Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 44-46).

XI

CONTRE LE VULGAIRE


Taisez-vous, oiseaux, taisez-vous !
Je demande un instant de trêve.
Moineaux tapageurs, laissez-nous
Recueillir ce chant qui s’élève.

C’est la plus belle des chansons,
C’est l’hymne pur, c’est la merveille
Que le poëte des buissons
Jette à l’aurore qui s’éveille !

Aussitôt qu’un soleil a lui,
Vous faites, vous, un grand tumulte.
Pourquoi ces cris poussés vers lui ?
Est-ce un hommage, est-ce une insulte ?


De nos rameaux et de nos toits
Partez, fuyez, troupe honnie !
Je prends en horreur ce patois,
Lorsque j’entends cette harmonie.

J’arrive et je suspends le pas,
Mon âme à ce chant s’éprend toute :
Bavards, si vous n’écoutez pas,
Permettez du moins qu’on écoute.

Je ne demande qu’un moment
Pour me livrer au divin charme ;
Après, vous pourrez librement
Recommencer votre vacarme.

Alors, il vous sera permis
De tout oser et de tout faire,
De vous jeter en ennemis
Sur mes sillons et sur mon aire.

Vous pourrez, sans honte et sans frein,
Piller le champ, piller la grange,
Et dans ma vigne, grain à grain,
Faire d’avance ma vendange.


Dans le parc, moineaux odieux,
Au scandale des bois augustes,
Vous irez insulter les dieux
Dont je vous livre les vieux bustes.

Enfin, par mes volets ouverts,
Vous entrerez, si bon vous semble,
Et sur la table où sont mes vers
Vous irez sautiller ensemble.

Oui, tu pourras effrontément,
Sans avoir peur que je sévisse,
Peuple railleur, lascif, gourmand,
Te promener de vice en vice.

Mais à cette heure, au nom des bois,
Au nom des lys, au nom des roses,
De grâce, écoutons cette voix
Du plus charmant des virtuoses ! —

Eh bien, non, je supplie en vain ;
L’aurore rentre sous la nue,
Le chant se tait, l’hymne divin…
Et le vacarme continue !