est désenchanté, — ce qui arrive à plus d’un, — il est pénible de s’arrêter aux lieux mêmes d’où on s’était élancé avec l’espérance d’un vol joyeux, et surtout d’y rester captif dans la prison sanitaire qu’on nomme un lazaret. Celui de la Cité-Valette est situé au fond d’un des ports de la ville, au quartier de Marza-Musciette, que d’anciens auteurs ont appelé souvent Marsa-Mouchet.

Il y a quatre ou cinq ans, le hasard avait réuni dans le lazaret de Marza-Musciette quatre personnages qui revenaient de diverses régions de l’Orient. L’un était un peintre; ses crayons à la main, il avait parcouru le Liban pour dessiner des Maronites et des Druses dans leurs costumes pittoresques. Le second, touriste sans profession, rapportait de la Turquie d’Asie de très longues pipes, du tabac excellent et des yatagans d’un grand prix. Le troisième appartenait à cette classe de commerçans arméniens qui parlent assez bien une foule de langues, et voyagent sans relâche, pour les intérêts de leur négoce, de Constantinople à Marseille, de Smyrne à Livourne, d’Alexandrie à Trieste. Quant au quatrième, arrivé par la Mer-Rouge des pays de l’extrême Asie, Allemand et cosmopolite, il prenait plus de plaisir à la lecture qu’à la conversation. Sa malle renfermait un grand nombre de livres bizarres, de manuscrits orientaux, qu’il ne se lassait point d’étudier. De temps à autre, il jetait un regard discret sur les esquisses du peintre; lorsque le touriste lui offrait un chibouck, il le fumait dans l’attitude recueillie d’un rêveur qui apprécie les douceurs du far-niente. Avec l’Arménien, il échangeait quelques paroles insignifiantes pour le seul plaisir de s’exercer dans la pratique des divers idiomes qui lui étaient familiers.

De ces quatre reclus condamnés à rester sous les verroux jusqu’à ce qu’ils eussent purgé leur quarantaine, celui qui s’ennuyait le plus, c’était le touriste. Un soir qu’il avait joué tout seul une partie d’échecs, ne sachant plus que faire, il se mit à battre du tambour avec ses doigts sur une petite table placée devant lui. Cet agréable passe-temps l’occupait depuis une demi-heure. Après avoir battu toute sorte de marches, il venait d’exécuter ce finale de la retraite l’on nomme, je crois, la breloque, quand une idée lumineuse traversa son esprit : — Messieurs, s’écria-t-il avec impétuosité, si nous faisions tourner cette table?

— Ah! répliqua le peintre, qui dessinait dans un coin, près de la fenêtre, u n’en coûte rien d’essayer; mais, bah! une table sur laquelle se sont accoudés tant de gens contrariés par un trop long séjour dans cette prison, une table saturée d’ennui!... Nous n’en pourrons rien faire! Et puis, remarquez-le bien, entre nous quatre il n’existe pas cette unité de vues et de pensées qui peut agir sur un corps inanimé et le contraindre à obéir!

— Mais, mon cher, reprit le touriste, nous avons tous un désir commun, celui de sortir d’ici... D’ailleurs il s’agit surtout de passer une heure, de tuer le temps, rien de plus! Voyons, monsieur l’Arménien, faites-moi le plaisir de vous placer ici, à ma droite, et vous, monsieur le savant, à ma gauche, s’il vous plaît... Les mains sur la table, les doigts légèrement écartés, c’est cela...

L’Arménien souriait, tout en se prêtant par complaisance à un jeu nouveau pour lui, dont il ne comprenait qu’imparfaitement le sens. Le voyageur allemand, — ses compagnons le nommaient le savant, — remit ses lunettes dans leur étui, et s’assit à son tour; il ouvrait tout grands ses gros yeux myopes qui semblaient regarder en dedans. Sans avoir grande foi dans le succès de l’expérience, le touriste ne désespérait pas de réussir; depuis son départ d’Europe, combien d’initiés, gens du monde, érudits, curieux de toute sorte, avaient fait tourner, parler et écrire des tables et des guéridons! Enfin le peintre croyait tout de bon à l’influence de la volonté humaine sur un corps inerte : il prenait donc l’expérience au sérieux, et cherchait à communiquer à l’innocente table l’ardeur de sa pensée. Durant plus de dix minutes, il régna un silence complet, absolu. Les quatre voyageurs demeuraient dans une si parfaite immobilité, qu’on les eût pris pour ces personnages des contes orientaux changés en statues par la baguette d’un magicien. Bientôt l’artiste, cédant à une douce illusion, crut sentir la petite table tourner sous ses doigts. Pour la laisser obéir sans contrainte à ce mouvement de rotation si ardemment désiré, il se leva doucement. Sans se rendre compte de ce qu’ils faisaient, ses compagnons l’imitèrent; ils se redressaient peu à peu, comme s’ils eussent été subitement galvanisés. Le front chauve de l’Allemand s’inclinait vers le turban de l’Arménien; la barbe pointue du peintre touchait presque la moustache du touriste. Ils étaient là, tous les quatre, attentifs, silencieux, lorsque l’artiste s’écria d’une voix inspirée : — Elle tourne! — À ces mots, il se mit à tourner lui-même, entraînant dans une ronde dont le mouvement s’accélérait toujours le touriste à moitié convaincu, le savant essoufflé, et l’Arménien ébahi. Les quatre statues venaient de s’animer, et de se changer en de véritables fous, qui pirouettaient comme des derviches tourneurs, sans pouvoir s’arrêter.

Cependant le charme se rompit lorsque le savant, haletant et à moitié étourdi, quitta la table pour aller se jeter sur un divan.

— Vraiment, dit l’Arménien, voilà un jeu fort agréable, et que je ne connaissais pas! Comment l’appelez-vous?

— Elle tournait, demanda le touriste; en êtes-vous sûr?

— Si j’en suis sûr, répliqua le peintre, elle tournait si bien qu’elle m’entraînait, et vous aussi.

— Le fait est que nous avons valsé à perdre haleine et sans orchestre, dit à son tour le savant, qui s’essuyait le front. Cette ronde me rappelait les jeunes garçons qui tournent sur eux-mêmes, dans les fêtes de l’Inde, en décrivant des cercles fantastiques.

— Voyons, reprit le peintre, puisque nous sommes en veine, passons à une autre expérience. Je vais introduire ce crayon dans une corbeille, et la corbeille, sur laquelle je placerai mes deux mains, écrira ou dessinera d’elle-même tout ce que je lui commanderai.

L’artiste fit un premier essai. Le crayon avait tracé sur le papier un dédale de lignes confuses. — Voyez, messieurs, dit le peintre, quel est cet objet?

— C’est un chameau, dit l’Arménien.

— Un chien, dit le touriste.

— Pardon, messieurs, c’est une mosquée; seulement le crayon a barbouillé en quelques endroits.

— Allons, dit l’Allemand en regardant par-dessus ses lunettes avec un sourire, je vois bien que c’est le nuage montré par Hamlet à Polonius, et dans lequel le courtisan distingue tour à tour un chameau, une belette, une baleine...

— Dessiner ainsi est fort difficile, reprit le peintre un peu désappointé. Je vais ordonner à cette corbeille de tracer quelques mots. — Puis, parlant à sa corbeille : — Ecris! lui cria-t-il, écris! je te le commande.

Ce que le crayon avait écrit se trouva être du turc au dire de l’Arménien, du français selon le touriste. Quant au savant, interrogé à son tour, il se contenta de lever doucement les épaules et répondit : — Nous avons beaucoup mieux que cela en Chine! Vous voyez ce petit livre jaune, imprimé sur papier de riz, et que je tenais à la main ce matin encore? Eh bien! il renferme plus de choses merveilleuses que nous n’en pouvons accomplir et que nous n’en verrons jamais! Ah! l’Orient, l’Orient! ce n’est pas l’Asie-Mineure, ni l’Egypte, ni la Syrie; non, c’est l’Inde, le Thibet, la Chine, les contrées vraiment lointaines, qui ont conservé leurs antiques croyances, leurs religions terribles, étranges, toutes pleines de merveilleux...

— Que l’Inde soit la région des merveilles, je le crois volontiers, dit le touriste. Quant au Thibet, j’en ai peu entendu parler ; mais la Chine est un pays où règne le positivisme le plus absolu, si je ne me trompe, et voltaire a rendu lui-même hommage à la saine raison de son législateur, quand il a dit de Confucius :

Il ne parla qu’en sage et jamais en prophète.
Cependant on le crut, et même en son pays !

— M. de Voltaire a parlé de beaucoup de choses qu’il ne savait guère, répondit l’Allemand. D’ailleurs, il y a dans le Céleste-Empire plus d’une croyance, et nulle part on ne raconte plus d’histoires extraordinaires, nulle part il n’a été écrit plus de légendes fantastiques, depuis le recueil intitulé Histoires à réveiller le monde jusqu’aux fables inventées par ceux qui recherchent l’élixir de longue vie. Sans sortir de notre sujet, je sais une histoire qui se rapporte précisément à la tentative qui vient d’être faite au moyen du crayon fixé à la corbeille. Elle n’est pas longue ; la voici en substance.

Il y a six mois, je me trouvais à Shanghaï. Désirant connaître par moi-même jusqu’à quel point le dialecte des provinces méridionales de la Chine diffère de celui des districts du nord, je m’aventurai à une petite distance de la côte, dans la direction d’un gros village habité par des cultivateurs. Comme j’arrivais sur la place du marché, j’aperçus un bonze en robe jaune, à la figure béate, qui traversait la foule à pas comptés. Il tirait de sa longue manche de petits livres finement imprimés que les plus riches habitans du village lui achetaient avec empressement. Quand le bonze passa près de moi, je m’avançai pour faire emplette à mon tour de cette brochure, dont j’étais curieux de lire le contenu. Il va sans dire que j’étais déguisé en Chinois ; de plus, je cachais la couleur bleue de mes yeux derrière une paire de ces grosses lunettes rondes assez semblables à celles qui chevauchent sur le nez recourbé de Polichinelle. Le bonze, ne se doutant. guère qu’il eût affaire à un barbare, n’hésita pas à me vendre son petit livre. Quand je fus sorti du village, j’allai m’asseoir à l’ombre, en un lieu écarté, et je reconnus que j’avais entre les mains un de ces petits traités religieux composés par les bonzes pour l’édification des fidèles. Les ouvrages de ce genre se composent presque toujours d’histoires, de récits fort simples, rehaussés de quelques détails merveilleux.

Comme les Chinois sont des gens précis et méthodiques, leurs contes les plus invraisemblables commencent invariablement par ces mots : « En telle année, dans le district de..., dépendant de la province de… » À plus forte raison, le lieu et la date du véridique récit d’un fait surnaturel doivent-ils être soigneusement indiqués. Cependant j’omettrai d’en faire mention au début de cette histoire, et je me contenterai de dire que dans l’une des plus fertiles provinces de l’intérieur du Céleste-Empire vivait un honnête Chinois, élevé dans la religion bouddhique.

— Un honnête Chinois ? interrompit le touriste avec l’accent du doute.

— Un honnête Chinois, reprit le savant, probe, vertueux et fort occupé d’acquérir des mérites pour la vie future. Bien qu’il vécût dans la corruption du siècle, comme disent les bouddhistes en leur langage mystique, il nourrissait toujours l’espoir d’embrasser un genre de vie qui lui permît d’arriver à la perfection. Il était marié et père de famille. Sa femme, encore jeune, avait le visage arrondi comme la pleine lune, une bouche petite et fraîche qui ressemblait à une cerise, une taille élégante et flexible comme la tige du saule, en un mot tous les avantages qui distinguent une beauté chinoise. Ses enfans, pleins de santé, s’ébattaient autour de lui. Il pouvait se dire heureux et passer doucement ses jours sans inquiétude du lendemain ; mais, habitué à réfléchir et ne perdant jamais de vue la responsabilité qui pèse sur l’homme à tous les instans de la vie, il s’imposait souvent des jeûnes et des mortifications. C’est qu’il lui arrivait parfois d’écraser en marchant de petits insectes, et de manger certains légumes dont l’usage est défendu à ceux qui suivent rigoureusement les préceptes de la loi bouddhique. Et puis il aimait un peu le vin ; mais il en usait modérément. Oh ! qu’il était petit buveur ! Avec deux ou trois verres, il en avait assez. Consciencieux dans toutes ses actions, sincèrement religieux, il partageait ses heures entre la culture de son petit domaine et la lecture des livres de morale. L’ordre et la paix régnaient dans sa paisible demeure. Il priait beaucoup, roulait fréquemment le rosaire entre ses doigts, invoquant le nom de la divinité objet de son culte, et cherchant à maintenir dans une tranquillité parfaite son cœur et son esprit. En attendant qu’il arrivât à la perfection, objet de ses constans désirs, il pratiquait la vertu, et gardait précieusement le trésor de la sagesse.

Notre homme, — il se nommait Pao-ly, — venait d’atteindre sa quarantième année, quand une affaire importante l’obligea de partir pour la province de Kiang-nan. Il en profita pour aller visiter le district si célèbre de Sou-tchéou. Les Chinois ont coutume de dire, en parlant de la capitale de ce district : « En haut est le paradis, en bas est Sou-tchéou. » Les Européens qui l’ont vue la comparent à Venise, avec cette différence que la reine de l’Adriatique est bâtie sur la mer, tandis que Sou-tchéou est coupée en tous sens par de simples canaux d’eau douce. Les brodeurs et les ouvriers en soie y ont plus d’habileté qu’ailleurs ; les dessinateurs qui leur fournissent des modèles déploient plus d’art, de fantaisie et d’imagination que leurs confrères des provinces du nord. Nulle part on ne voit d’aussi habiles comédiens, de plus hardis danseurs de corde, de plus merveilleux joueurs de gobelets. Où trouver des femmes qui aient la taille aussi souple et les pieds aussi petits ? Ajoutez à cela que, grâce à la douceur de son climat, cette ville privilégiée, qu’entoure une riante campagne, regorge de fruits savoureux.

Un pareil lieu vaut bien la peine d’être visité ; les riches et les oisifs y viennent en foule, des divers points de la Chine, pour y mener la douce vie d’épicuriens. Le sage Pao-ly ne fit que traverser ce séjour dangereux ; il prit un bateau qui le conduisit à un lac fameux situé au milieu de montagnes pittoresques. Sur ce lac, nommé Taï-hou, erraient gaiement une foule de gondoles dirigées par de sveltes jeunes filles, qu’un esprit romanesque aurait volontiers comparées à des fées ou aux génies des eaux. Elles riaient et chantaient en poussant leurs barques légères ; cependant leurs chants ne troublèrent point le cœur de Pao-ly. Quittant ces bords charmans, il se mit à gravir la montagne à la recherche d’un lieu solitaire où il pût méditer en silence. A mesure qu’il s’éloignait du lac, les bruits du monde se taisaient autour de lui. Aux voix humaines, aux chants joyeux célébrant le plaisir, succédait le gazouillement des oiseaux voltigeant sur les branches des arbres. Le bruit du vent, pareil à celui de la vague qui expire sur un lointain rivage, semblait un soupir s’élevant du fond des ravins pour monter jusqu’au sommet des montagnes.

Avec quelle joie Pao-ly s’enfonça dans cette solitude ! Les bras croisés sur la poitrine, les yeux à demi fermés, il marchait en méditant et en priant. Il pensait alternativement à sa femme, à ses enfans, au petit domaine qui prospérait par ses soins ; mais ce bonheur terrestre ne valait pas pour lui la douce quiétude de ceux qui, ayant renoncé à tout, vivent en solitaires dans les forêts pleines d’ombre. L’automne se faisait déjà sentir ; le vent qui porte la gelée chassait au ciel des nuées blanches et transparentes qui effleuraient dans leur vol la cime des rochers. Les arbres de la forêt se teignaient de nuances dorées et violettes qui faisaient mieux ressortir le vert foncé des sapins. Sous les pas de Pao-ly tombaient par centaines les feuilles jaunies, frappées de mort, que le plus léger souffle de la brise arrachait à la branche. Il y avait dans ce paysage une mélancolie profonde. L’année, arrivée à son déclin, a de ces tristesses indicibles qui gonflent le cœur de l’homme et remplissent de larmes =ses paupières. À ces momens-là, nous sentons que les arbres robustes qui sèment sur nos têtes leurs dépouilles flétries vivront plus que nous, et nous nous prenons de pitié pour ces feuilles qui, une fois tombées sur la terre, ne reverdiront jamais. L’aspect de la nature en automne nous fait donc penser à notre dernière heure ; mais chez ceux qui croient, comme notre voyageur chinois, aux existences futures et à la migration des âmes, ce spectacle éveille l’idée des innombrables morts qu’il leur faut subir jusqu’à la complète expiation de toutes leurs fautes. — Heureux les sages qui en une seule vie ont acquis assez de mérites pour ne renaître jamais ! disait tout bas Pao-ly. Que ne suis-je de ceux-là ! — Marchant toujours, il pénétra dans une forêt de sapins séculaires ; l’ombre y était si épaisse que jamais, au plus fort de l’été, les rayons du soleil ne s’y frayaient un passage. Là des bonzes vivant dans la retraite s’occupaient à lire des textes sacrés. Répétant à demi-voix les prières sacramentelles, ils erraient calmes et le visage épanoui dans ce demi-jour mystérieux, pareils à des ombres. Les grands sapins qui gardent éternellement leur feuillage, que l’hiver n’altère pas, et qui semblent jouir d’un printemps perpétuel, convenaient à la méditation de ces pieux personnages, sur lesquels les saisons comme les années passaient sans marquer leurs traces. Pao-ly croyait rêver : étaient-ce des hommes comme lui ou des êtres purifiés par la prière qu’il voyait passer devant ses yeux ? Il regardait avec un certain effroi ces religieux au front calme, parvenus au dernier degré de l’indifférence et de la quiétude, qui, sans lui adresser la parole, se tournaient vers lui comme pour lui dire avec leur sourire bienveillant : N’est-ce pas que l’on est bien ici ?

Mais sous l’ombre opaque des sapins souillait une brise froide ; Pao-ly cachait ses mains dans ses longues manches, et marchait droit devant lui en grelottant. Sans se l’avouer, il cherchait le soleil et la lumière. Peu à peu les habitans de la mystérieuse forêt disparurent dans l’ombre, et le voyageur aperçut du côté du couchant une clarté rayonnante vers laquelle il se mit à courir. À l’horizon se dressait une haute montagne, inondée de lumière et séparée de la forêt par un ruisseau profond et rapide. Des oiseaux plongeurs, au bec rouge, au plumage blanc comme la neige, se promenaient lentement sur les eaux, touchant alternativement les deux bords du ruisseau. Ils allaient d’une rive à l’autre, tantôt s’enfonçant sous les flots écumeux, tantôt s’aidant pour voguer de leurs longs pieds palmés, tantôt encore se berçant sur leurs grandes ailes.

— Oiseaux trois fois heureux, pensait Pao-ly, que ne puis-je franchir comme vous l’obstacle qui me tient éloigné de cette montagne !

Comme il se parlait ainsi à lui-même, une petite nacelle, si légère qu’elle semblait danser sur l’eau, vint de son côté en fendant le courant. Elle était montée par un vieillard à la blanche chevelure, au visage frais et doux.

— Venez, venez, dit le vieillard à Pao-ly ; n’enviez à ces oiseaux ni leurs ailes, ni leurs pieds palmés…

Pao-ly hésitait à monter sur la nacelle, qui lui paraissait trop faible pour porter deux personnes. Le vieillard l’appelait par ses gestes, il lui tendait la main ; mais il jaillissait de son œil, qui brillait comme le diamant, un éclat surnaturel. Pao-ly, incapable de supporter ce regard étincelant, baissait les yeux et demeurait immobile. Tout à coup le vieillard, l’attirant à lui, le fit asseoir dans la nacelle. Le courant entraîna le léger esquif avec une rapidité effrayante. De chaque côté, les flots écumeux effleuraient le bord. Épouvanté de traverser les eaux aussi vite que la flèche fend les airs, Pao-ly voulut pousser un cri ; le son expira sur ses lèvres. Il venait de découvrir que le vieux nautonnier aux cheveux blancs ne pesait pas plus qu’une ombre. L’esquif, poussé par une force invisible, voguait comme l’on vogue dans les songes, et comme voguent les nuées, sans effort, sans secousse, partant sans danger.

Toutes ces circonstances auraient dû rassurer Pao-ly ; mais l’homme a toujours peur quand il est en présence d’un fait merveilleux. Il ne pouvait se décider à regarder en face son compagnon aux yeux de diamant ; encore moins osait-il se mouvoir dans la crainte d’imprimer un mouvement d’oscillation au frêle esquif, qu’il savait pourtant être insubmersible. Il inclinait la tête, et regardait en bas. Les flots bouillonnaient avec bruit, ne reflétant dans leur miroir ridé par la violence du courant rien autre chose que les nuées blanches errant à travers le ciel. Peu à peu une forme humaine se dessina confusément sous les eaux ; cette image, d’abord vague et à peine visible, devint plus nette : elle suivait la marche de la petite nacelle. Pao-ly la considérait malgré lui avec la terreur qu’inspire la vue d’un spectre. Une sueur froide coula bientôt de ses tempes, et son cœur se serra. En proie à une inexprimable angoisse, il se dressa de toute sa hauteur, en interrogeant du geste le vieillard assis à ses côtés.

— L’avez-vous reconnu ? demanda tranquillement le nautonnier à la chevelure blanche.

— C’est moi, c’est moi-même, balbutia Pao-ly.

— C’était vous tout à l’heure, ce n’est plus vous maintenant, répliqua le vieillard. Vous avez dépouillé le vieil homme, l’homme de corruption… Laissez s’en aller au gré des flots et sans la regretter cette dépouille mauvaise dont le poids empêche les hommes de s’élever jusqu’à la région des esprits. Vous êtes purifié, renouvelé, digne d’aborder à cette montagne sacrée où de saints personnages, qui ont atteint à la perfection, vivent de la vie naturelle !…

En achevant ces paroles, le vieillard déposa sur l’autre rive du torrent le pauvre Pao-ly, surpris et troublé. Lorsque celui-ci eut pris terre, son premier mouvement fut de se tâter ; il lui manquait quelque chose, cette dépouille que les flots emportaient avec les souillures passées… Un soupir s’échappa de sa poitrine ; il aurait voulu demander au vieillard si, en dépouillant le vieil homme, une partie de son cœur ne lui avait point été enlevée !… Mais l’esquif ne se montrait plus à ses regards. Il n’apercevait, sur les flots tourmentés du torrent, rien autre chose qu’un cygne blanc qui voguait avec fierté, le cou rejeté en arrière, l’aile entr’ouverte.

Pao-ly regretta peut-être un instant de s’être aventuré dans ces hautes régions. Lorsqu’il comprit que tout moyen de retourner en arrière lui était enlevé, il leva les yeux sur la montagne lumineuse dont l’éclat l’avait attiré et reprit courage. La montagne qui s’offrait à sa vue était en grande partie stérile. À peine si quelques arbres, au maigre feuillage, poussaient entre les rocs. Un petit sentier, bordé de plantes épineuses, s’ouvrait devant ses pas ; il le suivit et arriva bientôt à une caverne spacieuse dans laquelle les rayons du soleil pénétraient librement. Tout au fond de cette grotte, décorée à l’intérieur de colonnes et de chapiteaux, se dressait la statue de Bouddha, que les Chinois appellent Fo. Les jambes croisées, le doigt levé, la divinité, au visage aplati, aux lèvres épaisses, aux oreilles pendantes, semblait trôner au milieu d’un nuage d’or. Pao-ly se prosterna devant la sainte image et fit une longue prière. Quand il se releva, il aperçut un morceau de bois, en forme de pinceau, suspendu à la muraille au moyen d’un anneau de fer. C’était comme un mince fuseau de bois, sculpté dans toute sa longueur et pareil à ceux dont se servent les Chinois pour tracer les caractères de leur écriture, mais à l’extrémité duquel on n’avait point ajouté la touffe de poils de fièvre qui doit tremper dans l’encre. Sous ce pinceau d’un nouveau genre se trouvait une planche carrée et recouverte d’une couche épaisse de sable fin. À côté de la planche, un bonze, accroupi sur une natte, se livrait à la méditation.

Ce bonze était le gardien du sanctuaire. Pao-ly le salua par trois fois en appuyant son front sur la terre, et lui demanda ce que signifiaient la table couverte de sable et le pinceau suspendu au plafond de la grotte. — Je vais vous le dire, répondit poliment le bonze. Quand les hommes du siècle ont quelque pensée qui les trouble, que peuvent-ils faire ? Rien autre chose que d’accomplir des actes extérieurs de piété, brûler des parfums, s’agenouiller devant les images. Mais, moi, je sais des formules magiques par lesquelles je puis obtenir pour eux, du dieu que je sers, une réponse aux doutes qui les inquiètent. J’invite le dieu à descendre ; il vient, il écrit lui-même la réponse aux questions que les fidèles lui adressent du fond de leur âme, et ceux-ci se retirent consolés et éclairés.

Quand il entendit ces paroles, Pao-ly fut transporté de joie. — Enfin, pensa-t-il, les moyens d’arriver à la perfection que je cherche vont m’être révélés aujourd’hui. — Rentrant en lui-même, il se rendit cette justice, qu’aucune pensée fâcheuse ne troublait son cœur. Exempt de chagrin, à l’abri de toute inquiétude, ferme dans sa foi, ne s’était-il pas élevé au-dessus de ce monde corrompu assez haut déjà pour acquérir, en partie du moins, la grande quiétude que les bouddhistes considèrent comme le dernier mot de la sagesse humaine. Cependant il lui restait à apprendre une chose essentielle, la manière de s’identifier par la méditation avec le Grand-Être, en qui se résument les mondes visibles et invisibles. Sans communiquer sa pensée au bonze, il forma secrètement le vœu d’apprendre à bien prier.

Pendant qu’il s’arrêtait à ce pieux désir, les parfums brûlaient dans le sanctuaire, et le bonze répétait des paroles magiques. Prosterné le front contre terre, Pao-ly priait avec ferveur : « Dans mon aveuglement stupide, je passe mes jours au milieu des folles joies du siècle et des douceurs d’une vie facile. J’élève mon esprit vers Bouddha sans savoir si mes prières sont bonnes, sans connaître si j’acquiers des mérites qui diminuent pour moi le nombre des existences à venir ; je supplie donc instamment le Grand-Immortel de m’éclairer et de m’enseigner à le prier convenablement. » Relevant alors la tête, Pao-ly s’informa auprès du bonze s’il pourrait obtenir une réponse à la demande qu’il venait de formuler en son esprit.

Le bonze se contenta de lui montrer du doigt le pinceau de bois qui se mit à se mouvoir lentement de droite à gauche. Sans qu’une main humaine le dirigeât, l’instrument traçait sur le sable des caractères parfaitement visibles dont voici le sens :


« Priez Bouddha avec une entière dévotion ; c’est la pierre philosophale.

« Priez le Grand-Immortel en l’invoquant par tous ses noms, c’est comme si vous épuisiez à chaque fois un tour de roue[1].

« Priez les reliques avec ferveur, et vous serez victorieux de la vie et de la mort.

« Priez toujours, vous resterez étroitement uni aux saints et aux sages.

« Priez par la pensée, vous ne serez point emporté par le torrent de la corruption.

« Priez par le cœur, et vous demeurerez pareil à une blanche nuée.

« Priez, et vous découvrirez les mystères les plus subtils, vous pénétrerez ce qu’il y a de plus caché dans les secrets de la vie.

« Priez en récitant les formules sacramentelles, et vous vous préparerez à l’immortalité. »


Bien qu’elles fussent écrites sur le sable, ces paroles n’étaient point de celles qu’un bouddhiste zélé laisse passer sans en orner sa mémoire. A mesure que le pinceau magique les traçait sur la planche, le vieillard les transcrivait sur une pièce de soie. Quand la copie fut achevée, il la présenta à Pao-ly, qui en prit lecture et reconnut, après l’avoir étudiée quelques instans, que ces sentences répondaient parfaitement aux questions qu’il avait formulées dans le silence de la méditation. Il ne lui restait plus qu’à mettre en pratique ces divins préceptes ; sa résolution fut aussitôt prise de quitter sa famille et de se consacrer entièrement à la prière pour arriver enfin à cette perfection tant désirée.

Cependant le jour baissait, et les ténèbres se répandaient dans le sanctuaire. Conduit par le bonze dans une petite grotte voisine de celle où venait de s’accomplir le prodige, Pao-ly réfléchissait sur le sens des paroles que le dieu avait dictées au pinceau magique. Il se promettait d’être plus attentif aux choses spirituelles, de prier à l’avenir avec plus de ferveur, de marcher avec une foi plus vive dans la voie qui conduit à la libération finale. La nuit s’avançait ; la lampe allumée au fond de la grotte ne lançait plus que des lueurs douteuses. Assis près d’une table sur laquelle se trouvaient placés tous les ustensiles dont les Chinois se servent pour peindre les caractères de leur langue, le voyageur prit machinalement un pinceau. Ce pinceau paraissait n’avoir pas servi depuis longtemps, il était sec ; mais à peine Pao-ly l’eut-il posé sur une feuille de papier que la touffe de poils de lièvre, imprégnée d’une encre fine et luisante, se mit en mouvement d’elle-même. Pao-ly méditait toujours ; ses yeux se fermèrent, sa lampe s’éteignit… Quelle ne fut pas sa surprise d’apercevoir le lendemain matin, quand les premières lueurs de l’aube vinrent éclairer le fond de la grotte, sept stances régulièrement tracées, et d’une écriture qui ne ressemblait en rien à la sienne ! Voici ce que disaient ces stances :


« À quoi bon disputer sur les choses abstraites et parler de formules magiques ? — à quoi bon s’appliquer à pénétrer les choses mystérieuses et à approfondir les secrets de l’existence ? — à quoi bon abandonner ses occupations et se retirer du milieu des hommes ? — à quoi bon élever la voix et lire d’un ton sonore pour se faire entendre des autres ? — à quoi bon former des vœux et demander une félicité parfaite ? — à quoi bon se retirer dans les couvents et se raser la tête ? — à quoi bon mendier le repas maigre aux portes des maisons, et frapper le tambour[2] devant les porches des palais ? — Il faut seulement avec sincérité, avec une foi parfaite, avec un vrai repentir de ses fautes, dans la solitude de son cœur, prier le Grand-Immortel. »


Ainsi donc, non-seulement la nuit avait porté conseil au voyageur, mais encore il s’éveillait plus instruit qu’il ne l’était en s’endormant. Voilà une de ces merveilles dont on ne voit des exemples que dans l’extrême Asie ! Cependant un doute sérieux tenait en suspens l’âme du pieux Pao-ly. Obéirait-il aux paroles tracées la veille sur le sable, devant l’image et pour ainsi dire par la main du dieu, paroles solennelles et qui semblaient le convier à suivre son premier dessein d’embrasser la vie religieuse pour prier toujours ? Prendrait-il pour règle de conduite les autres paroles écrites d’une façon mystérieuse aussi, et qui l’invitaient visiblement à rentrer sous son toit pour y pratiquer les vertus de son état et accomplir au milieu du monde les actes de sa religion ? Il flottait incertain entre ces deux partis, ne sachant auquel s’arrêter. Était-ce une inspiration d’en haut ? était-ce simplement une pensée d’orgueil qui le poussait à tendre vers la perfection ?

— Combien il se glisse parfois de vanité secrète et de recherche de soi-même dans nos meilleures pensées ! se disait Pao-ly. Je suis heureux chez moi ; n’est-ce pas tenter le sort que de vouloir à tout prix atteindre à un plus grand bonheur en ce monde ? — Peu à peu il reporta ses regards vers la terre ; il vint à songer à sa femme si tendre et si soumise, à ses enfans si respectueux et si gentils, à ses champs couverts de belles moissons, à sa maisonnette si bien plantée au rebord d’une rivière. Il avait coulé des jours tranquilles dans ce domaine héréditaire que ses aïeux avaient cultivé de père en fils, où ils avaient fermé les yeux. Quoique petit buveur, il savourait volontiers un verre de vieux vin, et toujours au fond du flacon il retrouvait la gaieté et la liberté d’esprit. Ces pensées amenèrent une larme dans les yeux de Pao-ly ; il soupira et résolut de regagner sa maison en répétant tout bas les sept stances qui commencent par ces mots : « A quoi bon….. » Pour cette fois, disait-il, c’est une affaire manquée ; à une prochaine existence, si je renais sous la forme humaine, je saurai mieux m’y prendre.

À ce moment, un profond sommeil s’empara de ses sens ; il lui semblait revêtir quelque chose du vieil homme qu’il avait dépouillé en voguant vers la montagne sacrée. Sans se trouver plus alourdi, il se sentit comme doucement réchauffé. Après avoir dormi longtemps, Pao-ly s’éveilla tout de bon, fort surpris de se voir logé dans une hôtellerie située aux bords du lac Taï-hou. Il ne put jamais se rappeler quelle route il avait suivie pour atteindre la montagne habitée par les immortels, ni comment il était revenu aux lieux plus humbles qui sont la demeure des fragiles humains. Depuis lui, combien de pieux personnages ont cherché le chemin qui mène à ces demeures tranquilles, et fait le vœu d’aller en pèlerinage jusqu’à la grotte où le pinceau enchanté trace sur le sable des caractères magiques ? Mais, hélas ! les rameuses qui conduisent les barques du lac Taï-hou ne sont point les pilotes qui conviennent pour guider le pèlerin à ces lieux de sanctification. On peut dire que la route est à jamais perdue…

— Ma foi, dit le touriste, quand la Chine sera ouverte aux Européens, j’irai peut-être faire un petit voyage aux environs de ce lac. En attendant, je reconnais avec vous que les Chinois ne manquent pas d’une certaine imagination.

— C’est vrai, ajouta l’artiste, mais dans leurs récits comme dans leurs peintures la perspective fait toujours défaut ; ils entassent les détails sans tenir compte des plans.

— Vous avouerez au moins que le crayon magique avait écrit sur le sable des lignes parfaitement lisibles, reprit le savant ; les stances tracées avec de l’encre sur le papier, sans le secours d’une main humaine, ne laissent pas non plus que d’être fort intelligibles. Aussi l’histoire ajoute-t-elle que Pao-ly en fit de nombreuses copies qu’il distribua dans toutes les villes et dans tous les villages de la province. Son aventure fit grand bruit ; elle lui valut la réputation d’un homme fort avancé dans les voies de la sagesse, et les bonzes l’ont fait imprimer afin d’éclairer sur leur vocation véritable ceux qui seraient tentés de se croire appelés à la perfection.

Trop sérieux pour prêter l’oreille à des histoires fantastiques, l’Arménien avait fermé les yeux pendant tout ce récit ; il parut se réveiller lorsqu’on apporta le café. Alors aussi le peintre, qui n’avait cessé de dessiner, présenta triomphalement à ses compagnons une charmante esquisse représentant une mosquée avec des palmiers. — Eh bien ! messieurs, dit-il avec assurance, voilà pourtant ce qu’a dessiné la corbeille ; je n’ai fait que repasser les traits et jeter des ombres çà et là…

— Et l’autre papier sur lequel la même corbeille avait écrit une phrase mystérieuse ? demanda le savant.

— Le voici, répliqua le touriste ; à force d’application, j’ai déchiffré ces mots : « Puissions-nous sortir demain de cette maudite quarantaine ! »

Amen, amen, ajouta l’Arménien en savourant son café.


Th. Pavie.
  1. C’est-à-dire comme si vous effaciez à chaque fois du livre de la vie et de la mort une des existences futures auxquelles vos fautes vous ont condamné.
  2. Les bonzes chinois ont coutume de frapper sur un tambour pour se faire entendre des personnes auxquelles ils demandent le repas maigre qui compose leur nourriture.