Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 35-38).

VIII

BULLETIN

à madame ***.

 
Vous plaît-il, ce matin, de savoir, noble dame,
Ce que devient chez moi votre sublime époux ?
Ce mortel glorieux, refait de corps et d’âme.
Passerait pour heureux s’il n’était loin de vous.

À mon tiède vallon, à ma sûre hygiène,
Quand vous l’avez remis au nom de l’amitié,
En ferai-je l’aveu ? je n’ai pas vu sans peine
Le malade à guérir qui m’était confié.


Hélas ! il est de ceux que brûle trop de flamme.
Invalide de l’art, peut-être de l’amour,
C’est un de ces fourreaux fatigués par la lame,
Qui, faute de repos, se décousent un jour.

Quand il vint, la pâleur accusait l’insomnie ;
La ride sur le front se dessinait trop tôt,
Et le débile corps, charpente dégarnie,
Reprochait son ampleur au large paletot.

Aujourd’hui, tout revient ; le jarret est plus ferme,
La peau brune reprend son coloris ancien.
Après quelques soleils encor sur l’épiderme,
Je vous le renverrai signé par Titien.

Il fait ses cinq repas gaîment. Dieu lui pardonne.
À peine a-t-il fini son second déjeuner,
Il adresse un regard à l’horloge, et s’étonne
Qu’elle ne sonne pas encore le dîner.

À chaque heure du jour, promeneur sans faiblesse,
« Il va du lac au pic et de la grotte au pont. »
Ce vers n’est pas de moi ; si son accent vous blesse,
Il est de Jocelyn qui sans doute en répond.


Le médecin qui fit une cure si belle,
Marquise, croyez-moi, n’a rien de triste à voir.
Il n’a ni l’air profond, ni la voix solennelle,
Il n’est pas du tout fier de son vaste savoir.

Il soigne également, dans sa bonté suprême,
Tout être endolori qu’il rencontre en chemin.
Riche ou pauvre, et la plante, et l’insecte lui-même
Attendent les bienfaits qu’il verse à pleine main.

Il porte un habit vert avec des bandes roses ;
Il a dans les cheveux des papillons flottants.
Il ne dit en entrant que d’agréables choses ;
Je vous le recommande, il s’appelle Printemps.

Il marche dans le thym, il se coiffe de lierre.
S’ils avaient pu se voir sous l’orme et le bouleau,
Celui-là, je le crois, eût désarmé Molière,
Dans le jardin d’Auteuil de son ami Boileau.

Le grand air du matin, sans rhubarbe ni mauve,
Est l’unique julep qu’il revienne ordonner.
Pas un mot de latin débité dans l’alcôve ;
Il n’a qu’une formule : « Allez vous promener ! »


Il sourit au client, il l’attire et l’emmène,
Et le couche à midi dans un lit de gazon.
Souvent il ne lui faut pas plus d’une semaine
Pour transformer, gratis, la fièvre en guérison.

Bref, quand vous reverrez l’ami sur qui je veille,
Vaillant, la main plus ferme et le regard plus doux,
Il vous racontera de sa lèvre vermeille
Ce que Dieu fit pour lui, c’est-à-dire pour vous.

Et peut-être qu’un jour, — faut-il qu’on vous en prie ?
Si jamais l’air vital manquait à votre sein.
Vous viendrez au vallon, sur la pente fleurie,
Vous confier vous-même à ce grand médecin.