La Vie de Jésus (Taxil)/Chapitre LXI

P. Fort (p. 319-322).

CHAPITRE LXI

OÙ PIERRE PROUVE QU’IL EST UN JOLI LÂCHEUR

Tandis que le tout-puissant Créateur du ciel et de la terre se plaisait à endurer les mauvais traitements des miliciens du Temple, Pierre se conduisait de façon à réaliser les prophéties.

Après avoir filé du jardin des Oliviers, il avait ressenti quelque honte de sa couardise et était revenu sur ses pas.

— Où diable vont-ils emmener le patron ? s’était-il demandé.

Puis, comme il ne manquait pas de jugeotte, il avait réfléchi que ce ne pouvait être qu’au palais des grands-prêtres.

Il s’était donc dirigé de ce côté.

Quand il arriva, le palais était bondé de curieux ; impossible de pénétrer dans la salle des audiences. Force lui fut de se contenter d’un modeste coin dans une cour.

Bien qu’on fût en pleine belle saison (puisque les apôtres couchaient sur le sol des collines), il se mit tout d’un coup à faire froid, au dire de l’Évangile. Les valets, les soldats et les servantes qui étaient dans la cour avaient jugé bon d’allumer un grand feu de buissons épineux, et tout ce monde-là se chauffait, les uns causant de l’événement de la nuit, les autres se contant des gaudrioles.

Pierre, sans piper mot, écoutait ; il tenait à savoir comment tout cela se terminerait.

Tout à coup, une des domestiques de Caïphe donna une tape sur les mains d’un pioupiou qui lui grattait les mollets en manière de galanterie, et, dévisageant le chef des apôtres dont la figure était vivement illuminée par le foyer, elle l’interpella :

— Mais je te connais, loi !

— Plaît-il, mademoiselle ? fit Simon-Caillou interloqué.

— Parfaitement… Je dis que votre tête me revient !

— Ma tête ?

— Oui, je vous ai déjà vu.

— Où ça ?

— Avec Jésus de Nazareth.

Pierre haussa les épaules.

— Vous ne savez pas ce que vous dites, répondit-il.

— Ta, ta, ta, je n’ai pas la berlue.

— Je n’ai jamais vu, même en peinture, la personne dont vous parlez.

Et, pour bien montrer son insouciance, il se rapprocha du feu, comme si rien n’était.

La servante n’insista pas ; mais elle fit part de ses soupçons à une de ses voisines.

— En effet, observa l’autre, je me remets très bien la physionomie de ce vieux barbon ; il a une de ces binettes qui ne s’oublient pas.

Elle alla à son tour le regarder sous le nez.

Pierre, que cette manœuvre commençait à embêter, fit la grimace.

— Qu’est-ce qu’elle me veut encore, celle-là ? grogna-t-il.

— Allons ! pas tant de manières ! risposta la bonne. On vous connaît. Vous n’avez pas besoin de nier. Nous savons très bien que vous êtes un des compagnons de Jésus le Nazaréen.

Simon-Caillou s’impatientait.

— Si vous parlez sérieusement, dit-il, je vous donne un démenti formel ; si c’est une scie que vous me montez, je vous déclare que je la trouve mauvaise, et je vous engage à me ficher la paix.

— Taisez-vous, reprit la bonne, ou bien allez conter vos blagues à Plumet, le perruquier des vélites ! Nous ne sommes pas tombés de la dernière pluie, savez-vous ! On vous a vu avec votre rebouteur de patron ; ça ne vous servira à rien de dire que ce n’est pas vrai.

Il frappa du poing sur une table voisine.

— Nom de Dieu ! faut-il que ces gueuses de femmes soient têtues !… Puisque je vous déclare que non, sacrebleu ! c’est que c’est non…

Un soldat, qui avait entendu la discussion, intervint :

— Tu n’es donc pas de ces gens-là ? lui demanda-t-il… Sérieusement ?

— Sérieusement, non.

Cette fois, on le laissa se chauffer en toute tranquillité pendant une bonne heure.

Le malheur pour lui fut que, croyant avoir dérouté les soupçons, il se mêla à la conversation, il se mit à glisser des mots spirituels, enfin il jacassa tant et si bien qu’un soldat s’écria :

— Mille tonnerres ! mais oui, il est de la bande à Jésus !… Ne fais plus le malin, mon vieux ; ton accent le trahit ; tu es galiléen.

— Attendez-donc ! ajouta un serviteur du grand-prêtre venant à la rescousse. Tu es si bien un disciple du charpentier de Nazareth, que je me rappelle exactement t’avoir vu cette nuit dans le jardin.

Pierre était sur des charbons ardents ; celui qui lui parlait ainsi se trouvait précisément être un parent du Malchus à qui il avait coupé l’oreille.

Le mouchoir de Véronique, miracle de sudorographie (chap. LXIV.)
Le mouchoir de Véronique, miracle de sudorographie (chap. LXIV.)
Le mouchoir de Véronique, miracle de sudorographie (chap. lxiv.)
 

Il paya de toupet :

Résolu à en finir, il se prétendit victime de quelque fatale ressemblance, et prit le ciel à témoin qu’il était à cent lieues de comprendre ce qu’on voulait lui dire.

Au même moment, le coq d’un poulailler des environs se mit à chanter[1]. Par une bizarre coïncidence, Jésus, entouré des gardes qui l’avaient tant tarabusté, traversa la cour pour comparaître devant Caïphe, qui le faisait appeler une seconde fois.

En passant devant Pierre, le patron lui lança un coup d’œil plein d’éloquence. Ce coup d’œil disait :

— Hein ! Pierre, suis-je mauvais prophète ? Je t’avais prédit que tu me renierais trois fois avant le chant du coq. Écoute, le coq chante.

Simon-Caillou comprit.

Ne prenant conseil que de son désespoir, il se précipita au dehors, et, sitôt qu’il fut arrivé dans la rue, il versa un torrent de larmes qui fit déborder le ruisseau. (Matthieu, XXVI, 58-75 ; Marc, XIV, 54-72 ; Luc, XXII, 54-62 ; Jean, XVIII, 15-27.


  1. Les esprits forts, qui connaissent à fond l’histoire et les coutumes de la Judée, trouvent bien extraordinaire cet incident du coq. En effet, une défense religieusement observée interdisait de nourrir des coqs dans l’enceinte de Jérusalem. On craignait, nous apprend la glose du Baba-Kamma (VII, 7), que ces volatiles, habitués à chercher leur nourriture dans les fumiers, ne souillassent des objets sacrés. Il est donc fort étonnant que, le coq étant un animal interdit à Jérusalem, il se trouvât un poulailler quelconque dans le palais même des grands-prêtres. Cette inconséquence de l’Évangile est à rapprocher de la légende du troupeau de cochons, autres animaux interdits, dans lesquels Jésus envoya une légion de diables à Gergésa.