La Vie du Bouddha (Herold)/Partie I/Chapitre 20

L’Édition d’art (p. 89-92).



XX


Quand s’enfuit l’armée du Malin, le soleil atteignait l’horizon. Rien n’avait troublé la méditation du héros, et, pendant la première veille de la nuit, il parvint à la connaissance de tout ce qui s’était passé dans les existences antérieures. Pendant la seconde veille, il connut l’état présent de toutes les créatures. Pendant la troisième, il comprit les causes et les effets.

D’un œil pur, il voyait maintenant les êtres toujours renaissants ; de bonne ou de mauvaise caste, qu’ils fussent dans la bonne ou la mauvaise voie, ils allaient par les existences, au gré de leurs œuvres. Et le héros pensait :

« Qu’il est misérable, ce monde qui naît, vieillit et meurt, puis renaît pour vieillir et pour mourir encore ! Et l’on ne connaît pas le moyen d’en sortir ! »

Et, dans un grand recueillement, il se dit :

« Quelle est la cause de la vieillesse et de la mort ? C’est parce qu’il y a naissance qu’il y a vieillesse et mort. La vieillesse et la mort ont pour cause la naissance. Quelle est la cause de la naissance ? C’est parce qu’il y a existence qu’il y a naissance. La naissance a pour cause l’existence. Quelle est la cause de l’existence ? C’est parce qu’il y attachement qu’il y a existence. L’existence a pour cause l’attachement. Quelle est la cause de l’attachement ? C’est parce qu’il y a désir qu’il y a attachement. L’attachement a pour cause le désir. Quelle est la cause du désir ? C’est parce qu’il y a sensation qu’il y a désir. Le désir a pour cause la sensation. Quelle est la cause de la sensation ? C’est parce qu’il y a contact qu’il y a sensation. La sensation a pour cause le contact. Quelle est la cause du contact ? C’est parce qu’il y a six sens qu’il y a contact. Le contact a pour cause les six sens. Quelle est la cause des six sens ? C’est parce qu’il y a nom et forme qu’il y a six sens. Les six sens ont pour cause le nom et la forme. Quelle est la cause du nom et de la forme ? C’est parce qu’il y a connaissance qu’il y a nom et forme. Le nom et la forme ont pour cause la connaissance. Quelle est la cause de la connaissance ? C’est parce qu’il y a impression qu’il y a connaissance. La connaissance a pour cause l’impression. Quelle est la cause de l’impression ? C’est parce qu’il y a ignorance qu’il y a impression. L’impression a pour cause l’ignorance. »

Il réfléchit encore.

« Donc, à l’origine de la mort, de la vieillesse, de la douleur, du désespoir il y a l’ignorance. Qu’on supprime l’ignorance, on supprime l’impression. Qu’on supprime l’impression, on supprime la connaissance. Qu’on supprime la connaissance, on supprime le nom et la forme. Qu’on supprime le nom et la forme, on supprime les six sens. Qu’on supprime les six sens, on supprime le contact. Qu’on supprime le contact, on supprime la sensation. Qu’on supprime la sensation, on supprime le désir. Qu’on supprime le désir, on supprime l’attachement. Qu’on supprime l’attachement, on supprime l’existence. Qu’on supprime l’existence, on supprime la naissance. Qu’on supprime la naissance, on supprime la vieillesse et la mort. Toute existence est douleur. Le désir mène de naissance en naissance, de douleur en douleur. En tuant le désir, on empêche la naissance, on empêche la douleur. Par une vie pure, on tue le désir, et l’on ne subit plus ni naissance ni douleur. »

Quand vint l’aurore, le meilleur des hommes était un Bouddha. Il s’écria :

« J’ai eu d’innombrables naissances. Je cherchais, toujours vainement, le constructeur de la maison. Ah, qu’il est douloureux de renaître sans cesse ! Ô constructeur de la maison, voici que tu es découvert. Tu ne construis plus de maison. Les liens sont brisés qui rattachaient tes côtes. La vieille clôture est rompue ; l’antique montagne s’effondre ; l’esprit touche le nirvâna ; la naissance n’est plus, car le désir n’est plus. »

La terre trembla douze fois ; le monde semblait une grande fleur. Les Dieux chantaient :

« Il a paru, celui qui éclaire le monde ; il a paru, celui qui protège le monde ; l’œil, longtemps aveuglé, du monde s’est ouvert, et l’œil du monde s’est enivré de lumière. Ô vainqueur, tu rassasieras les créatures. Guidés par la lueur sublime de la loi, les êtres atteindront la rive salutaire. Tu tiens la lampe ; va dissiper les ténèbres ! »