La Vie du Bouddha (Herold)/Partie I/Chapitre 5

L’Édition d’art (p. 21-24).



V


Les paroles d’Asita avaient d’abord réjoui Çouddhodana ; il pensait : « Mon fils vivra donc, et il vivra dans une gloire extrême. » Puis, il avait réfléchi, et il était devenu soucieux : le prince, disait-on, abandonnerait la royauté, il mènerait la vie des ascètes ; il faudrait donc qu’avec lui disparût la race de Çouddhodana ?

L’ennui du roi ne dura guère, car, depuis la naissance de Siddhartha, il ne pouvait rien entreprendre qui ne lui réussit. Comme un fleuve dont les rivières accroissent les eaux, son trésor recevait tous les jours des richesses nouvelles ; ses écuries étaient trop petites pour les chevaux et les éléphants qu’on y amenait, et des amis sincères lui faisaient un cortège innombrable. Les terres du royaume étaient fertiles, et, dans les prairies, paissaient des vaches grasses et fécondes. Les femmes enfantaient heureusement ; les hommes ne se cherchaient point de vaines querelles, et tous, dans le pays de Kapilavastou, avaient aux lèvres la paix et l’allégresse.

Or, la reine Mâyâ ne put supporter longtemps la joie que lui donnait son fils : il avait sept jours seulement qu’elle mourut pour la terre, et qu’elle monta au ciel, parmi les Dieux.

Mâyâ avait une sœur, Mahâprajâpatî, presque aussi belle et presque aussi sage qu’elle-même. On chargea Mahâprajâpatî d’élever le prince, et elle lui donna les soins les plus pieux, comme elle eût fait à son propre enfant. Et, pareil au feu qui s’agite sous le vent favorable, pareil à la lune, reine des étoiles dans la quinzaine lumineuse, pareil au jeune soleil qui se lève sur les montagnes, à l’Orient, Siddhârtha grandissait.

On se plaisait à lui faire des dons précieux. Il reçut les jouets dont on s’amuse au premier âge : de petits animaux, gazelles ou éléphants, chevaux ou vaches, oiseaux ou poissons, de petits chariots aussi ; mais les jouets n’étaient point de bois ni d’argile, ils étaient d’or et de diamant. On lui donnait aussi des étoffes très riches et des bijoux, colliers de perles et bracelets de pierreries.

Un jour qu’il jouait dans un jardin, près de la ville, Mahâprajâpatî pensa : « Il est temps de lui apprendre à porter des bracelets et des colliers. » Et les servantes furent chercher les parures qu’on lui avait offertes. Mahâprajâpatî les lui mit au bras et au cou, mais il ne semblait pas qu’il en eût aucune ; l’or ni les pierres ne brillaient, tant éclatait la lumière qui émanait de l’enfant royal. Et la Déesse qui habitait parmi les fleurs du jardin vint à Mahprajâpatî, et lui parla : « Si toute la terre était d’or, il suffirait, pour ternir sa splendeur, d’un seul rayon lancé du corps de cet enfant, guide futur du monde. La lumière des étoiles et celle de la lune, la lumière même du soleil ne sont point éclatantes dès que l’enfant se pare de sa lumière. Qu’a-t-il besoin de bijoux, œuvres vulgaires des joailliers et des orfèvres ? Femmes, ôtez-lui ces colliers, ôtez-lui ces bracelets. Ils sont bons pour orner des esclaves ; donnez-les à des esclaves. Celui-ci aura des pierreries d’une pureté vraie : ses pensées. »

Mahprajâpatî écouta les paroles de la Déesse ; elle ôta au prince les bracelets et les colliers, et elle ne se lassait pas de l’admirer.

Le temps vint de conduire au temple des Dieux le prince Siddhârtha. Le roi ordonna que les rues et les places de la ville fussent décorées superbement, et qu’on fit résonner partout des tambours et des cloches joyeuses. Tandis que Mahprajâpatî l’habillait de ses plus beaux vêtements, l’enfant demanda :

« Mère, où vas-tu me conduire ?

— Au temple des Dieux, mon fils, » répondit-elle.

Alors, l’enfant eut un sourire, et il se laissa mener auprès de son père.

Le cortège était magnifique. On y voyait les des marchands ; des gardes nombreux les suivaient, et les Çâkyas entouraient le char où étaient montés le prince et le roi. Dans les rues, on brûlait des parfums, on semait des fleurs, et l’on agitait des banderoles et des drapeaux.

Le roi arriva au temple. Il prit Siddhârtha par la main et il le guida vers la salle où étaient les statues des Dieux. Et, dès que l’enfant eut posé le pied sur le seuil, les statues s’animèrent, et tous les dieux, Çiva, Skanda, Vishnou, Kouvéra, Indra, Brahmâ, se levèrent et vinrent tomber à ses genoux. Et ils chantaient :

« Le Mérou, roi des monts, ne s’incline pas devant le grain de blé ; l’Océan ne s’incline pas devant la flaque de pluie ; le Soleil ne s’incline pas devant le ver luisant ; celui qui aura la science ne s’incline pas devant les Dieux. Pareil au grain de blé, pareil à la flaque de pluie, pareil au ver luisant est l’homme, est le Dieu qui persiste dans l’orgueil ; pareil au mont Mérou, pareil à l’Océan, pareil au Soleil est celui qui aura la science suprême. Que le monde lui rende hommage, et le monde sera délivré ! »