La Virulence du Sexe

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La Virulence du Sexe

Une cuisinière qui achète des harengs est bien embarrassée pour choisir, sans leur ouvrir le ventre, ceux qui sont, comme disent les marchands parisiens, laités ou ovés ; c’est que, chez ces poissons, les différences sexuelles extérieures sont très minimes ; il est vraisemblable que les différences physiologiques et psychologiques qui séparent les mâles des femelles n’ont également que peu d’importance ; le mâle laisse sortir sa laitance, la femelle ses ovules et, même dans cette fonction si sexuelle, les deux sexes se comportent d’une manière analogue ; il n’y a que le produit rejeté qui diffère. Nous devons donc penser que si les harengs constituaient une société comme la société humaine, il n’y aurait aucune distinction établie entre les mâles et les femelles dans la législation ; le sexe serait considéré comme une chose secondaire, n’ayant pas plus d’influence sur les capacités des individus que n’en ont, parmi nous, le timbre de la voix et la couleur des cheveux.

Beaucoup d’animaux se comportent, à ce point de vue, comme des harengs ; il n’y a aucune différence entre les oursins mâles et les oursins femelles, sauf quant à la nature du produit sexuel rejeté. Chez les pigeons, la différence, sans être encore bien considérable puisque nous ne savons pas non plus distinguer, sans dissection, le sexe d’un de ces animaux, s’accroît cependant du fait qu’il y a accouplement et que le rôle des deux sexes dans l’accouplement n’est pas le même.

Il est facile d’établir une gradation ininterrompue dans le règne animal, entre les animaux chez lesquels les différences sexuelles extérieures sont nulles comme chez les oursins et ceux où elles sont extrêmement accusées comme cela a lieu, par exemple, chez la bonellie et chez certains crustacés parasites. La bonellie est un ver marin dont le mâle, microscopique, est parasite dans la trompe d’une femelle mille fois plus grosse ! S’il y avait une société de bonellies, les mâles ne seraient sûrement pas consultés pour l’administration des Affaires publiques.

Entre les deux extrêmes il y a une infinité dé types intermédiaires dont bien des exemples sont présents à l’esprit de tout le monde ; le coq et la poule, le cerf et la biche, le lion et la lionne, etc… L’homme occupe, dans cette série, une situation moyenne ; son dimorphisme sexuel, très considérable par rapport à celui des pigeons, est très minime par rapport à celui des bonellies ; mais, indépendamment des différences morphologiques, il existe chez tous les mammifères une spécialisation du travail reproducteur ; le mâle se contente de fournir ses éléments mâles ; la femelle porte dans son sein, pendant un temps plus ou moins long, les jeunes embryons résultant de l’accouplement, et il est évident que pendant l’accomplissement de cette fonction de gestation et pendant l’allaitement qui la suit, il y a quelques inégalités nouvelles dans les capacités fonctionnelles des deux sexes. Nous ne devons pas, cependant, nous exagérer ces différences ; chez les mammifères autres que nous-mêmes, nous ne voyons pas que la gestation et l’allaitement modifient bien profondément les différences d’aptitudes existant en dehors de la période spéciale de reproduction. Occupons-nous donc d’abord de ces différences d’aptitudes, sans songer aux complications qu’entraîne la vie intra utérine des fœtus.

Les biologistes ont été amenés à considérer que les glandes génitales sont, dans l’organisme des individus sexués, de véritables parasites, nés de l’organisme même qui les contient et capables de le reproduire ; il y a là une génération alternante, dont nous n’apercevons pas généralement le terme intermédiaire parce qu’il est informe et logé au sein de nos tissus. La chose est plus nette chez la fougère ; ses spores donnent naissance, sur la terre humide, à un prothalle qui ressemble à une algue et non à une fougère ; puis sur ce prothalle apparaissent des éléments génitaux dont l’union reproduit une fougère ; il y a alternance d’une génération sexuée, le prothalle, avec une génération asexuée, la fougère, et ceci est très général parmi les êtres supérieurs ; seulement, chez nous, le prothalle est parasite et nous ne le distinguons pas du reste de notre corps ; nous croyons produire nous-mêmes nos éléments sexuels, et nos enfants sont en réalité nos petits-enfants…

Les travaux de Pasteur et de son ecole, nous ont appris que beaucoup de nos maladies sont dues à des parasites appelés agents pathogènes ; de ces parasites quelques-uns remplissent toute l’économie, comme le charbon des moutons ; d’autres sont localisés en un point très limité et de là infectent l’organisme entier en y déversant leurs produits solubles ; tels sont, par exemple, les microbes de la diphtérie et du tétanos qui ne se développent qu’au point d’inoculation (ordinairement l’entrée des voies respiratoires pour la diphtérie, l’accumulation des microbes en fausses membranes produisant l’accident local d’étouffement appelé croup).

On aurait pu penser a priori que le parasitisme, dans un individu, d’un autre individu issu de lui-même, n’aurait eu aucune influence pathogène sur le premier ; cependant la seule inspection de la fougère et du prothalle, montre que si ces deux êtres, issus l’un de l’autre, sont de même espèce, ils sont du moins à un état différent, ainsi que le prouvent les différences des formes qu’ils prennent naturellement dans un même milieu. Semblablement, l’organe génital, parasite de l’homme ou des animaux, est de même espèce que l’animal infecté, mais à un état différent, et doit, par suite, produire des excréments différents ; or les excréments solubles des glandes génitales se répandent dans l’économie de l’individu qui les contient, exactement comme les produits solubles de la diphtérie dans le corps de l’enfant atteint du croup. Patrick Geddes a donné le nom, fort juste, de diathèse sexuelle à l’ensemble des particularités que détermine, chez les êtres vivants, le parasitisme de leurs organes génitaux. C’est là, en effet, une maladie chronique qui, chez l’homme dure toute la vie, tandis que, chez la femme, elle cesse à la ménopause.

La simple constatation des troubles qui accompagnent chez beaucoup de femmes cette période du retour d’âge nous suggère une remarque importante ; c’est que la diathèse sexuelle est devenue normale pour nous par une longue habitude et que sa suppression brusque chez la femme entraîne des accidents quelquefois graves ; c’est la même chose qui se passe quand on supprime brusquement la morphine ou l’alcool à un morphinomane ou à un alcoolique ; on le rend très malade quand on ne le tue pas ; il faut supprimer progressivement ces poisons usuels ; de même pour la femme qui est accoutumée depuis la puberté à un certain régime d’intoxication sexuelle, il faut corriger la brusquerie de la ménopause par l’introduction de poisons analogues empruntés à des ovaires de lapins ; et on y réussit !

La diathèse sexuelle a existé chez nos ancêtres depuis une époque tellement reculée de l’histoire du monde, que nous ne pouvons étudier l’évolution de l’espèce humaine sans remarquer à chaque instant, que les divers caractères acquis par les générations successives et qui sont aujourd’hui les caractères des hommes, ont été acquis par des êtres atteints de diathèse sexuelle, ont été dus, par conséquent, à un ensemble de circonstances dans lesquelles l’intoxication génitale jouait toujours un rôle. Ce sont des êtres sexués qui se sont adaptés aux diverses conditions ambiantes ; il est naturel aujourd’hui, que l’évolution individuelle, résumé de l’histoire de l’espèce, ne soit pas normale en dehors de cette diathèse qui a accompagné toute l’évolution spécifique ; un castrat n’atteint jamais le développement d’un mâle. Il est naturel aussi que le développement individuel soit influencé différemment par des glandes génitales différentes ; or il y a deux types de glandes génitales dans chaque espèce, le type mâle et le type femelle, qui sont caractérisés par la faculté de produire l’un des éléments sexuels mâles, l’autre des éléments sexuels femelles ; il est donc naturel aussi qu’il y ail deux types de diathèses sexuelles et, en effet, il y en a deux.

D’un œuf fécondé qui contient, par essence, les deux sexes, dérive un animal, de l’espèce homme, par exemple. Cet animal serait par lui-même dépourvu de sexe, mais, de très bonne heure naissent de lui des êtres comparables au prothalle de la fougère, les glandes génitales, qui s’établissent en parasites à son intérieur. Pourquoi, dans certains cas, ces glandes génitales sont-elles aptes à donner uniquement des éléments mâles, dans d’autres cas, uniquement des éléments femelles ? Mystère des mystères ! Nous ne savons rien des causes qui font apparaître chez un individu issu d’un œuf, une glande de tel ou tel sexe. Constatons-le sans l’expliquer.

Quoiqu’il en soit, de même que toutes les fougères, dépourvues de sexe, sont identiques, de même les enfants des hommes seraient identiques, si des diathèses différentes, provenant de glandes sexuelles parasites différentes, n’apportaient de bonne heure dans leur évolution des influences différentes. On ne sait pas distinguer, aux premiers temps de la gestation, le fœtus qui sera un homme de celui qui sera une femme ; l’apparition des parasites sexuels introduit dans l’évolution individuelle des divergences extrêmes. Je le répète, nous ne savons pas pourquoi, chez les fœtus, il apparaît quelquefois un parasite mâle, quelquefois un parasite femelle, mais du moment que ce parasite a apparu il intervient activement dans la morphologie et la physiologie des jeunes individus. ; déjà au moment de la parturition, nous savons distinguer à des caractères extérieurs fort visibles un enfant contenant une glande mâle d’un enfant contenant une glande femelle ; et nous sommes cependant en droit d’affirmer aujourd’hui que sans la présence de ces glandes différentes, les deux enfants fussent restés semblables ; (mais eussent-il vécu ? L’adaptation à la vie utérine, existe pour des êtres sexués et peut-être pas pour des neutres !)

À partir de la naissance, les divergences se maintiennent entre les petits garçons et les petites filles, sans toutefois s’accentuer trop pendant les premières années ; les glandes génitales continuent de vivre à leur intérieur, avec leurs différences caractéristiques, mais ces différences qui se sont déjà manifestées pendant la vie intra-utérine en faisant des uns des garçons, des autres des filles, ne paraissent pas déterminer au cours des premières années une apparition de nouveaux caractères distinctifs. Si cela continuaient indéfiniment, les deux sexes se ressembleraient beaucoup.

Une nouvelle poussée de diathèse se produit à la puberté, quand les glandes génitales deviennent vraiment génitales en donnant naissance à des éléments sexuels mûrs ; et alors éclatent des divergences bien plus considérables, que tout le monde a remarquées ; c’est que les glandes génitales à l’état de maturité sécrètent des produits bien différents chez le mâle et la femelle ; l’intoxication qui en résulte n’est pas du tout la même dans les deux sexes.

Aussi, à partir de la puberté, l’évolution individuelle qui, sauf les différences déjà manifestes au moment de la naissance, semblait être à peu près identique chez le garçon et chez la fille, prend, dans les deux sexes, des voies entièrement distinctes. Le petit garçon devient homme ; la petite fille devient femme. Toute sa physiologie, toute la psychologie des individus est modifiée sous l’influence de la poussée génitale ; on ne dirait plus des êtres de même espèce ! Chez les hommes la barbe pousse, la voix devient grave, la vigueur musculaire croît, le cerveau se développe ; chez les femmes, les phénomènes sont tout autres et ceux qui considèrent la forme de l’homme mâle comme étant l’expression du parfait développement des caractères spécifiques ont pu dire que l’évolution de la femme est arrêtée à la puberté et qu’elle reste cet « enfant malade » dont a parlé Vigny.

Mais il ne faut pas trop vite se lancer dans les formules ; le mâle de la bonellie est très inférieur à sa femelle, les mâles des araignées, quoique moins petits que celui de la bonellie, redoutent cependant la vigueur physique de leurs tendres moitiés. Il n’y a pas de loi générale qui permette d’établir la prédominance d’un sexe sur l’autre ; on doit se borner à constater que, dans chaque espèce, il existe des différences sexuelles, et que, à partir de la puberté, ce ne sont plus les mêmes caractères qui se développent chez le mâle et chez la femelle. Les expressions supérieur et inférieur sont peu scientifiques, n’étant pas susceptibles d’une définition précise.

Si l’on s’en tenait à l’étude de l’espèce humaine, on pourrait cependant remarquer, tandis que la puberté du mâle semble donner un coup de fouet au développement de toutes ses facultés (des facultés viriles, tout au moins), que la puberté de la femelle paraît plutôt ralentir son évolution ; en particulier le développement musculaire et le développement cérébral ne paraissent plus aussi actifs ; encore faut-il se demander de quelle partie du développement cérébral il s’agit, car si l’on étudie, au moins quant à ses effets, la circonvolution de Broca, on ne constate pas, je pense, que les femmes soient moins bavardes que les hommes…

Et puis, il y a femmes et femmes, comme il y a fagots et fagots, et c’est justement ce que je voudrais établir dans cet article.

La diathèse sexuelle mâle est une maladie virulente chronique, devenue physiologique par suite d’une adaptation qui a duré des milliers de siècles ; la diathèse sexuelle femelle est une autre maladie virulente, également chronique, également physiologique par adaptation progressive. Et de même qu’il y a des fièvres typhoïdes plus ou moins graves, de même que la variole peut prendre la forme atténuée de la vaccine, de même, il y a des degrés dans la virulence du sexe.

Je ne veux pas entendre par là, qu’il y a des cas où l’organe génital a une valeur reproductrice plus ou moins grande ; l’abeille ouvrière, diffère, par exemple, de l’abeille reine, parce que sous l’influence d’un régime alimentaire spécial, son organe génital n’arrive pas à maturité ; elle n’atteint pas la puberté, tandis que la reine, gavée de miel dès l’âge le plus tendre est envahie par un ovaire formidable qui lui permet de pondre sans arrêt pendant sept ou huit ans. L’ouvrière garde la sveltesse et l’activité d’une fillette impubère ; la reine devient une grosse et lourde machine à pondre.

Mais, au point de vue reproducteur, l’abeille ouvrière et l’abeille reine ne s’équivalent pas le moins du monde, et l’on pourrait dire que si la reine est envahie par son sexe, l’ouvrière n’a pas de sexe du tout.

Ce n’est pas à des faits de cet ordre que je veux me reporter quand je parle des degrés de la virulence du sexe ; je veux montrer que, indépendamment de la valeur reproductrice des glandes génitales, ces glandes peuvent avoir sur les organismes qui les contiennent, des influences morphologiques et physiologiques d’intensité différente.

Un exemple bien joli de la variation dans la virulence morphogène du sexe nous est fourni par certains papillons des Iles Malaises que Wallace a étudiés. Ces heureux papillons, ont plusieurs formes de femelles, toutes plus jolies les unes que les autres. Le mâle est ordinairement assez peu brillant et se présente toujours avec le même type, c’est-à-dire que si le sexe masculin a des virulences variables, elles ne se traduisent pas, dans le cas considéré par des phénomènes morphologiques importants.

Au contraire, chez les femelles. Il peut y en avoir jusqu’à cinq types tellement différents que des entomologistes les ont décrits comme appartenant à des espèces distinctes. Représentons-les, si vous voulez, par les lettres A, B, C, D, E : Ces cinq types peuvent se ranger de manière à représenter une échelle de virulence sexuelle croissante ; ils forment en effet une série analogue aux séries paléontologiques dans lesquelles les différences spécifiques sont régulièrement étagées. Supposons-les placés en ordre, A représentant le type le moins éloigné de celui du mâle, E le type le plus éloigné ; les trois types intermédiaires B, C, D, s’intercaleront entre ces deux types extrêmes, de manière à graduer les différences qui les séparent, et si l’on découvrait un sixième type faisant partie de la même série, il se placerait naturellement entre deux des types déjà connus et ajouterait un barreau à l’échelle.

Voilà donc un papillon qui a cinq espèces de femmes ; c’est, pensera-t-on, comme si un homme avait une femme blanche, une jaune, une noire et une rouge ? pas le moins du monde ! Si un homme avait ces femmes de diverses couleurs, il donnerait avec chacune d’elles des produits métissés qui tiendraient de la race spéciale de leur mère. Au contraire, le papillon dont nous nous occupons peut donner, par son accouplement avec l’une quelconque des cinq femmes que la nature lui a accordées, avec la femelle C par exemple, soit des mâles qui ressemblent au père, soit des femelles qui appartiennent à l’un quelconque des cinq types A, B, C, D, E. Ces cinq types ne représentent pas en effet des races différentes, mais seulement des degrés différents dans la virulence de la diathèse sexuelle. Et le fait de la reproduction, par une femelle du type C, de femelles des types A, B, C, D, E, prouve seulement que le degré de virulence sexuellé n’est pas héréditaire.

Tout à l’heure, nous confessions notre ignorance relativement aux causes qui, dans un embryon humain, font apparaître tantôt une glande mâle, tantôt une glande femelle ; nous sommes aussi peu avancés quant aux raisons qui donnent à la glande femelle une virulence plus ou moins grande ; mais ce que nous venons de voir suffit à nous faire constater qu’il n’y a aucun rapport entre la virulence du sexe et la capacité reproductrice ; c’est là une chose de première importance.

Dans une espèce donnée, il y a deux types d’éléments génitaux, l’élément mâle et l’élément femelle ; (je laisse intentionnellement de côté l’élément parthénogénétique qui n’intéresse pas l’espèce humaine), et il n’y a que deux types, quelque soit d’ailleurs leur degré de virulence ; au point de vue de la reproduction, chacun de ces éléments est caractérisé par le fait que l’élément de sexe opposé peut le compléter, le féconder pour donner un œuf.

De même en chimie, un sel résulte de la combinaison d’un acide et d’une base, mais il v a des acides forts et des acides faibles, des bases fortes et des bases faibles ; l’ammoniaque, base forte, peut être combinée à l’acide carbonique, acide faible ou a l’acide chlorhydrique, acide fort et donne un sel dans les deux cas ; de même deux éléments sexuels de sexe opposé donnent un œuf par leur mélange, quelle que soit d’ailleurs la virulence de ces éléments. La virulence est indépendante de la capacité reproductrice.

Chez la femme, qui nous intéresse plus que les papillons, la fécondité paraît assez uniforme ; bien peu sont réellement brehaignes, encore est-ce le plus souvent par suite de malformations externes qui n’ont aucun rapport avec la valeur reproductrice de l’ovaire lui-même ; mais à côté de cette valeur reproductrice uniforme, que de variations dans la virulence du sexe ! S’il n’y a pas, comme chez les papillons de Wallace, cinq types distincts de femmes, il y a tous les passages au point de vue morphologique entre les femmes qui sont « fabriquées comme des hommes » et celles qui ont au plus haut point les caractères de leur sexe. Et les différences sont encore plus accentuées dans les caractères physiologiques et psychologiques qui sont sous la dépendance de la diathèse sexuelle !

Il est inutile d’étudier, chez l’homme, les variations de la virulence du sexe ; d’une part ces variations sont probablement moindres, si même il n’y a pas à ce point de vue, uniformité totale, (indépendamment, nous l’avons dit, de la valeur reproductrice) ; de plus, on a toujours considéré la diathèse sexuelle comme donnant à l’homme son développement parfait (qui peut être celui d’un imbécile d’ailleurs ; il n’y a pas que la diathèse sexuelle dans l’individu et il ne suffit pas d’être un mâle pour avoir du génie). On considère au contraire la diathèse femelle comme arrêtant le développement des facultés cérébrales et il est certain tout au moins que si elle ne l’arrête pas, elle le dirige dans une voie très spéciale. Mais précisément, cette voie spéciale dépend du degré de virulence du sexe et de même que, au point de vue morphologique, il y a des femmes hommasses, de même, au point de vue psychologique, la diathèse sexuelle peut donner à la femme un cerveau analogue à celui d’un homme ou un cerveau très féminin.

Encore une remarque : Il n’est pas certain le moins du monde, a priori, que la femme qui présente au maximum les caractères morphologiques de son sexe ait, en même temps, un cerveau très féminin ; la coïncidence semble se produire souvent, mais pas toujours. Nous trouvons dans les faits de virulence bactérienne des particularités qui permettent de comprendre cette indépendance relative du retentissement morphologique de la diathèse sexuelle et de son importance psychogénique :

Le rouget du porc est une maladie mortelle pour les porcs et les lapins ; sa virulence est variable dans des circonstances que l’on peut diriger expérimentalement ; eh bien ! si on accroît sa virulence pour le lapin, on la diminue en même temps pour le porc ; ce qui prouve que le mot virulence n’est pas un mot à signification absolue ; la virulence pour le lapin est une propriété différente de la virulence pour le porc. De même, la diathèse sexuelle féminine peut avoir une virulence exagérée au point de vue morphogénique et restreinte au point de vue psychologique. Le plus souvent cependant on peut constater un certain parallélisme…

Cette question de la virulence du sexe est très importante au point de vue féministe.

Il y a des hommes et des femmes dans la société humaine ; il est toujours facile de classer tous les individus normaux dans l’une ou l’autre de ces catégories, à l’aide d’un simple examen superficiel et cette classification coïncide sûrement avec la valeur de l’individu comme reproducteur ; c’est-à-dire que l’individu appelé femme d’après sa morphologie externe fournit des éléments génitaux que seul un élément mâle peut féconder.

Si donc la législation ne visait qu’à réglementer la reproduction, la classification en hommes et en femmes serait excellente. Il n’en est plus de même s’il s’agit de la valeur productive des individus considérés comme des unités de la société ; à ce point de vue la classification par le sexe est tout à fait artificielle ; le groupe des femmes ne comprend pas des individus comparables les uns aux autres quant aux capacités cérébrales par exemple et une législation qui traite toutes les femmes de la même manière, est forcément mauvaise pour quelques-unes (en admettant qu’elle soit bonne pour les autres).

D’ailleurs, l’instinct particulier des individus, dans toutes les espèces animales, les avertit de leurs capacités spéciales : il est donc naturel que si certaines femmes se trouvent bien dans la catégorie où la loi les a placées, d’autres, conscientes de leur valeur inutilisée, réclament de toutes leurs forces. Et les premières se moquent d’elles, se croyant semblables à elles ; elles se trompent.
Félix Le Dantec



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(artiste mort le 28 mai 1968)