La Vie du Bouddha (Herold)/Partie III/Chapitre 5

L’Édition d’art (p. 211-214).

V


Cependant, les mauvais ascètes que le Bouddha avait convaincus d’imposture se voyaient méprisés du peuple, et, chaque jour, croissait leur désir de vengeance. Ils s’étaient établis près du parc de Jéta : jour et nuit, ils épiaient les actes du Maître et des disciples ; mais, quoiqu’ils fissent, ils n’avaient pu trouver prétexte à la moindre calomnie.

Un des ascètes dit enfin à ses compagnons :

« Voilà longtemps que nous observons la conduite de ces moines. On ne peut contester leur vertu. Il faut pourtant que nous les perdions dans l’esprit du peuple. Je crois savoir le moyen d’y réussir. Je connais une jeune fille, gracieuse entre toutes, et fort habile à forger des ruses. Elle s’appelle Ciñcâ. Elle ne refusera pas de nous venir en aide, et bientôt périra la gloire du Çâkya. »

Les ascètes mandèrent Ciñcâ.

« Que voulez-vous de moi ? dit-elle.

— Tu connais le moine de Kapilavastou, celui qu’on vénère comme Bouddha ? »

— Je ne le connais point, mais je sais que sa renommée est grande. On m’a raconté de nombreux prodiges qu’il aurait faits.

— Cet homme, Ciñcâ, est notre plus cruel ennemi. Il nous traite indignement et il aspire à tuer notre pouvoir. Or, tu as foi en nous : lève-toi et prends notre défense. Elle pourra s’enorgueillir, celle qui aura vaincu le vainqueur ; elle sera illustre parmi les femmes, et le monde entier l’acclamera. »

Ciñcâ fut séduite par les paroles des ascètes ; elle promit que bientôt le Bouddha serait, par toute la terre, honni et haï.

Tous les jours, à l’heure où sortaient ceux qui avaient écouté l’enseignement du Maître, elle allait vers le parc de Jéta. Elle était vêtue d’un rouge éclatant, et elle avait les mains pleines de fleurs. Si, par hasard, on lui demandait : « Où vas-tu ? » elle répondait : « Que t’importe ? » Arrivée près du parc, elle attendait un moment où elle fut solitaire ; alors, loin d’entrer dans le domaine du Bouddha, elle se dirigeait vers la demeure des ascètes méchants. Là, elle passait la nuit ; mais, dès l’aube, elle se rendait à la porte du parc : elle faisait que les fidèles matineux l’aperçussent, puis, à pas lents, elle s’éloignait, et à ceux qui lui demandaient : « D’où viens-tu si matin ? » elle répondait : « Que vous importe ? »

Au bout d’un mois, elle changea ses réponses. Elle disait le soir : « Je vais au parc de Jéta, où le Bienheureux m’attend, » et, le matin : « Je viens du parc de Jéta, où j’ai passé la nuit avec le Bienheureux. » Et il y avait de pauvres gens qui étaient assez naïfs pour la croire et qui soupçonnaient d’impureté le Maître.

Le sixième mois, elle s’enveloppa le ventre de linges. « Elle est enceinte, » pensait-on. Et les simples prétendaient que la vertu du Maître n’était que faux semblant.

Quand arriva le neuvième mois, elle s’attacha sur le ventre une boule de bois ; elle ne marcha plus qu’avec langueur. Et, un soir, elle entra dans la salle où le Maître enseignait la loi. Elle le regarda hardiment et l’interrompit d’une voix mordante :

Tu enseignes la loi au peuple, et ta voix est douce, et ta bouche est mielleuse ! Moi, cependant, qui suis enceinte par ta faute, moi, dont l’enfant est prés de naître, je n’ai pas de chambre où accoucher ! Tu ne me donnes même pas l’huile ni le beurre nécessaires. Si tu rougissais, maintenant, de t’occuper de moi, tu pourrais au moins me confier à quelqu’un de tes disciples, ou au roi Prasénajit, ou au marchand Anâthapindika. Mais, non ! Je ne compte plus pour toi, et tu ne te soucies guère de l’enfant qui va naître ! De l’amour tu veux bien connaître les plaisirs, mais tu veux ignorer les charges !

— Mens-tu ou non ? Il n’y a que toi et moi qui le sachions, Ciñcâ, dit le Maître sans se troubler.

— Tu sais bien que je ne mens pas, » cria Ciñcâ.

Le Maître ne se départait point de son calme. Or, du ciel, Indra voyait tout. Il jugea que le temps était venu de confondre l’impudence de Ciñcâ. Quatre Dieux prirent la forme de souris. Ils se glissèrent sous sa robe et rongèrent la corde qui retenait la boule de bois. La boule tomba sur le sol.

« Voilà ton enfant né, » dit en riant le Maître.

Les fidèles se tournèrent avec rage contre Ciñcâ. On l’insultait, on lui crachait au visage, on la frappait. Elle s’enfuit. Elle pleurait de douleur, de honte et de colère. Et tout à coup, autour d’elle, jaillirent des flammes rouges, robe ardente ; et l’on vit périr durement la femme qui avait calomnié le Bouddha.