Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 49-52).

XIII

À UNE VIEILLE HAIE


Avril qui redescend des prochaines collines
Te récrépit de fleurs, muraille d’aubépines,
Clôture où, pêle-mêle, on voit se marier
Le troène et la ronce et le vert coudrier :
À tes plus vieux rameaux il rend des feuilles fraîches,
Il répare avec soin tes plus anciennes brèches,
Et, comme aux plus beaux jours de ta jeune saison,
Te voilà verdissant et croissant à foison !
Je t’aime ainsi, rempart qui, sur ta double ligne,
Protéges nos figuiers et gardes notre vigne !
Enfant, j’aimais déjà ton ombre : que de fois,
Veillant à quelque piége, ouvrage de mes doigts,

Sous ta feuille où l’aurore avait semé ses perles,
J’épiai tout un jour les bouvreuils et les merles !
Que de fois j’y revins plus tard ! — Jeune rêveur,
Bachelier qui des arts a goûté la saveur,
Je tenais à la main, soit roman, soit poëme,
Ce livre où l’écrivain nous raconte à nous-même,
Et nous conduit, bercés de vagues passions,
Dans le pays d’azur des belles fictions.
Oh ! les riants matins, oh ! les tièdes soirées ;
Oh ! les heures d’extase et d’amour enivrées ;
Oh ! les poëtes chers, dont l’immortelle voix
Se mêlait aux chansons des ruisseaux et des bois !
Couché sous tes rameaux, et comme eux plein de sève,
Souvent j’interrompais ma lecture ou mon rêve :
Téméraire écolier, j’essayais à mon tour
De moduler un chant de tristesse ou d’amour.
Et, de son frais murmure à travers le feuillage,
Le vent encourageait ces rhythmes du bel âge ;
Le vent leur promettait la gloire et l’avenir.
C’était promettre, hélas ! plus qu’il ne peut tenir !
Me voici, maintenant, au retour de la fête ;
Et celui qui revient, ce n’est plus le poëte,
C’est le prudent fermier, c’est l’agreste colon
Qui visite, en passant, les fruits de son vallon,


Et vient voir si la haie, autour d’eux bien tissue,
À de furtives mains ne laisse aucune issue.

Et pourtant, vieille haie aux bourgeons frais éclos,
Le sol que tu défends n’est pas un riche enclos :
Au Rhin, à la Gironde, aux coteaux de la Loire,
Il ne dispute pas leur fortune et leur gloire.
Le vin qu’on y recueille, humble dans ses destins,
N’est pas de ceux qu’on boit dans les brillants festins,
Et dont l’heureux convive, incliné vers son hôte,
La coupe en main, redit la louange à voix haute !
Non, c’est un vin modeste, et sobre, et familier,
Qu’on ne méprise pas cependant au cellier.
On sent à sa couleur, à la fois chaude et blonde,
Qu’il est fils d’un climat où le soleil abonde ;
Et l’on boit avec lui, dans le mince cristal,
Un peu de cet esprit qui tient du feu natal.
Après quelques saisons de repos dans la tonne,
Volontiers on le goûte aux premiers froids d’automne,
Avec de vieux amis en cercle, — illuminés
Par un feu de sarments que sa vigne a donnés !

Ô mur qui refleuris quoique ébréché par l’âge,
Protége-les donc bien, ces plants de mon cépage :

 

Garde-nous des oiseaux, garde-nous des larrons ;
Surveille l’inconnu qui rôde aux environs.
S’il passe un maraudeur, la main faite aux rapines,
Arme-toi contre lui de toutes tes épines ;
Fléau de nos sillons, s’il passe un braconnier,
Au piége de tes nœuds qu’il reste prisonnier ;
Mais si, par aventure, au feu d’un ciel qui darde,
Quelque enfant altéré s’arrête et te regarde,
Afin de l’inviter fais chanter tes oiseaux,
Et, pour mieux l’introduire, écarte tes réseaux.
Ou bien, vers la Toussaint, rêvant à son épreuve,
S’il passe, en cheveux gris, quelque indigente veuve
Qui glane en son chemin, pour les longs soirs d’hiver,
Un peu de bois tombé sur le coteau désert,
Ouvrez-vous devant elle, églantiers de l’enceinte !
Entre les ceps noueux qu’elle glane sans crainte,
Et qu’avec sa ramée elle récolte encor
Une dernière grappe au fruit nuancé d’or !