La Vie du Bouddha (Foucher)/Chapitre I

Payot (p. 23-44).

PREMIÈRE PARTIE

LE CYCLE DE KAPILAVASTOU

CHAPITRE PREMIER

LA NATIVITÉ. — I. AVANT L’ENFANTEMENT

Nous abordons l’étude de la vie du Bouddha sans aucune intention de polémique ni d’apologétique, avec l’impartialité qui convient à un historien[1]. Cette biographie, nous la prenons pour ce qu’elle est, c’est-à-dire pour un mélange d’histoire et de légende, de vérité et de fiction ; et sans nous livrer suivant l’exemple de H. Oldenberg à des excès d’exégèse rationaliste, ni nous abandonner à la suite d’É. Senart « aux enivrements de la mythologie comparative[2] », nous tâcherons simplement de restituer, à l’aide des documents écrits et des monuments figurés, la façon dont les Indiens d’il y a deux mille ans l’ont eux-mêmes conçue et représentée. Ce qui importe est de ne demander à nos sources rien de plus, mais aussi rien de moins que ce qu’elles sont susceptibles de nous donner actuellement.

Si, chemin faisant, nous ne dissimulons pas l’attrait qu’exerce l’admirable figure du Bouddha, nous ne chercherons donc dans sa doctrine aucun prétexte à propagande. Toute tentative de ce genre serait pire que déplacée : elle s’avérerait vaine. Les religions ont trop de racines dans telle ou telle contrée et trop d’affinités avec telle ou telle race, elles sont l’aboutissement de trop d’hérédités séculaires pour constituer un article courant d’exportation. Certes on peut du jour au lendemain les professer du bout des lèvres, ne serait-ce que pour se faire nourrir en temps de famine[3] ; mais nos missionnaires en Orient vous diront qu’ils ne commencent à croire à la solidité des convictions chrétiennes de leurs ouailles qu’à partir de la troisième génération. Lasses d’être toujours les mêmes à se faire évangéliser, les communautés d’Asie se mettent à envoyer à leur tour des missions en Europe : à part quelques âmes particulièrement curieuses d’expériences exotiques, celles-ci ne recueilleront chez nous que bien peu d’adeptes. Assurément les morales chrétienne et bouddhique sont sensiblement pareilles ; mais leur fond doctrinaire et toute leur atmosphère spirituelle sont trop dissemblables. Le voyageur qui débarque à Ceylan, la première étape bouddhique sur la grand-route maritime de l’Extrême Orient, l’éprouve de façon saisissante. Transporté sans transition hors du tumulte et de l’éblouissante lumière du port dans l’ombre et le calme de la plus prochaine pagode, il ne peut s’empêcher de se demander, tandis que le hurlement lointain des sirènes des steamers se mêle au bruissement des palmes, si ce dont sourit le grand Bouddha assis sur l’autel n’est pas la vaine agitation de notre vie occidentale et l’inutile fracas de notre civilisation de fer. Le contraste est si frappant qu’il lui semble entrer dans un autre monde : la suite montrera qu’il n’a pas tout à fait tort.

Résignons-nous donc à laisser provisoirement de côté toutes nos conceptions acquises ou innées sur la destinée humaine, et à envisager à leur place une série de principes directeurs qui nous sont plus ou moins étrangers. C’est bien dans un autre univers qu’il s’agit pour nous de pénétrer, un univers, hâtons-nous de le dire, qui n’est nullement fermé à notre intelligence ni à notre sympathie, mais qui, à raison de son originalité même, se meut dans un cercle d’idées fort différentes de celles auxquelles nous avons été accoutumés dès le berceau. Comme toutes les productions du génie indien, le bouddhisme est à la fois pour nous intelligible et inadmissible, proche et lointain, pareil et disparate. Le fait est d’expérience constante, et l’histoire en rend aisément compte. Les derniers colonisateurs de l’Inde étaient des gens de même race et de même mentalité que nous ; et voilà qui justifie une certaine parenté dans les conceptions morales et les démarches logiques. Mais, d’autre part, au sein de cette immense serre chaude, les Indo-Européens se sont forcément mêlés à quantité d’autres peuplades et ont vécu presque entièrement en dehors de notre horizon méditerranéen, isolés qu’ils étaient par le haut rempart de leurs montagnes et les profondes fosses de leurs mers : et voilà qui n’explique pas moins les divergences auxquelles nous allons dès l’abord nous heurter. Et ce qui est vrai de la doctrine bouddhique ne l’est pas moins de la biographie de son fondateur. Si humaine qu’elle soit et par bien des points si voisine des « vies des saints » que nous lisons dans la Légende Dorée, nous ne pourrons la comprendre que grâce à une sorte de mise au point ou, si l’on préfère ainsi dire, d’accommodation d’optique préalable.

ITransmigration et Œuvres. — Premier embarras et première surprise : par où commencerons-nous à retracer l’existence du Bouddha ? — Par le commencement, répondra-t-on sans doute : or, il n’y en a pas. Le Bienheureux l’a proclamé lui-même : « La transmigration des êtres (samsâra[4]), ô mes disciples, a son origine qui se perd dans le passé. Impossible de découvrir un commencement à partir duquel les êtres engagés dans la nescience, enchaînés par la soif de l’existence, ont erré de renaissance en renaissance et gémi, et pleuré, et versé plus de larmes qu’il n’y a de gouttes d’eau dans le grand Océan[5]… » Ainsi, quel que soit l’être vivant que l’on veuille biographier, on ne pourra jamais le saisir qu’à un moment transitoire de ses existences multiples ; et comme chacune de ces vies ne s’explique qu’en tant que résultat des bonnes ou mauvaises actions commises par lui dans une vie antérieure (en un mot, qu’en fonction de son karma[6]), force serait de remonter de proche en proche dans son passé jusqu’à se perdre dans la nuit des temps : entreprise évidemment désespérée ; et ainsi, dès les premiers pas, le terrain que nous croyions solide (car quoi de plus simple que de conduire, littérairement parlant, un homme de son berceau à sa tombe ?) se dérobe sous nos pieds.

— Qu’à cela ne tienne, dira-t-on peut-être. Les notions et même les appellations de karma et de samsâra nous sont déjà familières. Du premier nous avons lu la formule dans Victor Hugo : « L’homme a ses actions pour juges : il suffit » ; et quant à la transmigration des âmes, les Grecs avaient déjà un nom pour cette théorie — un nom d’ailleurs fort mal fait : car ce n’est pas métempsychose, c’est métensômatose qu’il eût fallu dire, puisque c’est l’âme qui passe de corps en corps. Pythagore professait qu’il avait gardé le souvenir de ses existences passées ; et César a constaté chez nos ancêtres gaulois la même croyance. Nous ne trouvons rien là de si étrange, et nous croyons fort bien comprendre chacune de ces deux lois ainsi que les raisons de leur étroite association. — Prenez garde que vous êtes peut-être en train de vous fourvoyer à fond. Vous admettez sans peine qu’un être puisse changer de corps comme on change de vêtement parce que (sans vous inquiéter de ce qu’a de matérialiste ce spiritualisme apparent) les brahmanes et vous croyez à l’existence substantielle et permanente de l’âme ; et l’on ne pourrait d’ailleurs, selon eux et vous, parler de véritable sanction morale si ce n’est pas la même âme qui traverse ces destinées successives. Or rien n’est justement plus contraire à la doctrine bouddhique. Selon celle-ci, le moi n’est qu’un agrégat périssable, au même titre que le corps, et se dissout comme lui à l’heure de la mort. Votre logique se récrie-t-elle contre pareille théorie et les contradictions où elle s’embarrasse ? Vous n’êtes pas les premiers. Dès avant notre ère le roi indo-grec Ménandre, et sans doute avec lui ses compagnons d’aventure, se refusaient à comprendre qu’on pût parler de rétribution morale si l’être qui hérite du mérite et du démérite accumulés au cours d’une existence donnée n’est pas celui qui en mange les fruits, doux ou amers, au cours de sa nouvelle renaissance. Et, dans le dialogue qui porte le nom de ce roi[7], à grand renfort de comparaisons et de paraboles, le révérend Nâgasêna s’efforce de lui démontrer que l’être qui renaît est à la fois le même et un autre que celui dont il est la continuation. Si l’on allume une lampe bien garnie, ne brûlera-t-elle pas toute la nuit ? À chacune des trois veilles nocturnes sa flamme sera différente, et pourtant n’est-ce pas toujours la même huile qui lui sert d’aliment ? Ainsi ce qui transmigre de vie en vie, ce n’est pas le même individu, mais au fond c’est toujours le même karma qui évolue.

Une fois dûment avertis — et il était essentiel que nous le fussions dès le début — laisserons-nous aux docteurs ces raffinements subtils dont ne s’inquiétait guère le commun des fidèles ? Le contraste entre les idées bouddhiques et chrétiennes n’en demeurera pas moins grand. Selon nos théologiens, l’âme humaine naît avec le corps (ou du moins peu après : car il existe toute une littérature sur la question de savoir à partir de quel mois le fœtus reçoit son âme et doit par conséquent être baptisé dans le sein maternel) : mais en revanche elle est immortelle. Elle a donc un commencerment, mais elle n’a pas de fin : assertion que tous les penseurs indiens sont d’accord pour considérer comme absurde, car ils tiennent en axiome que tout ce qui est sujet à la production l’est aussi à la destruction. Selon eux, cet on ne sait quoi qui transmigre de renaissance en renaissance est mieux qu’immortel ; il est éternel. Existant de tout temps, il n’a pas de commencement ; il ne peut même avoir de fin que de façon tout à fait exceptionnelle, quand à force de mérites acquis il est mûr pour cet achèvement suprême, le nirvâna[8] dont il n’est pas de retour.

En partant de prémisses aussi opposées on comprend combien diversement se pose, ici et là, le problème de la destinée humaine. Pour le chrétien la situation a quelque chose de tragique. Brusquement jailli du non-être, il joue sur la partie de cartes d’une seule existence une éternité de félicité ou de douleur ; et c’est pourquoi Pascal croit pouvoir acculer l’incrédule entre les deux branches de ce dilemme : ou bien le néant, si le Dieu terrible et jaloux n’existe pas, ou bien la damnation perpétuelle, s’il existe. Mais supposez que le brillant dialecticien vienne offrir à un bouddhiste ce fameux pari où l’on a, dit-il, tout à gagner et rien à perdre : il sera aussitôt éconduit avec une dédaigneuse politesse. L’Indien vient de loin et il a tout le temps de voir venir. Sa vie présente n’est qu’un moment passager au cours d’une interminable carrière où, récoltant le fruit de ses existences passées, il jette la semence de ses existences à venir. Jamais pour lui la mort ne sonnera l’heure d’un bonheur sans fin ni d’une chute irréparable ; et d’autre part ce n’est que très lentement, à travers des milliers et des milliers de vies successives qu’il prétend (ou du moins qu’il prétendait, car le néo-bouddhisme ou Mahâyâna s’est offert à accélérer les choses) s’approcher peu à peu de la perfection et obtenir ce prix suprême du salut que notre impatience réclame d’emblée. De ce salut même il se fait une idée exactement contraire de la nôtre. L’Occidental, né d’hier, n’aspire qu’à vivre et, dans sa soif d’immortalité, n’hésite pas à accepter, s’il manque le ciel, l’éventualité d’une période indéterminée, voire même interminable de souffrances dans le purgatoire ou l’enfer. L’Oriental a déjà une éternité derrière lui et se sent horriblement las de ces vies ou plutôt, comme il dit (car il voit plus loin que nous), de ces morts indéfiniment répétées. Bref, l’espoir du premier est de ne plus mourir, celui du second est de ne plus renaître.

IILes naissances antérieures. — Mais c’est assez nous attarder à ces considérations générales : s’il était indispensable d’en donner un aperçu sommaire, c’était à condition d’en faire l’application immédiate au cas particulier du Bouddha. De lui aussi, on le devine, la destinée va nous être présentée, non comme une brève tragédie en cinq actes, mais comme une légende dramatique en mille et un tableaux. Lui aussi est censé avoir, à travers un nombre incommensurable d’existences, gravi un à un tous les degrés de l’échelle des êtres, et, sous toutes les formes animales, puis dans toutes les conditions humaines et surhumaines, « depuis celle de fourmi jusqu’à celle de dieu », successivement connu et épuisé toutes les joies et toutes les douleurs de la vie. S’il est vrai que pour bien comprendre les choses il faut les avoir soi-même éprouvées, rien en ce monde ne pouvait donc être étranger à sa sympathie ; et rien non plus ne pouvait désormais le tenter, lui qui avait vérifié la vanité non seulement des voluptés royales, mais encore des félicités célestes : et ainsi, remarquons-le en passant, sa sagesse et sa charité passaient pour être faites du trésor vécu de sa prodigieuse expérience. C’est qu’en effet, à la différence du commun des mortels, il se souvenait de ses existences passées. Ses souvenirs personnels remontaient, nous dit-on, à 91 kalpa ou æons[9] — soit 91 fois 432 millions d’années — en arrière. Ces souvenirs, il les avait contés pour l’édification de ses disciples ; et ses disciples à leur tour en avaient fait des recueils dont plusieurs nous sont parvenus. Qui les feuillette y trouve, mis au compte du Bouddha, nombre de fables, de fabliaux, de contes de fées, de relations d’aventures et de récits édifiants ; l’Européen en retrouve même beaucoup qui lui rappellent de très près ceux ou celles qui ont diverti son enfance ; et le tout manque d’autant moins d’intérêt que le talent de narrateur des Indiens est l’un de leurs meilleurs mérites littéraires. Que devrons-nous retenir ici de tous ces textes ?

Il n’est pas contestable que ces récits des Naissances antérieures[10] fassent partie intégrante, dans l’esprit des bouddhistes, de l’histoire de leur Maître. Jamais celui-ci ne serait parvenu au rang suprême de Bouddha parfaitement accompli s’il n’avait, au cours de ses vies passées, non seulement pratiqué, mais poussé à leur comble les dix vertus de moralité, d’abnégation, d’héroïsme, de patience, de véracité, de résolution, de bienveillance, d’équanimité et, par-dessus tout, de sapience et de charité[11]. C’est là une opinion qui est toujours allée en s’accréditant davantage au sein de la Communauté. Il existe un poème du viie siècle de notre ère qu’on a parfois comparé à l’Imitation de Jésus-Christ à cause de la ferveur religieuse dont il témoigne, mais qui, en fait, ne se borne pas à enseigner comment on peut imiter le Bouddha : la pensée indienne a plus d’audace, et son auteur, Çântidêva[12], n’entreprend rien moins que de tracer la voie par laquelle chacun peut devenir quelque jour un Bouddha. Or ce sont justement les dix « perfections » que nous venons d’énumérer (ou tout au moins les six plus importantes d’entre elles) qui jalonnent la longue et dure route au bout de laquelle luit le but idéal que le Mahâyâna prétendait rendre accessible à tous ; quant au bouddhisme ancien, dans cette série de vertus poussées jusqu’au degré suprême il voyait seulement, mais il voyait déjà les étapes que devait avoir nécessairement parcourues chacun de ces êtres exceptionnels qui sont d’avance prédestinés à l’obtention de la Clairvoyance (Bodhi), et que pour ce motif l’on appelle « Bodhi-sattva ».

Telle est la raison pour laquelle le passé de Çâkya-mouni ne peut être, à partir d’un certain moment de sa marche vers la lumière, qu’un tissu d’exploits merveilleux ou de sublimes sacrifices. Pour ne parler que de sa charité, en veut-on quelques exemples ? Il en est de tout point admirables, comme en cette occasion où, monarque proscrit et fugitif, n’ayant rien à donner à un pauvre, il se fait livrer par lui à l’ennemi qui a mis sa tête à prix pour permettre au mendiant de toucher la prime promise. Il en est d’autres qui peuvent paraître assez extravagants, comme lorsqu’il fait l’aumône de ses yeux à un aveugle, ou quelque peu excessifs, comme quand il jette son corps en pâture à une tigresse affamée. Il en est même de franchement cruels, quand, né prince héritier, il ne sait rien refuser à un quémandeur, ni ses propres biens, ni les trésors d’État, ni ses deux jeunes enfants, ni sa femme fidèle, etc. C’est par centaines qu’on nous conte[13] ces actions surhumaines ou ces généreuses folies comme autant d’incidents successifs dans l’évolution d’un même être. Tous ces épisodes constituent un enchaînement quasi continu qui aboutit finalement à conduire le futur Bouddha au quatrième étage des cieux. C’est de là qu’il descendra pour la dernière fois sur la terre ; et son ultime existence terrestre, couronnée par la parfaite Illumination (Sambodhi) et achevée dans le définitif Trépas (Parinirvâna), n’est elle-même que le dénouement attendu de sa fabuleuse destinée.

On comprend dès lors fort bien le parti qu’a pris l’auteur du Commentaire du recueil singhalais des « Naissances » quand il s’est proposé à peu près le même dessein que nous. Désireux d’esquisser, en guise d’introduction, l’histoire entière du Bouddha Çâkya-mouni, il l’a divisée en trois périodes[14]. La première, dite « lointaine », embrasse à elle seule toutes les vies antérieures ; mais comme celles-ci, se succédant de toute éternité, sont en nombre infini, le bon docteur s’est vu forcé de leur fixer de son autorité privée un point de départ ; et il a cru le trouver dans l’épisode resté fameux où, en des temps très anciens, le futur Çâkya-mouni, alors simple novice brahmanique, aurait reçu d’un de ses prédécesseurs, le Bouddha Dîpankara, la prédiction de sa haute destinée. On peut en effet considérer que c’est à partir de ce moment que le Bodhisattva se sait définitivement engagé dans la voie qui devait le conduire à l’Illumination parfaite. La seconde phase s’intercale entre sa dernière réincarnation sur la terre et l’obtention de la Sambodhi : si on compare la première à l’état larvaire d’un papillon, celle-ci correspondrait donc au laps de temps que met l’insecte parfait à sortir de la chrysalide où s’est enfermée la chenille. La troisième enfin, dite « proche », est réservée à la carrière enseignante du Bouddha parfaitement accompli : « Voilà, nous répète à plusieurs reprises l’auteur, ce qu’il vous faut savoir » ; et nous ne pouvons que nous incliner devant son opinion, puisque nous n’avons pas voix au chapitre. Qu’on nous permette toutefois une remarque. De cette division tripartite il ressort clairement que la dernière vie du Maître, partagée entre deux périodes, a deux fois plus d’importance dans l’esprit du moine que l’insondable passé dont elle est l’aboutissement. Il en est selon lui du Bouddha comme de cette plante qui, nous dit le poète, « Ayant vécu cent ans n’a fleuri qu’un seul jour » : évidemment le jour où s’épanouit sa floraison l’emporte de beaucoup en intérêt sur le siècle d’obscure végétation qui l’a préparée. Forts de cet orthodoxe précédent, nous n’hésiterons donc pas à prendre à notre tour un parti décisif. Nous laisserons résolument de côté les innombrables Vies antérieures (aussi bien faudrait-il un volume particulier pour résumer cette multitude de contes moraux), et nous ferons débuter la biographie de Çâkya-mouni juste à la veille de son ultime existence terrestre, la seule qui soit, au moins partiellement, historique. En revanche, rien ne nous empêchera de la conduire jusqu’à son terme définitif : car si les traditions relatives au Bouddha ne peuvent avoir de terminus a quo qu’en vertu d’un choix arbitraire, elles comportent dans le Parinirvâna le plus irrévocable terminus ad quem qui se puisse concevoir.

IIILe séjour dans le ciel des Toushitas. — Or donc, au cours de son avant-dernière renaissance, le futur Bouddha de notre âge (car chaque æon a le sien et notre Çâkya-mouni n’est qu’un numéro dans la série) résidait dans le ciel des dieux Toushitas sous le nom de Çvêta-kêtou, « Celui qui a un étendard blanc » ; et c’est de là qu’il est descendu s’incarner une dernière fois ici-bas dans le sein de sa mère Mâyâ pour le salut de tous les êtres. Ainsi, du moins, parlent et écrivent les bouddhistes : et, quand il lit ces textes ou écoute ces discours, l’Européen croit reconnaître des doctrines qui lui sont déjà familières. C’est en quoi il se trompe étrangement. Assurément il est aussi dit et écrit chez nous que le Christ est descendu s’incarner dans le sein de la Vierge Marie afin de sauver l’humanité : c’est même le dogme essentiel et le plus grand miracle du christianisme que cette descente du Fils de Dieu sur la terre. Mais proposez ce fait, pour nous unique et surnaturel, à l’admiration et à la vénération d’un bouddhiste : il ne pourra jamais comprendre la valeur religieuse que vous y attachez. Non qu’il se refuse à y croire ; tout au contraire, ce n’est pour lui que monnaie courante : tous les êtres, tant qu’ils sont, ne sont-ils pas des réincarnés ? Ce prodige qui plonge le chrétien dans un abîme de pieuse stupeur n’a pour lui rien de surprenant, rien qui sorte du train ordinaire des choses. Et ainsi vous constatez d’emblée, par un frappant exemple, que les deux religions ne se meuvent pas sur le même plan, et que les mêmes paroles, selon l’ambiance dans laquelle on les prononce, peuvent avoir des portées bien différentes.

Que ne devrait en effet apprendre, ou désapprendre, quiconque voudrait, n’étant pas né Indien, pénétrer dans l’intimité des idées indiennes ! Qu’est-ce, pour commencer, que le ciel des dieux Toushitas, c’est-à-dire « Satisfaits » ? — On nous répond que c’est le quatrième ciel, car il faut savoir que les cieux, comme les enfers, s’étagent, les uns en montant vers le zénith, les autres en s’enfonçant vers le nadir[15]. Pour ne parler que des premiers, juste par delà notre atmosphère, les quatre Loka-pâlas ou Gardiens du Monde ont chacun sous leur juridiction l’un des quatre points cardinaux. Au-dessus se superposent le paradis sur lequel règne Indra, puis celui qui est le domaine de Yama ; mais aucun de ces divins séjours, hantés qu’ils sont par les bayadères célestes, n’a paru suffisamment chaste pour y loger le Bodhisattva. On l’a donc installé au quatrième étage, celui qu’habitent les dieux qui, comme leur nom l’indique, trouvant toute satisfaction en eux-mêmes, peuvent se permettre d’être exempts de vulgaires désirs[16]. À dire vrai, le premier bloc ou groupe de cieux, appartenant encore aux « mondes sensibles », comporte deux degrés de plus ; et, par-dessus ce groupe de six, les deux autres sphères, celle des simples Apparences et celle des Invisibilités, portent à vingt-sept le nombre des étages de cet idéal gratte-ciel. D’autre part nul ne s’avisera de contester que les mérites accumulés par Çvêta-kêtou au cours de sa pratique des dix perfections ne lui eussent permis de renaître plus haut encore qu’il ne l’a fait : et sans doute se serait-il élevé davantage dans la céleste hiérarchie s’il ne s’était dès longtemps proposé, et ne s’était déjà vu prédire à plusieurs reprises le rang et le rôle d’un Sauveur du monde. N’eût-il songé qu’à son propre salut, ou bien il se serait depuis longtemps « éteint », ou bien il serait finalement rené dans l’un des cieux supérieurs, dans ces « Purs Séjours[17] » où se retirent volontiers, disant un définitif adieu à l’humanité, les êtres « qui ne reviennent pas » ; car là-haut ils atteignent directement la sainteté et, par elle, le Nirvâna[18]. Mais c’est un dogme bouddhique que seul un homme né d’une femme peut devenir ce « premier des êtres », supérieur même aux dieux, qu’est un Bouddha parfaitement accompli ; et c’est pourquoi le Bodhisattva n’a pas voulu trop s’éloigner de cette terre où il savait devoir une dernière fois descendre. Qu’avez-vous à redire à cela ?

— Rien, répondrez-vous peut-être, et nous ne demanderions qu’à vous croire : mais une difficulté nous arrête. Pour nous, quand une âme est une fois montée au paradis, c’est pour toujours… — Quelle erreur est la vôtre ! Sans doute c’est pour un temps prodigieusement long, si vous le comptez par années humaines, mais ce n’est jamais pour un temps illimité. Pas plus que les enfers, les cieux ne sont éternels. Ce sont seulement deux modes, ou, comme on dit, deux « voies » de renaissance passagère. Ces voies ne sent d’ailleurs qu’au nombre de cinq. Damné, larve, animal, homme ou dieu, sous chacune de ces formes, tout être ne peut faire autre chose qu’expurger les fautes qu’il a commises ou tarir les mérites qu’il s’est acquis. Une fois que le gros de son karma, bon ou mauvais, a été ainsi « mangé » par lui, force lui est de rentrer dans le cercle de la transmigration, et jamais la grande roue du samsâra ne cesse de l’entraîner dans sa rotation perpétuelle, à moins qu’il ne réussisse un jour, à force de vertus et de sacrifices, à s’échapper comme par la tangente pour se réfugier enfin dans la paix absolue du Nirvâna. Aussi bien est-ce sur la chance unique de cette échappatoire que le Bouddha est venu renseigner les hommes et les dieux.

— Soit, direz-vous encore : nous voyons bien que tout se tient dans votre système ; mais comment peut-on renaître ainsi dans un ciel ? — De la façon la plus simple : à peu près comme, selon vos contes de nourrice, les enfants se trouvent dans les choux. Si vous voulez des détails, lisez les textes qui décrivent, ou regardez les images qui représentent le paradis d’Amitâbha[19]. Dans ces mondes supérieurs il va de soi que les souillures et les souffrances qui accompagnent la génération humaine ou animale sont ignorées des élus : leur mode de reproduction ne peut être que surnaturel. Or vous conviendrez aisément que la fleur du lotus rose qui, obscurément sortie de la fange des bas-fonds, s’épanouit soudain sur le miroir nu des eaux est le meilleur symbole qu’on puisse rêver d’une naissance spontanée et immaculée[20]. De là à en devenir comme la matrice, il n’y a qu’un pas : et c’est pourquoi les dieux apparaissent assis, les jambes croisées à l’indienne, au cœur des nélumbos qui croissent dans les étangs des cieux. Le calice de ces fleurs merveilleuses en s’épanouissant les manifeste aux hôtes de ces lieux ; et l’on aime à penser que les « Fils-de-dieu[21] » qui les accueillent dans leur nouvelle demeure les dispensent de subir les brimades que les « fils-d’homme » se croient obligés en pareil cas d’infliger à tout nouveau venu.

Ainsi notre interlocuteur bouddhiste renverse successivement toutes nos idées reçues, et jamais nos questions ne le font rester court. De même qu’il sait comment on accède aux cieux, il n’ignore pas comment on en est derechef précipité sur la terre. Aucun fils-de-dieu n’échappe à cette fatalité. La somme de ses mérites va constamment s’amenuisant à mesure qu’il jouit de la félicité céleste qu’ils lui ont value, et le terme de celle-ci s’approche inéluctablement. Tôt ou tard, son débit finit par épuiser son crédit, et voici qu’un jour les cinq signes précurseurs de son imminente déchéance lui apparaissent : ses guirlandes de fleurs, jusqu’alors toujours fraîches, se flétrissent ; ses vêtements, toujours propres, se salissent ; il lui vient mauvaise haleine ; la sueur transpire de ses aisselles, et il commence à chanceler sur son trône[22]. Ainsi averti que l’heure de son changement de séjour et de rang va bientôt sonner, le pauvre dieu a toute raison d’appréhender que quelque « racine de démérite », restée jusqu’alors enfouie sous l’amas de ses actes méritoires, n’affleure à nouveau pour le faire tomber dans une condition des plus misérables, voire même animale. Tel est le sort ordinairement réservé à tous les habitants des cieux inférieurs, et c’est ainsi qu’ont fini ou que finiront tous les compagnons du Bodhisattva dans le paradis des Toushitas : mais lui-même sera-t-il astreint à subir la loi commune ? — Vous ne le voudriez pas.

IV. Les investigations[23]. — Jamais peut-être mieux qu’à cet instant de la biographie de Çâkya-mouni on ne peut saisir le jeu des deux forces contraires dont elle est la résultante. La première, qui va croissant avec la ferveur des générations, tend à épargner au Bodhisattva toute limitation ou toute impureté, de quelque nature qu’elle puisse être ; la seconde, qui va à l’encontre de la première, contraint les dévots les plus exaltés à admettre sur le compte de leur Maître, de sa famille et de son pays certains faits acquis et trop bien consacrés par la tradition pour qu’il ne fût pas devenu sacrilège de les nier et impossible de les taire. C’est de cette façon que la légende n’a pu s’empêcher de nous transmettre, roulées dans leur gangue de merveilleux, quelques pépites d’histoire. Des diverses versions de la Nativité les unes font plus de place à ces souvenances, et les autres à des prodiges inventés à plaisir : de quelque côté qu’elles inclinent, toutes ne sont qu’un compromis entre les deux tendances contradictoires que nous venons d’indiquer ; et les plus chimériques d’entre elles, tels des ballons captifs, sont toujours retenues au sol par le lest de la réalité et de l’humanité certaines de Çâkya-mouni.

Imaginons un instant que ce salutaire contrepoids n’eût pas existé : nous aurions aussitôt vogué en plein miracle. Un total mystère planant sur les origines du Bouddha eût été un grand allègement pour sa légende et une facilité de plus pour sa divinisation. Nul doute que la dernière naissance du Bodhisattva ne fût aussitôt devenue aussi surnaturelle que possible, et que procédant sur la terre comme au ciel, il ne fût censé être né sur un « lotus à mille pétales, de la dimension d’une roue de char[24] », issu de quelque lac himâlayen où personne ne serait jamais allé voir. On peut avancer cette hypothèse avec d’autant plus d’assurance que, dans les récits qui vont suivre, constamment le lotus reparaîtra, soit pour lui distiller sa nourriture pendant la gestation, soit pour soutenir ses pas lors de sa naissance, soit pour servir de chaire à sa prédication : combien n’eût-il pas été plus simple de le faire éclore lui-même en cette magique fleur ? Mais, qu’on le regrettât ou non, ce tour de passe-passe n’était plus possible : des souvenirs précis et localisés opposaient à ces pieuses divagations une barrière infranchissable. Bon gré mal gré l’imagination populaire a dû transiger avec les faits, et de cette transaction est résultée la cote mal taillée qu’on va lire.

Tenue en échec par les données traditionnelles, la légende s’est ingéniée à tourner l’obstacle qu’elle ne pouvait emporter de front. Le Bodhisattva réside dans le ciel des Toushitas en conformité avec des lois universelles ; mais, à présent qu’il le quitte, le surnaturel pourra d’un certain biais reprendre ses droits. Par une exception unique, et que seule sa primauté sur tous les êtres peut justifier, on ne croit pas devoir moins faire que de suspendre en faveur du dieu Çvêta-kêtou, à l’exclusion de tout autre, le cours automatique du karma. Jamais il n’aura à percevoir sur lui-même les cinq signes précurseurs de sa chute prochaine : c’est de son gré, en plein bonheur, en toute prescience qu’il procède lui-même, douze ans d’avance, après mûre délibération, au choix des circonstances de sa vie dernière. Pour ce faire, il se livre en compagnie de ses divins congénères aux quatre grandes « Investigations », et tout à tour il examine quel est le temps, le continent, le pays et la famille où il convient qu’il renaisse : certains disent même qu’il examina en cinquième lieu quelle femme il élirait pour mère. Bref, seul entre tous les vivants, il détermine librement tous les accompagnements de son ultime renaissance. Tel est du moins le conte que se plaisent à nous faire ses sectateurs. C’est une satisfaction morale qu’ils s’offrent à eux-mêmes en faisant fléchir devant leur Maître l’inflexible destin. Aussi bien n’y a-t-il pas pour eux d’autre manière de le « sublimer », ainsi qu’ils en éprouvent l’irrépressible besoin ; et, dans l’espèce il ne leur est pas difficile de l’affranchir de lois qu’ils ont eux-mêmes inventées.

Mais examinons à notre tour le résultat des quatre Examens, et nous constaterons aussitôt que, si leur goût pour les fictions pieuses les emporte, il ne les a pas entraînés bien loin, tenus qu’ils étaient en d’étroites lisières. Leur Bodhisattva a beau tourner et retourner avec ses compagnons de ciel toutes les hypothèses et prospecter tous les mondes imaginables, le choix qu’il fait est fixé d’avance et, à chaque fois, servilement calqué sur les données de la tradition. Pour que sa prédication soit bienvenue et efficace, il lui faut naître en un temps où la vie humaine, ni trop longue ni trop courte, ait une durée normale d’environ cent ans[25] : et, comme par hasard, tel est justement le cas du nôtre. Entre les quatre continents que domine la cime centrale du mont Mêrou, le Djambou-dvîpa (le Continent du pommier rose[26]) a un incontestable droit de priorité : et en effet c’est l’Inde. Dans l’Inde même, tous les pays excentriques étant par définition écartés, c’est le « Pays du Milieu[27] » qui, on l’a déjà deviné, reste seul sortable. Un autre compte réglé est que la famille convenable à un Bodhisattva ne peut appartenir qu’à l’une des deux castes supérieures, celle des nobles ou celle des brahmanes, selon celle qui jouit à ce moment de la plus haute considération : tout naturellement les bouddhistes font pencher la balance en faveur de la première ; mais, par une concession à l’orgueil brahmanique, ils admettent que le futur Bouddha Maïtrêya naîtra dans la caste sacerdotale[28]. Cependant les dieux Toushitas, avertis qu’ils sont de la résolution qu’a prise leur compagnon, s’entretiennent entre eux et passent successivement en revue les dynasties régnantes dans les capitales des seize grands royaumes que contient l’Inde centrale : à toutes ils découvrent quelque tare rédhibitoire. Il faut que Çvêta-kêtou lui-même les tire d’embarras en leur énumérant les soixante-quatre caractéristiques que doit présenter la famille et les trente-deux qualités que doit posséder la mère d’un Bodhisattva parvenu comme lui « à sa dernière existence[29] ». Vous admettrez sans peine avec eux, — sans même qu’il soit besoin de reprendre, pour vous les infliger, ces fastidieuses énumérations — que tous les item de ces deux listes ne se rencontrent réunis au complet que dans le clan oligarchique des Çâkyas et chez Mâyâ, la première épouse de leur chef, le roi Çouddhodana. C’est qu’en effet les hagiographes n’ont pu mieux faire que de dramatiser avec un grand luxe de mise en scène un canevas dont le dénoûment ne pouvait ménager de surprise à qui que ce fût ; et il nous apparaît clairement que, tout le long de ce chapitre, la légende s’est vu dicter sa leçon par l’histoire.

En attribuant à leur Maître une omnipotence plus que divine, les adorateurs du Bouddha se trouvent donc avoir obtenu ce résultat paradoxal de confirmer à nos yeux l’état civil de l’homme. Date relativement peu reculée de sa naissance ; noms de son pays, de sa ville natale, de sa famille, de son père et de sa mère : autant de renseignements dont l’authenticité s’accroît pour nous du fait qu’ils ont résisté jusqu’au bout à la corrosion de la dévotion postérieure. Retenons précieusement ce petit noyau historique et, pour le reste, laissons sans crainte le champ libre à l’imagination des hagiographes : elle a les ailes rognées. Assurément il leur est encore loisible d’ériger en règle universelle — applicable rétroactivement aux Bouddhas du passé et, par anticipation, à ceux de l’avenir — les souvenirs traditionnels relatifs au nôtre ; de transformer Kapilavastou en la plus magnifique des capitales, la famille des Çâkyas en la plus noble des races, le roi Çouddhodana en le plus puissant des monarques, et la reine Mâyâ en la mieux douée des femmes ; et de tout cela, comme bien on pense, ils ne se sont pas fait faute. Par la suite ils ne manqueront pas davantage de multiplier à profusion prodiges annonciateurs, songes prémonitoires, interventions célestes et exceptions miraculeuses aux lois naturelles : jamais ils ne parviendront, quoi qu’ils en aient, à effacer complètement de la biographie du Bouddha les traces indélébiles de sa personnalité humaine et de son historicité.

V. La conception. — Forts des quelques informations que nous avons réussi à leur soutirer, nous les laisserons donc par ailleurs amplifier, enjoliver et délirer à leur aise, puisque cela les amuse ; mais nous ne nous croirons pas obligés de les suivre jusque dans le détail de toutes leurs élucubrations, ce qui nous amuserait beaucoup moins qu’eux. Exagérations banales, ornements postiches, dénombrements fantastiques, nous leur laisserons tout cela pour compte et ne retiendrons de leurs fictions que celles qui jettent un jour curieux sur la psychologie de leurs inventeurs. Que, par exemple, à l’occasion de chaque déplacement du Bodhisattva ou de sa mère, ils se croient obligés de mobiliser d’office les célestes cohortes pour leur servir de cortège, et que, pour commencer, ils organisent en vue de la descente de Çvêta-kétou sur la terre une procession monstre de divinités se comptant par centaines de millions, c’est leur affaire : ce qui est la nôtre, c’est de nous souvenir que cette féerie à grand spectacle n’a pour prétexte qu’un fait considéré par les Indiens (mais non par nous) comme rentrant sous la loi commune et dont l’exposé était devenu un véritable cliché littéraire. Voici en effet ce que nous lisons à chaque instant dans les textes : « Une opinion répandue veut que les garçons et les filles s’obtiennent par prière. C’est une erreur : car, s’il en était ainsi, chacun aurait cent fils, tout comme un empereur. C’est de la rencontre de trois conditions que naissent les garçons et les filles. Quelles sont ces trois ? Le père et la mère se sont unis d’amour, la mère est dans ses mois, et un esprit se trouve là disponible : c’est de la rencontre de ces trois conditions que naissent les garçons et les filles[30]… » Tenons-nous-le pour dit : afin qu’un enfant indien vienne au monde, il ne suffit pas, comme chez nous, d’un père et d’une mère — quitte à discuter ensuite avec les anciens Grecs lequel des deux partenaires joue le rôle prépondérant ; il y faut encore la présence d’un être arrivé au terme de son existence présente et disposé (ou, pour mieux dire, condamné) à recommencer une autre vie. Or, comme nous venons de voir, tel est justement le cas du Bodhisattva. À la vérité il se distingue déjà du vulgaire en ce qu’il n’a pas attendu la fin de son bail dans le ciel des Toushitas pour décider de se réincarner et qu’il a lui-même choisi son père et sa mère. Les trois éléments requis pour sa renaissance ne s’en trouvent pas moins réunis ; et tout ce qu’il nous reste à voir, c’est comment la légende va s’y prendre pour donner une couleur surnaturelle à un fait supposé aussi courant.

Nous pouvons rapidement déblayer les adieux du Bodhisattva à ses confrères du ciel des Toushitas. Il ne saurait évidemment les quitter sans les avoir préalablement « instruits, éclairés, réjouis et réconfortés » par une homélie ; et c’est pourquoi le Lalita-vistara consacre tout un chapitre à l’exposé qu’il leur fit des « cent huit avenues de la Loi[31] ». Ils ont si bon caractère que le départ de leur professeur de morale leur arrache néanmoins des larmes ; et, pour les consoler, il leur laisse un autre lui-même, celui qu’on a coutume d’appeler le Messie du bouddhisme, le Bodhisattva Maïtrêya, auquel par la même occasion il prédit sa « bouddhification » prochaine. C’est là en effet un article de foi : le futur Bouddha de notre âge attend sous ce nom, dans le même ciel où résidait son prédécesseur Çâkya-mouni, que son tour soit venu de descendre pour la dernière fois sur la terre. Des docteurs doués de pouvoirs magiques, mais incapables de résoudre leurs doutes spéculatifs, sont même censés être montés jusqu’à lui pour lui soumettre leurs perplexités ; et on ne voit pas en effet, à défaut du Maître définitivement entré dans le Parinirvâna, quelle autorité meilleure ils auraient pu consulter. Ce qui nous fait dresser l’oreille, c’est beaucoup moins ce dogme et l’exploitation qui en a été faite que la façon dont il est présenté : « Et alors les Fils-de-dieu renés dans le ciel des Toushitas saisirent en pleurant les pieds du Bodhisattva et lui dirent : En vérité, homme de bien, ce séjour des Toushitas, une fois privé de toi, comment conservera-t-il son éclat ? Et le Bodhisattva dit à cette grande assemblée divine : Le Bodhisattva Maïtrêya que voici vous enseignera la Loi. Et le Bodhisativa, ayant ôté de sa tête son diadème, le plaça sur la tête de Maïtrêya : Le premier après moi, ô homme de bien, lui dit-il, tu obtiendras la suprême et parfaite Illumination[32]. » Qu’on nous excuse si ce qui nous intéresse le plus dans ce passage, ce n’est pas les paroles, mais bien le geste qui les accompagne et que nous avons souligné. Un tel jeu de scène n’a rien d’indien : tout au contraire cette sorte de couronnement anticipé du Bouddha présomptif sonne trop familièrement aux oreilles européennes pour ne pas éveiller le soupçon d’une influence occidentale ; et le fait que le passage est absent des vieilles traductions chinoises confirme son caractère tardif.

En revanche, à la ligne suivante, nous retombons en plein folklore local : « Et le Bodhisattva, ayant ainsi intronisé le Bodhisattva Maïtrêya dans le ciel des Toushitas, s’adressa de nouveau à cette grande assemblée divine : Sous quelle forme, ô mes amis, devrai-je entrer dans le sein de ma mère ? » Et les dieux ainsi appelés en consultation suggèrent successivement toutes les formes divines imaginables ; mais l’un d’eux, qui, du fait de sa précédente renaissance, se trouve être plus versé que les autres dans les écritures des brahmanes, clôt la discussion en déclarant péremptoirement : « sous la forme d’un éléphant blanc à six défenses… » Il nous est permis de rester au premier abord surpris de ce choix : toutefois notre étonnement diminuera sensiblement si nous faisons réflexion que nos symboles pourraient paraître non moins imprévus à des Indiens. Eux non plus ne verraient pas bien du premier coup d’œil pourquoi nous nous représentons le Saint-Esprit sous l’aspect d’une colombe[33] ; et si nous associons à l’image de l’Agneau des idées de pureté et de compassion divines, pourquoi n’attacheraient-ils pas à l’emblème de l’éléphant blanc des notions de parfaite sagesse et de suzeraineté royales ? C’est là justement ce qu’ils font. Faut-il rappeler que pour eux l’éléphant blanc est un des sept trésors du Monarque universel ? Les soins quasi religieux dont sont encore entourés à Bangkok les éléphants albinos des rois du Siam sont l’héritage direct de ces vieilles croyances indiennes. Quant au détail des « six défenses », il faut sans doute y voir un rappel de cette ancienne renaissance du Bouddha où il pardonna si généreusement au chasseur qui l’avait blessé à mort, et lui fit même présent de ses six dents d’ivoire[34].

Va donc pour ce prodige de plus. Nous savions que nous serions régalés de merveilles et étions d’avance résignés à les avaler toutes sans broncher — mais toutefois à une condition : c’est qu’elles fussent cohérentes entre elles. Même sur le plan du miracle la logique conserve ses droits. Or comment concilier ce qu’on vient de nous apprendre avec ce qu’on nous affirmera tout à l’heure, à savoir que le Bodhisattva a habité et quitté le sein maternel sous les apparences d’un enfant de six mois ? On néglige en effet de nous avertir à quel moment il aurait échangé sa forme animale contre une forme humaine. Les Chinois ont cru se tirer d’affaire en imaginant que le Bodhisattva était entré dans le sein de sa mère « monté sur un éléphant ». Nous ne les chicanerons pas sur le fait que le miracle n’en devient que plus invraisemblable ; mais encore auraient-ils dû préciser qu’il avait laissé sa monture à la porte. Si nous nous reportons de nouveau aux textes, suprême recours du philologue, nous constatons qu’en fait ils se contredisent parfois même d’une page à l’autre, sans que leur sérénité en paraisse ébranlée. C’est ainsi que la partie versifiée du Lalita-vistara, de l’aveu de tous la plus ancienne, nous dit en propres termes que la descente du Bodhisattva sous une forme éléphantine n’était rien qu’un songe de Mâyâ — ce qui apaiserait d’un coup tous nos scrupules : mais encore resterait-il à expliquer comment un simple rêve peut être donné dans le même chapitre comme un événement réel. En désespoir de cause, c’est aux monuments figurés qu’il faut, croyons-nous, demander la clef de l’incohérence des textes.

L’ancienne peinture de l’Inde a péri ; mais il nous reste des débris de sa sculpture. L’auteur d’un des médaillons qui ornent la vieille balustrade du stoupa de Barhut, aujourd’hui au Musée de Calcutta, s’est justement donné pour tâche d’illustrer ce passage de la légende, et il s’en est acquitté de façon aussi naïve que maladroite. Mâyâ est couchée, la tête à gauche du spectateur, sur un lit de sangle à quatre pieds pareil aux tchar-paï encore en usage de nos jours ; une aiguière et une lampe allumée (dont la flamme nous fait comprendre que la scène se passe de nuit) complètent le sommaire mobilier. Des suivantes, dont l’une est armée d’un chasse-mouches contre les moustiques, veillent sur le sommeil de leur maîtresse, et au-dessus de leurs têtes flotte la vision matérialisée de l’éléphanteau divin. Il n’y a qu’un malheur, c’est que celui-ci est beaucoup plus gros que sa future mère, et que la reine lui présente le flanc gauche, alors qu’il est écrit qu’il n’est entré (et sorti) que par son flanc droit — et même qu’en sa qualité de progéniture mâle, il n’a jamais résidé que dans la partie droite de son sein. Les artistes d’Amarâvati, plus soucieux de la vraisemblance, donnent au pachyderme des dimensions minuscules ; et, encore plus dociles aux dires de leurs donateurs, ceux du Gandhâra couchent la reine sur son côté gauche : mais tous, chacun dans son style, traitent visiblement le même sujet ; et ce sujet, pour que nul n’en ignore, le vieux sculpteur de Barhut a pris soin de l’inscrire au-dessus de son médaillon de sa plus belle écriture : « Bhagavato okranti : la descente du Bienheureux[35] ». Aucun doute n’est donc permis : il s’agit bien d’une représentation concrète de la « Conception » du futur Bouddha : et cette image a été répétée à tous les coins et par toutes les écoles de l’Inde. Il n’en faut pas davantage pour faire deviner ce qui ne pouvait manquer d’arriver : l’imagination populaire, toujours simpliste, a pris à la lettre l’inscription catégorique du vieil imagier et cru, comme on dit, « que c’était arrivé ». Aussi bien le croyait-il lui-même ; car le geste de surprise esquissé sous son ciseau par l’une des femmes qui veillent la reine prouve que, dans les idées de l’artiste, la vision de l’éléphant n’était pas seulement un rêve de la dormeuse. L’inévitable confusion était donc faite dans les esprits dès le iie siècle avant notre ère, et des esprits elle a forcément passé dans les textes. Ce qui était originairement et est resté dans la tradition pâli comme dans les stances du Lalita-vistara un songe prémonitoire, présage et symbole de la Conception — bref, une sorte d’Annonciation conçue à la mode indienne — a fini par devenir dans la prose du Lalita-vistara comme dans le Mahâvastou un épisode réel de la biographie de Çâkya-mouni ; et bientôt même il sera érigé en loi générale que jamais Bouddha du passé ou de l’avenir n’est entré et n’entrera dans le sein de sa mère autrement que sous la forme d’un éléphant blanc.

L’examen des sculptures ne nous aide pas seulement à sortir de l’embarras où nous jetaient les contradictions des textes : il attire notre attention sur un point qui, psychologiquement, ne manque pas d’importance. On ne peut en effet s’empêcher de remarquer qu’au moment décisif de la conception, Mâyâ nous est toujours représentée sur sa couche solitaire. À Barhut elle n’a autour d’elle que ses femmes ; au Gandhâra des amazones montent en outre la garde dans les vestibules, appuyées sur leur lance ; et à Amarâvatî les quatre dieux gardiens des quatre points cardinaux font de même, l’épée à la main, aux quatre coins du bas-relief : toujours et partout l’époux est absent. Or ce n’est sûrement pas par pudibonderie que les artistes indo-grecs laissent Çouddhodana dans la coulisse, car ils n’hésitent pas à nous montrer le Bodhisattva dans sa chambre à coucher, assis sur le lit de sa femme endormie. Comme à tous les imagiers bouddhiques, leur systématique abstention leur est commandée par une raison beaucoup plus impérieuse : ils obéissent en fait aux injonctions de la conscience religieuse de leur temps telle qu’elle se reflète aussi dans les textes. De jour en jour cette conscience se montre de plus en plus soucieuse de pureté physique autant que morale en tout ce qui touche à la venue au monde du Bodhisattva, et ses scrupules font voir une croissante délicatesse. On peut suivre d’une version à l’autre, dans les Écritures conservées, le progrès de ses exigences. Dès que le Bodhisattva est entré dans le sein de sa mère, celle-ci n’est pas seulement délivrée de toute maladie et de toute souffrance, mais en outre elle devient exempte de toute action, de toute parole, de toute pensée impures. Non seulement elle-même n’éprouve plus aucun désir charnel, mais elle ne saurait plus en inspirer à personne, pas même à son époux[36]. Bientôt cette absolue chasteté consécutive à la conception ne paraît plus suffisante aux fidèles. C’est dès avant la conception que la reine Mâyâ sollicite et obtient du roi la permission d’entrer dans une sorte de retraite pieuse et de se retirer avec ses femmes dans une chambre à part située, comme de règle, sur la plus haute terrasse du palais ; et, pour ne pas demeurer en reste avec elle, Çouddhodana prononce et observe de son côté les mêmes vœux de religieuse continence. Ainsi donc, si l’on ne peut parler de la virginité de Mâyâ comme de la Vierge Marie, il est du moins strictement vrai de dire que la Conception de l’Enfant-Bouddha est devenue pour les bouddhistes une conception immaculée. Du même coup, et même pour l’Inde, elle s’est transformée en un événement surnaturel ou du moins supra terrestre. Des trois éléments nécessaires à une naissance d’homme, le père, la mère et l’être prêt à se réincarner, le premier a été purement et simplement éliminé : nous nageons toujours en plein miracle.

VI. La gestation[37]. — Dès lors nous ne nous arrêterons plus sur la pente où nous avons versé, et les détails qu’on nous donne au sujet de la grossesse de Mâyâ sont, si possible, plus merveilleux encore. À la vérité les plus anciens textes se bornent à nous dire que c’est avec une claire conscience, en pleine connaissance de cause, que l’Enfant-Bouddha est entré dans le sein de sa mère. De son côté celle-ci, par un don particulier du ciel, l’aperçoit distinctement, « comme on voit à travers une pierre précieuse le fil de couleur sur lequel elle est enfilée[38] ». Cette comparaison n’a pas plu à tout le monde, sans doute parce qu’elle faisait la part trop belle à Mâyâ aux dépens de son fils ; on préfère dire : « comme on voit un œil-de-chat dans une cassette de cristal de roche », ou encore, usant d’un autre tour : « comme on voit son visage dans un miroir parfaitement clair ». Ce qu’il nous faut retenir, c’est que le Bodhisattva est déjà un enfantelet en possession de tous ses membres et de tous ses organes ; et ainsi l’on nous donne à entendre qu’il est entré dans le sein maternel avec un corps tout formé d’avance, un corps parfaitement étranger à celui de sa mère, sans aucun lien ni rapport avec le réceptacle où il est provisoirement enfermé.

Ces suggestions n’ont pas paru suffisamment précises à l’auteur d’une des versions du Lalita-vistara. Il prête à un dieu la réflexion suivante : « Comment, au sortir du paradis des Toushitas, le Bodhisattva, cette perle de tous les êtres, lui pur et à l’odeur suave, pourrait-il demeurer dix mois (lunaires) dans ce puant réceptacle humain qu’est le sein de sa mère ? »… Qu’on excuse l’énergie de ces expressions : elles ont le mérite de poser crûment le problème, tel qu’il a fini par se présenter au jugement des générations postérieures. La solution qu’elles souhaitaient ne leur a pas été refusée. Sans s’inquiéter le moins du monde de ce que nous y lisions tout à l’heure au sujet de la descente du Bodhisattva sous la forme d’un éléphant, voici qu’à présent le même texte nous le montre quittant le ciel des Toushitas, toujours au milieu de son divin cortège, mais cette fois sous la forme humaine et abrité sous un pavillon de pierre précieuse — tel enfin que le figurent les consciencieux illustrateurs du Boro-Boudour de Java[39]. C’est toujours enfermé sous cette sorte d’étui protecteur qu’il est censé s’introduire et s’installer dans le flanc droit de sa mère. C’est à l’intérieur de cet incorruptible tabernacle que pendant dix mois il va se tenir assis, les jambes croisées à l’indienne, déjà parvenu à la taille d’un enfant de six mois et pourvu des trente-deux marques caractéristiques du grand homme. C’est de là que, par transparence, il illumine tout l’univers ; de là que, mettant à profit les loisirs forcés de sa réclusion temporaire, il ne saurait moins faire que de prêcher sa doctrine et de convertir à sa Loi, comme entrée de jeu, trente-six fois mille millions d’êtres, etc., etc…

— Mais, objectera-t-on, personne déjà n’ignorait qu’un embryon ne peut subsister qu’en se nourrissant de la substance maternelle ; si le Bodhisattva, complètement isolé par ce « dispositif[40] » particulier, ne participe plus en aucune façon à la vie de sa mère, comment et de quoi a-t-il vécu pendant ces dix mois ? — L’objection a été prévue. Il vous faut savoir que, la nuit même de la Conception, un gigantesque lotus a fendu la terre et est monté jusqu’au ciel de Brahma. Dans le calice de cette fleur toute l’essence, tout le suc de cet univers s’est distillé et concentré en une unique goutte de miel. Le dieu Brahma l’a lui-même apportée au Bodhisattva, et celui-ci l’a acceptée[41] : aussi bien n’y avait-il que lui au monde qui fût capable de l’assimiler après l’avoir absorbée. C’est de cet extrait, de cet élixir merveilleux qu’il a tiré sa subsistance, jusqu’à ce qu’enfin le terme de sa gestation fût révolu. C’est ainsi que, par un privilège unique, il a été, seul de tous les enfants des hommes, préservé de toute souillure au cours de son passage dans le sein maternel : « C’est bon, est-il écrit, de parler de cette souillure pour les autres : lui seul en est exempt ». Quant au tabernacle, d’un art et d’un éclat sans pareils, sous lequel il se tenait assis, le dieu Brahma, au moment de la naissance, l’a emporté dans son paradis et lui a consacré un sanctuaire. Et si vous pouviez concevoir là-dessus quelque doute, apprenez qu’à la demande du Bienheureux il a lui-même un jour rapporté des cieux cette précieuse relique pour la mettre sous les yeux de la Communauté[42]

Tel est le suprême effort de la légende pour assurer l’absolue pureté de la suprême renaissance du Bodhisattva ; et, en vérité, il ne lui était guère possible d’aller plus loin dans cette voie. Tout à l’heure nous avons vu que son père putatif n’intervenait plus à l’occasion de la Conception ; maintenant il est permis de se demander quelle part sa mère même prend à sa gestation. Non seulement il est entré en elle avec son corps tout formé et sans perdre à aucun moment la conscience de sa suprématie intellectuelle et morale, mais il n’a jamais eu avec elle le moindre lien organique : tant et si bien qu’on finit par se demander pourquoi il a tant fait que d’avoir recours pour naître à l’intermédiaire d’une femme. Rien ne lui aurait été plus facile que de se dispenser de ces dix mois d’emprisonnement dans le fétide milieu d’une matrice humaine : il n’avait qu’à se passer de mère comme de père et renaître, lui, le premier de tous les êtres, de la naissance spontanée qui est le privilège des dieux ; sans aller chercher plus loin, il n’avait qu’à éclore dans le lotus merveilleux où s’élabora la goutte de nectar qui le soutint pendant toute la grossesse de sa mère. Pourquoi la légende n’a-t-elle pas pris nettement ce parti au lieu de s’empêtrer dans ce mode hybride de génération qui n’est plus simplement humain, mais qui n’est pas non plus tout à fait divin ? Si vous insistez pour le savoir, les textes vous répondront : ils ne sont jamais embarrassés pour répondre, et toujours de la façon la plus édifiante. Si le Bodhisattva est descendu en ce monde dans le sein d’une femme, c’est par pure commisération pour nous. Se serait-il manifesté comme un dieu, nous aurions tous désespéré de jamais pouvoir l’imiter, encore moins l’égaler ; c’est pour mieux nous encourager par son exemple à la pratique de toutes les vertus qu’il a voulu n’être, lui aussi, qu’un homme. Telle est du moins la raison sublime que l’on se plaît à nous donner[43], et, comme l’apologétique chrétienne n’a pas dédaigné de s’en servir également, il faut avouer qu’elle sonne familièrement à nos oreilles. Suffisante pour fermer la bouche au fidèle, elle n’en impose pas à l’historien. Celui-ci sait bien qu’au cours de toute transformation d’un homme en dieu, il est toujours aisé d’écarter tôt ou tard le père : il n’est pas à beaucoup près aussi commode de se débarrasser de la mère. La légende bouddhique a eu beau entasser à propos de la dernière réincarnation du futur Bouddha merveilles sur merveilles, elle n’a jamais osé le faire naître autrement que de Mâyâ.

VII. La naissance[44]. — Après une conception et une gestation aussi surnaturelles, l’accouchement, sous peine de détonner piteusement dans cet enchaînement de prodiges, ne pourra qu’être supposé anormal. Qu’il l’ait été en fait, — comme ce fut, par exemple, le cas pour Jules César — on ne nous donne aucune raison plausible de le croire. Le point indubitable est que le futur Câkya-mouni est né et nous croyons même savoir où. Tous les textes sont d’accord pour placer le lieu de sa naissance au voisinage de Kapilavastou, dans le parc de Loumbinî, aujourd’hui Roummindêï[45], en plein Téraï népalais. La localisation du site est certaine, grâce au fait que l’empereur Açoka, devenu un ardent zélateur de la Bonne-Loi, s’y est rendu en pèlerinage vers 244 avant notre ère et y a fait dresser en guise de poteau indicateur une de ses fameuses colonnes monolithes. Quand huit cent quatre-vingts ans plus tard le pèlerin chinois Hiuan-tsang a visité à son tour cette place sainte, devenue dans l’intervalle à peu près déserte, ses guides ne manquèrent pas de le conduire devant cette même colonne : il la trouva déjà brisée et fendue par la foudre qui avait jeté bas son chapiteau avec la figure de cheval qui le surmontait. Depuis lors ce débris même a disparu et la djangle fiévreuse, où l’on ne circule plus de nos jours qu’à dos d’éléphant, a achevé d’ensevelir aussi bien le parc que les ruines de la ville : toutefois le tronçon mutilé de la colonne dépasse encore du sol et une fouille sommaire permit au Dr Führer, en décembre 1896, de remettre au jour l’inscription qu’Açoka avait fait graver sur son fût pour le bénéfice de la postérité la plus reculée. On y lit dans la plus claire des écritures : « Par Sa Gracieuse Majesté le Favori-des-dieux, venu en personne, vingt ans après son sacre, (ce lieu) a été vénéré, disant : « Ici est né le Bouddha Câkya-mouni[46] »… Nous devons en croire sa royale parole : nous savons assez la persistance dans l’Inde et ailleurs des souvenirs attachés à des vestiges matériels, et quelques générations seulement séparaient Açoka de l’événement que, fort heureusement pour les historiens venus plus de deux mille ans après lui, sa dévotion a tenu à commémorer sur place.

L’un des détails particuliers qu’on nous a transmis au sujet de la Nativité deviendrait du même coup vraisemblable ; ce ne serait pas dans son palais de Kapilavastou, mais au cours d’une de ses promenades coutumières à son jardin de plaisance, que Mâyâ aurait été surprise par ce que, chez toute femme autre qu’elle, on appellerait les douleurs de l’enfantement. Mais à partir de ce moment la fiction légendaire reprend sa tâche, sinon ses droits. Tout d’abord les textes sont unanimes à vouloir que Mâyâ ait accouché debout, position aussi incommode qu’exceptionnelle. Ils sont aussi d’accord pour la faire, au moment décisif, se suspendre de la main droite à une branche d’arbre : c’est seulement au sujet de l’essence de cet arbre qu’ils divergent entre eux. Tantôt Açoka aurait été conduit devant un arbre du même nom que lui, connu dans l’Inde par ses magnifiques fleurs rouges ; grâce au prestige que le Révérend Oupagoupta exerçait jusque sur les divinités, l’empereur aurait même conversé avec la dryade qui, habitant sous son écorce, avait été aux premières loges pour voir naître l’Enfant-Bouddha. Plus de six cents ans après, c’est encore un açoka[47] que l’on montre au pèlerin Fa-hien, peut-être le même que, deux siècles et demi plus tard, Hiuan-tsang a encore vu, mais mort et desséché. D’autres veulent au contraire que ce soit un figuier plaksha qui ait spontanément incliné un de ses rameaux vers la main droite de la parturiente. D’autres tiennent pour un çâla, l’espèce la plus répandue dans la zone subhimâlayenne et la même qui, quatre-vingts ans plus tard, abritera de son ombre le trépas du Bienheureux. Le seul point que nous ayons à retenir est que la tradition attribuait en la circonstance à Mâyâ la pose plastique par excellence au gré de l’esthétique indienne, en quoi elle n’a pas manqué d’être suivie jusqu’à nos jours par les imagiers.

Tout ceci n’est encore qu’un prélude : mais l’avènement miraculeux du Prédestiné — n’oublions pas que la Naissance est l’un des quatre Grands miracles — ne peut plus tarder à se produire, car (on y insiste) les dix mois lunaires de la grossesse sont exactement révolus. Les versions les plus anciennes n’en demandent pas davantage ; mais les textes postérieurs se montrent beaucoup plus exigeants, d’autant qu’un illustre précédent les autorise à ne pas se résigner pour leur Maître aux conditions d’un vulgaire enfantement. La même question était en effet censée s’être posée lors de la naissance d’Indra, le roi des dieux et le dieu des rois : « Voici (est-il dit dans le Rig-Vêda) le chemin connu de toute antiquité par lequel sont nés tous les dieux ; c’est par là qu’il doit passer pour naître ; il ne faut pas que par une autre voie il fasse périr sa mère… » Mais le jeune dieu fait le dégoûté et se rebiffe : « Je ne veux pas sortir par là : c’est un vilain chemin ; en travers par le flanc je veux sortir[48]… » C’est ainsi, ne manqueront pas de vous dire aussitôt les mythographes, que l’éclair jaillit du sein de la nuée ; et, à leur tour, les ethnographes vous exposeront que tous les peuples et peuplades de la terre éprouvent ce même besoin de faire naître leurs héros de façon extraordinaire : mais nous n’avons pas besoin de tant d’explications pour comprendre que l’Enfant-Bouddha se devait de suivre l’exemple d’Indra. Pourquoi le rejeton de noble famille qui est destiné à devenir « le premier des êtres » ferait-il moins de façons pour naître que le dieu qui, nous le verrons bientôt, va devenir son assistant et plus tard même son obligé ? Après tout il n’est pas plus étonnant, il est même presque naturel que le Bienheureux sorte ainsi par effraction du sein maternel de la même manière et du même côté qu’il y est entré lors de sa conception. La seule précaution à prendre pour enlever aux fidèles un dernier scrupule, c’est de les avertir qu’en jaillissant ainsi de la hanche droite de sa mère le divin enfant ne l’a aucunement blessée ; et en effet on prend bien soin de nous dire que cette sorte d’opération césarienne spontanée n’avait pas même laissé la moindre cicatrice apparente. De toute nécessité il fallait que la naissance du Bouddha eût été extrahumaine ; elle se devait pourtant de n’en pas devenir inhumaine.


  1. Quiconque a lu l’introduction le sait déjà ; mais qui lit les introductions ?
  2. L’expression est d’É. Senart (Origines bouddhiques p. 6).
  3. Allusion aux convertis d’occasion bien connus dans les Missions de l’Inde sous le nom de « chrétiens de riz ».
  4. Saṃsâra, dans son sens large, désigne le flux universel du perpétuel devenir, et plus particulièrement le tourbillon des renaissances, le cercle sans commencement ni fin qui dans son incessante rotation entraîne tous les êtres : aussi la carte en a-t-elle été dressée sous l’aspect d’une grande Roue (v. l’image tibétaine publiée par L. A. Waddell, Lamaism, p. 102 et 108). Nous donnons (fig. 1) un schéma de la « Roue de la transmigration » (saṃsâra-cakra)
    Fig. 1. — Schéma de la roue du Saṃsâra.
    établi d’après la description la plus ancienne connue, celle que donne le DA p. 300. On remarquera qu’elle ne compte originairement que cinq rayons et ne donne place qu’à cinq et non six gati (« voies », ou « destinations », à la fois régions et conditions de renaissance) comme dieu, homme, animal, larve ou damné (cf. supra p. 161 et 174). Une explication historique de l’introduction postérieure d’une sixième gati, celle des Asuras, est proposée dans Mém. de la Délég. arch. fr. en Afghanistan, t. I p. 267. Est-il nécessaire de rappeler « que la Création est une grande roue » (V. Hugo) dans l’imagination européenne aussi bien qu’asiatique ? Mais tandis que c’est le monstre hideux de l’impermanence qui enserre dans ses griffes la roue bouddhique, c’est le Christ qui sur les fresques du Campo Santo de Pise tient les sphères embrassées.
  5. La citation est empruntée au Samyutta-nikâya, II, 170.
  6. Karman (nom. n. Karma ; pâli Kamma) signifie proprement « acte, action, œuvre » et au sens védique « l’œuvre rituelle, le sacrifice » ; pour les bouddhistes il désigne particulièrement les œuvres qui, produisant mérite ou démérite, déterminent les conditions des futures renaissances, puis, par extension, le fruit (phala) ou maturation (vipâka), c.-à-d. le résultat « blanc, gris ou noir » desdites œuvres, qu’elles soient physiques, orales ou mentales. (Sur les diverses variétés du Karma v. BPh p. 180 s.). Dans le bouddhisme tardif, le Karma, en sa qualité d’instrument de la rétribution morale, tend de plus en plus à devenir la grande loi qui régit ou même crée toute l’apparence de l’univers.
  7. Milinda-pañha, éd. Trenckner p. 25-6 ; trad. L. Finot p. 58. La question revient supra p. 206 et 334.
  8. Le terme de nirvâṇa a fait l’objet des interprétations les plus diverses (cf. supra p. 326) ; l’idée essentielle qu’il connote semble être celle d’un feu qui s’éteint faute d’aliment quand, du fait de l’arrivée à la sainteté, on échappe à l’action des trois forces aveugles qui, faisant tourner le moyen de la Roue de la transmigration, produisent le karma. Techniquement c’est un dharma, c.-à-d. un des facteurs ultimes de ce monde irréel ; mais dans le bouddhisme primitif il est le seul qui soit a-saṃskṛta, littt « non-coefficié, inconditionné », et par suite permanent, transcendantal et ineffable (v. BPh p. 110 et aussi infra la note à p. 24118).
  9. Les autres saints ne dépassaient pas 80 kalpa, mais le Dîgha-Nikâya, xxix 27 (vol. III p. 184) assure que le Prédestiné « se souvient aussi loin qu’il le désire ». V. P. Demiéville, Sur la mémoire des existences antérieures dans Bull. de l’Éc. fr. d’Extr.-Or. xxvii (1928) p. 283. Le mahâ-kalpa des bouddhistes comprend 100 mahâ-yuga, chacun de ceux-ci groupant les quatre âges du monde (BPh p. 45 s.).
  10. Le terme de jâtaka « ce qui a rapport à la naissance » s’applique à tout récit d’une vie antérieure d’un individu quelconque et plus particulièrement de notre Buddha. On l’emploie couramment pour désigner le recueil pâli de 547 de ces contes plus ou moins édifiants accompagnés de leur commentaire : v. à la Liste des titres abrégés J. et NK et cf. BL p. 113-156.
  11. Il s’agit des dix pâramitâ : un essai de combinaison entre ces perfections et les jâtaka du Bodhisattva se trouve déjà amorcé dans le Cariyâ-piṭaka (BL p. 162 s.) et la NK p. 44-7.
  12. Çântideva, Bodhicarya-avatâra, éd. et trad. L. de la Vallée Poussin et trad. L. Finot (La Marche à la lumière Paris 1920).
  13. V. J. nos 499 et 547 ; pour la tigresse Jâtaka-mâla (éd. et trad. J. S. Speyer ; cf. BL p. 273 s.) no 1 ; pour le don de soi-même à un pauvre v. SA no 71 et Hiuan-tsang J I p. 130 ; B I p. 124 ; W I p. 232.
  14. NK p. 2, 47, 77. Sur le Dîpankara-jâtaka v. AgbG I p. 273 s.
  15. Sur la cosmologie bouddhique v. BPh p. 60 s. et cf. l’image tibétaine dans L. A. Waddell Lamaism p. 78 ; les six premiers étages du ciel sont figurés à Sâñchi pl. 49.
  16. Selon certains dans le ciel des Tushita les manifestations amoureuses se bornent à des serrements de main (BPh p. 79), mais d’autres le contestent, car ce ciel fait partie du Kâma-dhâtu ou Monde des désirs (cf. Abhidharmakoça de Vasubandhu trad. L. de la Vallée Poussin, troisième chapitre p. 164-5).
  17. Les Çuddha-âvâsa sont dans le LV et le MVU un nom générique des dieux supérieurs.
  18. Il faut savoir que les fidèles bouddhistes se répartissent entre quatre catégories selon leur degré d’avancement sur la voie du salut : 1o les nouveaux convertis qui viennent seulement « d’entrer dans le courant » (çrota-âpanna ou sota-âpanna) ; 2o les sakṛdâgâmin ou sakad-âgâmin « qui ne reviendront plus qu’une fois sur la terre » ; 3o les an-âgâmin « qui n’y reviendront plus du tout » et 4o les arhat « les dignes », c.-à-d. les saints qui entreront directement dans le nirvâṇa.
  19. V. Sukhâvatî-vyûha trad. Max Müller dans les Sacred Books of the East vol. 49 et pour des images Waddell Lamaism p. 87 ou ASI Memoir no 46 pl. VI, 4. Nous avons cité à ce propos le « paradis d’Amitâbha » parce qu’il en existe de nombreuses illustrations ; toutefois il ne faut pas oublier que ce paradis n’est pas comme celui des Tushita un deva-loka mais une « terre pure » qui ne fait pas partie des étages célestes de la cosmologie canonique : le « paradis de Maitreya » serait un meilleur exemple.
  20. Il n’y a pour les êtres que quatre façons de naître : ou bien de façon spontanée (skt aupapâduka ; pâli opapâtika) comme les dieux, ou d’un œuf (aṇḍa-ja, ovipare), ou d’une matrice (jarâyu-ja ou jalâbu-ja, vivipare) ou sous l’action de la chaleur humide (saṃsveda-ja) comme la vermine : cf. BPh p. 75. Le nom skt du nelumbo speciosum est padma.
  21. Le terme de deva-putra, littt « fils de dieu », souvent traduit en anglais par « angel », désigne tout le menu fretin des divins habitants des cieux, de même que celui de râja-putra, littt « fils de roi », embrasse tous les humains qui peuvent se réclamer d’une naissance noble (cf. les modernes Radjpoutes).
  22. Tels sont du moins les cinq pûrva-nimittâni d’après le DA p. 193. Pour une autre énumération v. BPh, p. 80.
  23. Ce sont les quatre mahâvilokitânî du LV ch. 111 p. 19 s.
  24. Tel est en fait le procédé auquel a recours le MVU I p. 227-8 pour l’Illumination de Dîpankara.
  25. Si la vie humaine était trop longue, la salutaire crainte de la mort prochaine ne ferait plus réfléchir les méchants ; si elle était trop courte, les bons n’auraient pas le temps d’en découvrir la foncière vanité.
  26. Le nom scientifique du jambu est Eugenia Jambolana.
  27. Sur le Madhya-deça des bouddhistes v. supra p. 274.
  28. Est-il nécessaire de rappeler la hiérarchie bouddhique des quatre grandes castes (ou plus exactement « classes ») sociales de l’Inde : kshatriyas (membres de la noblesse d’épée), brâhmaṇas (en partie membres d’une sorte de clergé), vaiçyas (bourgeois des villes et des campagnes) et çûdras (prolétaires) — et l’existence en dehors d’elles d’une couche inférieure de parias intouchables appelés caṇḍâla ?
  29. L’expression technique est caramabhavika.
  30. DA p. 1 et 440 : Apparemment la question du logement ne se posait pas alors dans l’Inde. Le mot que nous traduisons par « esprit », à savoir gandharva, est longuement discuté dans E. Windisch, Buddha’s Geburt, p. 12 s.
  31. C’est le ch. IV du LV intitulé Dharma-âloka-mukha, littt « des introductions à la vision de la Loi », où âloka a un sens philosophique voisin de celui que conservera le mot darçana. — Cf. AgbG, fig. 146 et B. Budur, fig. 5.
  32. LV p. 38-9 (cf. B. Budur, fig. 6).
  33. Pour les Indiens la colombe est au contraire le symbole de la lubricité (cf. supra p. 161).
  34. On trouvera une étude détaillée sur le Shaḍ-danta-jâtaka (pâli Chaddantajâtaka no 514) dans Mélanges Sylvain Lévi (Paris, 1911) ou BBA p. 185 s.
  35. Barhut pl. 28, 2 (cf. AgbG fig. 149 et 160 a (Gandhâra) ; 148 et Amarâvati B pl. 28, 1). Ce même mot okraṃti (skt avakrânti) se retrouve dans le titre du ch. vi du LV intitulé Garbha-avakrânti « la descente de l’embryon » (dans la matrice). H. Lüders (Bharhut und die buddhistische Literatur, Berlin, 1041, p. 45) a fait remarquer que la pierre porte plutôt ûkraṃti, ce qui peut être un lapsus du lapicide, mais s’expliquerait à la rigueur par upakrânti « insinuation ». — À en croire les textes cités par lui (ibid. p. 50-1), d’après lesquels toute personne honorable doit se coucher sur le côté droit, ce serait de propos délibéré (et non par maladresse, comme il est dit AgbG I p. 293) que les sculpteurs indiens auraient représenté la reine Mâyâ dans cette position.
  36. Majjhima-nikâya, III p. 123 ; LV p. 72 l. 20 ; MVU II, p. 5 s. L’opportune séparation de corps entre Mâyâ et Çuddhodana était restée traditionnellement soulignée à Kapilavastu par le fait qu’on montrait aux pèlerins leurs appartements distincts (Hiuan-Tsang J p. 310 ; B II p. 14-5 ; W II p. 2).
  37. En skt garbha-sthiti.
  38. LV p. 60 et Dial. II p. 10.
  39. B. Budur fig. 12. À Amarâvati B pl. 11, 1 et AgbG fig. 147 c’est toujours un petit éléphant que lors du pracala ou « mise en branle » abrite le tabernacle.
  40. « Dispositif » est la meilleure traduction que nous trouvions à vyûha.
  41. LV p. 64 ; nous croyons que telle est la scène représentée à B. Budur fig. 14.
  42. LV p. 60 l. 18, 63 et cf. 83 l. 15.
  43. LV p. 88 l. 1-5. — On remarquera que la mise à l’écart de St. Joseph et de Çuddhodana n’empêche nullement l’enfant du miracle d’être considéré comme un descendant de David ou d’Ikshvâku.
  44. Sur l’iconographie de la Nativité (Janma) du Buddha le lecteur est prié de se reporter aux planches du Memoir no 46 de l’ASI.
  45. Rummindei est situé en territoire népalais, à 5 milles anglais au N.-E. de Dulha dans le district de Basti.
  46. Açoka ajoute ensuite, autant que nous pouvons comprendre : « …Il a fait construire une (enceinte) de briques à coins de pierre et ériger une colonne de pierre, disant : Ici est né le Bienheureux. Il a fait le village de Lumminî exempt d’impôt et (autorisé à percevoir) une dîme du huitième (sur les revenus du pèlerinage) ».
  47. L’açoka (DA p. 390 l. 3 ; Hiuan-tsang J I p. 322-3 ; B II p. 24 ; W II p. 14 ; Fa-hien (B p. l) ne spécifie pas l’essence de l’arbre) est le Fonesia açoka Roxb. ; le plaksha (LV p. 83 l. 5 MVU II p. 19 l. 17) est le ficus infectoria ; le çala (NK p. 52, l. 25) est le shorea robusta. Cf. AgbG fig. 152, 154 et I p. 229.
  48. Ṛg-veda, IV, 18, 1-2. — Senart à déjà signalé (p. 243 s.) les curieux rapports entre les circonstances de l’accouchement de Mâyâ et de celui de Latone dans l’Hymne homérique à Apollon, v. 117 s.