La Vie de saint Patern

LA VIE DE SAINT PATERN,


Evesque de Vennes, le seizième d’Avril.


I. Saint Patern II. du nom, Evesque & Patron de l’Evesché de Vannes, nâquit en la Bretagne Armorique, de Parens riches & vertueux ; son Pere s’apelloit Petranus & estoit Citoyen de la Ville de Poictiers ; lequel, estant venu demeurer en Bretagne, épousa une vertueuse fille, nommée Jullitte Guenn, de laquelle il eut nostre Saint Patern, lequel ils consacrerent à Dieu ; & dés lors se separerent de consentement mutuel, pour mieux & plus librement s’adonner au service de Dieu. Petranus passa la mer & alla en Hybernie, où il se rendit Moyne & y vescut en grande Sainteté, & sa compagne Jullite prit le soin de nourrir & élever son fils, luy faisant avec le laict succer la pieté, devotion & crainte de Dieu & passa quarante ans, aprés sa séparation d’avec son mary, en un honneste & volontaire veuvage, faisant de grandes aumônes & autres bonnes œuvres, servant fidellement Dieu jusqu’à sa mort.

II. Ayant un jour, disposé du drap & de la toille pour faire une robe à son petit, estant apellée pour quelqu’autre affaire, elle laissa ses hardes sur une fenestre, d’où un Milan, qui voltigeait par là, ravit cette étoffe & l’emporta dans son nid ; mais, au bout de l’an, cét oyseau ayant esté déniché, les étoffes furent trouvées dans son nid aussi belles & entieres, comme si on les eût tout à l’heure aportées de chez le Marchand. Aussi-tost qu’il sceut distinctement parler, sa Mere l’envoya aux écolles, ne pardonnant à frais quelconques pour l’avancement de son Fils, lequel aussi, de son costé, étudioit diligemment & faisoit, un grand progrès non moins à la vertu qu’à l’etude des bonnes lettres.

III. Un jour, l’Enfant Patern discourant familièrement avec sa Mere, luy demanda où estoit son Pere, s’il estoit mort on vivant, veu que jamais il ne l’avoit veu ; la bonne Dame ne se pût tenir de pleurer & luy dist que son Pere, desireux de servir Dieu en état de perfection, avoit quitté son païs, & en dessein de se rendre Religieux, passé la Mer &, (à ce qu’elle avoit sceu), estoit en Hybernie, renfermé dans un Monastere. Le S. Enfant répondit lors : «  Et quoy ? quelle meilleure condition pourrois-je choisir que celle dont mon Pere a fait élection ? Certes (ma Mere) je seray aussi Religieux, ou mourray en la peine. » Sa mere, entendant ces paroles, en remercia Dieu & l’encouragea d’exécuter son saint dessein. Dés lors, il conceut un saint mépris du monde & un ardent desir de servir Dieu en quelque Monastere ; lequel croissant de jour à autre, il prit la benediction de sa Mere & alla trouver l’Abbé Generosus, qui gouvernoit un grand nombre de Religieux dans le Monastere de saint Gildas de Rhuys, auquel il demanda humblement l’Habit, & le receut à son grand contentement & consolation de son Ame.

IV. Dés qu’il eut achevé le temps de sa Probation, son Abbé luy donna la charge de la dépense, laquelle fonction il exerça, l’espace de trois ans, avec grande satisfaction & contentement de tous les Religieux. Il s’adonnoit volontiers aux offices & fonctions exterieures du Monastere ; mais de telle sorte toutesfois, que le soin qu’il en prenoit n’esteignoit en luy l’esprit de l’Oraison ; il s’etudioit particuliérement à la mortification de ses sens externes, nommément des yeux, lesquels (selon le dire du Prophete) sont les portes par lesquelles la mort entre dans l’Ame, & tenoit tellement ses yeux en commandement, qu’on dit de luy que, depuis qu’il fut vétu Religieux, jamais il ne regarda homme en face, moins encore femme. Il mattoit continuellement sa chair à force de rudes & fortes austeritez ; il ne mangeoit que du pain tout sec, beuvoit de l’eau & encore bien mediocrement ; &, quand il vouloit faire plus grande chere, il adjoustoit quelques legumes & du sel. Au lieu de chemise, il endossait un Cilice aspre & rude ; jamais ne changeoit d’habit, ny ne quittoit sa pauvre robbe, froc & cuculle de nuit ny de jour ; on ne le voyoit plus vétu en Hyver, ny moins en Esté que de coustume ; son lict estoit le pavé nud, ou bien quelques fagots ; par telles austeritez il attenua tellement son corps, qu’on ne luy voyoit que la peau & les os.

V. En ce temps-là, florissoient en la Bretagne Armorique un grand nombre de saints Personnages, qui, ayant dit adieu au monde, vivoient és Cloistres & Monasteres, y menans une vie plus Angelique & divine qu’humaine ; desquels on fist passer grand nombre en la Grande Bretagne pour y fonder des Monasteres, sous la conduite des Abbez Cuvilan, Coatman & Tetecho ; lesquels, connoissans la vertu, sainteté, erudition & suffisance de S. Patern, le demanderent aussi ; ils le firent Abbé & luy donnerent cent tant de Moynes, avec lesquels il passa la Mer, Prescha des Insulaires, qui, dans peu de temps, luy édifierent un Monastere sur le bord de la Mer, l’ornerent, arrenterent & accommoderent de tout ce qui estoit requis, tant pour le service de Dieu, que pour la commodité des Religieux. S. Patern, voyant que sa Mission avoit si-bien réüssi, en rendit graces à Dieu ; &, ayant mis bon ordre à tout, institua un Superieur pour gouverner son Monastere en son absence ; puis, ayant pris congé de ses Religieux, Passa la mer & alla en Hybernie.

VI. Où estant arrivé il alla voir son pere, lequel en fut extrémement aise & le retint, quelques mois, en son Monastere. Il y avoit lors deux Roys en Hybernie, lesquels se faisoient une cruelle guerre, au grand dommage & incommodité du pauvre peuple. Une nuit, un Ange leur apparut à tous deux separément & leur commanda d’envoyer chercher un saint homme, nommé Patern, venu depuis peu de la Grande Bretagne, qu’ils le prinssent pour arbitre de leurs differens & se tinssent à ce qu’il en arresteroit. Le matin venu, ces deux Princes se virent ; &, ayans communiqué, en face de leurs Armées, quelque temps par ensemble, poserent les armes, envoyerent querir S. Patern, lequel les pacifia entierement, & puis, prenant congé d’eux, revint voir son Pere, duquel ayant aussi pris congé, il repassa en la Grande Bretagne & se rendit à ses Religieux, qui furent grandement rejoüis de son arrivée, & trouva, en ce Monastere, un des Religieux qu’il avoit laissé au Monastere de Rhuys en Bretagne Armorique, nommé Nimonochus, lequel, ne pouvant supporter son absence, l’avoit suivi, &, par merites, avoit évadé de grands perils en mer.

VII. Voyant ses Religieux croistre, de jour à autre, en nombre, à la gloire de Dieu & utilité des Ames, il fonda deux autres Monasteres au Pays de Cornoüaille en l’Isle (c’est la Principauté de Walles) & y mist Superieurs deux siens Disciples, Nimonochus & Samson, personnes doüées de grandes perfections. En ce temps-là, regnoit en la province de Walles un Prince nommé Malgonus, homme fort mal conditionné, lequel, entendant parler de S. Patern, le voulut tenter. Une guerre luy étant survenuë contre des Bretons septentrionnaux de l’Isle, il amassa son Armée prés le fleuve de Clarach, & commanda à deux de ses Thresoriers de porter de grands vases chargez de sables, mottes & autre telle chose, bien fermez & scellez, au Monastere du Saint situé prés de ce fleuve, & le prier de luy garder ces vases où estoient ses Thresors. Le S. Abbé les prit à la bonne foy, les mit dans la Sacristie & les conserva soigneusement. La guerre ayant eu bon & heureux succez, le Roy retourna victorieux & envoya incontinent au Monastere querir ces vases, qui furent delivrez à ses gens ; lesquels, les ayans ouverts, n’y trouverent que sable, gazons & terre. Les Thresoriers, tous éperdus, crierent aux voleurs ; qu’on avoit volé les thresors du Roy ; le Saint le nya constamment. L’affaire évoquée par devant le Roy, il ordonna qu’ils seroient mis à leur serment. Or, c’estoit la coutusme en ce pays-là, que, qui faisoit serment de n’avoir commis ce qui luy estoit imposé, pour preuve de son innocence, mettoit le bras dans une cuve d’eau bouïllante ; le saint Abbé offrit au Roy de se justifier de ce crime, luy & ses Religieux en cette façon.

VIII. Le Roy qui, pour éprouver la vertu & Sainteté de S. Patern, avoit tramé cette affaire, s’y accorda ; on fait bouïllir de l’eau dans un grand bassin ; le S. fait redoubler les charbons, bouïllir & rebouïllir l’eau ; puis, ayant fait sa priere, mist tout son bras dedans, & l’y tint si long-temps, que les assistans furent contraints de luy crier qu’il se retirast ; ce qu’ayant fait, il montra son bras aussi sain, beau & frais que jamais. Le peuple, voyant cela, força ses accusateurs à faire la mesme espreuve, & voir si l’eau bouïllante est chaude ; mais ils n’y eurent si-tost mis la main, que la douleur leur penetra si avant, qu’ils tomberent morts par terre ; & le Roy Malgonus, autheur de tout cecy, devint aveugle & fut saisi d’une forte maladie, qui le mist au lict & l’affaiblit de telle sorte, qu’il reconnût que c’estoit une punition divine du tort qu’il avoit fait à S. Patern ; de quoy se repentant, il se fit porter au Monastere de Clarach & demanda humblement pardon au S. Abbé, qui, par sa priere, luy rendit la veuë & le guerit de sa maladie, dont le Roy le remercia & fit present à son Monastere de toutes ses terres, depuis la riviere de Clarach jusques à la Mer.

IX. En ce même temps, saint David (qui depuis fut Evesque de Menevie en l’Isle) vivoit en grande austérité, en un Monastere situé dans une vallée, au mesme païs de Walles, nommée Traoun-Rhozn. Un jour, estant en priere, l’Ange luy apparut & luy commanda d’apeller les Abbez Patern & Thurian, & d’aller, en leur compagnie, visiter les saints lieux de la Terre sainte, où Nostre Sauveur avoit operé nostre salut. S. David, obeïssant à l’Ange, les envoya querir & leur manifesta le commandement qu’il avoit receu du Ciel, les prians d’entreprendre ce voyage en sa compagnie ; ce qu’ils firent, & remarqua-t’on (chose miraculeuse) que, pendant qu’ils furent en ce voyage, quand ils entroient és terres étrangeres, ils entendoient & parloient les langues Barbares aussi aisément qu’ils eussent fait le Breton, qui estoit leur langue maternelle. Estans arrivez en la Ville de Jerusalem, ils visiterent avec une grande devotion les saints lieux ; &, cependant qu’ils s’occupoient à ces saints Pelerinages, l’Ange s’apparut au Patriarche de Jerusalem & luy commanda d’apeller ces trois Pelerins Bretons Insulaires, leur imposer les mains & leur donner la commission de prescher l’Evangile ; ce que le Patriarche executa effectivement, puis les licencia d’aller en leur païs donnant, au départ, à saint Patern une Crosse d’Yvoire & une belle Tunique ou Dalmatique, présageant qu’il devoit, un jour, gouverner les Ames & estre Evesque.

X. Ces saints Personnages, ayans satisfait au commandement de l’Ange & à leur devotion, s’en retournerent en l’Isle & commencerent, chacun de son costé, à prescher de grande ferveur. Un jour que saint Patern estoit dans son Monastere de Clarach, un Seigneur du pays, nommé Arthur, estant venu audit Monastere, vid saint Patern, pendant l’Office, revétu de cette Tunique qu’il avoit euë du Patriarche de Jerusalem, laquelle luy agréa tellement, qu’il la luy demanda avec instance, mais le Saint l’en éconduit, disant qu’elle estoit dediée au service de l’Église & qu’il n’estoit pas seant de l’en desalliener. Cela attrista grandement Arthur, qui, tout fasché, sortit de l’Église avec son train, parmy lequel se trouva quelque vaut-rien, qui luy conseilla de retourner sur ses pas, & que de force il luy feroit avoir ce que par beau il n’avoit pû obtenir ; il crût ce conseil et s’en retourna au Monastere, tout furieux & en colere ; un Moyne l’apperceut de loin, qui s’encourut donner avis à saint Patern, lequel luy dist : « Et bien (mon frere) s’il vient en mauvais dessein, asseurez-vous que la terre s’ouvrira & l’engloutira. » Ce qui arriva ainsi ; car, voulant entrer de furie en l’Église, la terre s’ouvrit sous ses pieds & l’engloutit jusques à la gorge, se resserrant tout à l’entour & ne luy laissant que la teste hors. Alors, il commença à reconnoistre sa faute & prier S. Patern de luy pardonner ; le saint Abbé, l’ayant aigrement repris de son peché, pria pour luy, le tira de là & le renvoya en paix en sa maison.

XI. C’estoit du temps qu’estoit Comte de Vannes un valeureux Prince, nommé Guérok (la Cronique Latine l’appelle Caradocus pour Guerokus), Prince courageux & magnanime, lequel, l’an 564, soûtint Dunalch, Fils de Connobert, Comte de Rennes & de Nantes, contre Chilperic, Roy de France, l’Armée duquel il défit à Messac sur Vilaines, l’an 587, assiégea Rennes, puis Nantes, lesquelles il prit & rendit à Dunalch, ayant défait & Bapolen & contraint Ebrecaire (c’estoit les Chef des deux Armées que Gontram, Roy France, avoient envoyées en Bretagne) de s’en fuïr. Cette guerre avec les François si heureusement finie, Guérok passa la mer & conquist pareillement la Cornoüaille d’outre-mer ; où, estant arrivé en la Cité qui lors s’apelloit Meas-Eli, Il y trouva S. Patern, lequel, a la requeste des Vennetois Armoricains, il amena en Bretagne, regnant en la haute Bretagne Alain I. du nom, & en la basse Jaova. Le bruit de son arrivée venu aux oreilles des habitans de la ville de Vannes, ils luy sortirent audevant, l’emmenerent solemnellement en leur ville & le firent sacrer leur Evesque.

XII. Le Comte Guérok avoit basty un Palais au milieu de la ville de Vannes, pour sa demeure ordinaire ; saint Patern fut inspiré de Dieu de le luy demander pour accommoder & amplifier son Église Cathedrale ; ce qu’il obtint facilement, dont il agrandit l’Église de saint Pierre, & du reste des bastimens se servit de Manoir & Palais Episcopal. À l’exemple du Comte, les Seigneurs du Vennetois luy firent plusieurs presens & de bonnes fondations, pour ayder à la reparation de ce Temple, lequel encore depuis a esté rebasty plus ample, beau, grand & spacieux. Ce S. Prélat, estant Evesque, mist un grand soin à bien & saintement gouverner son Diocese lequel il visitoit souvent, l’instruisoit, et édifioit de sa bonne vie & admirables Sermons. En mesme temps, saint Samson, Archevesque de Dol, faisant sa visite par la Bretagne, où il estoit reconnû Metropolitain de sept Evesques, vint sans bruit, & comme à l’improviste, sur les confins du terroir Vennetois, où l’un des Moynes qu’il avoit à sa suitte luy dist, que saint Patern ne luy voudroit pas volontiers obeïr, ny le reconnoistre pour son Metropolitain ; partant, qu’il perdroit sa peine d’y aller, mais qu’au prochain Synode Provincial il luy falloit l’appeller hastivement pour éprouver son humilité & obedience.

XIII. Le S. Archevesque, ne pensant à mal quelconque, croit ce conseil ; & au, prochain Synode qu’il assembla, manda à S. Patern que sans délay il y vint, tout en tel état qu’il se trouveroit. S. Patern édifioit lors une Église & un petit Hermitage hors la ville de Vannes ; là le vinrent trouver les Messagers de saint Samson, & luy presenterent les lettres comme il se débottoit, ayant encore un pied botté ; il les leut tout sur bout, puis remonte & suivit ces Messagers vers le saint Archevesque. Or, ce Moyne malicieux, qui avoit conseillé S. Samson à faire cette espreuve de l’obedience de saint Patern, le voyant venir botté d’un pied seulement, se prit à rire à pleine teste ; mais le diable le saisit sur le champ, le jetta par terre, & commença à le tourmenter horriblement ; ce que voyant S. Samson & les autres SS. Evesques qui estoient là assemblez, admirans l’obeïssance de S. Patern, le vinrent saluer & le prierent de pardonner à ce miserable, que l’ennemy du genre humain tourmentoit si cruellement ; le saint luy pardonna de bon cœur, &, par sa priere, le delivra.

XIV. À ce Synode se trouverent sept Evesques, sçavoir, saint Samson, Archevesque de Dol, Metropolitain ; saint Malo, Evesque d’Aleth ; saint Brieuc, Evesque de Biduce ; saint Tugduval, Evesque de Treguer, saint Paul, Evesque d’Occismor, & l’Evesque de Cornoüaille, qui tous reconneurent pour Superieur & Metropolitain saint Samson & ses Successeurs Archevesques de Dol, les Evesques de Rennes & Nantes (pourveus à la nomination des Roys de France és Villes tenuës de France, depuis que Clotaire I s’en estoit emparé) se tenans en l’obeïssance de l’Archevesque de Tours. En ce Synode, furent faites plusieurs belles constitutions, pour le reglement & police Eccleslastique, que saint Patern fit exactement observer en son Diocese ; il y fut aussi ordonné que, tous les ans, le premier jour de Novembre, on celebreroit le Synode annuel, pour maintenir & accroistre l’union d’entr’eux & decider les points douteux & difficultez qui se pourroient presenter. Le Synode finy, saint Patern s’en retourna à Vannes, où il commença a mener une vie tres-austere & penitente, se retirant dans ce petit Monastere ou Hermitage, qu’il avoit édifié hors les faux-bourgs de Vannes, n’en sortant que lorsque les affaires de sa Charge Pastorale l’en contraignoient, passant tout son temps en prieres, jeusnes, veilles, austeritez & assistance du prochain.

XV. Dieu permist, pour fournir sujet de merite à sa patience, qu’il fust persecuté de plusieurs, méme de ses propres Religieux ; lesquels, ayant les yeux trop chassieux pour supporter l’éclat de ses rares vertus, commencerent à le traverser, & de telle sorte, que, pour se delivrer de leurs persecutions, estant allé à un Synode, il ne s’en retourna plus à Vannes, de peur qu’il ne tombast en quelque impatience, pour les affronts & mauvais tours que, journellement on luy joüoit ; il quitta donc son Diocese & la Bretagne, & se retira en France, où il s’habitua en un Monastere et y amassa quelques Religieux, avec lesquels il vescut, quelque temps, en grande Sainteté, jusques à ce que, cassé d’années, de vieillesse & d’austeritez, il tomba malade ; &, sentant sa mort approcher, receut ses Sacremens, donna sa sainte Benediction à ses Disciples, puis, loüant & glorifiant Dieu, rendit son heureux esprit és mains de son Createur, le 16. Avril, environ l’an de grace 590.

XVI. Incontinent aprés que le Saint eut esté mis en terre, Dieu opera plusieurs grands miracles à son Sepulchre, & les Bretons Vennetois commencerent à ressentir la perte de leur S. Pasteur ; car une cruelle famine envahit le pays, laquelle, en trois années qu’elle dura, étrangla une innombrable multitude de personnes ; on fait des prieres & Processions publiques & solemnelles pour appaiser l’ire de Dieu ; enfin, on s’avise que saint Patern avoit quitté la ville & Diocese de Vannes, sans y avoir laissé sa sainte Benediction. Là dessus le conseil se tint, & députa-t’on un honorable compagnie pour aller en France querir le saint Corps ; on y alla, mais comme on voulut le lever sur le branquart, il devint si lourd & pesant, qu’on ne le pouvoit seulement lever de terre. Cela attrista grandement tous les assistans, jusqu’à ce qu’un Bourgeois de Vannes s’avança parmy les autres & dist : « Messieurs, nostre saint Prélat défunt m’a autres fois souvent demandé un lieu & métairie que j’ay és Faux-bourgs de nostre Ville, pour y édifier une Église, dont je l’ay toûjours refusé ; mais je luy promets, devant Dieu, ses saintes Reliques & toute la compagnie, que, s’il luy plaist se laisser emporter en sa Ville & la nostre, non seulement je luy donneray ce lieu, mais de plus y feray bastir une Église à mes propres coûts & dépens. »

XVII. À peine eut-il achevé ce propos, que le S. Corps devint leger à merveille dont toute l’assistance remercia Dieu ; ils le leverent sur une littiere richement parée & l’emporterent en grande pompe & solemnité en Bretagne. Les Evesque, Clergé, Noblesse, Bourgeois & toute la populace de Vannes sortit bien loin hors la ville au-devant des reliques de leur saint Prélat, lesquelles furent déposées en ce lieu que le Bourgeois avoit donné au Saint, où, dans peu de temps, fut édifiée une belle Église, laquelle fut dediée en l’honneur de saint Patern, & est une des Paroisses de la Ville de Vannes, où demeura le Corps de saint Patern, jusques à l’an de salut 878. que, pour crainte des Barbares, Normands & Danois, qui, ayant mis pied à terre en Bretagne, ravageoient tout le pays, il fut transporté, avec le Corps de saint Corentin, au Monastere de Marmoûtiers lés Tours[1], où ils ont esté reveremment gardez, & Dieu y a operé de grands miracles par leurs merites & intercessions.

Cette Vie a esté par nous recueillie des anciens Breviaires de Leon, Vannes et Cornoüaille, le 16. Avril ; des anciens Legendaires de Leon, Nantes et Treguer, Robert Coenalis de re Gallica, liv. 2, perioch. 6 ; d’Argentré, en son hist. liv. 1 ; ch. 10 ; les Annales de Bret. de Bouchard, liv. 2, feuil. 56 ; Du Pas, au rôlle des Evesq. de Vannes, à la fin de soit hist. geneal. des illustres Maisons de Bret. ; Robert, en sa Gallia Christiana ; Chenu, en son hist. Chronolog. des Evesques de France, en ceux de Vannes ; Charron, en son Catalogue des Evesques de Nantes ; le Proprium Sanctorum de Vannes.

  1. Comme on le verra dans les Annotations, ceci manque d’exactitude. A.-M. T.