La Vie du Bouddha (Herold)/Partie I/Chapitre 2

L’Édition d’art (p. 11-14).

II


À l’heure même où naissait le printemps, Mâyâ endormie eut un songe.

Elle vit un jeune éléphant qui descendait du ciel. Il était blanc comme la neige des montagnes, et il avait six fortes défenses. Mâyâ vit qu’il entrait dans son sein, et les Dieux, par milliers, lui apparurent ; ils chantaient pour elle des louanges impérissables, et Mâyâ sentit qu’il n’y avait plus en elle inquiétude, haine ni colère.

Elle s’éveilla. Elle était joyeuse, d’une joie que jamais encore elle n’avait connue. Elle se leva ; elle mit ses plus claires parures, et, avec les plus belles de ses suivantes, elle sortit du palais ; elle traversa les jardins, et elle alla s’asseoir à l’ombre d’un petit bois. Et elle dépêcha au roi Çouddhodana deux de ses femmes, qui devaient dire : « Que le roi vienne au bois ; la reine Mâyâ veut le voir et l’attend ! »

Le roi, en hâte, obéit au message. Il quitta la salle où, parmi ses conseillers, il rendait la justice aux habitants de la ville. Il marcha vers le bois, mais, comme il allait y entrer, il éprouva une émotion étrange; ses jambes se dérobaient, ses mains tremblaient, ses yeux étaient prêts à pleurer. Et il pensait :

« Jamais, même au moment d’affronter, dans la bataille, les ennemis les plus braves, jamais je ne me suis senti troublé comme maintenant. Je ne puis entrer dans le bois où m’attend la reine. Qu’ai-je donc ? Qui me dira la raison de mon trouble ? »

Alors une grande voix retentit dans le ciel :

« Sois heureux, roi Çouddhodana, le meilleur des Çâkyas ! Celui qui cherche la science suprême doit naître parmi les hommes ; c’est ta famille qu’il a choisie pour la sienne, comme la plus illustre de toutes, la plus heureuse et la plus pure, et, pour mère, il a élu la plus noble des femmes, ton épouse, la reine Mâyâ. Sois heureux, roi Çouddhodana ! Celui qui cherche la science suprême a voulu être ton fils ! »

Le roi comprit que les Dieux lui parlaient. Il se réjouit. Ses pas redevinrent fermes, et il entra dans le bois où l’attendait Mâyâ.

Il la vit, et sans orgueil, très doucement, lui dit :

« Pourquoi m’as-tu mandé ? que désires-tu de moi ? »

La reine raconta au roi le songe qu’elle avait eu. Elle ajouta :

« Seigneur, fais venir ici des brahmanes habiles à expliquer les songes. Ils sauront si le bien est entré dans le palais ou le mal, si nous devons nous réjouir ou nous lamenter. »

Le roi approuva la reine, et des brahmanes qui connaissaient le mystère des songes furent appelés au palais. Quand ils eurent entendu le récit de Mâyâ, ils parlèrent ainsi :

« Tous deux, ô roi, ô reine, vous aurez une grande joie. Un fils vous naîtra, marqué des signes du pouvoir magnanime. Si, un jour, il renonce à la royauté, s’il abandonne le palais, s’il rejette l’amour, si, pris de pitié pour les mondes, il mène la vie errante des religieux, il méritera des offrandes triomphales, il méritera des louanges merveilleuses. Il sera adoré par les mondes, car il les rassasiera. Ô maître, ô maîtresse, votre fils sera un Bouddha. »

Les brahmanes se retirèrent. Le roi et la reine se regardaient et leurs visages étaient beaux de bonheur et de paix. Çouddhodana fit distribuer de grandes aumônes dans Kapilavastou ; ceux qui avaient faim eurent à manger, ceux qui avaient soif eurent à boire ; les femmes reçurent des fleurs et des parfums. On aimait à contempler Mâyâ ; les malades se pressaient sur sa route, car, dès qu’elle étendait vers eux la main droite, ils étaient guéris ; des aveugles virent, des sourds entendirent, des muets parlèrent. Si les moribonds touchaient les brins d’herbe qu’elle avait cueillis, ils recouvraient aussitôt la force et la santé. Sans cesse, des brises mélodieuses passaient sur la ville. Du ciel pleuvaient des fleurs divines ; et des chants de reconnaissance montaient vers la maison royale.