Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 231-232).

XVI

NUIT TOMBANTE

 
Le jour sur les coteaux s’éteint ; la plaine immense
Par degrés s’obscurcit ; le vent tombe et s’endort.
Du grillon près de moi la chanson recommence.
Qu’entrevois-je ?… un enfant qui glane du bois mort.
Te voilà, race humaine à souffrir condamnée !
D’où vient l’homme ? Où va-t-il ? Serai-je encor demain ?
Quel est le dernier mot de notre destinée ?
Le savez-vous, ô bois qui bordez mon chemin ?

Les formes à mes yeux s’effacent ; tout se plonge
Au sein d’un demi-jour à peine transparent.
Tout ce que j’aperçois n’est-il qu’un vaste songe ?
Moi-même, à travers tout, suis-je un fantôme errant ?

Les vérités, les lois de ce monde, où sont-elles ?
Tous les secrets, un jour, seront-ils découverts ?
Dites, le savez-vous, montagnes éternelles,
Ô masses de granit, vieux sphinx de ces déserts ?

Au sortir de ce globe, après tant de chimères,
À Dieu, dans son séjour, l’homme est-il réuni ?
Retrouvons-nous là-haut les âmes de nos mères,
Ou bien restons-nous seuls, plongés dans l’infini ?
La douleur et le mal sont-ils rentrés dans l’ombre ?
Le savez-vous, rochers, arbres silencieux,
Et vous, dont le rayon tremble dans le bleu sombre,
Étoiles qui sur moi fixez vos pâles yeux ?