La Vie de Jésus (Taxil)/Chapitre X

P. Fort (p. 35-39).

CHAPITRE X

L’ADORATION DES MAGES

Tout compte fait, nos mages reconnurent à leur arrivée que le nouveau roi des Juifs était né depuis une quarantaine de jours. Ils étaient partis environ trois mois avant sa venue au monde.

Je vous laisse à penser si les gens de Jérusalem devaient être dans l’étonnement à l’aspect dans cette riche caravane de monarques orientaux. Ils n’avaient vu magnificence pareille depuis longtemps. Les gamins s’attroupaient dans les rues et contemplaient d’un œil émerveillé les chameaux tout caparaçonnés d’étoffes précieuses.

Les mages prirent un cicerone et se firent conduire auprès du roi. N’ayant pas été prévenus par leurs calculs que le prince nouveau-né ne faisait pas partie de la famille d’Hérode, ils s’attendaient à trouver dans le palais principal de la ville le moutard auquel ils apportaient leurs hommages.

Quelqu’un donc qui fut surpris, ce fut Hérode, quand il entendit ses collègues à couronne, venus des plus lointains pays, lui dire dans la langue juive la plus pure :

— Cher cousin, nous venons vous féliciter de l’heureuse naissance de votre fils.

— Ah bah ! répondit Hérode, mais ma femme ne m’en a pas donné depuis quelque temps.

— Cependant, objecta Melchior, nous sommes mathématiquement sûrs qu’un futur roi des Juifs est né il y a peu de jours par ici. S’il ne fait pas partie de votre progéniture, veuillez du moins avoir la bonté de nous indiquer où nous le trouverons.

— Ça, que me chantez-vous ? interrogea Hérode.

— Une étoile nous est apparue, sire, une étoile mirobolante, une étoile qui marche. Elle nous a conduits jusqu’en ces lieux. Or, quand une étoile se permet de pareilles libertés, ce n’est pas sans un motif, des plus sérieux. Du reste, nous avons la certitude de ce que nous avançons. Nous sommes plongés jusqu’au cou dans la science des astres, et nous ne pouvons que vous répéter notre question : Si le futur roi des Juifs n’est pas chez vous, où perche-t-il ?

Hérode se sentit troublé par l’assurance avec laquelle parlaient ces princes savants. Il se dit in petto que ces nobles inconnus ne s’étaient pas payé l’ennui de faire des milliers de lieues à dos de chameau pour venir le mystifier. Et, comme il ne voyait pas pour l’avenir d’autre roi juif que son héritier présomptif, il éprouva une grande crainte de quelque concurrence mystérieuse.

Néanmoins, en habile homme qu’il était, il sut ne rien laisser paraître du trac qui l’agitait, et ce fut avec le sourire sur les lèvres qu’il répliqua aux mages :

— La nouvelle que vous m’annoncez, chers collègues, est une vraie nouvelle pour moi ; mais elle me comble d’allégresse. Soyez assez aimables pour continuer à suivre votre étoile, et, quand vous aurez trouvé le futur roi des Juifs, repassez à mon palais pour me dire exactement le lieu de sa résidence. Je serai heureux alors d’aller rendre visite à mon tour à cet enfant prédestiné.

— Oh ! ce n’est pas une simple visite que nous allons lui rendre, observa Gaspard ; ce futur roi des Juifs sera plus puissant que vous et nous. Nous allons bel et bien auprès de lui pour l’adorer.

— Comment donc ! s’écria Hérode ; mais, moi aussi, je veux l’adorer. Vous ne pouvez me refuser ce plaisir.

Hérode offrit aux mages un verre de muscat et un biscuit, et ceux-ci le quittèrent en lui promettant de lui donner à leur retour l’adresse exacte du futur roi.

À partir de ce moment, Hérode fut en proie à une vive inquiétude. Il fut tellement inquiet qu’il ne pensa pas au moyen le plus simple à employer pour trouver ce concurrent dont la naissance, à lui subitement révélée, lui causait tant de chagrin. Ce moyen était celui-ci : Hérode n’aurait eu qu’à suivre l’étoile, à l’instar des mages ; mais l’idée ne lui en vint pas à l’esprit.

Balthazar, Melchior et Gaspard, seuls, continuèrent à emboîter le pas à l’astre vagabond.

Où pensez-vous qu’il les mena à la fin de toutes ces pérégrinations ?

À Nazareth ? — Pas du tout.

Joseph et sa famille avaient filé de Bethléem, une fois leur inscription faite sur les tables du recensement ; ils étaient venus à Jérusalem pour la présentation de Jésus au Temple. Après cela, ils n’avaient plus qu’à retourner à Nazareth, leur domicile attitré. — Eh bien, non, il paraît que c’est à Bethléem, le village inhospitalier, qu’ils se rendirent de nouveau, puisque c’est à Bethléem, d’après l’Évangile, qu’eut lieu l’adoration des rois.

En vain objecterait-on que cette adoration s’est accomplie avant la présentation au Temple de Jérusalem.

Je répondrais :

— Cela est impossible. Hérode, prévenu de la naissance du Messie et le recherchant, le petit Jésus n’aurait certes pas échappé à sa fureur, si ses parents avaient à ce moment commis l’imprudence de l’exhiber en pleine synagogue et dans une cérémonie publique présidée par le grand-prêtre Siméon[1].

Logiquement, — si l’on peut parler de logique à propos des fables de l’Évangile, — le ménage Joseph s’acquitta d’abord des formalités de présentation et purification exigées par la loi de Moïse, et retourna ensuite sans aucun but à Bethléem. Peut-être le charpentier avait-il oublié dans l’étable une douzaine de faux-cols.

Ce fut donc dans le village de David que l’étoile s’arrêta, et cela au-dessus de la légendaire écurie. Sans doute, le bœuf et l’âne s’y trouvaient encore. Quant à Joseph, s’il faut en croire Saint Matthieu, il était absent.

« Les rois, dit le Nouveau Testament, entrèrent dans la pauvre demeure, où ils virent l’enfant avec Marie, sa mère ; et, se prosternant, le front dans la poussière, ils l’adorèrent ; puis, ouvrant leurs trésors, ils lui offrirent pour présents de l’or, de l’encens et de la myrrhe. ».

Cette offrande des rois-mages m’a toujours plongé dans un abîme de réflexions.

Les écrivains ecclésiastiques nous indiquent en détail quel présent fut fait par chacun des monarques, et l’on doit convenir que d’eux d’entre eux ne se montrèrent pas d’une générosité bien grande.

Melchior ouvrit sa cassette et en donna tout le contenu, qui était de l’or. Gaspard offrit de l’encens, qui ne vaut pas grandchose. Balthazar déposa devant la crèche un peu de myrrhe, sorte de résine odorante ne valant ni guère plus ni guère moins que l’encens.

Pour des monarques venus de si loin, Gaspard et Balthazar se montraient d’une ladrerie inqualifiable. C’était bien la peine d’avoir voyagé durant quatre mois pour se fendre de pareils cadeaux !

De l’encens, si l’on veut encore, c’était chiche, mais cela pouvait avoir un sens flatteur. Gaspard y allait, à bon marché, de son petit compliment.

Mais Balthazar ?… Oh ! ce Balthazar ! quel crasseux !… De la myrrhe ? voilà tout ce qu’il apporte à son Dieu !… Si cela ne fait pas suer des lames de rasoir !…

Et pourquoi faire votre myrrhe, Balthazar ?

Saint Bède nous explique la chose : « La myrrhe, qui était entre les mains du roi nègre, rappelait que le Fils de l’Homme devait mourir. » En effet, on se servait de la myrrhe chez les anciens pour embaumer les morts. Hein ? voilà une attention délicate, voilà une étrenne bien à-propos : de la résine d’embaumeur pour un nouveau-né !

Pour ma part, je me refuse à admettre l’explication de saint Bède : à mon avis, Balthazar était un pingre qui ne dépensait pas des sommes folles quand il se mêlait de payer des cadeaux ; mais je ne lui fais pas l’injure de croire qu’il ait voulu faire au Messie la farce lugubre de lui offrir à sa naissance un accessoire d’enterrement. Voici ce que je pense : la myrrhe, on le sait, est employée par les pharmaciens à la confection, entre autres choses, de cataplasmes destinés à empêcher les bébés de pisser au lit ; c’est donc sans doute dans ce but que Balthazar avait apporté sa résine. J’aime mieux ça !

Quoi qu’il en soit, la cassette d’or faisait passer l’encens et la myrrhe.

Somme tout, le présent de Melchior était vraiment royal. En supposant la cassette de grandeur moyenne, elle devait contenir de l’or pour une valeur de 30 à 40,000 francs ; ce qui était une réelle fortune à cette époque.

Nouveau sujet d’étonnement pour ma candeur, l’Évangile ne parle plus de cette fortune ; le livre saint nous dit au contraire que Marie et Joseph vécurent toujours dans la pauvreté ; quant à Jésus, il se comporta toute sa vie comme un pas grand’chose, vivant d’expédients et des libéralités de certaines donzelles dont nous aurons à nous occuper.

Pour que l’or apporté par le roi-mage ait été si promptement dissipé par la brune Marie, il faut donc admettre que la jeune femme avait des vices cachés. Qui sait ? Elle n’aura jamais révélé à Joseph la bonne aubaine de la visite du vieux Melchior ; puis, elle aura joué à la loterie pour doubler son magot, et elle aura tout perdu.


  1. On pourrait objecter encore que la date fixée par l’Église à l’adoration des rois est le 6 janvier, tandis que la présentation au Temple n’aurait eu lieu que le 2 février ; que, par conséquent, la visite des mages a précédé la purification Je répondrais, les dates fixées par l’Église l’ont été en dépit du bon sens, en effet, comment expliquer que l’adoration des rois ayant été effectuée le 6 janvier, le massacre des Innocents (sa conséquence) a eu lieu, d’après le calendrier catholique, neuf jour » avant, c’est à dire le 28 décembre ?

    La vérité est que tout est mensonge dans la légende chrétienne, mais les impostures des prêtres sont grossières et leurs contradictions sont flagrantes