La Vie du Bouddha (Herold)/Partie I/Chapitre 14

L’Édition d’art (p. 65-68).



XIV


Gopâ s’était éveillée au milieu de la nuit. Elle souffrait d’une inquiétude étrange. Elle appela son bien-aimé, le prince Siddhârtha ; nulle voix ne lui répondit. Elle se leva. Elle parcourut les salles du palais ; elle ne le vit pas. Elle eut peur. Les servantes dormaient. Gopâ ne put retenir un cri :

« Ah, méchantes, vous m’avez trahie ! Vous avez laissé fuir mon bien-aimé ! »

Les servantes ouvrirent les yeux. Elles fouillèrent toutes les chambres. On n’en pouvait plus douter : le prince avait quitté sa demeure. Et Gopâ se roulait à terre, s’arrachait les cheveux et se meurtrissait le visage.

« Il me l’avait bien dit autrefois, qu’il s’en irait loin d’ici, le roi des hommes ! Mais je ne pensais pas qu’elle fut si prompte, la cruelle séparation. Où es-tu, mon bien-aimé ? Où es-tu ? Je ne puis t’oublier, moi que tu as laissée seule, toute seule ! Où es-tu ? Où es-tu ? Tu es si beau ! Tu es le plus beau des hommes. Tes yeux brillent. Tu es bon, et l’on t’aime, mon bien-aimé ! N’étais-tu pas heureux ? Ô aimé, aimé, où es-tu allé ? »

Ses compagnes voulaient en vain la consoler.

« Je ne boirai plus de boissons douces, je ne mangerai plus de mets délicats. Je dormirai sur la terre nue, j’aurai pour couronne la natte des ascètes, je ne prendrai plus de bains parfumés, je mortifierai ma chair. Les jardins n’ont ni fleurs ni fruits ; les guirlandes fanées sont lourdes de poussière. Le palais est désert. On n’y chantera plus les belles chansons d’autrefois. »

Mahâprajâpatî avait su d’une suivante la fuite de Siddhârtha. Elle vint trouver Gopâ. Et les deux femmes pleurèrent ensemble.

Le bruit que faisaient les femmes fut entendu par le roi Çouddhodana. Il en demanda la raison. Des serviteurs allèrent s’enquérir. Ils revinrent avec cette réponse :

« Seigneur, on ne trouve plus le prince dans le palais.

— Fermez les portes de la ville, cria le roi, et cherchez mon fils par toutes les rues, dans tous les jardins, dans toutes les maisons. »

On obéit, mais, nulle part, on ne trouva le prince. Le roi gémit.

« Mon fils, mon seul enfant ! » disait-il avec des sanglots. Il s’évanouit. Mais on eut vite fait de le rappeler à lui, et il ordonna :

« Que des cavaliers s’en aillent dans toutes les directions, et qu’on me ramène mon fils ! »

Or, Chandaka était revenu lentement de l’ermitage, avec le cheval Kanthaka. Ils approchaient de la ville, et tous les deux baissaient la tête, tristement. Des cavaliers les aperçurent.

« C’est Chandaka ! C’est Kanthaka ! » s’écrièrent les cavaliers, et ils pressèrent leurs montures. Ils virent que Chandaka rapportait les joyaux du prince. Ils demandèrent anxieux :

« Le prince a-t-il été assassiné ?

— Non, non, répondit en hâte Chandaka. Il m’a confié ces bijoux pour que je les rende aux siens. Il a vêtu l’habit des ascètes, et il est entré dans une forêt où vivent de pieux ermites.

— Crois-tu, reprirent les cavaliers, que nous le ramènerions, si nous allions jusqu’à lui ?

— Inutiles seraient vos paroles. Il est de trop ferme courage. Il a dit : « Je ne rentrerai dans Kapilavastou qu’ayant vaincu la vieillesse et la mort ». Et ce qu’il a dit, il le fera. »

Chandaka suivit les cavaliers au palais. Le roi courut à lui.

« Mon fils ! Mon fils ! où est-il allé, Chandaka ? »

L’écuyer raconta tous les actes du prince. Le roi fut triste, mais il ne pouvait s’empêcher d’admirer la grandeur de son fils.

Gopâ et Mahâprajâpatâ entrèrent ; elles avaient appris le retour de Chandaka. Elles l’interrogèrent, et elles connurent la résolution qu’avait prise Siddhârtha.

« Ô toi qui faisais ma joie, dit Gopâ en gémissant, toi dont la voix était si douce, toi qui avais toute la force et toute la grâce, toute la science et toute la vertu ! quand tu me parlais, je croyais entendre les chansons les plus belles, et, quand je me penchais vers toi, je respirais le parfum de toutes les fleurs. Loin de toi, maintenant, je pleure. Où Kanthaka, le cheval fidèle, t’a-t-il conduit ? Que deviendrai-je ? Mon guide s’en est allé. Me voici pauvre. J’ai perdu mon trésor. Il était mes yeux ; je ne vois plus la lumière, je suis aveugle. Ah, quand reviendra-t-il, celui qui faisait ma joie ? »

Mahâprajâpatî vit les joyaux qu’avait rapportés Chandaka. Elle les regarda longuement. Elle pleura. Elle prit les joyaux ; elle sortit du palais.

Elle pleurait toujours. Elle alla au bord d’un étang, elle regarda les joyaux, une fois encore, et elle les jeta dans l’eau.

Kanthaka était rentré dans les écuries. Les autres chevaux, heureux de son retour, hennissaient amicalement. Mais il ne les entendait pas, il ne les voyait pas. Il était tout triste. Il eut quelques gémissements, et, tout à coup, il tomba, mort.