La Vie posthume de M. de Cambrai

La Vie posthume de M. de Cambrai
Revue des Deux Mondes6e période, tome 50 (p. 863-893).
LA VIE POSTHUME
DE
M. DE CAMBRAI

M. de Cambrai, de son vivant, passa pour un homme complexe. Saint-Simon, qui ne consentait pas volontiers que les âmes restassent pour lui des énigmes, fit le tour de celle-là plutôt qu’il ne la pénétra. Les sentiments mêlés qu’il éprouvait l’empêchèrent, semble-t-il, de brosser tout d’une traite le portrait de Fénelon : il procède par petites touches, qui s’additionnent, se juxtaposent, apportent chacune un peu de vérité nouvelle, de vérité qui est parfois une surprise, et qu’une autre surprise suivra. Pour se mesurer avec le Grand Roi, l’auteur des Mémoires eut assez d’un coup d’œil ; il lui fallut plus d’attention, et plus de reprises, pour se mesurer avec M. de Cambrai. « Sa physionomie rassemblait tout, écrit-il ; les contraires ne s’y combattaient point. »

Saint-Simon put connaître un tiers à peu près, — pas beaucoup plus, — de cette admirable collection d’écrits qui forment aujourd’hui les Œuvres complètes de Fénelon ; mais il vit le regard du prélat, et cela pouvait suppléer à bien des livres. Deux siècles ont passé : écrits inédits de Fénelon, documents inédits sur Fénelon, sont venus préciser certains traits de cette figure ; et l’on dirait que chaque précision nouvelle la rend plus mobile, plus insaisissable. Mais les « contraires » qu’on y relève, et qui dans un autre personnage pourraient nous décourager, Saint-Simon nous a prévenus qu’ils se trouvaient en effet dans Fénelon, et qu’ils « ne s’y combattaient point. »

Ce mot demeure toujours vrai : il résume, en sa brièveté magnifique, toute la vie posthume de M. de Cambrai. Je le donnerais volontiers comme exergue au livre si neuf et si minutieusement érudit que vient de publier M. Albert Cherel sous le titre : Fénelon au XVIIIe siècle en France (1715-1820) : son prestige, son influence [1]. Les textes s’y pressent ; les faits s’y accumulent, les détails s’y bousculent. D’abord on les croit essoufflés, et puis ils se casent, et même ils s’enchaînent. C’est une opulence de fourmillement bibliographique, qui met sous nos yeux, telle quelle, d’étape en étape, avec tous ses zigzags et tous ses cahotements, la marche d’une gloire : invraisemblable et parfois comique odyssée, au travers de laquelle on voit un prêtre parler en philosophe, un grand seigneur s’habiller en démocrate, un esprit puissant s’abandonner aux bêlements d’une âme sensible, une figure harmonieuse tourner à la caricature, aux acclamations d’une grande partie de la France politique.

Les Jésuites ne posent pas cette figure comme la posent les philosophes ; mais leur zèle est pareil ; et pareil, aussi, l’éclat dont ils la font rayonner. L’éditeur Didot put à la fin du siècle en témoigner, puisqu’en 1787 il reçut du P. de Querbeuf, ancien Jésuite, les éléments nécessaires pour une édition d’ensemble des œuvres de Fénelon, et puisqu’en 1790 une assemblée de philosophes, — la Constituante, — prit sur le trésor public vingt mille livres en vue d’en hâter l’impression. Un ancien Jésuite avait lancé l’affaire ; les philosophes tentaient de la remettre à flot : d’un régime à l’autre et d’une France à l’autre, pour la plus grande gloire de Dieu ou pour celle de la philosophie, mais toujours pour celle de Fénelon, le projet d’œuvres complètes se prolongeait ; philosophes et Jésuites, — une fois n’est pas coutume, — avaient fortuitement collaboré, pour l’illustration de Mgr François de Salignac de la Mothe-Fénelon, archevêque-duc de Cambrai et prince du Saint-Empire.


I

Son attachement au Saint-Siège, ses luttes contre le jansénisme, l’avaient désigné dès son vivant à la sollicitude des Jésuites. On a discuté son attitude au moment de la condamnation des Maximes des Saints : d’aucuns n’ont voulu voir dans son humilité qu’une coquetterie, et dans ses inflexions d’obéissance qu’un jeu d’artiste. Il les agace, c’est évident, lorsqu’il fait de sa soumission une matière d’art, en chargeant un ciseleur de représenter un chérubin foulant aux pieds le livre des Maximes, sur un éloquent ostensoir [2]. Il fallait que d’âge en âge, sous les voûtes de sa cathédrale, devant les diocésains respectueux et courbés, ce rayonnant « soleil d’or » fit « monstrance » de la docilité fénelonienne, en même temps qu’il élèverait l’hostie. Tant de solennité dans l’humiliation surprend, lorsqu’on relit une certaine lettre au Père Le Tellier, de l’an 1710 sur l’ « écrasement » de « celui qui était exempt d’erreur. » Mais pourquoi conclure que Fénelon ne fut pas sincère ? Dites plutôt qu’il ne fut point limpide, et tous alors vous donneront raison : la limpidité fut un trait de sa prose beaucoup plus que de son caractère, et pour une fois ici le style n’est pas l’homme. On voit facilement trouble en le regardant, et c’est cela qui attire, et parfois irrite, mais derechef attire. Les Jésuites voient clair, eux, lorsque le prestige de Rome est en jeu : leur confiance en Fénelon nous doit donner à réfléchir. Élevons-nous donc, profanes que nous sommes, au-dessus de certains procédés de confesseurs, à l’indiscrétion desquels le pénitent des Maximes des Saints, quel que soit le degré de sa contrition, saura toujours se dérober ; du domaine des soupçons, remontons dans celui des faits.

Il n’y a dans l’histoire de l’Église qu’un seul prélat qui, depuis sa condamnation par le Saint-Siège jusqu’à sa comparution devant Dieu, dévoua constamment sa plume à la défense de cette autorité même qui l’avait frappé, et dressa tout un piédestal d’écrits, latins et français, théologiques et polémiques, pour affermir cette autorité, là rehausser, et lui créer enfin de nouveaux titres de puissance : ce prélat fut Fénelon. Chicanes sur la littéralité des cinq propositions, et puis sur leur sens réel, et puis sur les intentions personnelles de Jansenius, chicanes sur le fait et chicanes sur le droit, chicanes enfin sur la façon de se soumettre et sur le degré d’orthodoxie d’un silence respectueux, tenaient en échec les papes successifs dans leur action contre le jansénisme. Fénelon renversa tout cet échafaudage par sa thèse doctrinale sur l’infaillibilité de l’Eglise en matière de faits dogmatiques et de textes dogmatiques, laquelle « ne fait, avec l’infaillibilité sur les dogmes, qu’une seule infaillibilité, complète et indivisible dans la pratique [3]. » La voie fut libre, ainsi, pour la bulle Vineam et pour la bulle Unigenitus : l’esprit des pasteurs et des fidèles à l’endroit de ces deux actes pontificaux se ressentit des courants théologiques qui prenaient leur source à Cambrai. Fénelon rendit à l’autorité du magistère même qui l’avait jugé le même service doctrinal qu’avait rendu Bossuet à l’autorité de la tradition ; et sa voix fut d’autant plus écoutée qu’elle était plus mesurée, plus nuancée.

Certains auraient voulu, dans les congrégations romaines, qu’il opposât au jansénisme la thèse de l’infaillibilité personnelle du Pape. Fénelon s’en abstenait, et Clément XI acceptait qu’il « ne prononçât point le petit mot, » puisqu’il « ne disconvenait point sur la substance. » Les lenteurs de Fénelon marquaient une étape vers la proclamation de cette infaillibilité personnelle, une étape qu’il valait mieux ne pas franchir trop vite, pour que les positions fussent bien assurées. S’il eût vécu, si Louis XIV eût vécu, certain compromis tout fénelonien entre l’hégémonie doctrinale du Pape et le consentement des évêques « par voie de jugement » eût sans doute pu s’esquisser avec succès dans le concile national que projetait le souverain vieillissant ; et le même prélat qui, vingt ans plus tôt, s’était humilié devant l’opinion publique comme la commune victime des deux cours, celle de Rome et celle de Versailles, se fût peut-être levé devant elles deux, avec leur commun consentement, pour épargner à l’Eglise de France les misérables perturbations religieuses dont souffrira tout le xviiie siècle. Le capucin Timothée de la Flèche le pleurait au lendemain de sa mort comme « la seule personne habile et sûre à qui l’on pût confier les intérêts de l’Église et du Saint-Siège. »

Il avait son plan, pour les rapports entre l’Eglise et l’Etat ; les Tables de Chaulnes nous l’ont conservé Plan très audacieusement moderne et tout en même temps très strictement canonique, qui ne permettait au pouvoir laïque ni d’intervenir indiscrètement dans les conclaves, ni de définir la foi, et pas davantage l’hérésie, ni de s’interposer entre les évêques et Rome, ni de vouloir être « plus chef de l’Église que le Pape ; » et lorsqu’on songe que sous Louis XV les difficultés confessionnelles vinrent beaucoup moins des décisions de Rome que des confuses ingérences de Versailles, on voit combien le souci même qu’avait M. de Cambrai des prérogatives romaines eût pu servir la paix religieuse dans notre pays.

Il y avait d’ailleurs un autre Fénelon, — c’est toujours la marque de ce grand homme, si j’ose ainsi dire, d’être plusieurs, — qui ne nous est connu, celui-là, que depuis deux ans, et qui faisait remettre à Clément XI une sorte d’examen de conscience d’un Pape, où le Vatican était sévèrement jugé, où la médiocrité des cardinaux, et celle des nonces, et celle de la scolastique romaine, était déplorée. Mais il concluait, au terme de ce message d’alarme : « Le jour où l’autorité du Pape ne sera plus que suave et bienfaisante, nous la voudrons tous infinie. » Et puis, dans une lettre d’envoi, il disait bien joliment, avec je ne sais quelle préciosité de conscience dont toujours se nuançait son esprit volontaire de soumission : « Cet écrit imprudent, je le désavoue et le condamne à l’égard de tout lecteur qui le verrait sans m’avoir pardonné d’avance [4]. » Il requérait son pardon, et puis consommait son péché, si c’en était un, laissant flotter sur ses lèvres fines un amusant sourire de repentance, où il y avait à la fois du prêtre, du grand seigneur et du Gascon.

Tel quel, malgré les périls auxquels l’exposait son genre de génie, et peut-être en raison même de ces périls, qui lui rendaient d’autant plus nécessaires certains appuis un peu robustes, il fut toujours soutenu par les Jésuites, avec la plus attentive fidélité. Des Observations anonymes provenant de l’entourage. de Bossuet notaient déjà, en pleine querelle du quiétisme, que « les Jésuites prenaient hautement à Rome le parti de M. de Cambrai, et à Paris secrètement. » — « Il a besoin d’eux pour se relever, disait le Père André, disciple de Malebranche, mais ils n’ont pas moins besoin de lui pour se soutenir... » C’était prêter des vues bien intéressées au théologien du pur amour, au psychologue de la pure amitié. Quant aux Jésuites, ils gardèrent à sa mémoire leur assistance constante, alors qu’ils n’avaient plus rien à attendre de lui. Pour libeller son épitaphe dans un latin lapidaire, un jésuite fut là, le Père Sanadon, docile à l’appel du marquis de Fénelon ; et le Père Porée, le maître de Voltaire, n’eut même pas besoin d’être prié, pour dédier au défunt de beaux distiques latins. Son confrère le Père Tournemine avait, du vivant même de Fénelon, mis une préface à l’Existence de Dieu, pour corriger le relent de malebranchisme qu’exhalaient certains passages ; il poursuivait en 1718, en tête des Œuvres philosophiques, ce rôle, curieux et subtil, d’un censeur qui se fait avocat, et qui ne lit un livre avec sévérité que pour le présenter ensuite avec indulgence. Les Mémoires historiques et chronologiques du Père d’Avrigny, en 1722, mirent en si belle posture Fénelon, dans leur récit de la querelle quiétiste, que dix ans plus tard, lors de la mêlée nouvelle qui mit aux prises féneloniens et bossuétistes, ceux-ci stigmatisèrent d’Avrigny comme un auteur » partial. »

Nulles polémiques, cependant, chez les écrivains de la Compagnie, contre la mémoire de Bossuet : leur souci serait de montrer, plutôt, qu’en matière de mystique M de Meaux n’est pas si loin de M. de Cambrai que le pense le commun des esprits.

Voyez, par exemple, l’Instruction spirituelle en forme de dialogues, que publie en 1741 le P. de Caussade : c’est Bossuet qui sans relâche y parle, le Bossuet des États d’oraison, et ce Bossuet est si ingénieusement présenté qu’il y donne l’impression, moins inexacte peut-être que ne le croit M. Cherel [5], d’enseigner à sa façon une doctrine du pur amour, où ne souffle pas l’esprit de Mme Guyon. L’habile petit livre amortissait merveilleusement les heurts entre M. de Meaux, qu’il faisait parler, et M. de Cambrai, qui s’y taisait ; et c’est le crédit de ce dernier qui y gagnait. L’abbé de Brion, dans sa Vraie et fausse spiritualité, semblait bien viser les Jésuites lorsqu’il écrivait : « Des communautés d’hommes considérables, et qui se croient très distingués dans l’Eglise, ont une si haute estime des écrits de Fénelon, qu’on les lit en plein réfectoire. »

On les lisait et on les faisait lire ; à mesure que se succédaient les publications posthumes ou les réimpressions, les Mémoires de Trévoux, que rédigeaient les Pères, prodiguaient à ces nouveautés de librairie leurs meilleures grâces d’accueil. « L’admiration du siècle, l’admiration des siècles futurs ; » c’est ainsi qu’en 1748 le Père Pichon qualifiait Fénelon dans son livre sur la Fréquente Communion. Le livre eut des mésaventures : les colères jansénistes amenèrent le Père à le retirer, et ce fut pour le grand Arnauld, cet avare dispensateur des grâces eucharistiques, un nouveau triomphe d’outre-tombe. Mais les Jésuites prirent leur revanche en réimprimant la lettre de Fénelon sur la communion fréquente : « son esprit, lisait-on dans l’Avertissement, est un des plus beaux et des plus solides que l’on ait jamais vus ; sa piété est admirable ; il fut la gloire de l’épiscopat dans le dernier siècle. » Les Pères auront beau faire, objectait dans les Nouvelles ecclésiastiques la vigilance janséniste : « Ils ne mettront jamais en réputation dans l’Église la théologie de Fénelon. » Etaient-ils autre chose, d’ailleurs, que des quiétistes déguisés ? Tout ce qui touchait aux Jésuites, fût-ce la Vie de Marie Alacoque de Languet de Gercy, apparaissait aux jansénistes comme entaché de quiétisme. Mais l’hostilité commune dont ils poursuivaient les Jésuites et feu M. de Cambrai ne pouvait avoir d’autre effet que d’enchaîner plus étroitement à la cause de l’archevêque le dévouement de la Compagnie.


II

Cependant que se propageaient, pour le bien des âmes et pour leur paix, les écrits de spiritualité fénelonienne, une retentissante Histoire de la vie de Fénelon, publiée en 1723, construisait une certaine image de M. de Cambrai. Messire André-Michel Ramsay, « chevalier-baron, ou plutôt banneret d’Ecosse, » en était l’auteur. Beaucoup pensaient, et lui tout le premier, qu’il était noble ; d’autres n’admettaient pas qu’un brave boulanger, son père, fût frustré de l’honneur d’un tel fils. Nature inquiète et inquiétante, fréquemment en voyage pour la recherche d’une certitude ou pour celle d’une situation, il s’en alla de croyance en croyance jusqu’à ce qu’en 1710 M. de Cambrai fit de lui un fidèle de l’Eglise romaine, et puis, quatre ans plus tard, un pèlerin de Mme Guyon. On vit Ramsay prendre le chemin de Blois, se ranger parmi les hôtes, catholiques et protestants, auxquels « Notre Mère » révélait la doctrine du pur amour, et l’assister comme secrétaire pour ses correspondances avec le « petit milord boiteux, » c’est-à-dire avec le marquis de Fénelon, neveu du lointain archevêque. C’était une opinion courante, à Cambrai, — et quoi qu’en pensent certains bossuétistes intransigeants, cette opinion n’était pas dénuée de justesse, — que l’âme de Mme Guyon, très distinguée, très pure, devait être connue par « expérience » et par une spirituelle proximité, et non pas seulement par ses œuvres imprimées, dont M. de Meaux s’était à pou près contenté pour asseoir son jugement [6]. Ramsay s’édifia fort dans cette expérience. Il trouva là nombre d’Anglais, parqués à Blois, comme dans un camp de concentration, par le Grand Roi leur ennemi ; et cette rencontre l’achemina vers un certain rôle politique, obscur à distance, et que déjà les contemporains jugèrent tel. A Rome, à Paris, à Saint-Germain, Ramsay travailla pour les Stuarts et avec les Stuarts, tantôt comme précepteur et tantôt comme publiciste ; mais plusieurs se demandaient s’il ne renseignait pas les Hanovre sur ce que faisaient les Stuarts ou sur ce qu’il préparait pour eux. Ce serait là, si le fait était prouvé, une attitude double ; et vous allez ressaisir la même dualité dans l’action religieuse de Messire André-Michel Ramsay.

Car il est rigoureusement exact de dire qu’entre la mort de Fénelon et sa propre mort cet extraordinaire homme d’action consacra sa fièvre spirituelle à une double diffusion, celle du nom de Fénelon et celle de la franc-maçonnerie, et qu’il mena de front les deux besognes, avec une notoire insouciance des anathèmes de Clément XII contre les sociétés secrètes. Il fut en 1728, à Londres, le fondateur d’une maçonnerie nouvelle, à laquelle il donna pour parrain Godefroy de Bouillon ; et les Bouillon, deux ans plus tard, prirent comme précepteur l’aventureux Ecossais qui avait ainsi coiffé leurs armes d’un triangle. Ramsay voulut que cette France où ses yeux s’étaient ouverts à la lumière catholique s’ouvrît à son tour aux lumières maçonniques : il écrivit en personne, pour l’instruction des récipiendaires, un Discours des Francs-Maçons ; il obséda le cardinal Fleury, pour qu’à la Cour la maçonnerie fût bien vue. Fleury demeura rétif : le Roi, comme le Pape, fit grise mine aux loges. Mais Ramsay persévéra : un Allemand qui le visita longuement en 1741 nous le montre parlant avec une égale aisance de Fénelon et de la maçonnerie. Ramsay faisait voir des lettres du duc de Bourgogne à M. de Cambrai, et puis, sans aucune pause, développait un projet de « dictionnaire universel préparé par les mémoires mensuels des loges de Paris, » et qui serait publié grâce aux cotisations des Frères : c’était une première ébauche de l’Encyclopédie. L’acte de décès qui, le 7 mai 1743, marqua le terme de ses deux activités, fut en même temps le symbole de leur ondoyante diversité : parmi les signataires figuraient deux prêtres de Saint-Germain-en-Laye et deux pairs francs-maçons du Royaume-Uni. On pouvait dire de Ramsay, comme de son maître Fénelon, que « sa physionomie rassemblait tout ; » je n’oserais pas ajouter que chez lui « les contraires ne se combattaient point. « Il y a des éloges qu’il faut réserver pour le seul Fénelon [7].

Tel fut l’homme qui, par son Discours de la poésie épique et de l’excellence du poème de Télémaque, par son Essai philosophique sur le gouvernement civil selon les principes de M. de Fénelon, par son Histoire de la vie de messire François de Salignac de la Mothe-Fénelon, fit connaître au XVIIIe siècle la personne et la vie, les maximes et les rêves de M. de Cambrai. Recueillant en son palais l’âme nomade de Ramsay, Fénelon l’avait amenée, par une route émouvante, du déisme au catholicisme : la route pouvait se refaire en sens inverse, et ce fut l’art de Ramsay de présenter au siècle l’archevêque de Cambrai sous un certain jour qui pût plaire aux déistes. Lisez, par exemple, son discours sur Télémaque : M. de Fénelon, nous explique-t-il, « ne dit rien que ce que les païens auraient pu dire, et cependant il a mis dans leur bouche ce qu’il y a de plus sublime dans la Morale Chrétienne, et a montré par là que cette Morale est écrite en caractères ineffaçables dans le cœur de l’homme, et qu’il les y découvrirait infailliblement, s’il suivait la voix de la pure et simple raison, pour se livrer totalement à cette Vérité souveraine et universelle qui éclaire tous les esprits, comme le Soleil éclaire tous les corps [8]. » De mauvais esprits pouvaient tout de suite interroger : Mais alors à quoi bon le Christ ? et malignement conclure que, de l’aveu de M. de Fénelon et du banneret, son converti, le Verbe eût pu se dispenser de s’incarner. Et précisément certains théologiens, M. de Meaux tout le premier, avaient accusé la mystique guyonienne de ne s’occuper pour ainsi dire point de la personne du Rédempteur. Tout cela paraissait s’accorder, s’enchaîner : l’imprésario de Fénelon et ses adversaires théologiques de jadis semblaient d’accord pour attirer sur lui les complaisances des déistes.

Le commentaire que donnait Ramsay, dans son Essai sur le gouvernement civil, d’un autre passage du Télémaque, offrait à ces complaisances un nouvel appât. Mentor, sermonnant Idoménée sur ses devoirs, lui disait en termes étudiés : « La religion vient des dieux, elle est au-dessus des rois. Si les rois se mêlent de la religion, au lieu de la protéger, ils la mettront en servitude... Pourquoi vous mêleriez-vous des choses sacrées ! Laissez-en la décision à ceux qui sont inspirés pour être les interprètes des dieux ; employez seulement votre autorité à étouffer ces disputes dès leur naissance... Contentez-vous d’appuyer la décision quand elle sera faite... Bornez-vous à réprimer ceux qui n’obéiraient pas au jugement des amis des dieux quand il aura été prononcé. » Il y avait là, pour le pouvoir civil, tout un programme de politique religieuse, qui s’accordait avec l’autre programme tracé pour le duc de Bourgogne dans les Tables de Chaulnes. Reprenons un instant la série d’événements religieux auxquels fut mêlé Fénelon, et, dans ce cadre, appliquons ce programme : Louis XIV se trouvera gêné pour importuner le Saint-Siège au sujet du quiétisme des Maximes et pour insister sur l’urgence d’une condamnation ; mais Fénelon, lui, ne sera nullement gêné pour accepter, en sa jeunesse, la direction des Nouvelles converties et le poste de missionnaire parmi les protestants de Saintonge, et pour souhaiter, en sa vieillesse, l’activité du pouvoir en faveur de la bulle Unigenitus, puisque de part et d’autre il s’agit de réprimer des gens qui « n’obéissent pas au jugement » des « interprètes » d’en-haut ; et le programme de Mentor est parfaitement compatible avec cette fermeté de prosélytisme et cette susceptibilité d’orthodoxie que M. le pasteur Douen et M. le pasteur Viénot, oubliant la charité de Fénelon pour les personnes, ont de nos jours taxée d’intolérance. Mais le dix-huitième siècle, lui, lisait Fénelon par les yeux de Ramsay.

Or, Ramsay, dans son Essai, « écrit selon les principes de M. de Fénelon, » insérait quelques-uns de ces propos de Mentor au bout d’un paragraphe où il expliquait que « le Roi doit laisser les sujets dans une parfaite liberté d’examiner, chacun pour soi, l’autorité et les motifs de crédibilité de la révélation. » Mentor n’avait rien dit de pareil à Idoménée, mais tout le dix-huitième s’y trompa, et considéra comme authentiquement fénelonien ce paragraphe de l’Ecossais. Pareillement, dans son Discours pour le sacre de l’électeur de Cologne, Fénelon avait, en termes éloquents, marqué la supériorité de l’amour sur la violence : Ramsay reprenait ces phrases, les recousait à sa façon, et les transformait en une conversation de Fénelon avec le roi Stuart sur la nécessité d’accorder à tous la tolérance civile. Si les bossuétistes eussent connu, dans ce temps-là, certains témoignages, exhumés aujourd’hui, sur l’esprit d’éclectisme de « Notre Mère, » qui, pour accueillir les protestants dans la petite chapelle guyonienne, « n’exigeait point d’eux de changer de religion, mais d’entrer dans les voies intérieures, » les susceptibilités courroucées des bossuétistes eussent sans doute contribué, tout comme les paraphrases de Ramsay, à faire parmi les déistes un beau renom de « tolérantisme » à l’ancien directeur et dirigé de Mme Guyon.


III

Une autre biographie de Fénelon, plus abrégée, parut en 1747 : elle était l’œuvre posthume de son neveu le marquis, et visait, elle aussi, à célébrer l’archevêque, mais plus encore à glorifier Mme Guyon, pour qui Ramsay, au gré du marquis, avait à la longue marqué trop de froideur. La curiosité publique y trouva l’attrait d’une œuvre de famille, — et de chapelle, mais non pas l’intérêt quasi doctrinal qui s’attachait au livre du banneret. Il n’entrait point dans les desseins du marquis d’affermir ou d’ébranler l’imposante systématisation de la personnalité et de l’œuvre fénelonienne, mise à la mode par son devancier ; et les philosophes, sans prêter à cette image plus pâle une bien longue attention, continuèrent de s’éprendre de Fénelon d’après Ramsay.

Ainsi Ramsay défunt s’accrochait-il à Fénelon défunt, avec une insupportable indiscrétion. Il fallait que ce prêtre se laissât transfigurer en philosophe ; et sous la main massive de son habilleur écossais, les contours de ses idées s’empâtaient, la sveltesse de sa démarche s’engonçait. La vraie pensée fénelonienne, charmante déjà lorsqu’elle s’exhibait avec de caressantes langueurs, était plus charmante encore lorsqu’elle se dérobait à demi, s’esquivait pour s’insinuer à nouveau, et jouait à cache-cache avec son lecteur en l’obligeant à lutiner avec elle. Ramsay, lourd exégète, la dénudait de toutes ses grâces ; il en éteignait la fièvre, c’est-à-dire la vie. Elle était incomplète, indécise, évoluante, comme l’est tout ce qui vit : il voulait, le malheureux, la rendre pleinement logique ; il rangeait en théorèmes, — et en théorèmes politiques, les pires de tous, — ce qu’elle recelait de roman. Le Fénelon de Ramsay était tout près de n’être qu’un Sieyès.

Mais un Sieyès, c’était le type d’homme que le siècle aimait. Ils furent tous des façons de Sieyès, les grands hommes de ce temps-là, depuis Joseph II, l’empereur apostolique, jusqu’à Jean-Jacques, le plébéien de Genève ; et dans les innombrables productions qui pastichèrent Télémaque en l’alourdissant, des conseillers calqués sur Mentor n’ennuyaient un peu longuement leurs jeunes pupilles royaux que pour en faire de petits Sieyès. Fénelon se dessina, peu à peu, comme le premier en date dans cette lignée ; c’est ainsi que se figea sa mouvante silhouette, et devant elle la vénération des philosophes se prosterna.

Au demeurant, il y eut en cette affaire un autre responsable que Ramsay : ce fut Mentor, le Mentor du Télémaque. Il plaisait aux philosophes que Mentor enseignât aux rois leur métier, et surtout qu’il les en dégoûtât. Car j’imagine qu’un jeune rejeton royal qui étudie dans ce livre ses futurs devoirs doit être fort tenté d’abdiquer ses droits éventuels. C’est peu rassurant, avouez-le, de s’entendre dire que parce qu’on est « né dans l’élévation, l’on est guetté par de violentes passions ; » qu’on n’a pas de chance de devenir un bon roi, parce que c’est « une espèce très rare ; » que l’exercice des fonctions royales ne peut être « qu’une monstrueuse tyrannie ou une servitude accablante ; » que, bon gré mal gré, on sera le jouet des flatteurs ; qu’on devra toujours « être masqué ; » que, parce que roi, l’on « s’usera plus que les autres hommes ; » qu’on sera « l’homme le moins libre et le moins tranquille de son royaume, » et nécessairement, inévitablement, un homme malheureux. Quelle destinée, grands dieux ! Le futur roi qui méditera sur elle risque d’envier les enfants d’Aristodème qui de par la volonté de leur père, roi de Crète, durent après sa mort « être traités sans distinction, selon leur mérite, comme le reste des citoyens. »

Il y aurait peut-être, pour lutter contre un tel découragement, les enchantements de la gloire. Mais si vous êtes vraiment bon et votre peuple vraiment bon, c’en sera fait pour vous de la gloire des armes, puisqu’il n’y aura plus de guerre ; car les peuples voisins vous respecteront, vous et votre peuple, « à cause de votre vertu ; » leur « amour et leur confiance, quand ils auront senti votre modération, font que votre Etat ne pourra être vaincu, et ne sera presque jamais attaqué. » J’aime ce presque, derrière lequel Fénelon vient abriter une déception toujours possible ; mais ce bon peuple et ce bon roi me paraissent, eux, assez mal abrités. D’autant que si l’exceptionnelle méchanceté d’un voisin les amenait à tirer l’épée, ils devraient s’interdire les ruses de guerre, l’espionnage, le contre-espionnage : le Télémaque prohibe tout cela. « Tous les hommes étant frères, toute guerre est une guerre civile, et la guerre déshonore le genre humain. »

Le moyen âge possédait un droit des gens catholique, dont l’assise fondamentale était une théorie de la juste guerre. Leur préoccupation de ne pas séparer le domaine de la politique de celui de la morale conduisait nos vieux canonistes à légitimer la guerre lorsqu’elle visait à châtier les attentats du voisin contre le bon droit et contre la morale internationale : elle devenait, alors, une sorte de correction corporelle, infligée par la force au nom de la justice lésée. Mais dans la Bétique telle qu’Adoam la décrit à Télémaque, l’idée d’une guerre, même juste, est soigneusement bannie. « Les peuples de la Bétique rient quand on leur parle des rois qui ne peuvent régler entre eux les frontières de leurs États. Tandis qu’il restera des terres libres et incultes, nous ne voudrions pas même défendre les nôtres contre des voisins qui viendraient s’en saisir. » Ces avides voisins que, par une hypothèse bien imprévue, l’on répute pouvoir être méchants, n’auront donc point à craindre une juste guerre : pas plus en Bétique que dans les livres de Tolstoï, on ne se croit le droit de résister au mal. « Et Télémaque ravi se réjouissait qu’il y eût encore au monde un peuple qui, suivant la droite nature, fût si sage et si heureux tout ensemble. »

Mais un jeune lecteur de sang royal qui, pour se réjouir, aussi lui, cherchait la Bétique sur la carte d’Europe, voyait se développer une Prusse, une Russie, qui n’avaient rien de commun avec la Bétique, Et quelle distance, aussi, entre l’histoire de France et ce troublant apologue ! Dans les Dialogues des Morts, on retrouvait les maximes du Télémaque, errant sur les lèvres de certains morts illustres ; et ces maximes mettaient en posture fort médiocre, et même injurieuse, trois personnages envers lesquels la France avait une dette : Louis XI, François Ier, Richelieu. François Ier, là-bas dans les enfers, s’entendait dire par Louis XIII, en termes aigres-doux, qu’il valait mieux être père de la patrie que d’être conquérant. L’Espagnol Ximenès, interpellant Richelieu, l’accusait d’ambition, de vanité, de faiblesse ; et le pauvre cardinal, se heurtant au chancelier Oxenstiern, essuyait une seconde algarade, plus insolente encore. Quant à Louis XI, il devenait une façon de cible pour les ombres illustres qui l’entouraient, pour le Téméraire et pour le cardinal Balue, pour Bessarion, pour Louis XII, pour Commines ; et toutes ces ombres lui reprochaient d’être un génie faux et trompeur, un prince fourbe et méchant, un esprit inquiet, artificieux et entreprenant, qui renversait tout le genre humain, . Il y avait du vrai dans ce qu’elles disaient, mais il avait, pourtant, aidé à édifier la France, De grandes nappes de nuages, lentement accumulées dans les lointains enfers, venaient ainsi ternir l’éclat de trois grands règnes, sous le regard étonné, intimidé, du futur successeur. Des doutes n’allaient-ils pas s’élever en lui sur la grandeur même de cette histoire nationale dont les plus fameux ouvriers étaient évidemment si éloignés de la « droite nature, » et si peu ressemblants aux bons rois des romans, aux rois du Télémaque ?

Les conséquences éventuelles de ces enseignements féneloniens n’étaient pas de nature à déplaire aux philosophes, plus soucieux de théories que des réalités de l’histoire, et moins attachés à la France qu’au genre humain. De trouver jusque dans le XVIIe siècle, jusque dans l’ombre même du Roi-Soleil, un précurseur pour quelques-unes de leurs doctrines et pour beaucoup de leurs rêves, cela leur faisait l’effet d’une bonne fortune. Et leur joie fut grande lorsqu’en 1747 et 1748 parut à Londres et puis à la Haye, sous des titres divers, cet Examen de conscience sur les devoirs de la royauté, qu’avait composé Fénelon pour son pupille. Là du moins, enfin, Fénelon parlait en prêtre ; il installait son élève en terre ferme, et non plus dans les nuées ou bien dans les enfers ; en termes excellents, il le mettait en présence de ces deux réalités : la réalité du pouvoir à exercer, la réalité de la morale chrétienne à appliquer.

Mais les philosophes, — Grimm nous en est témoin, — virent surtout, dans ce livre, « le détail de toutes les fautes que peut faire un monarque dans le gouvernement de ses États et la conduite de son peuple. » C’était, pour des esprits frondeurs, une aubaine qu’un tel catalogue : il devenait une sorte de guide, à l’usage de tous les Français, pour l’exploration des péchés royaux. On le réimprima fréquemment, durant toute la seconde moitié du siècle, sous le titre de Directions pour la conscience d’un roi ; et pour en accentuer la portée, on suivit toujours l’exemple de l’éditeur de la Haye, qui avait ajouté en supplément quelques pages de Ramsay, tirées de l’Essai sur le gouvernement civil. La publication de l’Examen de conscience avait été préparée, de longue date, par le marquis de Fénelon ; mais comme le diacre suit l’archevêque, on y faisait encore succéder à la pensée fénelonienne l’exégèse d’André-Michel Ramsay.

Et nunc reges intelligite... Volontiers les philosophes eussent-ils emprunté ce texte sacré pour arborer devant les rois la parole de l’archevêque. Trois souverains se rencontrèrent, pour se mettre à son école. Le premier s’appela Frédéric II : dès 1740, en bon philosophe, il célébrait dans son Anti-Machiavel l’idéal royal que nous dessine le Télémaque ; il y parlait, tout comme un autre, de « la funeste gloire des conquérants, qui tient à la barbarie, » et du bonheur qu’on éprouve à n’être que le premier magistrat de son peuple. Mais l’histoire atteste qu’il ne répétait ces édifiantes leçons que pour donner le change à ses voisins. Un héritier plus probe de la pensée fénelonienne fut Stanislas Leczinski : celui-ci, pastichant le maître, écrivit en 1752 l’Entretien d’un Européen avec un insulaire du royaume de Dumocala : royaume imaginaire et symbolique, dont la capitale ressemblait moitié à Nancy, moitié à Salante. Mais en deçà de la Prusse, en deçà de Dumocala, on vit la bonne volonté d’un de nos dauphins se mettre à l’école de Fénelon : il devait s’appeler Louis XVI.

Elève appliqué, élève studieux par excellence, il aligna dans un cahier vingt-six Maximes extraites par lui du Télémaque, et en 1766 il les fit imprimer. C’était là son petit bréviaire de futur souverain. Monté sur le trône, il tint à faire rééditer les Directions pour la conscience d’un roi. « Pourquoi en ferais-je mystère au public ? expliquait-il à son confesseur’. Je n’y ai pas intérêt, puisque je suis résolu à remplir tous mes devoirs ; et il serait fâcheux pour mes successeurs qu’un aussi bon livre vînt à se perdre. »

Bien qu’il n’eût rien d’un tyran, il devait connaître la « révolution soudaine » et puis le « renversement » que l’une des maximes extraites par lui du Télémaque présentait aux princes comme un châtiment de la tyrannie. Il ne lui servit de rien, devant les hommes au moins, d’avoir copié les enseignements féneloniens, et de les avoir médités, et de les avoir imprimés, et de s’être évertué à les appliquer. N’était-ce qu’un cri de son cœur déçu, ou bien était-ce encore une suprême et fidèle réminiscence de Mentor, lorsque, dans son testament, écrit au fond de la prison du Temple, il parlait du « malheur » de régner ?


IV

A l’écart des rois qui s’examinaient à la lumière de Fénelon, à l’écart des Jésuites qui, gagnés par l’attrait du Télémaque, déclaraient trouver dans ce livre « ce que la politique et la morale ont de plus profond, de plus noble et de plus utile, » les philosophes, eux, cherchaient dans Fénelon des occasions de fronder les rois, et parfois même l’Eglise ; et ces occasions surgissaient. Une ligne de Ramsay, — toujours lui, — les aidait dans leurs recherches et leur donnait à demi licence de solliciter audacieusement la pensée fénelonienne. Il avait un jour écrit à Voltaire : « M. de Fénelon, s’il était né dans un pays libre, — lisez l’Angleterre, — aurait développé tout son génie, et donné plein essor à ses principes, qu’on n’a jamais bien connus. »

Si ces mots avaient un sens, ils laissaient comprendre que Fénelon, parce que sujet du despotisme français, et peut-être, qui sait ! parce que prêtre, avait craint de donner l’essor à tout ce qu’il pensait, et qu’il avait, vraisemblablement, partagé avec le seul Ramsay le secret de certaines audaces politiques, comme il partageait avec Mme Guyon le secret de certaines audaces mystiques. « Il savait taire un secret sans dire aucun mensonge, nous dit-il d’un personnage du Télémaque. Ses meilleurs amis même ne savaient que ce qu’il croyait utile de leur découvrir. » Excités par la phrase de Ramsay, les philosophes battirent la campagne pour ressaisir un Fénelon que ses meilleurs amis mêmes n’avaient pu connaître. Prenant à Fénelon sa soutane et son manteau de cour, ils en affublèrent un philosophe comme eux, qu’ils firent penser comme eux, parler comme eux. Ils lui donnèrent l’essor, enfin, — cet essor que Ramsay regrettait qu’il n’eût pas pris lui-même.

Ces « principes qu’on n’avait jamais bien connus, » n’avaient-ils pas été, peut-être, les principes d’un sceptique ? Voltaire, en son Siècle de Louis XIV, insinuait que Fénelon peu à peu s’était laissé glisser vers quelque scepticisme. Il produisait pour garants une demi-douzaine de petits vers, que le marquis lui avait remis :


Jeune, j’étais trop sage,
Et voulais trop savoir ;
Je n’ai plus en partage
Que badinage
Et touche au dernier âge
Sans rien prévoir.


Que tel eût été le dernier stade de la pensée fénelonienne en matière métaphysique et mystique, cela ravissait Voltaire. C’était, en réalité, l’une de ces strophes assez enfantines que Fénelon adressait à Mme Guyon pour lui signifier qu’il fallait renoncer à la sagesse humaine et vivre en enfants [9]. Mais à partir de 1752, malgré les récriminations des écrivains catholiques et du mystique protestant Dutoit, éditeur de Mme Guyon, le XVIIIe siècle accrochera tenacement à cet inoffensif couplet la méchante interprétation voltairienne.

On ne s’arrêtait pas en si belle voie, et l’on commençait à se demander jusqu’où se serait élancé le tolérantisme de M. de Cambrai, s’il avait osé prendre élan. « Le grand Fénelon, écrivait Voltaire dans un de ses pamphlets les plus libertins, a embrassé tous les hommes dans son esprit de tolérance. » Un livre où le chevalier de Beaumont combattait le fanatisme et les voies de rigueur en matière de religion mettait en vedette l’avis du « grand Fénelon. » Et plus on l’accaparait, plus on le faisait grandir. « On n’est point à la fois religieux et tolérant, » dogmatisait Helvétius dans le livre de l’Homme ; mais il signalait une exception, et cette exception, c’était Fénelon. Marmontel, écrivant tout un roman : Les Incas, pour « faire détester de plus en plus le fanatisme destructeur, » y mettait comme épigraphe une phrase fénelonienne, ou soi-disant telle, empruntée à Ramsay : « Accordez à tous la tolérance civile. » D’Alembert aimait que, dans le Télémaque, Fénelon, « pour rendre ses leçons utiles à tous les princes de la terre, eût fait beaucoup moins parler la religion que la morale naturelle, » et qu’il eût préconisé « agriculture et tolérance. » Et cela devenait un lieu commun, d’opposer au théologien Bossuet le philosophe Fénelon et la tolérance de l’un au fanatisme de l’autre. Au nom même de sa haine de la théologie et de son amour de l’humanité, le marquis de Mirabeau écrivait : « Le plus doux assemblage de lettres et de syllabes que puisse former notre langue, c’est le mot de Fénelon. »

Les protestants, qui ne connaissaient pas encore la correspondance de Fénelon missionnaire en Saintonge, aidaient à faire de lui un héros du « tolérantisme : » ils observaient que dans l’Éducation des filles il n’était question ni de transsubstantiation, ni dé purgatoire, ni du culte des saints, et que Fénelon s’y montrait, « dans le fond, beaucoup plus réservé sur le chapitre de la religion, qu’on ne l’est ordinairement dans la communion romaine. » Et précisément parce qu’on le considérait comme « réservé sur le chapitre de la religion, » c’est-à-dire du dogme, Rousseau, qui allait rendre au siècle une religion, n’avait aucune gêne à se réclamer de la religion fénelonienne : le dernier analyste de l’âme de Jean-Jacques, celui de tous ses biographes qui l’a le mieux connu , le regretté Pierre-Maurice Masson, a pu dire que « Fénelon est le seul des grands chrétiens du XVIIe siècle auquel Rousseau se soit donné tout entier. »

Le bon Bernardin de Saint-Pierre, qui, tout détaché qu’il fût de toute religion positive, aimait avoir à domicile quelques Dieux Lares, acquit un jour sur le Pont-Neuf une petite urne, qu’il installa dans un angle de son cabinet : il y suspendit une inscription, sur laquelle il associait Jean-Jacques Rousseau et « François Fénelon, » parce que tous deux avaient tenté d’ « amener leur siècle à la nature, » et qu’ils avaient ainsi mérité plus de gloire, une gloire plus durable, qu’un César ou qu’un Achille. Bernardin savait que cette dévotion de sacristain plairait aux mânes de Jean-Jacques ; car il se souvenait que Jean-Jacques « préférait Fénelon à tout. » « Si Fénelon eût vécu, lui avait un jour dit Bernardin, vous seriez catholique. » Et Jean-Jacques de répondre : « J’aurais cherché à être son laquais pour mériter d’être son valet de chambre. » Philosophia ancilla theologiæ, disait-on cinq siècles plus tôt ; le philosophisme allait-il à son tour se mettre en condition, au service de ce qu’il croyait être la théologie fénelonienne ? Il n’était pas jusqu’à l’auteur de la Religieuse qui, traitant Fénelon et Mme Guyon avec plus de respect que ne l’avait fait Bossuet, n’écrivit avec une surprise émue : « Il y eut un homme d’une honnêteté de caractère et d’une simplicité de mœurs si rares, qu’une femme aimable put, sans conséquence, s’oublier à côté de lui et s’épancher en Dieu. » Kl Diderot d’ajouter : « Mais cet homme fut le seul, et il s’appelait Fénelon. »

Il devenait « le seul, » l’unique, le seul prêtre, bientôt, que l’on acquittât du grief d’avoir été prêtre : ainsi s’infléchissait la courbe extraordinaire de cette destinée sacerdotale.

Soudainement un scandale éclate : c’est dans la salle de l’Académie, en 1771, le jour de la fête du pieux roi saint Louis. Le parti des philosophes, devenu maître de la Compagnie, a fait à l’Église cette politesse et ce mauvais tour, de mettre au concours l’éloge de Fénelon... Trois manuscrits ont été distingués : on va les apprécier, les lire, couronner l’un d’entre eux. D’Alembert ouvre la séance en montrant qu’il fallait « acquitter envers Fénelon la dette de son propre siècle. » De son temps, insiste-t-il, « Fénelon n’avait trouvé que chez nos ennemis les hommages que la Cour et la nation lui devaient. » Un portrait de l’archevêque sourit à l’assemblée : d’Alembert attache son regard sur cette toile, et s’écrie : « Malheur à qui ne s’attendrirait pas en le voyant ! » La Compagnie s’attendrit, et l’auditoire avec elle ; un vieillard pleure chaque fois qu’on prononce le nom du « vertueux » prélat.

Le lauréat qui fait couler ces larmes n’est autre que La Harpe, qui l’an passé, dans sa Mélanie, a combattu les vœux religieux et le fanatisme catholique, et mis en scène un curé ! philosophe : cela le désignait évidemment pour parler de l’archevêque philosophe comme les philosophes le voulaient. Sa pièce d’éloquence glorifie le citoyen, l’homme de lettres, l’apôtre de l’humanité : le chrétien s’éclipse, l’archevêque aussi. Une tirade de La Harpe contre l’enthousiasme religieux déchaîne les applaudissements de l’assemblée ; mais lorsqu’en terminant il demande : « Quel honnête homme refusera d’être de la religion de Fénelon ? » une atmosphère religieuse imprègne tous les cœurs.

D’autant plus douce est leur émotion, que cette religion qui sera désormais la leur, si l’on en juge par ce qu’en dit l’abbé Maury, lauréat de l’accessit, n’est autre que le déisme. Mais c’est assez regarder le ciel : certaines pages plus hardies, plus tumultueuses, vont faire redescendre sur terre l’auditoire de l’Académie. Elles sont détachées du troisième Éloge, qu’avait écrit Masson de Pezay avec la collaboration de Diderot : le célibat des prêtres y est maudit, la mémoire de Bossuet flétrie, les controverses de théologie vouées à l’exécration publique, et Fénelon prédicateur est mis sur le pavois, comme l’interprète d’ « une morale éclairée remplaçant les déclamations monacales. » C’est Thomas qui lit ces fragments : il « fait très bien sentir, » en les débitant, ce qu’ils contiennent d’ « assez libre pour les circonstances présentes ; » et le Mercure proclame qu’il serait difficile de trouver dans les fastes de l’Académie une séance plus intéressante. Voltaire est dans l’allégresse ; il félicite La Harpe : « C’est le génie du grand siècle passé, lui écrit-il, fondu dans la philosophie du siècle présent. »

Cette fusion n’est pas du goût de l’Eglise : elle se dresse, elle se plaint, elle fait supprimer par le Conseil du Roi les Éloges de La Harpe et de Masson de Pezay. Qu’importe aux philosophes ? Le coup est porté ; et cela les amuse d’autant plus d’avoir fait louer Fénelon, que le « parti religieux » s’en montre plus gêné. Et voici que du fond de sa tombe, par l’exhumation d’une lettre jusqu’alors inédite, Fénelon lui-même, Fénelon en personne, leur paraît venir à la rescousse.


V

Au temps où il vivait à la Cour, il avait griffonné pour Louis XIV une lettre qu’il semble avoir voulu lui faire parvenir, sous le voile de I anonymat : lettre émouvante d’audace, qui dépeignait, sous des couleurs ardentes, la situation créée par l’omnipotence des ministres, par le crédit des flatteurs, par l’impétuosité de l’esprit de conquête, par la misère du peuple. Quel fut le sort de cette lettre ? Arriva-t-elle jusqu’à Louis XIV ? On incline généralement à croire que non[10]. Mais quatre-vingts ans plus tard, elle eut un lecteur qui s’appelait d’Alembert, et qui en profita. C’était une belle aventure qu’une telle trouvaille : elle justifiait que devant l’Académie on reparlât de Fénelon. Et l’Académie, en 1774, fêta de nouveau saint Louis en applaudissant un Éloge de Fénelon, dont l’auteur était d’Alembert. Il semblait que l’archevêque défunt, se dérobant pour une heure à la « pure et douce lumière » de ces Champs Elysées, séjour des justes, dont il avait si pieusement parlé, fit parmi les Quarante une réapparition solennelle pour entamer le procès du Grand Roi[11].

Voltaire n’en crut pas ses oreilles : cette lettre lui fit l’effet d’une « démarche imprudente et fanatique. » Il s’était, lui, montré plus respectueux dans son Siècle de Louis XIV, et ce n’est pas de ce ton-là, surtout, qu’il parlait naguère à Frédéric II. Mais Condorcet fut choqué des susceptibilités de Voltaire : on commençait à se représenter Fénelon comme ayant été la moitié d’un républicain. La philosophie du siècle, sous l’influence de Rousseau, s’engouait des démocraties antiques ; elle les réédifiait comme des cités pleinement libres, pleinement égalitaires et pleinement fraternelles ; l’esclavage n’était qu’un détail, dont elle ne tenait pas compte ; elle leur savait gré, surtout, de s’être passées de rois. La voix de Fénelon sermonnant Louis XIV flattait ces aspirations nouvelles.

Derechef elle eut un écho, en 1777, sur les lèvres du même d’Alembert, devant le même auditoire : pour fêter le jeune Joseph II, qui assistait à la séance de l’Académie, d’Alembert voulut présenter à l’Empereur réputé tolérant un grand précepteur de tolérance : il relut solennellement son Éloge de Fénelon. Et puis en 1785 il l’imprima ; et les annotations qu’il y joignit scandaient les hardiesses du texte. On y voyait M. de Cambrai, vers la fin de sa vie, « étendre ses principes de tolérance encore plus, loin qu’il n’avait fait jusqu’alors, » et « regarder avec indifférence toutes les disputes théologiques. » Sa Lettre à l’Évêque d’Arras sur In lecture de l’Écriture Sainte était malicieusement commentée : d’Alembert observait qu’on pourrait prendre pour « l’intention la plus maligne » l’affectation que mettait l’archevêque à « présenter les traits de la Bible les plus propres à scandaliser les faibles, et à donner aux impies un avantage apparent dans leurs objections contre le texte sacré. » Fénelon, — ce Fénelon qu’un ancien Jésuite se disposait à éditer, — apparaissait comme un demi-précurseur pour le Voltaire du Dictionnaire philosophique et de la Bible enfin expliquée .[12]. Et d’Alembert l’éclairait d’un autre rayon de gloire, en rapportant ce mot que Ramsay prêtait au précepteur royal : « Tout prince sage doit souhaiter de n’être que l’exécuteur des lois. » Il était presque intimidé par la netteté de cet axiome, et se hâtait de spécifier qu’en le reproduisant il agissait en « simple historien. » Quelques années plus tard, pour avoir refusé d’être l’exécuteur des lois de la Constituante contre l’Église, Louis XVI, — un dévot de Fénelon, pourtant, — allait connaître une série de désagréments, qui devaient finir d’une façon tragique.

Mais ces catastrophes mêmes, il semblait que Fénelon les eût prévues. Un autre mot de lui, reproduit par Ramsay, et que retrouvaient dans le supplément des Directions tous les lecteurs de ce livre, parlait d’ « une révolution violente et soudaine qui, loin de modérer simplement l’autorité excessive des souverains, l’abattrait sans ressource. » Cette prophétie, que d’aucuns interprétaient peut-être comme une invite, servit d’épigraphe au panégyrique de Fénelon prononcé dans la séance publique tie la loge des Neuf-Sœurs, — celle qui naguère avait reçu Voltaire, — par le frère abbé Cordier de Saint-Firmin. Fénelon pouvait devenir le précepteur des sujets, ou, pour mieux dire, des citoyens, puisque les rois s’étaient montrés d’insuffisants écoliers ; et dès 1789 deux opuscules anonymes, dont l’un s’appelait Fénelon aux États Généraux, et l’autre la Dignité de l’homme ou le despotisme dévoilé, pillaient Télémaque pour en extraire des leçons de politique à l’usage des Français qui rebâtissaient la France. Ou eût pu piller, aussi, les Dialogues des Morts, où la méthode législative des Grecs, « faisant des lois fondamentales pour conduire un peuple sur des principes philosophiques[13], » était hautement préférée à celle des Romains, qui légiféraient empiriquement au gré des besoins. Les hommes de 1789, visant à reconstruire enfin la France sur des principes philosophiques, tentaient-ils autre chose que ce qu’avaient fait les Grecs de jadis, avec l’approbation posthume de M. de Cambrai ?

Bientôt on l’engagea dans les polémiques, on lui donna figure de tribun. Principes positifs de Fénelon et de M. Necker sur l’administration : ainsi s’intitulait un libelle où l’on opposait aux complaisances de Necker pour l’absolutisme « les droits » de la nation, tels qu’ils étaient « dans l’opinion des saints mêmes du siècle passé. » C’était un sujet de trouble pour Emery, l’illustre sulpicien : la vénération qu’il professait pour Fénelon souffrait de certains éloges indiscrets. Assurément Fénelon, dans sa lettre au duc de Chevreuse, qui, de tous ses écrits politiques, est peut-être le plus profond, revendique pour « la nation » le droit de s’intéresser activement à sa propre vie ; mais ces pages mêmes, eussent-elles été connues des libellistes révolutionnaires, ne les eussent pas autorisés à coiffer d’un bonnet phrygien son beau visage d’aristocrate. Emery devait redouter qu’on n’en vînt à ces extrémités : au risque d’atténuer l’originalité des théories politiques féneloniennes, il fit tout un livre, en 1791, pour présenter au public, en un sage amalgame, ce que Bossuet et Fénelon avaient pensé de la souveraineté : il était trop attaché à toutes les gloires de la vieille Eglise de France pour consentir à les dissocier.

Du coup, il y eut des révolutionnaires pour s’inquiéter ; et lorsque, en 1702, le conventionnel Guffroy demanda que la Convention rendit un hommage éclatant à la vertu, en faisant transférer au Panthéon les cendres « du sage et vertueux Fénelon, » son collègue Bazire s’insurgea, et riposta que Fénelon, ce monarchiste, ne pouvait être honoré par des républicains.

La majorité des députés furent de cet avis. Mais Fénelon, parmi eux, redevint à la mode, grâce au Théâtre de la République. On l’y vit monter sur les tréteaux, en février 1793, dans une pièce de Marie-Joseph Chénier : Fénelon ou les religieuses de Cambrai. Il se faisait ouvrir les souterrains d’un couvent, délivrait des fers une religieuse et la restituait à son ancien séducteur. Une anecdote dont Fléchier, dans son diocèse de Mimes, avait été le héros [14], servait de point de départ à cette pièce, œuvre d’une conscience antimonacale et d’un cœur sensible ; mais le dramaturge révolutionnaire frustrait Fléchier pour mettre en scène Fénelon. On pouvait lire dans les Sermons choisis sous divers sujets, publiés en 1718 par Ramsay et le marquis de Fénelon, un discours de Fénelon à une nouvelle convertie, qui renfermait un magnifique éloge du cloître ; mais lorsque, en 1793, on voulait introduire sur la scène parisienne, comme une sorte de commentaire aux décrets de la Révolution contre les vœux religieux, l’exemple éloquent d’un prélat qui les condamnait, il fallait, aux dépens de l’histoire, que ce prélat fût celui de Cambrai. Fénelon devenait un type représentatif ; son nom prenait la portée d’une allégorie.

Les timidités politiques dont l’avait convaincu Bazire lui fermaient le Panthéon ; mais les oreilles jacobines, pourtant, se sentaient délicieusement caressées par la voix de Mentor faisant de l’éducation une chose d’État ; et dans les éphémérides révolutionnaires. Calendrier du peuple finançais, Almanach des républicains, Fénelon trouvait sa place ; un jour lui était consacré ; il devenait un saint de la France laïque, un saint que les partis se disputaient entre eux. Victimes et bourreaux du lendemain prétendaient également à son parrainage. Il fallait qu’il fût « l’Amphion d’une patrie qui se désorganisait, » car il avait « jeté dans le Télémaque les premières bases d’une république royale ; « c’est Delisle de Sales qui, dans des pages intitulées : Fénelon à une Convention française, lui conférait cet éloge subtil, pour faire de lui l’apôtre d’une révolution pacifique. Mais ce Fénelon édulcoré n’était pas accepté par le montagnard Laveaux ; il avait copié dans Télémaque une terrible ligne : « . Par un peu de sang répandu à propos, on en épargne beaucoup. » Il la commentait comme on affile le tranchant d’un couperet ; et froidement il dogmatisait : « Fénelon était le Marat de la tyrannie, et Marat est le Fénelon de la liberté. » Ce second Fénelon, pourtant, entra seul au Panthéon ; le premier resta dehors ; entre le seuil de ce temple et le cercueil de l’archevêque, le livre d’Emery barrait la route. Et puis certains hommes vigilants s’inquiétaient de ces débuts d’apothéose qui tournaient à l’honneur d’un prêtre. Car enfin, de quelques gravures licencieuses qu’on eût paré son Télémaque, il avait été prêtre ; et chaque soir, ce suspect qu’était devenu Marie-Joseph Chénier faisait, en sa personne, acclamer le sacerdoce. Le conseil général de la commune sauva la liberté menacée, en ordonnant que Fénelon disparut du répertoire.

D’autres disgrâces succédèrent : la gratitude que gardaient les jacobins à l’architecte de Salente ne put empêcher que son petit-neveu l’abbé de Fénelon fût exécuté, ni que la cathédrale de Cambrai fût mise en vente, ni qu’on envoyât à la fonte le beau morceau de joaillerie pieuse qui devait exhiber aux regards des hommes, pour la suite des siècles, la majestueuse humilité de l’auteur des Maximes des Saints. Mais Jean Bon Saint-André eut un jour connaissance qu’on avait, à Lyon, répandu un peu de sang, en voulant sans doute en épargner beaucoup, et que le sang d’un neveu de Fénelon avait été compris dans cette effusion nécessaire : cela lui fit peine, parce que deux filles restaient dans la misère ; il parla d’elles à la Convention, qui chargea l’un de ses comités d’avoir pitié, en souvenir du « vertueux » grand-oncle. On s’aperçut enfin que même en tant que prêtre, ce grand citoyen pouvait servir la République. Pour les pompes du décadi, l’on avait besoin de certaines pages qui, « sans aucun mélange de superstition ni même de religion particulière, » pussent édifier les âmes : on les chercha dans M. de Cambrai. Et les théophilanthropes, qui avaient besoin, eux, de quelques figures de grands hommes pour en faire une matière de panégyriques, distinguèrent tout de suite celle de Fénelon : elle fut l’objet d’un Eloge laïque dans l’ancienne église Saint-Sulpice, devenue temple de la Victoire. Ainsi Fénelon bénéficiait-il de ce culte des grands hommes dont quelques lignes du Télémaque avaient paru tracer le programme ; et c’était le couronnement suprême de son renom de tolérance, d’être ainsi réquisitionné pour l’établissement des cultes divers que l’on voulait édifier sur les ruines du christianisme.

Fort heureusement pour sa mémoire, Emery veillait toujours ; et lorsque Bonaparte eut ramené le bon sens et la paix religieuse, Emery, acquéreur des papiers de Fénelon, pria Bausset, l’évêque d’Alais, d’en tirer une histoire du prélat.

L’Église de France reprit enfin possession d’une physionomie qui l’honorait ; les Sulpiciens, poursuivant le dessein des Jésuites, préparèrent une édition complète de Fénelon, qui allait purifier et consacrer sa gloire. La grande ombre de M. de Cambrai échappait désormais à la familiarité des philosophes et des sans-culottes ; il était temps qu’après ces périples qui dépassaient en imprévu les aventures mêmes de Télémaque, elle trouvât abri dans cette Ithaque qu’était Saint-Sulpice, et qu’elle réapparût authentiquement sacerdotale, sagement mystique, correctement doctrinale ; car, à ce prix seulement, elle pouvait reprendre son éclat littéraire, si fâcheusement terni, durant tout un siècle, par les lourdes fumées d’un certain encens.


VI

Il résulte de toute cette histoire qu’il y eut au XVIIIe siècle deux images de Fénelon, l’une, plus discrète, pour l’édification des âmes pieuses, l’autre, plus voyante, pour l’attendrissement des philosophes, et qu’à mesure que se développait cette dernière, elle n’avait avec la première presque rien de commun. Et cependant, certains traits authentiques de la pensée fénelonienne avaient tout d’abord servi d’éléments pour composer cette romanesque image. Ce qui dès le début contribua beaucoup à séduire le camp philosophique, ce fut la tendresse et l’humanité de l’âme fénelonienne, ce fut le crédit que M. de Cambrai faisait à la nature humaine, à la raison humaine, à la liberté humaine, ce fut une certaine attitude d’esprit que ces mauvaises langues de jansénistes eussent volontiers qualifiée de pélagienne. Son goût pour la « nature » et pour l’ « aimable simplicité du monde naissant, » ce goût par lequel il devance les philosophes et que ceux-ci dépraveront jusqu’à l’utopique niaiserie, accompagne et sanctionne, chez lui, une certaine conception du christianisme, qui s’apparentait à celle de saint François de Sales [15], et qui ne consentait pas que le monde naissant, monde de pécheurs non encore rachetés, fût radicalement et fondamentalement mauvais, ni que le péché originel eût complètement brisé les ailes par lesquelles l’homme peut s’élever à l’idée de justice.

Mais cette conception-là, elle avait des ennemis mortels, les jansénistes. Et l’on peut dire expressément que si la pensée de Fénelon n’eût pas été dominée par certaines idées sur l’homme et par certaines idées sur Dieu qui étaient aux antipodes du jansénisme, un certain nombre des attraits par lesquels elle plaisait aux philosophes eussent disparu. Je ne crois pas, d’ailleurs, qu’ils s’en soient jamais rendu nettement compte. Les discussions sur Baïus, Jansenius ou Quesnel, n’étaient pour eux que du verbiage. L’opposition janséniste était devenue, sous leurs yeux, un parti politique beaucoup plus que religieux, et que les mesures de coercition prises par le pouvoir royal désignaient à leur sympathie. De ces opposants, victimes de l’intolérance d’État, on faisait, tout doucement, des confesseurs de la tolérance ; on les considérait comme une sorte d’aile droite, — et c’est ce qu’ils seront à la Constituante, — de cette armée « philosophique » qui allait faire campagne pour la raison contre l’autorité, pour la liberté contre le despotisme, et pour la religiosité naturelle, ou bien pour l’athéisme, contre les « chaînes » du dogme. Mais parallèlement à cette alliance toute politique, on élaborait une « philosophie » beaucoup plus incompatible encore avec la vieille théologie janséniste qu’avec les récentes affirmations romaines [16].

On considérait l’homme, par exemple, comme naturellement bon ; et l’on répudiait comme une superstition inique le dogme d’un péché originel, dont l’humanité supportait à jamais les onéreuses conséquences [17]. Mais qui donc avait poussé ce dogme jusqu’à l’iniquité ? Qui donc avait dit que « depuis le péché originel le libre arbitre, sans la grâce de Dieu, n’est plus capable que de pécher ? » et que « c’était être pélagien que de reconnaître dans l’homme quelque chose de bon naturellement, quelque chose de bon qui tirât son origine des seules forces de la nature ? » C’était Baïus, père intellectuel de Jansenius. Et qui donc avait redit que « de par le péché originel, l’homme, sans la grâce, n’a de liberté que pour faire le mal ? » C’était Quesnel, disciple de Jansenius. La bulle de Pie V contre Baïus, et puis la bulle Unigenitus, avaient vengé de ces calomnies le pauvre héritier d’Adam ; et Alexandre VIII, relevant dans les écrits jansénistes une proposition diaprés laquelle il était « nécessaire que dans toutes ses œuvres l’infidèle péchât, » l’avait condamnée. Non pas que l’Eglise admit que Virgile ou Cicéron fussent « nés bons, » et que le salut qui avait pu succéder pour eux à l’exercice des vertus naturelles fût indépendant des grâces anticipées du Christ ; mais elle se refusait à faire d’eux, — et à faire, aussi, de ces sauvages chez lesquels pénétraient ses missionnaires, — des intelligences démunies de toute lumière naturelle, des volontés mutilées de toute liberté naturelle, des consciences incapables de toute vertu naturelle, des âmes forcément vouées à la damnation.

L’indulgence des Jésuites pour certaines œuvres des déistes anglais, indulgence qui leur était commune avec Fénelon, s’expliquait par le souci qu’ils avaient de considérer la raison naturelle comme susceptible, même après le péché et antérieurement à la révélation évangélique, de s’élever jusqu’à la connaissance d’un Dieu. Leurs missionnaires, dans les Lettres édifiantes, parlaient comme leurs théologiens. « Nous voyons dans les sauvages, écrivait l’un d’eux en 1694, les beaux restes de la nature humaine, restes qui sont entièrement corrompus dans les peuples les plus policés. » Cela paraît tout près de Rousseau [18], et cependant la distance est grande, puisque ce missionnaire s’en va dévouer sa vie pour embellir ces restes et pour policer ces peuples, — pour les embellir par le baptême, pour les policer par l’Évangile. Mais ce qui subsistait de sa remarque, c’est que leurs âmes n’étaient pas si fondamentalement mauvaises qu’elles eussent strictement besoin, pour leur salut, des grâces sacramentelles que ce missionnaire venait leur offrir. Arrière donc le rigorisme intransigeant qui, par la plume du grand Arnauld, jetait en enfer les païens, y compris Aristote et Platon, Socrate et Diogène ! Si les philosophes croyaient que telle était l’exacte doctrine de Rome, les philosophes s’égaraient.

Mais devant eux Fénelon avait surgi, tout Fénelon, le Fénelon des écrits antijansénistes et le Fénelon du Télémaque et des Dialogues des Morts, le Fénelon qui sans effort aimait le Christ et le Fénelon qui avait à faire effort pour se défendre à lui-même de trop aimer les païens ; et les philosophes pouvaient constater que dans son Instruction pastorale en forme de dialogues sur le système de Jansenius, Fénelon, traitant du salut des infidèles, entre-bâillait à un certain nombre d’entre eux, par la vertu de la grâce prévenante du Christ, les portes du ciel, et que les belles âmes païennes du Télémaque, adeptes ou apôtres de la morale naturelle, gardaient je ne sais quelle rectitude qui faisait souhaiter, pour elles, un autre avenir que la damnation. Si jamais âmes païennes méritèrent que Dieu leur donnât la grâce en vue de la Rédemption qui devait venir, ce furent bien les vertueux héros de ce livre. Et tout cela pouvait rassurer la sensibilité des philosophes, trop prompts à croire que Rome vouait aux flammes éternelles la plus grande partie des humains, depuis le siècle d’Adam jusqu’au siècle d’Emile. S’ils eussent lu les bulles au lieu d’en rire, ils eussent vu que l’Eglise avait condamné l’une des cinq propositions imputées à Jansenius, parce que cette proposition niait que le Christ fût mort pour tous les hommes.

Il leur-plaisait d’avoir inventé certaine bonté divine, au regard de laquelle toutes les religions étaient bonnes. La formule était fautive, et peu respectueuse pour la dignité même de l’esprit humain ; mais la lecture de la bulle Unigenitus, de cette bulle dont Fénelon fut en France le plus actif messager, les eût sans doute agréablement surpris, en leur montrant l’Eglise frappant d’anathème cette autre proposition de Quesnel : « Hors de l’Eglise aucune grâce n’est assurée. » C’était un beau cadeau que ce janséniste avait prétendu faire à l’Eglise en lui conférant l’absolu monopole de la dispensation de la grâce, mais l’Eglise avait refusé le cadeau, comme une atteinte à la vieille maxime du moyen âge, d’après laquelle « Dieu n’a pu enchainer à ses sacrements sa puissance de nous sanctifier, » et comme une injure personnelle à l’adresse du Christ, qui peut agir par d’autres voies que les voies sacramentelles. Les jansénistes, qui par surcroit marchandaient au fidèle l’usage de ces dernières voies, n’avaient jamais pu supporter qu’on permit au Christ d’être si généreux, si libéral, j’allais dire si tolérant. Sainte-Beuve, en un coin de son Port-Royal, cite à cet égard une bien curieuse lettre, que Pontchâteau, un des hommes notables du groupe, adressait en 1676 à l’un de ses correspondants d’Utrecht :


Les Jésuites, écrivait-il, prêchent l’indifférence. Un d’eux a assisté un soldat hérétique à la mort dans Amiens, où il fut passé par les armes, et a fait prier Dieu publiquement pour lui, espérant bien de son salut sans lui faire faire abjuration. Il traita même d’ignorante une personne qui lui témoigna en être surprise. Il se contenta de lui faire prononcer des actes de foi et d’amour de Dieu, et de lui faire lire le dix-septième chapitre de l’Évangile de saint Jean. Il fallait encore ce digne couronnement aux excès qu’ils commettent[19].


Mais les « excès » des jésuites continuèrent : il y en eut un en 1731, — il s’appelait le Père Boisson, — pour soutenir, à Pamiers, qu’ « un luthérien, un calviniste ou autre, s’il est dans la bonne foi, peut absolument se sauver dans sa secte. » L’évêque crossa notre Jésuite, et les jansénistes d’applaudir. Ils étaient d’autant plus excités que, derrière le Père Boisson, ils visaient M. de Cambrai. Et c’était encore contre lui, et contre les Jésuites, que, deux ans plus tard, les curés de Rodez entassaient Remontrances sur Remontrances : ces curés déclaraient tout net qu’ « on favorisait l’incrédulité en ouvrant le ciel à ceux qui, hors de l’Église, parmi les hérétiques et les païens même, sont dans cette espèce de bonne foi dont il est si facile à l’orgueil humain de se flatter. » Derrière le Père Lamezou à Rodez, comme derrière le Père Boisson à Pamiers, les jansénistes avaient raison de découvrir Fénelon. Car ils pouvaient lire, dans Ramsay, ce propos de l’archevêque : « Chacun sera jugé selon la loi qu’il a connue, et non selon celle qu’il a ignorée. Nul ne sera condamné que parce qu’il n’a point profilé de ce qu’il a su, pour mériter d’en connaître davantage. » Et de fait, Fénelon, pour tenir ce langage, n’avait qu’à se rappeler certain coup de foudre, tombé des hauteurs du Vatican sur les jansénistes au temps d’Alexandre VIII : ils avaient soutenu que « ni les païens, ni les juifs, ni les hérétiques ne peuvent recevoir aucun influx de la grâce de Jésus-Christ ; » mais le Pape n’avait pas permis à messieurs de Port-Royal de canaliser ainsi cette grâce, et il les avait frappés. Les philosophes ne savaient sans doute rien de cette histoire d’anathème, et les dispositions féneloniennes leur apparaissaient comme l’épanouissement d’une âme de philosophe. Elles n’étaient que la traduction, par une âme évangélique, des récentes décisions du Saint-Siège, — décisions également chères à ce Fénelon que les philosophes aimaient, et à ces Jésuites qu’ils détestaient.

L’abbé de Fénelon voulait, dès 1782, éditer les œuvres complètes de son grand-oncle : le ministère s’y opposa, par égard pour les jansénistes. Anciens Jésuites et philosophes durent être pareillement mécontents. Quelques années plus tard, nous l’avons vu, ils se rencontrèrent, les uns et les autres, dans un commun souci de voir enfin sortir des presses toute la pensée fénelonienne. C’est qu’en définitive il y avait certains points d’attache, d’ailleurs insoupçonnés des philosophes, entre les raisons mêmes qui les portaient, les uns et les autres, à aimer M. de Cambrai. Les philosophes larmoyaient sur sa tolérante mansuétude, et les Jésuites aimaient à constater son orthodoxie antijanséniste : n’étaient-ce pas deux définitions diverses pour désigner un même état d’âme ? Venant de camps si différents, les phraséologies dans lesquelles elles se formulaient faisaient l’effet d’être des « contraires ; » mais, là encore, « les contraires ne se combattaient point. »


GEORGES GOYAU.

  1. Paris, Hachette.
  2. Sur l’authenticité du fait, voir Delplanque, Fénelon et la doctrine de l’amour pur d’après sa correspondance avec ses principaux amis, p. 440-443 (Lille, Giard, 1907), et Griselle, Fénelon, études historiques, p. 292-294 (Paris, hachette, 1911).
  3. Voir Moïse Cagnac, Fénelon apologiste de la foi, p. 119-208 (Paris, De Gigord, 1917).
  4. Ernest Jovy, Fénelon inédit d’après les documents de Pistoia (Vitry-Ie-François, 1917). — Henri Bremond, Correspondant, 25 mai 1918, p. 747-753.
  5. Lire à ce sujet Henri Bremond, Apologie pour Fénelon, p. 437-441 (Paris, Perrin, 1910).
  6. C’est l’un des résultats les plus précieux du livre de M. Ernest Seillière : Madame Guyon et Fénelon précurseurs de Rousseau (Paris, Alcan, 1918), d’avoir nettement débrouillé le nœud de la controverse du quiétisme en montrant que ce Fénelon n’aura guère connu de Mme Guyon que sa parole et ses lettres postérieures à 1688, et que Bossuet la jugera à peu près uniquement sur ses-travaux théoriques antérieurs à cette date (p. 95).
  7. Le pamphlétaire De Potier, en 1838. s’imagina daf6rmer que Fénelon avait été reçu franc-maçon : c’était lui prêter une ressemblance toute gratuite avec son disciple. Sur cette absurdité, voir Revue Fénelon, juillet-octobre 1911, p. 97.
  8. Discours de la poésie épique, en tête de l’édition de 1717 des Avantures (sic) de Télémaque, I, p. XXIV-XXV. Voir sur ce livre de Ramsay les commentaires de M. Ernest Seillière dans son livre : Le péril mystique dans l’inspiration des démocraties contemporaines, pp. 88-90 (Paris, 1918).
  9. Voir P.-M. Masson, Fénelon et Mme Guyon p. LXVI-LXVIII et 360-363 (Paris, 1907.
  10. Voir en sens contraire Seillière, Mme Guyon et Fénelon, pp. 126 et suiv. -— Une ligne de Brunetière, Histoire et Littéraire, II, p. 152, laisse voir qu’il avait du mal, lui, à croire cette lettre authentique.
  11. Par une coïncidence qui dut être chère aux âmes « sensibles, » ce d’Alembert qui évoquait ainsi l’ombre de M. de Cambrai, était le fils de Destouches « le bonhomme, » de Destouches-Canon, — un mauvais sujet qui devait à Mme de Tencin la gloire de cette paternité, et qui possédait cette autre gloire, d’avoir été le correspondant et le commensal très aimé de M. de Cambrai.
  12. Une ligne de Brunetière, Histoire et Littérature, II, p. 152, témoigne, au sujet de cette Lettre, d’une impression proche de celle de d’Alembert.
  13. Dialogues des Morts : Solon et Justinien.
  14. L’anecdote avait été racontée par d’Alembert dans son Éloge de Fléchier (Œuvres de d’Alembert) éd. Belin, II, p. 334).
  15. Voir là-dessus une page pénétrante de Sainte-Beuve, Port-Royal (4e édit.), I, p. 218-221.
  16. A certaines heures, Voltaire s’indigne contre « quelques fanatiques qui ont voulu proscrire les anciennes fables. » « Aux yeux de ces sages austères, dit-il, Fénelon n’était qu’un idolâtre. » Et il se fâche, et il les nomme : « Il y eut parmi ceux qu’on nomme jansénistes une petite secte de cerveaux durs et creux. Dictionnaire philosophique, article Fable). Mais que cette dureté même leur fût commandée par leur théologie, par cette théologie à laquelle la bulle Unigenitus apportait les rectifications nécessaires, c’est ce qui échappait à Voltaire.
  17. A ceux qui voudraient débrouiller à l’aide de quelque théologien récent ces épineuses questions de la corruption de notre nature et de l’universalité du salut, qui cent cinquante ans durant troublèrent la France catholique, il y a deux livres qui s’imposent comme guides : Nature et surnature, de M. l’abbé Bainvel (Paris, 1905), et Le Problème du salut des infidèles, par M. l’abbé Capéran (Paris, 1912).
  18. Voir les commentaires de M. Seillière dans son livre : Le péril mystique p. 54-60.
  19. Sainte-Beuve, Port-Royal, 4e édition, IV, p. 331, n. I.