CHAPITRE II


En rentrant à Paris, François Bergeron trouva parmi son courrier une lettre dont il reconnut l’écriture familière. Écartant les autres, il déchira l’enveloppe et lut :


Cher ami, c’est toujours un peu triste de souper seul quand on revient de voyage. Si, ce soir, en retrouvant votre logis de solitaire, vous éprouvez quelque mélancolie à ne demeurer qu’avec vous-même, venez donc dîner avec votre vieille amie qui désire vous parler de Thérèse.

Louise de Tresme.


Le cœur de Bergeron battit plus vite. Il ressentait une émotion dont il se savait gré chaque fois qu’il évoquait cette délicieuse baronne de Tresme : dans son existence de célibataire ambitieux et raisonnable, où les femmes n’avaient tenu qu’un rôle accessoire, il gardait à Louise de Tresme une place à part, celle des femmes qu’on aime toujours parce qu’on ne les a jamais possédées tout à fait.

L’exquise aventure, délicate sinon complètement chaste ! Cette liaison presque platonique l’avait enserré « suaviter et fortiter » comme il se le répétait, avec un demi-sourire pour le pédantisme de sa citation ; elle s’était nouée… ainsi qu’une écharpe enroule autour du corps la mollesse de ses grâces pourtant solides.

Travailleur acharné, Bergeron redoutait l’influence de l’Éternel féminin ; mais la baronne de Tresme, insinuante et souple, sut le diriger sans lui imposer ces conseils maladroits dont l’insistance exaspère l’orgueil masculin. Jamais il ne se crut sous la domination de cette blonde frêle dont la beauté le charmait, comme la tendresse, par l’harmonie de ses tonalités douces : nuance attendrissante des cheveux cendrés, reflet de perle des yeux au silence éloquent, et l’affolant inachevé des caresses réticentes…

Puis, les relations idylliques s’espacèrent forcément. La baronne de Tresme dut suivre son mari, appelé par ses fonctions diplomatiques dans des pays incontestablement scandinaves. Elle ne revint à Paris que veuve, pour marier sa fille Thérèse.

Bergeron avait revu son amie avec une joie sincère, obscurcie d’un indéfinissable malaise : c’était une vieille dame, à présent, aux tempes argentées, dont le visage un peu fané s’étoilait de mille petites rides, autant de ratures, semblait-il, qui effaçaient leur ancienne histoire d’amour.

Le philosophe avait reporté une part de son affection sur Thérèse de Tresmes, une jolie blonde de dix-huit ans, aux yeux clairs, dont la grâce atténuée s’estompait en demi-teintes, sa filleule.

Ce soir-là, François Bergeron se présenta de très bonne heure chez la baronne, car il tenait à bien marquer son empressement.

On l’accueillit avec toute l’affection désirable. Néanmoins le dîner traîna, presque aussi morne qu’un banquet de politiciens. Mme de Tresme s’énervait, visiblement préoccupée ; ses lèvres minces, à chaque instant, frémissaient d’impatience, de contrariété, peut-être. Et, fréquemment, ses yeux s’arrêtaient sur sa fille avec une expression étrange où l’amour maternel semblait s’aciduler de quelque dépit.

Comment Thérèse, annihilée par une éducation parfaite, eût-elle pu relever la fadeur de cette soirée insipide ? Silencieuse et réservée, comme il sied à une jeune fille qui s’ennuie entre deux personnes âgées, elle mangeait à peine, du bout des dents, l’air toujours « embarrassé de soi » et souriait avec gaucherie dès qu’on la regardait.

Bergeron, intrigué, considérait tour à tour la mère et la fille, l’appétit coupé par ses efforts de divination infructueux. Qu’importe le plus délicat brochet à qui cherche anguille sous roche ? Le plus succulent pot-au-feu à qui veut découvrir le pot-aux-roses ?

Songeant à la lettre de la baronne, il pensait : « Louise veut me parler de Thérèse ; qu’a-t-elle bien pu commettre, ma pauvre petite filleule ? » Et il contemplait avec perplexité l’insignifiance de ce doux visage d’ingénue, pur, lisse, uni, sur lequel toutes les impressions glissaient sans laisser plus de trace que des gouttes d’eau sur les ailes d’un cygne.

À peine fut-on sorti de table que Mme de Tresme, poussant sa fille vers le piano, lui enjoignit avec autorité :

— Thérèse, joue-nous ta Ballade en fa majeur.

La jeune fille essaya d’abord d’esquiver le coup :

— Mais, maman, vous savez bien que mon parrain n’aime pas la musique de Chopin.

— Ça ne fait rien, mon enfant, j’écouterai quand même, déclara courageusement Bergeron qui, pour servir les intentions de la baronne, ne reculait devant aucun sacrifice.

Thérèse s’installa avec résignation sur le tabouret de piano et attaqua, sans vigueur, l’op. 38 qui, sous ses doigts mollement arythmiques, tourna bien vite à la berceuse gnangnan. Sa mère, alors, entraîna Bergeron dans la pièce voisine, dont elle ferma doucement la porte. Puis, avec un soupir de soulagement, elle commença aussitôt, au risque d’entraver la digestion de son hôte :

— Mon ami, j’ai absolument besoin de vous consulter au sujet de ma fille, elle me donne de vives inquiétudes.

— Un peu d’anémie, peut-être ? interrogea

Bergeron, avec un intérêt poli.

— Pas du tout, elle se porte à merveille. Je ne m’adresserais pas à vous, cher ami, s’il s’agissait de sa santé bien que la philosophie, me direz-vous sans doute, embrasse toutes les sciences…

Elle souriait avec une ironie gentille. Mais son interlocuteur n’eut garde de sourire, lui, et répondit avec feu :

— Jamais, au grand jamais, je ne vous dirai rien de semblable ! Ériger la philosophie en synthèse des sciences m’a toujours paru aussi désobligeant pour le savant qu’injurieux pour le penseur. En effet…

— Excusez-moi de vous interrompre… Je voudrais vous parler du mariage de Thérèse. Oui, vous savez qu’elle s’est fiancée en Norvège, après la dernière maladie de son père.

— Un homme excellent.

— Je ne dis pas non. Il était alors premier secrétaire à Christiania. Nous avions fait là-bas la connaissance d’une famille charmante : la comtesse Kolding et ses enfants, un fils de vingt-deux ans et une fille de l’âge de Thérèse. À la mort de mon mari…

— Un excellent homme.

— C’est entendu… les Kolding nous témoignèrent un dévouement qui resserra notre intimité. Je revins en France avec eux : Nous convînmes que Thérèse épouserait Edvard Kolding à la fin de notre deuil, et la cérémonie doit avoir lieu à Paris où le jeune ménage s’installera définitivement… L’hiver dernier, la comtesse Kolding, appelée à Bergen par ses intérêts, repartit avec sa fille. Edvard resta seul à Paris…

Comme son auditeur ne lui semblait pas prêter, à ces détails matrimoniaux, une attention suffisamment passionnée, Louise de Tresme posa sa main sur le genou de Bergeron, pour appuyer ses paroles d’un poids concret :

— Mon ami, je tiens énormément à ce mariage… Le jeune Kolding est extrêmement riche et très bien apparenté… C’est, pour Thérèse, une union parfaite, enviable, inespérée même…

— Oh ! « inespérée » ! Permettez au parrain de Thérèse de protester contre ce mot. Elle est jeune, jolie, richement dotée.

— Je vous remercie de votre bienveillante appréciation, cher ami, mais laissez-moi vous répondre, que, par le temps où toute une génération d’hommes à marier vient d’être fauchée par la guerre, une jeune personne, si favorisée qu’elle soit, ne trouvera pas deux fois l’avantage d’une alliance, comme celle d’Edvard Kolding qui réunit jeunesse, fortune, naissance…

— Soit, fit Bergson, aisément convaincu. Mais alors qui s’oppose à la réalisation de ce mariage rêvé ?

— Hé ! personne ne s’y oppose ! Néanmoins ces fiançailles me semblent assez compromises.

— Par qui ? par quoi ?

— Par la faute de Thérèse. Et c’est justement pourquoi j’ai compté sur vous afin de la chapitrer, mon cher François. Cette petite décourage son fiancé.

— Elle n’a donc pas d’inclination pour lui ?

— Si… au contraire… mais il n’est pas entraîné à la lui rendre.

— Alors, ce n’est pas la faute de ma filleule si c’est ce monsieur qui se dérobe ?

— Mon Dieu, elle ne le fait pas exprès, évidemment, mais elle le refroidit sans s’en douter… Edvard, très épris de la gamine qu’était Thérèse, il y a trois ans, s’est détaché peu à peu de la jeune fille qu’elle est devenue… Ces temps derniers, prétextant un voyage, il a interrompu ses visites…

— Que reproche-t-il à Thérèse ?… Elle est accomplie.

— Oh ! Il ne lui reproche rien, mais je devine… Mon ami, ma fille est trop bien élevée, voilà ! Je m’aperçois que j’ai peut-être eu tort de former suivant de saines traditions cette enfant naturellement modeste et timide, chez qui ces qualités se sont développées jusqu’à l’exagération. Ah ! Thérèse ne ressemble guère aux jeunes filles de notre entourage !

— Tant mieux pour elle.

— Oui et non. Elle est vraiment trop empruntée ! Edvard, qui avait fait crédit à la fillette naïve, se lasse de la voir grandir sans qu’elle s’éveille et s’émancipe un peu. Bref, il s’ennuie auprès d’elle.

— Il est impardonnable !

— Pas du tout ! Ce grand garçon, timide lui-même, ne sait quelle contenance garder en face de cette fiancée rougissante aux yeux baissés, aux lèvres closes. Malgré sa très réelle intelligence, Thérèse finit par sembler sotte.

— Oh ! oh !

— Parfaitement ! « Sotte » Madame Kolding approuve ces manières réfrigérantes, mais son fils préférerait une fiancée moins polaire. Et je le comprends si bien que je commence à regretter mon œuvre.

— C’est joli, une jeune fille vraiment jeune fille !

— Mais comprenez donc qu’une vierge irréprochable, au lieu de tomber dans le maniérisme exagérément pudique des fausses ingénues, doit savoir attirer les épouseurs par des coquetteries spirituelles… Au fond, je suis sûr que vous êtes de mon avis.

Et sans attendre la réponse, Mme de Tresme poursuivait :

— François, promettez-moi que vous m’aiderez à dégourdir Thérèse.

— Moi ?

— Mais certainement, vous ! Qui pourrais-je trouver de plus compétent ? Dans votre forte étude sur la timidité considérée comme une maladie de la volonté…

— C’est de Ribot, ma chère amie. Et il est décédé.

— Pas possible ! Le ministre ?

— Non, pas le ministre.

— Le peintre, alors ?

— Non plus. Je parle de Théodule Ribot, le philosophe, ou plutôt le psychologue.

— Ah !

— Vous n’ignorez pas qu’il a expurgé la science psychologique de l’intellectualisme dont l’avait imprégné son séjour trop prolongé dans les bras de la Philosophie.

— Vraiment ? Elle avait séjourné si longtemps dans les bras… ? Enchanté de l’apprendre, mais, pour le moment c’est à une autre union, moins immatérielle, que je m’intéresse.

— Je sais, je sais, celle de ma filleule. Mais, véritablement, je ne vois pas de quelle utilité je puis…

— Vous ne le voyez pas ? Moi, je le vois très bien. Vous allez faire comprendre à ma fille (et je vous en saurai un gré infini) qu’une fiancée adroite gagne à ne point paraître trop… novice, du moment qu’elle l’est tout de bon.

Bergeron, stupéfait, s’exclama :

— Encore !…

— Encore… quoi ? interrogea la baronne.

Sans répondre, il monologuait in petto : « Ah ça, toutes les personnes que je vois depuis deux jours se sont donc donné le mot pour me demander mon opinion sur la virginité des demoiselles à marier ! »

À Mme de Tresme, qui guettait sa réponse, il dit :

— Vous me chargez là d’une mission trop délicate ! C’est à vous plutôt, à vous — la mère —, qu’il sied d’aborder une question aussi…

— Erreur d’homme de savoir ! interrompit la baronne. Comment, sans me troubler, démentirais-je d’un coup tous les principes sévères que j’inculque à ma fille depuis deux ans ? Cette enfant tomberait de son haut en me voyant renier, du jour au lendemain…

— « Tous mes devoirs et toutes mes vertus » fredonna, souriant malgré lui, Bergeron qui préférait Gounod à Chopin :

— Vous l’avez dit ! Ou elle ne me comprendrait pas, ou je perdrais sa confiance.

Brusquement résolue, elle appela :

— Thérèse !

Bergeron devina ses intentions immédiates. Ahuri, il balbutia :

— Quoi ? Tout de suite ?

— Elle ne répond rien, dit Louise de Tresme. C’est singulier.

Et elle pénétra dans le premier salon.

— Oh ! François !…

Celui-ci s’empressa. La baronne lui désigna la jeune fille ; elle dormait, le visage sur sa partition, les bras grêles pendant le long des hanches.

— Délicieux spectacle ! affirma le bon parrain. Un Greuze !… Il manque seulement la cruche cassée…

La baronne caressait d’un baiser les joues de sa fille, qui s’éveilla, confuse !

— Oh ! pardon… J’ai dormi.

— C’est notre faute, dit aussitôt le philosophe, nous vous avons laissée toute seule.

— Mais, se hâta d’ajouter Louise de Tresmes, mais ton parrain t’offre de bavarder avec toi. Veux-tu ?

— J’en serai enchantée, fit courtoisement Thérèse.

Sa mère sortit.

Bergeron raconta son voyage, sans parler de Mademoiselle Thulette, qui, cependant, en constituait un des moins négligeables attraits. Mais de penser à Fanny lui rappela ce que l’on attendait de lui.

Très embarrassé, il devinait, derrière la porte, dans l’autre salon, la baronne impatiente de connaître le résultat de ses enseignements. Par contre, il voyait devant lui les yeux limpides et la bouche candide de Thérèse. Il s’avoua :

— Pas du tout dans la manière de Fanny Thulette, ma petite filleule, ah, non !

Malgré lui, il établissait un rapprochement entre ces deux fiancées si disparates :

« C’était plus commode avec l’autre. »

Mais, très obligeant de sa nature, très obéissant aussi envers la seule femme qui l’eût dominé, François Bergeron sentit qu’il devait inaugurer son apostolat subversif. Avec une brusquerie qui déguisait sa gêne :

— Eh bien, mon enfant, que m’apprend votre mère ?… Votre fiancé s’éloigne de vous sans que vous sachiez le retenir ?… Je ne puis croire cette chose inadmissible.

La jeune fille baissa la tête, ses lèvres tremblaient légèrement ; et tout à coup, elle se mit à sangloter en bredouillant avec un gros chagrin puéril :

— Ça me fait de la peine… parce que je l’aime bien !

Un homme de cœur ne peut voir, sans émoi, couler des larmes féminines, à moins que la pleureuse ne soit laide.

Le chagrin de sa filleule éveilla, au fond du brave homme, une tendresse mal endormie. Il ne songea plus qu’à protéger le bonheur de cette enfant douloureuse, dût-il, pour atteindre son but, piétiner toutes les convenances.

— Ma chère Thérèse, dit-il, aimer est bien, le montrer est mieux, quelle que soit la force de vos sentiments, comment voulez-vous qu’on les soupçonne si vous n’osez les exprimer ? Vous allez me dire que la sincérité est l’amie du silence.

— Mais non, protesta l’ingénue, je ne dis rien…

— Vous ne dites rien, continua-t-il en souriant, c’est précisément ce que je vous reproche. Comment saura-t-on que vous avez une jolie bouche si vous ne parlez jamais ? Si encore, quand vous vous taisez, vous saviez employer le langage des yeux !… Voyons ! Enhardissez-vous un peu et ne vous effarouchez qu’à bon escient : la pudeur doit être une vertu défensive et non point préventive.

— Oui, mon parrain, fit-elle, docile.

— Votre timidité décourage Edvard Kolding… Il est trop inexpérimenté pour deviner toutes les séductions, toutes les promesses qui se cachent sous la modestie virginale, comme des violettes sous la mousse…

Cette comparaison, trop peu imprévue, amena un pâle sourire sur les lèvres de Thérèse. Sans le voir, l’orateur — échauffé par le souvenir des opinions professées là-dessus par Mlle Thulette, s’écria :

— Pourquoi le jeune comte n’a-t-il pas quinze ans de plus ? Il raisonnerait différemment !

Thérèse murmura, les yeux baissés comme une première communiante :

— Je désire vivement reconquérir mon fiancé, mais je ne saurais comment m’y prendre pour lui faire des avances… déplacées, il me semble ?

— Ma chère enfant, tout l’art de la femme consiste à suivre l’exemple de Galatée qui fuyait « ad salices » dans l’espoir d’être poursuivie… On peut courir après les gens en ayant l’air de se sauver… ou provoquer la réconciliation désirée par une scène de rupture habilement feinte…

— C’est trop difficile, soupira Thérèse, je ne pourrai jamais !

— Mais si ! Il suffit de s’aguerrir… La coquetterie est un sentiment d’instinct… Jusqu’à présent, on vous a empêchée de toucher au fruit défendu… C’est comme dans les Oies du Frère Philippe… Vous ignorez sans doute cette histoire ?…

— Oui.

— Évidemment : Votre enfance, nourrie des fables de La Fontaine — un assez triste sire — récita ses moralités immorales. Mais on vous interdit la lecture de ses contes — cependant plus instructifs pour la jeunesse…

Lasse d’attendre, la baronne entrait. Heureux d’échapper au tête-à-tête, Bergeron poursuivit son cours, avec la conviction de ceux auxquels le Midrash enseigna que la Vérité est une corbeille précieuse, mais ronde, lourde et lisse, et qu’il faut, pour la saisir, une anse : l’apologue.

— Frère Philippe, dégoûté du monde, éleva son fils dans une solitude complète afin de le préserver des séductions qui engendrent le péché. Un jour, il fut obligé d’emmener le jeune garçon à la ville. Ils y rencontrèrent de belles filles ; pour la première fois le fils de Philippe apercevait ces êtres inconnus : « Qu’est cela » ? interrogea le jouvenceau, monstrueusement innocent, rempli du trouble qui bouleversa son émule en chasteté : Parsifal. « C’est, répondit son guide, très embarrassé, c’est une espèce d’oiseau qui s’appelle oie ». Et, tout de suite, les yeux brûlés de flammes, les bras tendus comme pour une étreinte devinée, le candide adolescent cria : « Oh ! que ces oies sont jolies ! Vite, vite, j’en veux une ». Ainsi, en l’espace d’une minute toutes les inutiles précautions du Frère Philippe furent vaincues par l’instinct du sexe.

Et le conteur, regardant à la fois la mère et la fille, conclut gravement :

— Ô mythos dêloi… pardon, cette histoire vous démontre, ma chère Thérèse, quel cas une jeune fille au-dessus du soupçon doit faire de son excellente éducation lorsque des circonstances particulières l’incitent — forte de l’approbation maternelle — à puiser uniquement dans ses instincts honnêtes les ruses ingénieuses et licites qui l’aideront à triompher d’une difficulté sentimentale.

Il avait l’air d’un homme lourdement botté qui marche dans le sable. À bout d’efforts, il tira son mouchoir et tapota son front humide. La baronne eut pitié de lui et dit à sa fille, qu’elle voyait absorbée dans une méditation ardue :

— Je suis sûre, Thérèse, que tu sauras mettre à profit les sages conseils de notre ami.

Alors que son parrain se congestionnait à l’endoctriner au rebours des usages, la jeune fille, imperturbable, n’avait pas rougi une seule fois.

À la fin, sortant de son mutisme, elle déclara d’une voix soumise qui révélait toute l’étendue de son incompréhension :

— J’essaierai de faire tout ce que vous voudrez, mon parrain.

La baronne de Tresme jugea qu’il pouvait prendre congé, à présent que son rôle était accompli.

En le reconduisant, Louise de Tresme se lamenta :

— Elle ne comprend rien de rien. Elle va rater ce mariage !

— En tout cas, ce ne sera pas ma faute, chère amie… J’ai poussé les choses aussi loin que possible. Je lui ai cité du La Fontaine subversif… Je ne pouvais pourtant pas lui mettre sous les yeux l’édition des Fermiers Généraux !

— Il n’y a pas à dire, ma fille est une oie blanche !

— Et malheureusement, c’est une espèce moins dangereuse pour la vertu masculine que les oies du frère Philippe.